C'est juste avant l'aube qu'elle vit le château.

Il était difficile à manquer, avec ses hautes piques qui entouraient le bâtiment principal comme pour le protéger. Le tout dégageait une aura de danger, de prédateur tapi dans l'ombre, prêt à frapper. En temps normal, Thalie aurait évité ce genre de lieu; mais cela faisait six jours qu'elle fuyait les chasseurs qui la traquaient, et un château ne semblait pas un mauvais endroit où se reposer en attendant qu'ils se lassent. Après tout, jamais ils ne croiraient que leur proie se cacherait dans le château de la plus grande menace de la région: la Méchante Reine.

Thalie avait entendu les récits à son sujet, quand elle était aux Enfers. Elle avait rencontré de pauvres âmes dont la vie avait été détruite par Regina. Depuis son retour à la vie, il lui était arrivé d'entendre des échos bien plus positifs. Des histoires d'une reine bienveillante, protégeant son royaume des Ogres. Cependant, Thalie se méfiait. Ses parents lui avaient toujours appris qu'il était impossible de guérir du Mal, si l'on y plonge trop profondément. Même si la reine avait fait des actions héroïques depuis son retour dans la Forêt Enchantée, Thalie ne croirait à sa bonté que si elle en voyait elle-même les preuves.

Accroupie derrière un arbre, la jeune femme attendit. Le château devait être bien protégé, et elle se savait trop maladroite pour tromper la vigilance des gardes. Cependant, qui soupçonnerait un cygne ? Quand les premières lueurs de l'aube caressèrent la terre, effleurant le visage de Thalie, les picotis indicateurs de la transformation envahirent ses bras et ses jambes. La sensation brûlante se répandit peu à peu au travers de son corps. Puis, d'un seul coup, elle se retrouva au sol, sa ligne de vision au niveau des buissons, ses plumes ébouriffées comme par un vent fort. C'était la partie de la malédiction que Thalie détestait le plus: même sous sa forme de cygne, elle restait consciente de son identité. Elle n'était pas un animal, insouciant, vivant au jour le jour, préoccupé uniquement par la recherche d'une mare agréable, de nourriture, d'un compagnon. Elle restait humaine, une humaine enfermée dans une cage de plumes blanches, privée de sa voix. Aujourd'hui, pourtant, cela se révélait bien utile.

Thalie prit son envol, ressentant comme toujours un frisson de joie en laissant le sol derrière elle. Le monde se déroulait devant ses yeux comme une carte en nuances de vert, brun et bleu. Avec des battements d'ailes lents et réguliers, elle couvrit rapidement la distance jusqu'au château, et traversa ses remparts sans déclencher d'alarme. Au centre de la forteresse, il y avait une petite cour où se nichait un jardin. Entre les arbres soigneusement taillés et les parterres de fleurs se trouvait une fontaine. L'eau était agréablement fraîche, et Thalie y barbota avec bonheur, soulagée d'être temporairement en sécurité. Plus tard, elle devrait se cacher, lorsque le crépuscule annoncerait sa transformation en humaine. Ensuite, avec un peu de chance, elle pourrait se fondre parmi les servants de la reine.