Melody venait de fêter ses quatre ans. En ce joli mois de mai, elle était toute excitée d'aller se promener avec son père. Elle tenait à peine en place pendant que celui-ci la préparait à sortir. Il fallait dire qu'elle n'avait jamais beaucoup aimé enfiler ses chaussures: elle détestait avoir les orteils serrés dans ses chaussures. Cela lui paraissait si peu naturel. Après tout aucune sirène au monde ne portait de chaussures. Même si la petite fille n'avait qu'une très vague idée de ce que voulait dire « être à moitié-sirène », elle savait très bien que cette partie là d'elle n'apréciait pas du tout porter des chaussures. Elle prenait un malin plaisir à faire tourner son père en bourique.

-Non! ze veux pas! criait-elle avant de partir en courant.

En même temps, elle riait aux éclats. Ses grands yeux bleus pétillaient en même temps que ses longs cheveux bruns s'envolaient tant elle courait vite. Pendant un instant, elle crut même qu'elle allait s'envoler. Puis, quand elle en eût assez, elle se jeta dans les bras de son père et se blottit contre lui.

Un peu plus tard, elle était enfin prête à sortir. Dès que Melody eût posé pied à terre, elle partit en courant.

-OUIIIIIIIIIII!

La petite fille était pleine de joie et de curiosité. Elle ne restait jamais très longtemps en place. Rien ne l'excitait plus que de découvrir le monde. Le parc était grand, en tout cas, elle n'en voyait pas le bout. Il y avait tant de choses à découvrir. Tout lui semblait incroyable et elle passait un temps fou à suivre les fourmis ou une coccinelle. Toutes ces petites bêtes, toutes ces couleurs, tous ces sons l'enchantaient.

Soudain, elle s'arrêta net. Devant elle se tenait un arbre immense. Si elle montait tout en haut... Elle osait à peine imaginer jusqu'où elle pourrait voir. Elle aurait un aperçu de tout ce qu'il lui restait encore à découvrir. Elle imaginait déjà les oiseaux qui viendraient se poser sur son épaule. Peut-être même qu'elle serait nommée reine des abeilles! Malgré la hauteur de l'arbre, les premières branches étaient suffisamment basses pour que Melody puisse en attraper une. Elle essaya de se hisser une première fois mais la tache n'était pas aisée. Même pour son âge, Melody était assez petite. Heureusement, elle était aussi très maligne. Elle utilisa l'écorce irrégulier de l'arbre pour grimper. Une première branche, puis deux, puis trois... C'était dur, mais la petite fille était têtue et lorsqu'elle avait décidé quelque chose, rien ne pouvait l'en dissuader. En toute insouciance, elle escaladait l'arbre. Si elle avait été plus âgée, peut-être se serait-elle rendue compte du danger car l'arbre n'était plus en vie depuis longtemps. Mais qui a la notion de la vie et de la mort à quatre ans? Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle montait très très haut! Elle ne comprit pas que le petit craquement qui se fit entendre lorsqu'elle posa le pied sur une branche était un avertissement. Alors qu'elle s'arrêtait pour admirer la vue, la branche ceda et la petite princesse tomba sur son bras. Bien que, si on relativise, elle n'était tombé que d'une hauteur d'un mètre, un mètre cinquante tout au plus, cela faisait une belle chute pour une si petite fille. Elle se mit à crier et à sangloter. Son bras était légèrement gonflé, il saignait un peu. Elle avait mal, certes, mais surtout elle avait eu très peur. Elle avait besoin de réconfort.

Malgré les soins que lui prodiguaient son père, tant bien que mal il fallait l'avouer, Melody n'arrêtaient pas de pleurer. Elle ne ressentaient plus tant de douleur désormais, mais le choc et la peur étaient toujours présents. Quand Eric posa un petit coton imbibé de désinfectant, elle se mit à hurler.

-A PIIIQUE!!!

De grosses larmes de crocodile coulaient sur ses joues. Le bras blessé ne saignait plus. Cependant on pouvait voir une belle ecchymose se dessiner, comme une auréole bleuté sur la peau blanche et délicate de la fillette. Il ne resterait pas grand chose de cette douloureuse mésaventure, si ce n'était qu'un vague souvenir et une précieuse leçon de vie: faire attention à là où on met les pieds.  
Puis, papa eut une merveilleuse idée. Une lumière chaude apparut autour du miroir magique et une magnifique jeune femme rousse se dessina sur la surface réfléchissante. Elle était un peu floue à travers les larmes de la petite fille mais une voix connue fit cesser presque instantanément ses cris. La voix était douce. Melody ressentait que la personne qui parlait éprouvait pour elle un amour inconditionnel. Elle n'avait pas vu cette femme très souvent, mais ces moments avaient été suffisamment intenses pour qu'elle s'en souvienne malgré son jeune âge. Cette femme, elle s'appelait Ariel ou Maman. Melody était trop jeune pour comprendre la différence. Mais elle savait que cette femme lui voulait du bien.
Elle tendit les mains vers le miroir pour signifier qu'elle voulait un câlin, mais elle n'eut pour seule réponse que le contact froid du miroir. Elle ne pleurait plus du tout. Ses yeux avaient séché et il ne restait que des traces humides le long de ses joues. Désormais, elle distinguait bien les traits de la jeune femme. Elle voyait ses traits inquiets de la voir pleurer. Cela n'altérait en rien sa beauté. Bien au contraire, Melody la voyait de plus en plus belle chaque fois qu'elle la voyait dans le miroir.