Son écharpe rouge remontée sur son visage, Yakko fixait les débris de ce qui avait été un jour un endroit qu’il aimait plus que tout. Depuis son retour dans la Forêt Enchantée, il n’avait pas quitté son écharpe une seule fois. Un peu comme un porte-bonheur, ou un bouclier, elle l’accompagnait partout où il allait. Quand la guerre avec les ogres a éclaté, elle a été son seul réconfort, la seule promesse qu’il existe autre chose, une autre vie quelque part ailleurs où il pourrait juste être heureux avec son frère, sa sœur, et peut-être avec un peu de chance, avec Max.

Les jours qui venaient de s’écouler avaient été si difficiles qu’il avait essayé désespérément de s’accrocher à ce petit espoir de retrouver la vie pour laquelle il s’était battu et qu’il avait eu tant de mal à bâtir. S’il en avait eu la possibilité, Yakko aurait tout donné pour être à nouveau à Storybooke avec ses deux parasites, comme il aimait les appeler. En fait, Yakko aurait tout donné pour que Wakko et Dot soient quelque part en sécurité, loin de tous les problèmes qui ne cessent de leur tomber dessus. S’il le fallait, il aurait même donné sa propre vie pour eux.

Le jeune homme s’accroupit, cherchant dans les débris quelque chose, un indice, un signe qui pourrait le mener vers sa famille. Il s’en voulait tant d’avoir oublié l’existence de Wakko et Dot qu’il s’était fait la promesse à lui-même qu’il ne les lâchera plus quand il les aura retrouvés. Et s’il s’était passé quelque chose pendant la guerre ? Et s’ils n’avaient pas retrouvé la mémoire ? Et si… ? D’un geste de la main, Yakko chasse les idées noires qui s’installent dans son esprit. Plus le temps passe, et plus l’espoir de voir son frère et sa sœur sortir de derrière un arbre en criant surprise disparaissait. C’était sans doute naïf de sa part, mais il aimait pouvoir penser que ce n’était peut-être qu’une mauvaise blague. Peut-être qu’ils étaient juste en colère contre lui et voulaient le rendre un peu dingue avant de revenir voir leur grand-frère adoré.

Peut-être qu’ils sont morts et que c’est pour ça que tu ne les retrouves pas. Attrapant sa tête entre ses mains, Yakko se laissa tomber sur le sol, laissant les larmes couler le long de ses joues. Quand ils étaient enfants, les trois petits trublions aimaient venir se cacher dans le coin pour mettre au point des farces à faire aux autres habitants du royaume. Maintenant, ce n’était plus qu’un endroit qui le ramenait à sa solitude et à la peur panique qui ne cessait de crier dans son esprit qu’il était peut-être déjà trop tard.

A l’horizon, le soleil avait déjà commencé à disparaitre depuis plusieurs longues minutes quand Yakko essuya enfin ses joues avant de prendre une grande inspiration. Si Wakko et Dot te voyaient… Un petit sourire vint se poser sur ses lèvres. Il était certain que son petit frère et sa petite soeur auraient bien des commentaires à lui faire s’ils avaient su qu’il avait fini en larme, tout seul, en plein milieu de nulle part. Néanmoins, il était tard, et s’il ne se dépêchait pas, il finirait par croiser des créatures nocturnes qu’il n’avait pas envie de croiser. D’un geste, il se releva, laissant derrière lui des débris du passé. Il avait encore une maison, presque en ruine, où il pouvait rentrer au moins pour la nuit.

Le sentier que Yakko suivait jusqu’à sa petite maison le mena tout droit dans un village lointain qu’il connaissait que trop bien pour y avoir passé une partie de sa vie. Même s’il habitait un peu plus loin, le jeune homme savait qu’ici, il ne courrait aucun risque et très peu pressé d’être à nouveau seul, il entreprit de traîner un peu dans les ruelles où les habitants finissaient tranquillement leur journée. Le regard passant d’une vitrine d’échoppe à une autre, Yakko ne faisait que très peu attention aux villageois, puisque de toute façon, il ne s’est jamais véritablement senti à sa place parmi eux, il était bien trop chaotique pour eux.

Il était presque arrivé au bout du village quand un visage dans la foule le frappa. Il avait passé tant de temps à chercher Wakko et Dot qu’il en avait presque oublié la souffrance et le manque qu’avaient causé l’absence du jeune homme qui se tenait à quelques mètres devant lui. Sans réfléchir, Yakko a couru prendre dans les bras ce garçon qu’il n’avait pas revu depuis plus d’une année entière. La peur que son ami ait pu l’oublier, la peur du rejet et les regrets ne sont venus qu’après, il était déjà trop tard, il était déjà agrippé à ses bras comme si sa vie en dépendait.

« J’ai cru que je ne te reverrai jamais, Max. » Finit-il par dire après quelques secondes retenant à peine les sanglots qui commençaient à revenir.  

Les jours se ressemblent et se suivent sans que Max n'ait l'impression de retrouver le contrôle sur sa vie. Le passage dans la Forêt Enchantée a tout bouleversé, à nouveau, et il se retrouve encore dans une spirale incandescante à laquelle il ne semble rien comprendre. Le Max fraîchement diplômé, posant ses valises dans une petite maison de Storybrooke avec son père pour sa toute première année d'enseignement semble si loin de ce qu'il est aujourd'hui, il en aurait le tournis en y pensant. Tout est allé trop vite depuis son arrivée dans la petite ville. Beaucoup trop vite.

Le village où ils ont élu domicile, avec son père, est modeste. Les piège de la Méchante Reine, ses sortilèges et ses châtiments ont poussé de nombreux habitants à fuir, d'après les dires de plusieurs locaux, mais le calme et le semblant de stabilité que lui offrent cet endroit lui plaisent. Rapidement, avec l'aide d'une famille du coin, et de son père, Max a pu meubler une grande grange inutilisée, et quelques enfants qui ont pu le reconnaître de leur ancienne vie prenaient, il croit, plaisir à venir en classe. Il trouve presque un semblant de paix, un semblant d'équilibre dans cette petite vie de ce petit village au coeur de la forêt enchantée, mais au fond rien ne va vraiment.

Max a cherché Yakko des jours durant. Ils partait en expéditions, avec une bousole et son sac à dos, dans l'idée simple de retrouver le garçon qu'il aime. Il doit être dans la forêt enchantée. Il ne peut pas l'avoir perdu. Pas encore une fois. Alors il partait le matin, marchait une demi-journée, toujours dans la même direction, et revenait sur ses pas pour être chez lui à la tombée de la nuit. Tu devrais peut-être renoncer. Non, jamais. Max, Yakko pourrait être n'importe où, Wakko et Dot non-plus ne sont pas réapparus, ils pourraient tous les trois être loin de la Forêt. C'était trop dur d'entendre ça dans la bouche de son père, il ne peut simplement pas le croire, pourtant de jour en jour, ses expéditions se font plus difficiles, et ces mots tranchants tournent en boucle dans la tête du jeune enseignant. Si même son père, son seul et unique supporter, sa famille, celui que ses proches n'ont jamais hésité à appeler Dingo, perd espoir, peut-être fallait-il qu'il renonce, lui aussi ?

C'était trop douloureux, d'imaginer sa vie sans Yakko. Leur semblant de relation, les balbutiements d'un amour qu'il sait qu'il pourrait être beau, ont bercé son arrivée à Storybrooke, avec son lot de complication, évidemment. Ils se donnaient enfin une vraie chance, quand tout a été renversé, et qu'ils se sont retrouvés à New York, loin de tout ce qu'ils semblaient connaître, loin l'un de l'autre.

Il se souvient avoir croisé Yakko à plusieurs reprises, et le jeune homme l'avait oublié. Avoir été effacé de la vie de ce garçon dont il était tombé si tendrement amoureux, c'était blessant, c'était douloureux, bien plus qu'il ne l'admet encore aujourd'hui. Deux années difficiles, à imiter une vie ranger, une vie heureuse, quand il ne rêvait que de se précipiter dans les bras de Yakko pour le supplier de se souvenir de lui.

Arriver ici, c'était une nouvelle opportunité. Tous les anciens habitants de Storybrooke que Max a pu croiser avaient retrouvé la mémoire, sans pour autant ignorer leurs deux années passées à New York, et sans que Max ne sache vraiment pourquoi, la Forêt Enchantée avait éveillé chez lui un nouvel espoir. Retrouver Yakko, Wakko et Dot, retrouver un équilibre, être peut-être même heureux, dans cet endroit où il ne devrait rien avoir à faire. C'était une si belle promesse !

Les jours passent et se ressemblent, et après une petite semaine à enseigner dans cette grange ouverte à tous les vents, à une poignée de curieux et quelques enfants, Max décide de prendre une journée, pour une dernière expédition. « Max, c'est peut-être dangereux. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, moi. »

Son père ne comprend pas, c'est évident, mais Max doit essayer, ne serait-ce qu'une dernière fois. Il ferme son sac à dos, et embrasse son père sur la joue. « Je serai à la maison ce soir, promis. »



Le sentier est difficilement praticable, et sa bousole semble ne plus connaître le nord. Il devrait faire demi-tour, il le sait, mais renoncer maintenant, c'est renoncer à Yakko. Si ce doit être sa toute dernière expédition, il veut pouvoir se dire qu'il a fait de son mieux, qu'il est allé plus loin. Il traverse de minuscules hameaux, enjambe des ruisseaux bordés d'herbe, il aurait pu cartographier la Forêt, tant il l'a parcourue, il en est certain. Non, sa bousole ne doit plus fonctionner. Il ne sait plus où il est. Le soleil descend bien plus vite qu'il ne le pensait, et la lueur d'habitations au loin le rassure un peu. Il avance vers ce village dans l'espoir d'y trouver une auberge, ou un endroit où dormir, où manger aussi. Il ne croit pas être déjà passé par ici. Les échoppes sont nombreuses, les gens se pressent dans les rues pavées, et Max est désorienté dans cette foule. Lentement, le jeune homme traverse le village, pour arriver au bout d'une rue où les passants se séparent pour rentrer chez eux. Il regarde autour de lui, à la recherche d'un visage connu, de quelqu'un qu'il aurait pu croiser à Storybrooke, et qui pourrait l'aider, mais personne ne semble familier. Max sursaute quand quelqu'un s'agripe à lui, et son réflexe premier est de faire un pas en arrière, jusqu'à ce qu'il reconnaisse le visage de cette personne qu'il prenait pour un inconnu. Yakko.

C'est trop beau. Il doit rêver, ce n'est pas possible autrement. « Je t'ai cherché partout. » murmure-t-il, serrant contre lui le jeune homme qu'il pensait lui aussi ne jamais revoir. Il a des milliers de questions pour Yakko, des milliers de choses à lui raconter, mais la seule chose qui lui vient en tête, c'est qu'il pourrait partir à nouveau, alors Max resserre un peu ses bras autour de Yakko. Il baisse les yeux vers son ami, et esquisse un sourire en voyant autour de son cou l'écharpe qu'il avait, il y a bien longtemps, oublié chez lui. « Je me suis perdu, je ne sais pas où on est, avec mon père, on habite un autre village à une journée de marche, je partais tous les matins pour essayer de te retrouver, et tu n'étais nulle part, et j'ai cru que je ne te retrouverais pas, j'ai cru qu'on s'était perdus pour de bon, je... » Les idées se mêlent, se brouillent, les mots se perdent. « J'ai cru que c'était fini, que je ne te retrouverais jamais. »

Seul le souffle glacial du vent d’hiver qui s'engouffrait dans la ruelle osa briser ce moment de silence qui suivit l’instant où les bras de Yakko vinrent agripper le jeune homme face à lui. S’il n’avait pas envie de lâcher son ancien ami, le brun finit par relâcher quelque peu son emprise en sentant l’instituteur dans ses bras faire un pas en arrière. S’il aurait aimé le rattraper, le serrer encore plus fort, et le garder dans ses bras la nuit toute entière, Yakko ne pouvait que comprendre. Il n’avait pas laissé le temps à Max de vraiment réaliser ce qui venait de se passer, et même s’il l’avait fait, il n’était pas certain que celui-ci aurait envie de le revoir. En vérité, il avait toutes les raisons du monde de ne plus avoir envie de lui adresser la parole, et cette simple pensée brisait le cœur du jeune homme.

S’il refusait de se l’admettre, Yakko était tombé vraiment très amoureux de Max beaucoup trop vite. Il n’avait pas eu besoin de passer des journées entières avec lui pour savoir qu’il voulait bien plus que d’être son ami et pourtant, il refusait encore d’accepter l’idée qu’il pouvait être amoureux. Il n’avait pas le droit de se consacrer à autre chose qu’à Wakko et Dot, puis quand il a enfin pu avoir plus de liberté, Max est devenu le professeur de Dot, mettant fin à tout espoir d’une possible romance entre eux, et maintenant, il lui fallait d’abord retrouver son frère et sa soeur alors songer l’espace d’un instant à ce qu’il aurait pu avoir entre eux… Il se l’était formellement interdit.

Pourtant, il en rêvait la nuit, le petit Yakko. Retrouver Max, se jeter dans ses bras, et rester avec lui jusqu’à la fin des temps, c’était son rêve à lui. L’idée d’une vie simple et heureuse où ils pourraient passer des heures entières à rire des clients ridicules ou à échanger au sujet de leurs œuvres préférées, c’était ça qu’il voulait vraiment. Plus que tout, il espérait secrètement réussir à trouver une place dans sa vie pour Max sans renoncer à son petit frère et à sa petite sœur qu’il aimait par-dessus tout. S’il arrivait à les retrouver, peut-être qu’alors, ce ne serait plus un rêve, peut-être qu’il pourrait… Peut-être.

Un sourire vint se poser sur ses lèvres quand les bras de Max vinrent l’entourer à son tour. S’il avait pu décrire le bonheur, cet instant aurait certainement été l’un des exemples qu’il aurait pu donner. L’espace d’une douce seconde, tout était parfait. Il avait enfin une raison de croire en l’espoir qu’une vie meilleure l’attendait quelque part. Une vie où il serait heureux avec les gens les plus importants pour lui. Une vie avec Max, avec Wakko, avec Dot…

La gorge nouée, le jeune homme arrive à peine à retenir les larmes qui finiront, tôt ou tard, par couler le long de ses joues.  « Je suis désolé de t’avoir causé tant de soucis, Max. » Finit-il par articuler.  S’il était heureux de retrouver Max, le jeune homme ne pouvait qu’imaginer la peine et la frustration qu’il a ressenti en le cherchant ainsi, des heures durant, sans aucun résultat. Lui-même avait fini par renoncer à l’idée qu’il pourrait le revoir un jour. Pourtant, il était là, devant lui, et cette simple pensée suffisait à remplir le cœur de Yakko d’une douce chaleur qu’il n’avait plus connu depuis bien longtemps.

Doucement, Yakko s’écarta de son ami pour plonger son regard dans le sien, malgré qu’il aurait préféré rester dans ses bras. « On n’est pas loin de là où nous avons grandi, Wakko, Dot et moi. » La voix de Yakko se brisa lorsqu’il prononça les prénoms de son frère et de sa sœur. Reprenant doucement son souffle, il poursuivit.  « Je ne les ai pas vus depuis si longtemps… J’avais espéré les retrouver ici. Il y a une petite maison qui tombe en ruine pas loin de l’entrée du village. C’était la nôtre. Je me suis dit que peut-être ils auraient pu revenir ici, et en voyant qu’elle était vide, je me suis un peu aventuré plus loin, espérant qu’ils seraient dans le coin mais… » Pour lui-même, il préféra ne pas finir cette phrase.  

Il aurait aimé avoir quelque chose de rassurant à dire, quelque chose qui puisse donner envie à Max de rester, de ne pas l’abandonner, mais les mots ne voulaient pas venir et la seule chose qu’il réussit à articuler avant de baisser la tête, ce fut un petit  « Désolé. ». Derrière eux, le soleil avait presque fini sa course et la lumière commençait à disparaître peu à peu. Bientôt, il ferait trop sombre pour espérer continuer à marcher dehors.  « Si tu veux, peut-être que tu peux venir à la maison pour ce soir, et je t’aiderai à retrouver ton chemin demain. » commença-t-il alors sans vraiment réfléchir. « Je peux aussi essayer de t’aider ce soir, ou tu peux aussi continuer ta route, et essayer de retrouver ton village sans moi. Tu n’es même pas obligé de venir, en fait. » Elle était loin, maintenant, l’assurance du petit serveur.