Courir c’était la seule chose qu’on m’avait dit. La seule chose que les défuntes épouses de l’homme que j’avais épousé m’avait dit, courir pour lui échapper, courir pour ne pas finir comme elles. C’était un objectif simple, mais je devais courir pour aller où je n’avais personne, je n’étais rien, je ne me souvenais même pas de qui j’étais, ni d’où je venais. Derrière moi je l’entendais hurler mon nom de manière perverse en chantonnant presque. Il disait qu’il ne servait à rien de courir, parce qu’il me rattraperait. Sa voix me glaçait les sangs, c’était la seule chose qui continuait à me faire courir jusqu’à ce que je me retrouve face à cette falaise avec l’océan à ses pieds. Je ne savais pas nager. Je ne pouvais pas continuer, du moins pas tout droit donc j’ai essayé de contourner jusqu’à ce qu’il ne me rattrape. Il était plus qu’à quelques mètres. J’étais faite comme un rat. J’allais mourir. Je ne voulais pas mourir, pas comme ça, pas de sa main, domptant ma peur je sautais pieds joint dans l’océan en priant pour qu’un dieu ait pitié de moi et ne me sauve.

C’était mon plan

C’était mon objectif et j’avais lamentablement échoué. Après avoir passé plusieurs minutes à boire la tasse et à essayer de me débattre dans cet élément, mon corps fut enseveli par une vague et je mourrais pour la seconde fois. Tout autour de moi était sombre. J’avais froid et je me souvenais de tout, Mina, Dracula, la trahison de mon premier amour, tout, plus rien ne me faisait défaut et ça me faisait mal. J’étais en colère. De cette colère et cette souffrance, je ne trouvais qu’un moyen de l’exprimer et c’était en pleurant. J’avais mal sans savoir d’où ça venait, mais je savais une chose : je ne voulais jamais plus avoir à souffrir d’amnésie. Mourir et revenir à la vie avait l’air d’être ma malédiction et je l’acceptais, mais il était tout bonnement exclu que je me perde à chaque fois en chemin. C’était ce que j’allais demander à mes ancêtres quand elles se pointeraient. Je savais qu’elles ne résisteraient pas.

Une voix masculine m’appela et je me retournais en un sursaut la peur se lisant sur mon visage, autant que l’étonnement qui tirait les traits de mon visage. Qui était-il ? Où était mes ancêtres ? Reculant légèrement sur la défensive je fouillais dans ma mémoire pour essayer de me souvenir où est-ce que j’aurais pu rencontrer ce quinquagénaire.

« Pardonnez-moi mais on se connait ? »

Lâchais-je avec un léger bégaiement avant qu’il ne se mette à parler de mes cheveux. Automatiquement, je sentais mes mains se poser sur les mèches de ma chevelure pour jouer avec :

« Vous connaissez ma mère ? »

Il était donc un homme de Londres ? ou un sorcier de Salem ? C’était les deux seuls endroits où ma mère était allée. Elle était morte jeune. S’il la connaissait c’était par un de ses biais ?

« Qui-êtes-vous ? Où est ma mère ? Elle devrait déjà être là … »

La méfiance irradiait mon regard face à cet homme qui semblait pourtant enclin à être aimable et gentil avec moi. Malgré tout je restais sur la défensive, si ma mère avait été dans les parages tout aurait clairement été plus simple. Les mots qu’il prononçait me firent froncer les sourcils. C’était vraiment très bizarre là, il m’avait donc connu enfant ? Me demandais-je avant de poser des questions sur ma mère.

Soudainement le visage de l’inconnu fut baigné par la surprise et la tristesse tandis il venait à la conclusion que ma mère était morte. Une fois de plus je fronçais les sourcils :

« Ça va faire dix-huit ans que Loreleï est morte »

Déclarais-je en un soupir avant d’ajouter :

« On l’est tous si on est ici, je ne le suis pas pour très longtemps… »

Écoutant les propos complètement embrouillés et dénuée de sens de l’homme qui me faisait face je sentais mon agacement monter en flèche tandis que je demandais exaspérer :

« Ce que vous dites n’a pas le moindre sens vous vous en rendez compte ? »

Passant une main dans mes cheveux, je demandais :

« Qui êtes-vous ? »

Être froide et distante faisait partie des capacités que la mort de ma mère avait engendré. J’avais dû surmonter sa perte et l’appeler par son prénom me permettait de mettre de la distance. En dix-huit ans j’avais changé, et retrouver toute ma mémoire me permettait de savoir que plus jamais je ne voulais être diminué au profit d’une nouvelle vie. Les morts du quadragénaire me firent baisser la tête :

« Navrée je l’ignorais »

Je ne savais pas à qui je parlais mais malgré les sentiments qui me poussaient à me méfier de cet homme je restais encline à l’écouter. Plus il parlait et plus j’avais l’impression de saisir le message qu’il essayait de me donner. Il connaissait la puissance de ma mère, je l’avais vu bruler des personnes de l’intérieur en clignant simplement des yeux. J’avais moi aussi cru pendant des années qu’elle était invincible.

« Tout le monde a une faille »

Lâchais-je d’une voix légèrement triste. Il faisait renaitre des sentiments que je pensais éteins et je lâchais un soupir avant de regrouper mes longs cheveux roux sur le côté gauche. Après avoir parlé de ma mère il parla de mes propres facultés et je fronçais les sourcils.

« Alors que je suis devenue un phénix, moi aussi ce n’était pas dans mes plans »

Répondais-je en sentant mon cœur se serrer. C’était la seconde fois que je mourrais et c’était toujours aussi douloureux. L’inconnu finissait par se présenter et je l’écoutais.

« Êtes-vous en train de me dire que vous êtes mon géniteur ? »

Demandais-je en le regardant droit dans les yeux, les bras croisés sur ma poitrine comme pour me protéger contre cette nouvelle avant d’ajouter :

« Arrêtez de parler à demi-mot, je ne suis plus une enfant »

Entendre haut et fort que j’étais le phénix fit naitre un frisson dans toute ma colonne. Je regardais cet inconnu qui semblait pourtant connaitre tant de chose sur moi.

« Pourquoi cela semble vous incommoder autant ? »

Demandais-je au tac au tac en le voyant serrer les poings tandis que de mon côté je refermais les bras sur ma poitrine. C’est vrai après tout qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire à lui que je sois le Phénix, j’étais la seule qui savait ce que cela impliquait réellement. Lui était déjà mort, moi je n’accèderais jamais au repos éternel. Qu’est-ce que la valeur d’une vie si on se retrouve incapable d’en voir une fin, a quoi bon vivre si ce n’est pour mourir un jour ? Je me posais la question depuis que j’étais morte pour la seconde fois et que tous mes souvenirs étaient revenus.
Au fil de la discussion où mon interlocuteur parlait à coup de figure de style et de demi-mot je finissais par demander de manière plus abrupte s’il était mon géniteur. Quand ses mots traversèrent la barrière de ses lèvres je le fusillais du regard en étant soudainement prise d’une profonde colère. Face à sa tentative de m’amadouer je serais les dents avant de lâcher avec colère :

« Et c’est à ce moment-là que je dois pleurer ? On a toujours le choix. Vous avez fait celui de m’abandonner, d’abandonner Lorelei, vous n’êtes pas mort dans vos jeunes années donc vous avez fait votre vie loin des sorciers de Salem et de ma mère et moi, n’essayait pas de nier. »

Détournant le regard, je retenais les larmes qui menaçaient de couler. Ne pas connaitre mon père avait toujours était une blessure, d’après Mina c’était pour cela que je ne prêtais pas le moindre respect pour les hommes et que je les consommais sans vergogne, parce que je n’avais jamais eu de vraie figure paternelle en étant enfant.

« Désolé ou pas il est trop tard vous êtes mort et dans moins d’une heure je vais cracher toute l’eau de mes poumons, le froid de la mer me saisira encore et si j’ai de la chance, le courant aura ramené mon corps sur la plage et je me souviendrais de tout. »

Je ne voulais pas que cela arrive. J’avais peur de revivre beaucoup plus que de mourir, renaitre était douloureux car on faisait le processus inverse et c’était immensément plus long que de laisser son cœur s’arrêter.

« Mais comme nous avons un peu de temps devant nous expliquez-moi ce que je n’ai jamais compris ? Qu’est-ce qu’il y avait de plus important que Lorelei et moi ? »