Leah avait toujours aimé les bibliothèques. Elles renfermaient tant de savoirs variés qu’elle les considérait comme des cavernes d’Ali Baba. Petite, elle avait longtemps cherché des livres parlant de monstres, espérant toujours croiser Bob Razowski et Minou au détour d’une page. Oh, des monstres, elle en avait trouvé, certes. Jamais les siens. Puis elle avait commencé à s’intéresser aux contes et à la magie. Ses parents lui avaient offert un livre de tours de magie, tentative maladroite de répondre à ses demandes. Elle avait tout de même été enthousiaste, avant de réaliser que ce livre ne recélait aucune magie mais uniquement des manipulations adroites. Elle n’avait plus vu les magiciens d’un même œil, scrutant toujours avec attention leurs tours pour y repérer le mécanisme. Et quand elle ne le trouvait pas malgré tous ses efforts, des étoiles illuminaient ses yeux.

Les paillettes et les baguettes magiques la fascinaient. Elles avaient un effet apaisant sur elle, les magiciens lui paraissaient chaleureux, sur scène auréolés de lumière, faisant des gestes qui faisaient apparaître comme par magie des animaux, des personnes ou des objets. Et alors qu’elle contemplait, absorbée, les pirouettes des messieurs au chapeau haut de forme, des images lui revenaient. Des scènes d’un autre temps, un autre lieu. Des silhouettes dansant dans sa mémoire, dans un halo de lumière rassurante, entourée d’une poussière d’étoiles. Leah avait toujours été persuadée qu’il s’agissait d’un souvenir. Un souvenir vague, certes, mais un souvenir vécu, elle en était sûre.

Les livres faisaient aussi affluer des images. Il suffisait d’un « Il était une fois » pour qu’elle se rappelle d’une étreinte douce et protectrice et d’une voix grave et réconfortante. Mais Leah ne lisait jamais « Il était une fois ». Elle n’aimait pas l’idée que les histoires n’arrivent qu’une fois et ne se répètent jamais. Elle n’aimait pas l’idée de ne jamais revoir les monstres de son placard, de ne jamais revivre son histoire. Alors, quand elle lisait, à voix haute ou dans sa tête, elle disait « Il était deux fois » ou « Il était trois fois » voire « Il était plein de fois ».

Ce jour-là, quand elle entra dans la bibliothèque de Storybrooke, ce n’était pas par simple envie de lire un conte de fée. Elle avait des recherches à faire et, en ce qui concernait la magie et la science, les livres étaient des mines de savoir. La bibliothèque était donc un bon endroit pour commencer son investigation. Oh, ce n’était pas la première fois qu’elle cherchait dans les livres. Elle avait fini par abandonner les contes de fées pour se consacrer aux livres de science, qui lui avaient apporté quelques réponses. A présent, elle allait tenter à nouveau de trouver des réponses dans les livres de contes. Storybrooke n’était pas une ville comme les autres, elle pouvait donc espérer que le résultat serait différent des autres fois.

Elle se promena un instant dans les rayons, admirant les rangées de livre de cette petite mais néanmoins jolie bibliothèque. Elle avisa alors un énorme grimoire qui trônait tout en haut d’une étagère. Elle se hissa sur la pointe des pieds pour l’atteindre, s’appuyant quelque peu sur l’étagère. Elle le touchait du bout des doigts quand son pied glissa et qu’elle chuta. Elle tenta d’agripper quelques livres pour se rattrapper mais ne fit que les entraîner dans sa chute. Elle poussa un juron et pesta contre sa maladresse.

Je quitte le Couvent, histoire de prendre un peu l’air et puis de me changer les idées. Depuis la venue de Maléfique, je me méfiais de tout le monde, j’avais toujours peur que quiconque découvre mon secret, découvre ce que j’avais fait et pourquoi j’avais opté pour ma part féérique. Dans le passé, j’avais fait une erreur, une seule erreur qui avait amené mon royaume a être réduit en cendres jusque dans les profondeurs de la terre. Je m’en voulais, de plus en plus, plus le temps passés, plus je m’en voulais d’avoir tant fait souffrir mon peuple, je n’avais pas su être une reine comme ils l’auraient voulu, ma mère s’était trompée et j’avais fait tuée ma grande soeur au lieu de lui pardonner. Aujourd’hui, tout était terminé et je m’en voulais cependant encore beaucoup et encore plus avec la venue de Maléfique qui m’avait fait me souvenir de toutes les pertes dans mes rangs féériques que j’avais connu par son intermédiaire.

J’avais besoin de certains livres que je pourrais trouver à la bibliothèque, des livres qui pourraient m’aider à en apprendre plus sur comment les gens me voient dans ce monde, j’avais besoin d’en apprendre plus, j’avais besoin de savoir ce qu’ils voyaient vraiment quand ils me regardaient. Je me mords la lèvre inférieure avant de pousser la porte de la bibliothèque et entre avant de me perdre dans les rayons de la bibliothèque et finis par entendre quelqu’un qui avait apparemment besoin d’aide. Posant le livre que j’avais en main, je ne tarde pas à trouver la personne qui avait besoin d’aide. Je m’approche et lui souris en lui tendant la main pour l’aider à se relever.

« Ça va ? Tu ne t’es pas fait mal ? »

La jeune fille s’était pris beaucoup de livres sur la tête et j’espérais qu’elle ne s’était pas mal. Avec un sourire, je sors ma baguette et d’un mouvement, je range toute la bibliothèque. Je sentais que je pouvais lui faire confiance. Une fois tous les livres rangés, je pose mon regard sur la petite brune.

« Je compte sur toi pour ne pas en parler d’accord ? Je suis la Mère Supérieure du Couvent. » énonçais-je à la jeune demoiselle.

Mais d’ailleurs ? Que faisait-elle ici toute seule si tôt ? Elle n’avait pas école ? Lui faisant signe de me suivre, on s’assieds sur deux fauteuils avant que je ne reprenne finalement la parole, ne quittant pas la plus jeune des yeux.

« Comment tu t’appelles ? Que faisais-tu seule ici si tôt ? »

Quand la maladresse naturelle de Leah revenait au galop, elle était toujours embarrassée par les témoins. Quand il y en avait, il fallait subir leurs moqueries ou leur pitié, jamais d’indifférence, non, les gens se mêlaient toujours de ce qui ne les regardait pas. Alors quand elle entendit les pas dans l’allée d’à côté, une marche rapide qui semblait se diriger vers l’endroit où elle se trouvait, elle pensa un instant à fuir. L’invisibilité aurait été la meilleure option mais elle n’avait pas ce pouvoir et c’était bien dommage. Elle tenta donc de se lever mais abandonna bien vite cette idée.

Sa tête bourdonnait. Pourtant, ce n’était pas son premier choc, ni le plus fort, loin de là. Elle reposa donc sa tête contre le rayonnage et attendit, mortifiée, que quelqu’un la trouve dans cette position. Et après, elle s’étonnait qu’on l’appelle Mademoiselle ! Elle se mettait toujours dans des situations qui la faisaient passer pour une gamine.

La femme qui arriva n’en était pas une. Une femme mûre à la démarche assurée et au sourire chaleureux. Un sourire qui évoqua à Leah des effluves de gâteaux et des rires enfantins. Un sourire rassurant. La dame lui tendit la main pour l’aider à se relever. En d’autres circonstances, Leah aurait d’abord refusé, prétendant qu’elle pouvait y arriver seule, avant d’accepter de mauvaise grâce, « puisque vous insistez ».

Cette fois-ci fut différente. Elle saisit immédiatement la main de la blonde et frissonna à son contact. C’était doux, elle se sentait flotter. Des flashs de lumières apparurent devant ses yeux. Le choc avait dû être plus rude que ce qu’elle pensait. Elle fut relevée en un rien de temps, ce qui l’étonna car elle n’y avait mis aucune force, la femme devait avoir plus de muscles que ce qu’elle croyait.

Elle lui demanda si elle ne s’était pas fait mal et sa voix éveilla un sentiment de réconfort et d’intense nostalgie en Leah. Il y avait quelque chose de familier dans ce son mais Leah ne parvenait pas à trouver d’où cela venait. Et ce bourdonnement dans sa tête l’empêchait de réfléchir. Elle voulut parler et dire qu’elle s’était fait mal, oui, mais elle ne put que grimacer.

La dame aux cheveux d’or sortit alors une baguette et la fit virevolter d’un mouvement souple. Les livres tombés s’envolèrent alors et chacun retrouva sa place sur l’étagère qu’ils avaient quittée. Leah cligna des yeux. Elle fixa la bibliothèque parfaitement rangée en silence, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés. La femme prit à nouveau la parole pour lui dire n’en parler à personne. Elle se présenta comme la mère supérieure du couvent. Leah hocha la tête sans vraiment y penser, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle voulait dire, elle était dans un état second, son esprit tourné vers ce qui venait de se passer.

Elle se tourna à nouveau vers cette étrange dame et il lui sembla, l’espace d’une seconde, qu’elle était entourée d’un halo de lumière bleue. Leah voulut parler mais sa bouche refusait de lui obéir et aucun son ne sortait. Et puis qu’aurait elle pu dire ? Elle aurait simplement émis des exclamations de surprise.

Elle suivit la dame et s’installa sur un des fauteuils. Sans s’expliquer pourquoi, elle lui faisait instinctivement confiance, comme si elle la connaissait. Pourtant, elle ne se rappelait pas l’avoir déjà vue quelque part.

La Mère supérieure, puisque c’est comme ça qu’elle s’était elle-même appelée, lui demanda ce qu’elle faisait dans la bibliothèque si tôt. Leah remarqua qu’elle lui parlait toujours comme on s’adresse à un enfant, avec une voix douce, en la tutoyant et en s’inquiétant. La brune détestait qu’on la prenne pour une enfant, qu’on s’inquiète trop pour elle et qu’on insiste pour savoir où elle allait et pourquoi. Et pourtant, le ton employé par cette dame ne la dérangeait pas, elle l’appréciait même, se réfugiant dans cette bulle chaleureuse et réconfortante. Elle se sentait comme une enfant à nouveau, si petite face au monde, une gamine qui venait de se faire mal et qu’on rassurait. Une sensation de protection qu’elle n’avait plus ressenti depuis longtemps. Et ça faisait du bien.

Leah, parvint-elle a articuler, soulagée que sa voix lui revienne enfin. Je venais ici pour chercher des livres.

Elle contempla la femme qui lui faisait face. La mère supérieure. Oui, elle avait tout l’air d’une mère, celle qui s’inquiète pour ses petits, mais aussi pour ceux des autres. Leah ne parvenait pas à oublier ce qu’elle avait fait un peu plus tôt avec sa baguette. Et ces images la perturbaient toujours. Elles se confondaient avec d’autres images, plus floues. Une petite forme virevoltante, des ailes brillantes et une traînée de lumière bleutée. Une baguette et de la poussière.

Vous..., commença-t-elle sans savoir vraiment ce qu’elle voulait dire.

Elle voulait comprendre. Comprendre qui était cette femme mystérieuse, comprendre ce qu’elle venait de faire et pourquoi elle semblait si familière et rassurante. Pourquoi Leah avait l’impression de toujours l’avoir connue.

Vous êtes...

Le mot ne parvenait pas à sortir de sa bouche. Un mot rencontré maintes fois dans les livres, tout droit sorti de légendes immortelles, un simple mot qui qualifiait lui-même le genre de livres qui fascinait le plus les enfants. Mais Leah n’employait pas ce mot. Elle prononça celui qui lui était d’emblée venu à l’esprit, lorsqu’elle avait cru voir ce halo bleuté, puis lorsque les images l’avaient assaillies.

Bleue, termina-t-elle, le mot lui paraissant si naturel qu’elle le répéta dans sa tête en une litanie rassurante et familière.

« Enchantée Leah. » lui dis-je avec un sourire « Je m’appelle Eve. »

C’était assez étrange, j’avais l’impression de connaître cette jeune femme, comme si, comme si je l’avais déjà vue dans le passé, son regard ne m’était pas inconnu. C’était quelque chose de fou mais de véritablement vrai. Elle ne me semblait pas inconnue. Installée en face d’elle, mon regard regagna le sien lorsqu’elle prononça mon nom. Pas celui de la malédiction mais bien celui de là-bas, de notre monde. Un sourire sincère naquit sur mon visage alors que je me souvenais de la jeune femme.

« Tu es la petite fille amie avec les monstres n’est-ce-pas Bouh ? Qu’est-ce-que tu as grandie. » dis-je avec un sourire, plus maternel qu’autre chose.

C’était assez drôle de se dire que j’avais rencontrée cette jeune femme quand elle n’était qu’une enfant, que j’avais été dès sa naissance sa fée marraine. Tout était étonnant chez elle mais elle avait toujours eu un esprit vif et ouvert et j’avais comme la rude impression que c’était encore le cas aujourd’hui. Rangeant ma baguette dans la poche de ma robe, je vins à lever le regard vers la jeune femme.

« Il y a beaucoup de gens à Storybrooke qui ne viennent pas de notre monde, c’est pour ça que je t’ai dit de ne pas parler à qui que ce soit de ce que tu as vu. J’ai toujours ma baguette avec moi mais je sais devant qui je peux faire de la magie. Je ne t’ai pas reconnue sur l’instant parce que tu as bien grandie mais ton regard n’a pas changé. » déclarais-je avec un sourire.

Je me souvenais de notre dernière rencontre comme si c’était hier. Il était étonnant de voir comme une parcelle de notre vie peut si vite faire partie de ce passage passé que l’on ne vivra plus jamais. Elle demeurait une image de mon passé, blottie dans une partie obscurcie de ma mémoire, comme si tout n’était qu’illusion et que la petite fille aujourd’hui était bien loin. Après tout, j’avais une femme devant moi et non plus une enfant. Le temps semble nous rattraper si vite que ça en est presque effrayant, comme si…comme si tout semblait se perdre dans les méandres du temps. Je ramène mon regard vers Leah.

« Que cherchais-tu déjà ? » demandais-je finalement.