Quinze années déjà que ma vie est d'une simplicité déconcertante, et d'une pauvreté intellectuelle des plus navrantes. Chaque journée se passe tant à l'identique des précédentes dans ces mines dans lesquels Fiona m'a mis au travail, de même que tant d'autres que j'ignore tous les noms, depuis que je suis capable de tenir une pioche en main. Creuser, toujours et encore, la poussière de roche tant incrustée dans chaque pore de notre peau que même les décrassages les plus efficaces ne permettraient pas d'en venir à bout, les mains tant abimées que l'on découvre de nouvelles coupures sans même avoir senti qu'elles se faisaient, tout ça pour découvrir, parfois, les fameux cristaux de magie que Fiona attend de nous que nous trouvions.
Après près de quinze années à creuser, je peux dire que si en trouver un ou deux, en passant, doit bien arriver une fois par semaine, trouver un véritable filon à exploiter, c'est beaucoup plus rare. Et je me suis plus d'une fois demandé si il ne serait pas temps de chercher ailleurs. Mais je sais aussi que contredire les ordres de notre "mère" est une très mauvaise idée, de quoi avoir droit au double de travail avec moitié moins de ration le soir.

Mais nous ne sommes pas là pour évoquer les journées répétitives, mais plutôt l'une de celles qui détonnent. Je suis assis dans l'obscurité éternelle d'un tunnel, prenant un instant pour souffler, quand on éclat de couleur inhabituel au coin de mon œil me fait tourner le regard, grattant légèrement la terre au pied de la paroi, pour en dégager une fleur. Oui, une fleur, le truc que j'ai dû voir deux fois dans ma vie quand Morgane vient me rendre visite et m'emmène à la surface. Je jette un regard aux alentours avant de récupérer doucement la fleur du bout de mes doigts tremblants, plus habitués à manipuler les outils qu'aux gestes subtils, et la glisser dans une poche de ma tunique.


Le soir venu, plutôt que de rejoindre immédiatement ma chambre, pardon, mon cachot, je fais un détour jusqu'aux appartements de Fiona, n'ayant pas nécessité à me faire annoncer pour que, même de dos, elle sache que je suis là sitôt le seuil passé.
"Mordred."
Elle se retourne vers moi de toute sa splendeur, et face à elle, je me sens davantage un garçon de 5 ans qu'un jeune homme de bientôt 20 années.
"Que me vaut le plaisir de ta visite?"

J'incline respectueusement la tête avant de m'avancer vers elle quand elle m'en donne l'autorisation, pour finir par sortir la fleur légèrement flétrie de ma poche pour la tendre vers elle.
"J'ai trouvé ceci, dans les tunnels. Elle m'a fait penser à vous."
Je ne connais pas grand chose à la beauté des choses, pour ne pas dire rien du tout. Mais cette fleur m'a paru belle, et ça me paraissait dans la logique des choses de l'offrir à celle qui veille sur moi (d'une façon que nombre de personnes trouveraient tordue, certainement, sauf si mettre ses enfants en esclavage est la manière dont chaque mère veille sur ses petits) depuis tant d'années. Mais à voir son expression, je n'en suis pas si certain.
"Tu es sorti sans mon autorisation."
Sa main se retrouve sur ma gorge avant que je n'ai eu le temps de déglutir, et je ne peux que croiser son regard du mien alors qu'elle se saisit de la fleur de sa main libre.
"Je jure que non, mère. Elle était dans la roche, comme je vous l'ai dit."

La prochaine fois, je réfléchirai peut-être davantage avant de faire un cadeau à quelqu'un, foi de Pendragon. En attendant, sa main se referme sur le dit cadeau, n'en laissant bientôt que de la poussière, avant que celle qui me tient la gorge ne se glisse finalement sur ma joue, la caressant comme un prédateur caresserait le flanc d'un animal qu'il compte égorger prochainement.
"Nous en reparlerons, mon garçon. En attendant, va te coucher. Demain sera une grande journée."
Pleine de roche, de terre, de poussière et de coups de pioche? Je tiens cependant ma langue, me contentant d'acquiescer avant de m'éloigner sans demander mon reste sitôt que j'en ai la possibilité. J'ai appris à ne pas chercher la colère de notre mère, au fil des années.