Pour tout dire, je n’écoute même plus les dires du sorcier. Mon regard se perd dans l’immensité des flots bleus de l’océan. C’est mon lieu d’évolution. C’est l’endroit dans lequel j’ai grandis. Etais-je véritablement capable de le quitter ? Etais-je capable de briser ma nature profonde pour l’amour d’Eric ? Ne pourrais-je pas simplement lui dire la vérité ? Mais lui dire la vérité serait m’avouer que je ne pourrais jamais être avec lui. Une sirène et un humain, c’était juste impensable et totalement impossible en réalité. Cependant, je savais que lui, lui, il en avait le pouvoir. Je respire longuement alors que je brise un coquillage dans le creux de ma main et que je l’envoie dans les flots dès que l’eau arrive assez prêt de moi. Papa saura. Il saura où je suis et il comprendra.

Je tourne le regard vers lui. Je lui ai donné une de mes nageoires mais je savais que ce n’était pas suffisant, non, il lui en fallait plus. Il voulait ma voix. La seule chose qui pouvait m’aider à prouver à Eric que je suis celle qui l’a sauvé du naufrage, oui, la seule chose qui pourrait me permettre de lui dire que je l’aime et de lui chanter mes chansons d’amour. Mais si je voulais connaître l’amour et être heureuse, je devais dire adieu à ma voix cristalline, la seule chose qui me rapprochait encore de ma mère. Je lui parle d’un contrat. Il en fait apparaître un avant de faire apparaître une plume. Il me dit simplement que lorsque j’aurais signé le contrat, ma voix lui appartiendra et j’aurais deux jambes à la place de mes nageoires. Je prends la plume, je fais un signe de la tête mais j’hésite encore.

J’ai encore une chance de tout abandonner, j’ai encore une chance de garder ma voix, encore une chance de faire marche arrière. Mais faire marche arrière signifierait le laisser partir, vivre avec un rêve. je ne voulais plus vivre avec un rêve, je voulais vivre et je savais que ma vie ne serait plus sous l’océan. Je lève le regard vers Rumple’ avant de respirer longuement « marché conclu » dis-je alors que je signais ce contrat de mon nom. Quelle erreur…Quel oubli de ne pas avoir lu les petites lignes et le sourire naissant sur le visage du sorcier ne me disait rien qui vaille et les sensations étranges dans l’entièreté de ma nageoire me faisait comprendre que je ne pouvais plus revenir en arrière cette fois-ci.

Elle réfléchit, hésite, tergiverse. Se bat contre elle-même. Désir profondément enfoui dominant finalement la crainte qui l'étreint de ses bras sombres et étouffants. Elle s'empare de la plume. Le Ténébreux retient un rire, tâchant de conserver une expression neutre, d'attente, certes, mais évite pour le moment de jubiler. Le temps pour cela viendra, dès que l'encre s'écoulant de la plume aura tracé ces délicates lettres. Ariel... Petite sirène inconsciente si facilement appâtée par la réalisation de son souhait le plus cher, désespoir l'emplissant rendant bien plus facile la capture de la proie. Il s'impatiente, le Ténébreux, alors que, plume en main, la sirène ne signe toujours pas. Il se retient de la presser, se contentant d'un regard impatient, mais discret. Excitation qui bouillonne dans ses veines, alors que le bras délicat se tend, que la main commence à se mouvoir, que son nom se dessine tranquillement. Les simples mots qu'elle prononce résonnent dans ses oreilles comme la plus douce des mélodies. Voix bientôt dérobée d'ailleurs. Un sourire carnassier étire les lèvres du Ténébreux. Il fait, d'un geste vif, disparaître le contrat et la plume, maintenant précieusement gardés. Signature qui ne pourra jamais s'effacer et que la sirène se devra d'honorer, car le bris d'un contrat vient avec un prix encore plus élevé que le contrat en lui-même...

Il tend le bras gauche, paume tournée vers le ciel. Un coquillage y apparaît, dans un nuage de fumée violette. Il laisse les vapes se dissiper, tête inclinée, regards avide posé sur la jeune créature marine. Il tend l'autre bras, agite lentement les doigts, les déplie et les replie. Bouge lentement sa main droit vers sa main gauche. Lumière dorée, presque verdâtre, s'échappant en un ruban de la gorge d'Ariel pour se fondre dans le précieux coquillage. Notes mélodieuses emplissant l'air l'espace d'un cours instant. Puis la lumière s'amenuise, ne faisant plus briller que la coquille esseulée dans la paume du sorcier. Paume qu'il camoufle bien vite, repliant les doigts sur l'objet nouvellement acquis.

Il s'approche, prêt à honorer sa part du contrat. Homme cruel, mais homme de parole. Il fait tournoyer quelques doigts, et la queue de la sirène se métamorphose, se sépare, perd ses écailles. Deux membres lisses, peau bien humaine, jambes bien réelles. « Maintenant que tu es affublée de jambes plutôt que de nageoires, n'oublie pas, dearie. » Coin de lèvres qui s'étire. Demi-rictus. Sourcils presque haussés, presque froncés. Le coquillage est à présent coincé entre le pouce et l'index de sa main droite. Il recule de quelques pas. La coquille s'illumine à nouveau. Et les mots qui s'échappent de la bouche de Rumple se drapent d'une voix cristalline qui lui appartient désormais. « Tu as trois jours pour un baiser de véritable amour... » Voix féminine, si délicate, mais chargée d'avertissements. Voix souillée par la bouche qui la porte, associée à un visage qui ne lui correspond pas. Voix s'éteignant en même temps que l'objet la détenant. Le Ténébreux récupère la tonalité qui lui est sienne et se met à ricaner. Il s'évanouit dans un nuage de fumée violette, ne perdant pas son temps à expliquer les conséquences d'un échec, ni à vérifier qu'elle a bien lu les petits caractères. De retour dans son manoir, il contemple le contrat. Elle a trois jours pour obtenir ce baiser, sans quoi ses jambes retrouveront leur consistance écailleuse au contact de l'eau. Et si son prince tombe amoureux d'elle, au point que le couple conçoive un enfant... Alors le Ténébreux ira, sans pitié aucune, récupérer son dût...