Il fallait que je fasse une bonne action. Les ténèbres me semblaient si proches, trop proches, à me tendre les bras et je savais que je ne devais pas sombrer, même si lutter me faisait mal et me semblait difficile, voire au-delà de mes forces, je savais que je souffrirais encore davantage si je me laissais aller à la facilité de la noirceur, puisque je perdrais alors tout ce qui me restait. Robin n’aurait pas voulu me voir abandonner, surtout après tous les efforts que j’avais faits. Il m’avait tant encouragée, je devais suivre son exemple. Je voulais que même dans la mort il puisse être fier de moi. Je repensais aux dernières fois que nous nous étions vus avant les Enfers. La fois où il m’avait quittée pour une fausse Marianne, et peu après dans ce bar où j’avais été appelée en renfort pour le stopper, lui et sa meilleure amie, alors qu’ils étaient tous deux dans un état d’ébriété préoccupant et causaient des dégâts dans l’établissement. Pour la seconde fois de sa vie, il m’avait tenu des propos blessants et je ne l’avais pas reconnu. Puis me revint en mémoire la découverte que je fis ce soir-là grâce à mon archer : Romain, mon garde du corps à Storybrooke, était en fait Roméo, celui que Juliette cherchait vainement depuis bien longtemps. Je réalisai alors que j’avais aussi brisé la vie de la meilleure amie de Robin et en plus je lui avais menti sans réellement le vouloir, étant donné que j’avais dit à la jeune femme que j’ignorai totalement où se trouvait son mari et que je n’étais pour rien dans sa disparition, alors qu’en réalité il travaillait pour moi depuis maintenant plus de vingt-huit ans. J’en avais complètement oublié son identité véritable, il fallait dire qu’au moment où je l’avais capturé, ce n’était pas son nom qui m’intéressait chez lui. Grands dieux, qu’avais-je fait ? Egoïste et abjecte, j’avais profité de lui, puis une fois lassée, il n’avait plus été qu’un sous-fifre.
Je ne pouvais pas effacer les actes odieux dont je m’étais rendue coupable, mais je pouvais au moins lui rendre ce qui lui appartenait : son coeur, puisque à l’instar de ma mère à qui je ne voulais pas ressembler, quelle ironie, j’avais pris pour habitude de subtiliser les coeurs de mes sujets pour les plier à ma volonté lorsqu’ils se montraient un peu trop réfractaires.  J’avais voulu rendre son coeur à Roméo dès le lendemain de cette découverte au bar, mais la conjoncture en avait voulu autrement.

Je donnai rendez-vous à mon garde du corps à une heure bien matinale devant mon caveau. Il fallait qu’il reprenne son coeur au plus vite. Il était tôt, la ville commençait à peine à s’éveiller lorsque j’arrivais au cimetière. J’avais du mal à trouver le sommeil et ce depuis que Robin et moi étions séparés, mais à présent qu’il était mort, c’était pire. A chaque fois que je m’endormais, j’étais prise de cauchemars, revoyant sans cesse sa fin tragique. Au réveil, j’étais souvent prise de nausée que je prenais alors pour un effet secondaire dû au manque de sommeil et au trop plein  d’émotions.

Ponctuel comme à l’accoutumée, Romain arriva et après l’avoir salué poliment, je l’invitai à me suivre. Nous descendîmes au sous-sol où tous mes attributs de sorcière étaient entreposés : grimoires, chaudrons, fioles, ingrédients en tous genres, et surtout les coffrets contenant les coeurs enchantés que j’avais arrachés, la plupart du temps à des innocents.

-Romain, je sais que ça n’effacera pas tout le mal que je vous ai fait, mais sachez que je suis sincèrement désolée, pour tout.

Honteuse, je me tournai vers l’armoire contenant mes coffrets et d’une main tendue, j’appelai silencieusement par la magie le coeur de Roméo ? Un tiroir s’ouvrit et j’en sortis je coeur enchanté.

-Je dois vous rendre ce qui vous appartient. Je suis navrée, j’avais oublié que je détenais votre coeur. Encre une fois, même si je comprendrais que vous ne me pardonniez pas, je vous présente mes plus plates excuses.

Voilà, c’était fait. J’avais remis son cœur en place dans sa poitrine et j’attendais qu’il retrouve ses esprits et le reste de ses souvenirs, et qu’ensuite, comme à peu près tout le monde dans cette ville, qu’il en vienne à me traiter de tous les noms d’oiseau et m’accuser de tous les maux de la Terre, me maudire et quitter les lieux, atteint d’une colère colossale. Au lieu de cela, Roméo garda son calme, un calme étonnant quand on sait que cet homme a le pouvoir d’animer la terre. Là où je m’attendais à un séisme, rien ne se passa. J’en vins à me demander l’espace d’une seconde si je lui avais bien donné le bon cœur enchanté, mais la magie ne trompait pas, j’avais appelé le cœur de Roméo et c’était le tiroir qui s’était ouvert. Et quand enfin il reprit la parole, il m’ôta tout doute. Cependant, j’étais abasourdie par ce que j’entendais. Il ne m’en voulait pas, et plus encore, il souhaitait garder son emploi. Bouche bée, je me laissai tomber sur un fauteuil présent derrière moi. Il attendait une réponse, alors je me ressaisis.

-Oui, oui bien sûr. Je ne saurais vous refuser cela. Si vous voulez rester à votre poste, restez-y.

Ce qui me surprit encore d’avantage, ce fut sa demande. Il voulait que je parle pour lui à Juliette. D’un certain côté, il était normal que je lui explique en personne la situation, étant donné que c’était de ma faute si elle avait cherché son mari aussi longtemps. Seulement il y avait seulement deux jours, j’annonçais à cette femme que son meilleur ami était décédé, partiellement par ma faute puisque je n’avais pas su le protéger, et j’étais à peu près sure qu’elle me détestait, alors comment allait-elle réagir en apprenant que j’étais doublement la cause de son malheur ? Mais là encore, je ne pouvais le refuser à Romain, après tout ce que je lui avais fait, je me devais d’accéder à la moindre de ses requêtes dans la mesure du raisonnable. J’hochai lentement la tête en osant enfin le regarder dans les yeux.

-Très bien, j’irai lui parler cet après-midi même. Je lui expliquerai. Que voulez-vous que je lui dise exactement ?

Je voyais dans ses yeux qu’il était perdu. Comment ne pas l’être à sa place ? J’avais gâché sa vie et celle de son épouse, par son seul égoïsme. A présent, j’en étais désolée. Et je souffrais pourtant aujourd’hui tout autant qu’à cette époque où j’avais fait de Roméo mon prisonnier. Seulement aujourd’hui, j’avais une raison de m’accrocher pour ne pas replonger, et je luttais vraiment de toutes mes forces.

Son regard n’était pas celui d’une personne en colère, il n’y avait pas de rancœur, pas de haine, rien qui démontrait une violence apparente. Je n’étais pas habituée à ce que quelqu’un que j’eus fait souffrir réagisse ainsi. Il semblait même éprouver une certaine compassion à mon égard. Je ne comprenais pas. J’avais l’impression de voir Blanche au masculin. Seule ma belle-fille, malgré tout ce que je lui avais fait subir, était capable de ce genre de regard doux et de ce pardon que jamais je n’aurais osé penser possible. Pourtant, Romain, ou Roméo, voulait rester à Storybrooke, il voulait rester à son poste auprès de moi, il me confiait même la tâche délicate d’aller parler à Juliette (c’était peut-être ça, sa vengeance…) et il me demandait de ne pas m’en vouloir. Sérieusement ? Jamais encore on ne m’avait tenu de tels propos. Je n’en revenais pas, je restais bouche bée quelques secondes avant de me reprendre.

- Bien, je… je le lui dirai, je vous en donne ma parole. J’y vais même immédiatement si c’est ce que vous voulez.

Je n’en croyais pas mes yeux et mes oreilles. Ces héros avaient le don, outre de me donner de l’urticaire, de me surprendre. J’aurais tant voulu comprendre comment on pouvait aussi vite pardonner à une personne comme moi, ou plutôt comme l’ancienne moi.

- Je vous remercie pour vos paroles et… pour ne pas vouloir m’arracher les yeux.

C’était tout ce qui m’était venu, c’était stupide mais ça reflétait bien ce que je pensais. Je crois que même avec mon récent changement, quelqu’un qui m’aurait infligé tout ce que je lui avais fait subir aurait au moins subi des préjudices physiques, sans que j’aille peut-être jusqu’à le tuer, mais je n’aurais pas laissé passer l’affront. J’étais sans doute encore loin de l’objectif final qu’Henry ou Robin auraient voulu me voir atteindre. Mais Roméo, lui, était un vrai héros, au même titre que mon défunt grand Amour ou que ma belle-fille et son mièvre de prince.

- Je vous renouvelle toutes mes excuses, je vous prie de croire qu’elles sont sincères. Vous êtes libre de partir à présent.

Loin de moi l’idée de le jeter dehors de mon caveau, mais je voulais aller parler à son épouse tant que j’en avais encore le courage, tant que j’avais à peu près les idées claires. Je sentais venir la tempête quand je lui aurais tout expliqué, elle allait sûrement disjoncter. Peut-être devrais-je mettre en place un sort de protection anti-tornade sur la ville ?