Épuisé, et d'humeur massacrante, Killian était accroché à son gouvernail, les yeux régulièrement levés vers le ciel étoilé. Les derniers jours avaient été compliqués. Pour commencer, ils avaient été abordés par un autre navire pirate, ce qui était quand même diablement scandaleux ! Non mais ! Certains n'avaient définitivement aucun respect pour les collègues ! Alors certes, il en avait pas beaucoup non plus, mais c'était forcément bien plus désagréable quand ça lui tombait sur le coin du museau ! L'équipage du Jolly Roger avait réussi à repousser l'attaque, et avait même coulé le bateau adverse, par pur principe. Fallait pas chercher !

Dans la foulée, la mer avait été mauvaise. Ça arrivait... Mais même si on s'habituait, c'était toujours épuisant. Plusieurs jours de tempête et de vents mauvais. Tout le monde avait peu dormi, lui y compris. Et le peu qui avait dormi avait de toute façon mal dormi. Sans compter que le bilan avait été plutôt mauvais. À force de se faire balader par le vent, ils avaient perdu leur chemin ET un homme à la mer. Comme quoi... aussi expérimentés que vous pouviez être, on pouvait survivre à une attaque de pirate pour passer par dessus bord comme le premier mousse venu deux jours plus tard. Pas que le capitaine était spécialement attaché à ce type, enfin pas qu'il le sache, mais c'était toujours pénible et ça plombait forcément l'ambiance générale.

Killian en était donc là ce soir, à lire les étoiles tant bien que mal pour remettre son navire sur la voie qu'il souhaitait. Le mauvais temps des derniers jours les a clairement dévié. Difficile donc d'évaluer quelle distance avant la prochaine terre. Mouche est parti faire l'inventaire des vivres restants, au cas où il faudrait rationner plus qu'initialement prévu. Seul à son poste, le capitaine rumine les vieilles blessures, les vieilles colères, les vieilles tristesses. Finalement, il préférait presque avoir à répondre à des pirates un peu trop aventureux ou affronter les éléments. Au moins, il avait pas le temps de penser. Là, il fallait retrouver le chemin tout en navigant avec les vieux fantômes. Pas possible de les jeter par dessus bord ceux-là... Heureusement qu'il lui reste le rhum pour amadouer un peu tout ça...

Alors qu'il porte le goulot à ses lèvres, un bruit derrière lui. Il soupire, agacé d'avance.

"Mouche, j'espère que si tu es déjà de retour c'est parce que t'as une bonne nouvelle à m'annoncer. Sinon tu pourras retourner à la recherche de Gilbert."

À quoi ça servait d'avoir un second s'il était pas foutu d'accomplir une tâche aussi simple seul ? Sauf qu'en se retournant, ce n'est absolument pas son éternel second fiché de son ridicule bonnet, mais une femme étrange qu'il a l'impression de connaître alors qu'il est sûr de ne l'avoir jamais vue. Et surtout : qui n'a absolument rien à faire là. Décidément ! La mer ne va pas les lâcher... Il a quand même pas encore assez bu pour halluciner non ??? Il reprend donc avec une grimace à moitié blasée et à moitié amusée.

"Demoiselle, j'ai bien peur que vous vous soyez trompée de navire. On ne prend pas les passagers clandestins. Alors il va falloir me donner une bonne raison de ne pas vous envoyer aller chercher Gilbert, puisque mon second est occupé ailleurs."

Surtout que bon, il a pas grand chose à portée de main à lui jeter à la tête pour s'assurer qu'elle existe bien... À part sa fiole peut-être, ce qui l'embête, mais ça se réfléchit...

Il arrivait cela parfois. Il arrivait qu’on les entende mais qu’on ne vienne pas. Tout du moins pas à l’instant T. Cela s’était produit à plusieurs reprises, je dois l’admettre. Cependant, on tentait ensuite de remédier à cela, bien que la complexité de la chose soit beaucoup plus incompréhensible. Ce fut le cas lorsque Killian Jones alors encore enfant avait levé les yeux vers le ciel et imploré de l’aide tandis que l’étoile des souhaits brillait de tout son éclat.

Pourtant je n’ai pas répondu. Non. A ce moment là, ce n’était pas mon droit. Je ne pouvais intervenir dans le déroulement de la destinée du Capitaine Crochet. Bien que je sois la Fée Bleue, je me devais d’agir en tant que chef, en tant que modèle et c’est pour cela que j’ai laissé le temps faire son oeuvre. Puis les années ont passées. Puis il y a eu Storybrooke, la malédiction, la trentaine d’années passées dans le Maine, puis New York, puis finalement le retour chez nous.

Tous les évènements beaucoup trop nombreux que je ne pourrais tous les nommer. Puis une demande fortuite, venant du passé, des profondeurs de l’inconscient. Demande venant d’un homme qui nous a laissé vivre dans les tréfonds de son passé, homme pour qui nous n’existons pas vraiment, nous ne répondant pas aux appels, nous ne sommes que mirage dans la navrante avancée de l’existence. Pourtant, c’est belle et bien présente que je me montre sur son navire alors que le ciel est de totale nuitée.

Reprenant taille humaine, je me tiens devant lui, mes deux ailes disparues, ma baguette toujours en main. Mes yeux bleus se posent sur lui avant que je ne reprenne finalement la parole.

« Je suis venue parce que ton appel n’a jamais cessé malgré les années qui ont passées Killian Jones. » énonçais-je alors « je m’appelle Reul Ghorm mais on me connaît en tant que Fée Bleue » me présentais-je alors.

Je me doutais bien qu’il ne m’attendait plus. Pourtant le petit garçon cachait dans les tréfonds de son lointain souvenir de l’enfance lui, il m’attends toujours. Bien sûr, je sais que les choses ne seront pas de toute tranquillité, après tout, les années ont passées et le destin a fait son oeuvre mais j’espérais malgré tout pouvoir répondre à son appel, bien que j’aurais dû aller contre ma propre interdiction et venir malgré tout auprès de lui.

La fatigue, les nerfs à vif et l'alcool ne faisaient pas bon ménage. Depuis le temps il le savait. Et ça ne l'empêchait aucunement de recommencer. Killian ne saurait dire si c'était parce qu'il espérait que le rhum atténuerait les vieilles douleurs trop lancinantes dans ces moments-là, ou si justement il espérait les voir se rouvrir pour avoir une excuse de s'y replonger. Peut-être aussi que c'était pour ça qu'il avait décidé de rester à la barre cette nuit plutôt que d'ordonner qu'on prenne sa relève.

Jusqu'à ce que cette bonne femme apparaisse. Décidément, on pouvait jamais être tranquille avec ses pensées dans ce monde ! Leur dernières escale remontait un peu pour qu'une clandestine ait pu se cacher aussi longtemps ! Ou alors ils l'auraient récupéré lors du dernier abordage ? Au moins, la visiteuse a le bon goût de se présenter assez vite. Une fée... il lui manquait plus que ça ! Y avait beaucoup trop de madames magiques qui s'incrustaient sur son navire ces derniers temps... Killian lâche un rire mauvais avant de répondre par une grimace moqueuse.

"J'espère pour toi que c'est une blague. Oui c'est ça, il vaudrait mieux pour toi que tu sois une blague. Ou une hallucination."

Pendant une seconde, le capitaine réfléchir à ce qu'il pourrait lui jeter au visage histoire de vérifier qu'elle est bien réelle. Sous la main il avait son compas, une longue-vue et sa flasque. Autant d'objets qui lui manqueraient s'ils venaient à tomber à la mer. Faut dire que la vie en mer appelait plutôt à vivre de façon minimum... De guerre lasse, Killian abandonne donc l'idée. Il allait falloir trouver une façon de chasser l'intruse.

"Bien. Miss Rheul Gorm. On peut savoir de quel appel tu parles ? Parce que j'ai bien peur de ne pas trop voir de quoi tu parles. Appeler des fées à l'aide c'est à peu près aussi utile que se promener avec une patte de lapin pour de la chance..."

Puis bon, niveau chance, les femmes à bord, c'était un autre type de problème.
Cette histoire d'appel lui rappelait vaguement quelque chose. Sauf que c'était quelque chose qu'il n'avait absolument pas envie de se rappeler, alors de question qu'il fasse l'effort. C'est donc toujours plus mauvais qu'il reprend.

"Et surtout appel ou rien, on peut savoir ce qui te prend de débarquer maintenant ? À ma connaissance, personne ne t'a appelée ici. Encore que je ne peux pas le garantir pour tous les marins à bord. Mais j'ai peur que tu perdes ton temps petite fée. Y a sans doute ailleurs des gens qui t'appellent. Des gens qui ont vraiment besoin de toi."

Peut-être quelques bouts de souvenirs se frayaient un chemin, ce qui l'agaçait encore plus...