Elle aurait dû ignorer son instinct, refuser d’accorder de l’attention à l’impression persistante que le bâtiment cachait quelque chose, savoir que sa mémoire et ses folles espérances lui jouaient bien des tours, et poursuivre sa route comme elle l’avait entendu, et avec des si, peut-être aurait-elle trouvé un réel indice lui confirmant qu’elle se trouvait bien là où elle devait être, là où ce qu’elle cherchait avec tant d’application et d’énergie se dissimulait. Avec des si, avec des ré, avec une gamme entière de raison et de sens commun, elle n’aurait pas franchi le seuil de la porte du salon, se contentant d’en admirer l’enseigne aussi longtemps que la cadence de ses pas le lui aurait permis. Mais ses pieds traîtres avaient mis un terme à leur mouvement pour se tourner vers la bâtisse, reprenant ensuite leur danse quotidienne, gestes qui l’avaient emmenée lentement mais sûrement dans l’antre des femmes aux doigts de fée et aux ongles toujours parfaitement limés. Plantée au milieu de cette pièce aux couleurs chatoyantes et pourtant douces et aux étalages de produits de beauté placés là avec parcimonie, équilibre maîtrisé par la décoratrice de ces lieux, elle faisait figure d’épouvantail, les cheveux domptés un peu plus tôt par des mains distraites, des vêtements jetés sur sa silhouette sans chercher un accord esthétique entre leurs couleurs disparates, les sourcils au dessin approximatif, et deux de ses ongles intacts quand les autres étaient rongés, parfois jusqu'à faire apparaître le fluide écarlate de vie. Ces endroits ainsi que les personnes qui les occupaient avaient un don certain, celui de lui donner une pleine conscience de son corps, d’une imperfection dont elle ne se souciait pas mais qui devenait brusquement inconfortable devant les sourires angéliques qui naissaient sur des visages auxquels le maquillage donnait des airs de poupée. Si parfaitement tracé, les imperfections éliminées, une aberration que celle-ci, le temps perdu à se rendre agréable à la vue des autres plutôt que mis à bon escient pour développer d’autres capacités, plus utiles à soi-même. Un temps qu’elle avait préféré investir dans ses recherches, et si elle devait se perdre, autant que cette perte se fasse dans la poursuite de ses objectifs plutôt que dans des occupations futiles et superficielles.

Elle ignorait ce qu’elle cherchait ici, hésitant un instant à tourner les talons avant que la propriétaire du lieu, qui s’affairait sûrement dans une salle attenante, ne remarque sa présence et ne lui propose des offres qu’elle déclinerait sans aucun doute mais qui l’obligeraient à maintenir une conversation polie, aussi brève soit-elle. Son regard sonda la pièce à la recherche d’un élément digne d’intérêt et s’arrêta sur quelques bibelots décoratifs ornant un petit meuble non loin de la vitrine, duquel elle s’approcha pour les observer avec plus d’attention, quelques secondes seulement et puis elle partirait, ne voyant pas son intérêt à rester dans un tel salon, ni même à y entrer. De petits récipients à la couleur sombre et faits d’une matière inconnue étaient posés là, tasses miniatures sans anse, aux multiples reliefs. A côté, une coupelle dont la clarté tranchait avec la teinte de celles-ci, dans laquelle flottaient à la surface d’une eau translucide des fleurs colorées. Un parfum de vanille s’échappait d’une bougie dont pourtant la mèche ne brûlait pas, cette odeur éveillant en elle une émotion qu’elle ne parvint pas à définir ni à lier à un souvenir, même flou. Elle approcha ses doigts d’une des tasses, fascinée sans savoir pourquoi par leur texture particulière, voulant l’éprouver au toucher. Simple curiosité, celle qui l’avait guidée dans ce salon, dans cette ville et, des années avant cela, derrière la porte où tout avait commencé, première d’une succession d’ouvertures qui l’avaient menée ici.