J’observais mes ongles avant de ronger celui de mon pouce sans grande conviction. Étais-je stressé ? Non, mais je me faisais chier à me peler le cul dehors, de bon matin, la capuche sur le crâne pour cacher mon écouteur qui me permettait d’être en communication directe avec l’un de mes confrères planqué dans un autre endroit stratégique à observer notre cible plus mouvante que jamais.

«  Arrow, t’es sûr que c’est lui ? »

« - Affirmatif. Ma source a été claire. Ce petit enculé fait de la revente près des lycées. »

« Il est mineur ? »

« - Négatif ! Il n'a juste pas assez de poils au menton pour paraître viril c'est tout. »

Je continuais à observer les lieux tout en m’allumant une clope alors que l’autre imbécile continuait à baver dans mon oreillette, remettant encore une fois en doute, la véracité des dires de ma source qui n’était autre que ma cousine. Mais dans un souci de préservation, je me devais de rester neutre et de modérer mon ardeur. « - Mon indic est safe ! Combien de fois je vais devoir te le dire ? Et pour en revenir à nos brebis galeuses, ce trou du cul vient ici tous les matins et crois-moi ce n’est certainement pas pour s’enfiler la pisse d’âne qu’ils servent à trois pâtes de rue. Je te dis que son fournisseur ne va pas tarder. Il faut juste qu’on soit patient et qu’on les prenne en flag. Après tu verras, tu oublieras qu’en amont tu t’es bien pelé le cul. Et tu me remercieras d'avoir pu lécher le cul du capitaine sans trop de fouler. »

Je ne pouvais pas me rater cette fois, car plus que jamais, j’étais dans le collimateur du big Boss et ce malgré le fait que je lui ai servi sur un plateau d’argent, la tête d’un pourri. Un de ceux que l’on pense intègre, tellement qu’aucun soupçon ne pèse sur lui tellement qu'il m'a obligé à sortir l'artillerie lourde pour l'entuber dans les règles de l'art et légalement s'il vous plaît. Passé l’arrestation et la procédure, je dois reconnaître que je me suis mis pas mal de collègues à dos. Honnêtement ça en a touché une sans faire bouger l'autre. Après tout, je ne suis pas là pour copiner dans la cour de récré. Moi, je me contente de faire mon boulot. Et aux dernières nouvelles, je ne m'en sors pas trop mal depuis des années, n’en déplaise aux pourris que j’adore déplumer jusqu’à ne leur laissé qu’une plume dans le cul. La prison se chargera du reste non ?

Mon oreillette se mit alors à grésiller, sûrement parce que l’autre flic en faction bougeait à son tour. De toute évidence, il venait d’apercevoir quelqu’un de suspect. « Type grand, long manteau noir » Une brève description, mais ce qu’il faut pour nous mettre sur la piste. « - Je l’ai en visu. Un long manteau noir pour faire son tour de passe-passe. Astucieux. » Mais pas assez pour s’éviter et le flag et la horde de flics qui ne laissait que peu (voire pas ) d’alternative à nos deux criminels "en herbes". Enfin sauf si on oublie l’épisode du dealer qui m’a obligé presque aussitôt à lui courir après sur plusieurs mètres, après un bref moment d’inattention. Spoiler alert, je l’ai eu non sans difficultés au vu de sa vitalité et de mes quarante printemps au compteur.

« Bah dis donc Arrow ! Prêt pour le prochain marathon de New-York ? »

Incapable d’aligner deux mots, car trop essoufflé, je me contentais dès lors d’un gentil petit doigt d’honneur avant de me poser sur le banc pour souffler et évacuer cet odieux point de côté qui mettait à mal bon nombre de mes certitudes. Mon regard se posa alors sur plusieurs nanas, pour la plupart moulées gracieusement dans leur pantalon de jogging. Avant que ce même regard ne tombe sur une autre nana tout aussi sexy, mais sans pantalon de jogging pour le coup. « - Hey la tenancière! » lançais-je gaiement en m'approchant. « - Alors comme ça vous venez au parc ? »

Lyna était distante et secrète ces derniers temps. J’avais un mauvais pressentiment. D’aucuns diraient que j’étais parano, mais j’étais une mère, je ressentais ces choses-là. Ma chère Elle m’avait proposé de discuter avec ma fille pour s’assurer que tout allait bien, mais ça ne me suffisait pas, je voulais être sure qu’elle n’avait pas de mauvaises fréquentations ou qu’elle était influencée par de mauvaises personnes. Alors, j’avais décidé de faire une petite balade à Central Park… Bon OK, je suivais carrément ma fille. Le mois de décembre était bien entamé et les décorations de Noël avaient fleuri un peu partout, et au Poisoned Apple aussi. Mais pour l‘heure, j’étais concentrée sur Lyna. J’avais honte de prendre ma propre fille en filature mais mon inquiétude était plus forte que tout. Une vraie mère poule… J’espérais ne pas me faire prendre. J’étais emmitouflée dans ma grosse écharpe oversize, les mains gantées, vêtue d’un jeans brut, blouson en simili cuir et de bottines. Je marchais à bonne distance mais ayant toujours ma blondinette d’amour en vue.

Nom de dieu elle a un copain et elle me l’avait pas dit !

Voilà ma première pensée quand je la vis discuter avec un garçon. Si ça se trouvait, je me faisais des films et ce type n'était qu'un copain de fac. Je me faisais un peu trop de souci de ce côté-là. J’étais tombée enceinte d’elle un peu plus jeune qu’elle en ce moment, je ne voulais pas qu’elle fasse des choses irréfléchies sur un coup de tête, comme ne pas se protéger par exemple. J’en étais là de mes réflexion quand soudain, une voix un peu trop familière à mon goût me sortit de mon espionnage. Je sursautai en me retournant.

- Oh c’est vous.. Salut…

Bon, c’était fichu, je ne pouvais plus continuer. Je croisais les bras un peu plus, à la fois mécontente de le voir et aussi parce que j’avais froid, puis je haussai un sourcil à sa question.

- C’est quoi cette question ? Pourquoi j’aurais pas le droit de venir au parc ? J’aime beaucoup cet endroit, pour votre gouverne…

Et surtout, je ne voulais pas qu’il voit Lyna, ou que Lyna le voit… Bon, leur lien filial n’était écrit sur leurs fronts respectifs, mais cela m’angoissait de manière complètement irrationnelle. Enfin non, ce n’était pas si irrationnel que ça, je me savais piètre menteuse et si l’un d’eux posait un peu trop de questions, je finirais pas révéler quelque chose sans m’en rendre compte. Voir Bobby était dangereux pour l’équilibre de ma famille, un équilibre que je m’étais donnée un mal de chien à établir durant vingt ans.

Demain j’arrête de fumer ! Tel était l’engagement que je venais de prendre tout en prenant le temps de reprendre mon souffle. Je n’avais plus l’âge pour toutes ces conneries. Un constat amer et implacable à en juger par la bonne majorité de flics dans l’équipe. Des jeunes qui commençaient un peu trop à prendre leurs aises avec moi. Ce qui valut à l’un d’entre eux, un doigt d’honneur en bonne et due forme. Et puisque j’étais incapable d’aligner deux mots et que je ne voulais pas leur laisser le plaisir de me railler davantage, j’optais pour une gentille petite provocation avant qu’un point de côté mette à mal mes dernières résistances. Il me fallait une pause, petite, mais immédiate tandis que notre fuyard était escorté jusqu’à son nouveau carrosse.

« - Fais chier ! » laissais-je entendre en posant mon cul sur le banc tout en songeant au fait qu’effectivement, il me faudrait arrêter la clope voire même reprendre le chemin des salles de sport pour me remettre d’aplomb, moi le lièvre en fin de course. Weaver m’ayant dans le collimateur, je n’avais plus le droit à l’erreur et encore moins le droit d’être défaillant, plus encore avec un tel ego. Et alors que je me perdais en réflexion, mon regard fut soudainement happé par quelques popotins moulés dans des leggins en licra. C’était agréable putain et cela ravivait mes réflexes de prédateur, avant que mon regard ne capte une autre cible.

Roni. Un prénom que, pour une raison étrange, j’étais parvenu à retenir. Ça et bien des choses concernant la sardonique demoiselle que je ne pus m’empêcher d’approcher, intrigué par sa présence et son attitude. Et peut-être aussi parce que j’avais envie de lui faire la causette. Mais de toute évidence, la réciprocité n’était pas de mise à en juger par les bras croisés et l’agacement. « - Eh bien c’était une question pour lancer un semblant de conversation. Et aussi parce que je pensais qu’avec votre bar, vous ne vous octroyer que peu de temps pour vous. Mais je me suis gouré de toute évidence. Vous allez bien depuis la dernière fois ? » Depuis quand tu te préoccupes de quelqu’un d’autre que toi ? Tu te ramollis Bobby et pas qu’un peu. Je me mis alors – sans savoir pourquoi – à lui sourire.

Je m’attendais à tout sauf à croiser Bobby dans Central Park alors que je prenais éhontément en filature ma propre fille… qui était aussi la sienne. Je me sentis très mal à l’aise de le voir me parler et bien entendu, je fis de mon mieux pour lui cacher la présence de Lyna. Fort heureusement, si l’on puit dire, il se mit à me poser des questions à la con quant à ma présence ici et je parvins à simplement dire que j’aimais être là.

- Ah, donc vous pensez que je dors au Poisoned Apple en fait ?

Bon… c’était presque vrai, je n’avais pas vraiment de vie en dehors du bar, et pour cause, plus le temps passait, moins je pouvais me permettre d’avoir du personnel, alors je faisais tout.

- Eh bien, c’est presque le cas.

Lyna avait sans doute eu le temps de s’éloigner encore plus et ainsi, je ne risquais pas de révéler la véritable raison de ma présence ici. Bobby, quant à lui, me demanda si j’allais bien depuis la dernière fois. Et il faisait allusion à ce type qui était venu dans le bar pour m’agresser, et non à la journée Halloween où il était venu à notre stand.

- Oui… oui ça va. C’est gentil de demander. Ecoutez… Je vous ai pas vraiment remercié pour votre aide, et j’ai horreur de l’ingratitude, alors merci.

J’avais détourné un peu le regard en lui répondant parce que cette situation me mettait vraiment mal à l’aise, et lorsque mes yeux se reposèrent sur son visage, je le vis sourire. Sans savoir pourquoi, je sentis mon coeur faire comme un bond. Je me sentis idiote et je mourais d’envie de me gifler tant je me détestais. J’avais été comme ça, vingt ans auparavant, cédant aux charmes de ce même type, tous deux sous l’influence de l’alcool, lui sans doute plus que moi. Je soupirai intérieurement. Lui ne s’en rappelait pas, à quoi bon l’accabler maintenant de reproches ? C’était trop tard.

Qu’est-ce que je raconte moi…

Je ne pouvais pas ne plus le détester du jour au lendemain, si ? Mais d’un autre côté, tout le monde pouvait changer et avoir droit à une seconde chance, non ? Il était devenu policier, c’était bien que quelque part, il y avait de la bonté en lui, non ? J’étais en proie à ce genre de questionnements quand quelques flocons de neige vinrent se poser avec légèreté sur nous. Noël approchait.

D’habitude je m’en fous et si une nana ne s’intéresse pas à moi je passe à autre chose. Mais de vous à moi (et sans prétention) j’essuie rarement des râteaux. Et me voilà donc à imaginer Mery se foutre de ma gueule en lui racontant ça avec la petite réplique un tantinet prétentieuse (et peut-être misogyne) qui va avec. D’ailleurs, ma cousine pouvait prétendre me connaître assez bien pour se risquer à se foutre de ma gueule et être sincère accessoirement. Je savais aussi qu’elle, mieux que quiconque verrait claire dans mon jeu, alors que j’en étais encore à trifouiller mes cartes ou à faire un semblant de causette à une personne qui ne voulait très clairement pas converser avec moi.

« - Je n’ai pas vu de matelas derrière le bar, donc j’imagine que vous avez encore un semblant de vie en dehors de ces murs. » répondis-je du tac au tac pour ne laisser aucun temps mort à l’échange. Malgré tout et parce que la « demoiselle » consentait à être un peu plus loquace que les fois précédentes, je compris assez rapidement que j’avais vu juste quant au fait qu’elle passait beaucoup (peut-être un peu trop) de temps à son bar. Assez pour négliger le reste ? Bobby, qu’est-ce que cela peut te foutre ? Oui, j’ai raison, enfin mon « moi » raisonnable. Pourquoi cela semblait-il m’intéresser autant ? Et pourquoi est-ce que je ressentais encore cette étrange impression de déjà-vu à chaque fois que je venais à croiser cette femme ? Pire, à son contact, je me sentais différent. Preuve en est, je venais de prendre des nouvelles, faisant montre d’un intérêt certain à m’enquérir de son état depuis l’agression qui m’avait valu un petit serrage de vis qui plus est.

« - Si ça va, c’est tout ce qui compte. Et pour votre gouverne, ça m’arrive d’être gentil. Rarement je le concède, mais ça m’arrive. » Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu es le must du must en matière de « trou de cul. » Et pas le dernier pour faire entendre qu’être gentil n’est pas un métier. Alors que je continuais à me flageller intérieurement, voilà que la belle brune y alla de ses remerciements. Enfin s’est vite dit, car à l’entendre j’avais plutôt l’impression qu’elle cherchait à s’acquitter d’une dette. Elle était mal à l’aise, je pouvais le sentir d’ici. « - Si vraiment vous étiez ingrate je vous l’aurai fait savoir. J’apprécie vos remerciements toutefois. » Je lui souris à nouveau en retour, surpris que cela vienne aussi facilement. Quelques flocons se mirent alors à tomber sur nous.

« - C’est magnifique ! J’adore voir la neige tomber, mais je pense qu’on ne devrait quand même pas rester trainer dehors à se les peler. Un chocolat chaud à la cannelle ça vous tente ? C’est moi qui offre promis ! »

Pour une raison qui m’était inconnue, je me mis à sourire à la plaisanterie de Bobby sur l’absence de matelas derrière mon bar, prouvant que je n’y dormais pas.

Bordel, pourquoi ?! Non, ne pas sourire, ne pas avoir l’air sympathique…

Et la conversation allait de mal en pis. Il se montrait courtois et même gentil, s’enquérant de mon état suite à la fâcheuse soirée d’arrestation qui avait précédé l’Halloween et qui avait vu l’un de mes tabourets se briser sur le dos d’un malfrat qui me croyait coupable de dénonciation. Alors que franchement, tous mes clients savaient que j’étais une tombe. Je me contentai de hocher la tête d’un air faussement dubitatif quand Bobby se sentit obligé de me dire qu’il était parfois gentil.

- Rarement ? Et c’est compatible avec votre job de gentil flic qui protège la population des méchants dealers et voleurs ?

Et je me mis à le remercier pour son aide ce soir-là, me retenant de dire que de toute façon je n’avais pas besoin de lui. Un drôle de sentiment de déjà vu s’empara de moi avant que je ne secoue légèrement la tête sentant finalement la neige nous tomber dessus. C’était donc ça ce petit vent glacial. Je n’étais pas assez couverte et commençai à rajuster ma grosse écharpe. J’étais partie en coup de vent pour prendre en filature ma fille, du coup j’avais oublié mon manteau.
Je fus surprise alors d’entendre dire à Bobby qu’il aimait voir tomber la neige. Ma mine d’ailleurs trahissait mon étonnement à l’entendre dire quelque chose de « mignon ». Et…

Nom de dieu, il vient vraiment de m’inviter à boire un chocolat ?

J’écarquillai alors les yeux, presque bouche bée, ne sachant que répondre, avant de finalement me reprendre.

- Vous me croyez trop fauchée pour payer un chocolat chaud ? répondis-je avec un sourire en coin. Allons-y !

Bordel je venais d’accepter sa fichue invitation par pur orgueil, quelle idiote ! Ah ! Je mourais d’envie de me mettre des gifles. Alors que nous prenions le chemin pour quitter le parc, je me retournai pour voir si j’apercevais Lynaya, mais non, elle avait dû partir par un autre chemin. Bon, ce ne serait pas aujourd’hui que j’en apprendrais plus sur ses fréquentations pour m’assurer qu’elle ne risquait pas de mal tourner. Je soupir intérieur me prit avant que le policier et moi je retrouvions l’une des rues entourant Central Park.

- Bon, on va où ? demandai-je, curieuse de l’endroit où monsieur avait l’habitude de voir des chocolats chauds à la cannelle.

J’ignorais ce que je faisais, moi qui traitais les autres comme de la merde sans vraiment me soucier de leurs états d’âme. Pour dire vrai, je me fichais pas mal de blesser les gens qui avaient l'impudence de m'adresser la parole. Mais cette fois, je ressentais comme le besoin de faire le contraire, de passer outre mes habitudes et (pour une raison que j'ignore encore) me montrer agréable. Rien n’était calculé, ce n’était que pure improvisation et je suis forcé d’admettre que pour une fois c’était agréable de ne pas être un connard. Je me surprenais même à sourire, légèrement certes, mais cela demeurait un sourire quand même. Qu’était-elle en train de me faire, telle était la question ?

« - Ouais rarement. C’était pour mettre en avant le fait que ça arrive « rarement » et que vous étiez donc privilégiée. Quant à la compatibilité avec le job, ça passe vu que je suis d’ordinaire un odieux connard. Ça aide pour foutre les trous de cul en taule et protéger la populace si je puis dire. » Elle souriait, mais j’en voulais plus. Moi je voulais la faire rire, comme si tout d’un coup c’était important. Peut-être que cela allait la décoincer un peu et mettre à mal ce semblant d’aversion que j’étais toujours incapable d’expliquer, tout comme cette impression de déjà-vu qui m’assaillait à chaque fois que je posais le regard sur cette…

Reprends-toi Bobby ! Tu te ramollis tel un carambar dans la poche d’un jean.

Elle me remercia ensuite. Ce n’était pas encore l’éclat de rire cristallin tant attendu, mais je dois reconnaître que ça faisait plaisir à entendre. Ca et la neige qui commençait à tomber avec douceur, éveillant en moi la nostalgie de l’enfant que je n’étais plus depuis bien longtemps, mais qui continuait à apprécier de voir la neige tomber. Toutefois, nous ne pouvions nous résoudre à rester dehors plus longtemps au risque de choper la crève. Je lui offris donc la possibilité de se réchauffer et accessoirement celle de prendre un bon chocolat chaud avec de la cannelle évidemment. J’étais à peu près sûr de mon petit effet, du moins je l’étais avant de l’entendre me rentrer dans le lard. Quoique…Pourquoi me souriait-elle à présent ? Était-elle vraiment offusquée. « - Euh…Je… » J’en perdais mes mots, plus encore lorsque sourire en coin, elle quitta son banc pour me faire savoir que nous pouvions y aller.

« - Eh pour en revenir à la tournée de chocolat chaud, je voulais juste faire preuve d’un semblant de galanterie hein ! Après si vous voulez payer, je ne m’en offusquerai pas. »

Pause. La blague n’est pas drôle. Evidemment puisque tu n’es pas drôle.

« - Je plaisantais bien sûr. » Une réplique que j’aurais pu garder pour moi bien sûr. Crétin !

Pour m’éviter une fois encore la flagellation,  je laissais dès lors mon regard se perdre sur cette ailleurs qui prenait vie autour de nous avant de laisser ce même regard se poser sur Roni aux prises avec le froid et un manque apparemment de protections textiles. « - Vous frissonnez ! » Aussitôt dans un élan de galanterie qui me ressemblait peu, je retirais ma veste pour la déposer sur les épaules de cette belle et indomptable brune. « - Ce n’est pas le moment de se choper un rhume. » Le sourire aux lèvres, je repris ensuite la route pour la mener là où avec Mery nous avions nos petites habitudes. « - Vous êtes déjà venu ? » tentais-je en prenant la direction de la table près de la baie vitrée, là où j’avais mes petites habitudes.

Je me surprenais à ne pas détester les quelques échanges et la présence de Bobby. J’essayais de me convaincre que ça m’emmerdait de le voir, mais je devais me rendre à l’évidence que c’était faux… Et je me maudissais pour ça. J’en étais à plaisanter avec lui sur son manque d’amabilité et la compatibilité avec son job de flic. Mais je ne voulais pas retomber dans le panneau avec son sourire merveilleux et ses yeux bleus magnifiques… Non ! Alors, je m’insurgeai faussement quant à l’invitation qu’il voulait galante.

- Parfaitement, c’est moi qui paie. Voilà, répondis-je avec aplomb.

Je me sentais conne… Pourquoi fallait-il que je tombe sans cesse sur lui ? Pourquoi maintenant, vingt ans après ? Bon… visiblement j’avais accepté de boire un chocolat chaud avec lui donc, nous étions en route pour sortir du parc tandis que la neige nous tombait à gros flocons sur la tête. Je n’avais pas remarqué que je frissonnais jusqu’à ce que Bobby me le fasse remarquer. J’avais haussé les épaules quand soudain je le vis retirer sa veste.

- Non, c’est rien, c’est pas la p…


Trop tard, il venait de poser sa veste sur mes épaules. Je devais reconnaître que cette chaleur me faisait du bien. Et merde, j’étais encore redevable.

- Merci, lâchai-je alors en reprenant la marche, sans même savoir où j’allais.

Ce sourire… Pourquoi fallait-il qu’il ait un sourire aussi charmant ? Je me sentais complètement idiote, un peu comme quand Mary me décrivait son pompier sexy… Non ! C’était pas la même chose, c’était totalement différent parce que Mary, elle, elle était amoureuse et ce type était gentil, et moi, je n’étais clairement pas amoureuse de Bobby, non, je le détestais, voilà ! Mais… cette haine semblait s’émousser peu à peu. Pourquoi ? Je ne voulais pas, je luttais amèrement et c’était difficile.
Nous arrivâmes dans un café que je n’avais encore jamais vu et qui était fort sympathique au moins visuellement.

- Non, jamais. Ça a l’air sympa.

Je retirai sa veste pour la lui rendre avant de m’asseoir.

- Merci encore, vous n’étiez pas obligé.

Nous voilà donc installés à une table près de la baie vitrée. J’étais vraiment mal à l’aise mais je tâchai de n’en rien montrer, mettant en avant mon assurance légendaire.

- Bon, alors c’est votre QG pour les chocolats chauds, c’est ça ?

Quelle question à la con… A la vérité, je ne savais pas trop quoi dire. Je ne me sentais pas à ma place, et d’un autre côté, me sortir un peu du Poisoned Apple et des soucis professionnels me faisait du bien.

Avec elle… Stop ! Déjà quand tu commences par ce genre de phrase, tu sais d’avance que tu vas t’enfoncer dans une avalanche de niaiseries à faire vomir un bisounours.En étais-je vraiment arrivé à tenir ce genre de discours ? Un de ceux qui laissent entrevoir une once de rédemption, pour les beaux yeux d’une damoiselle, tout sauf en détresse ? Et puis quelqu’un a dit un jour « On ne change pas. On se donne le change, on croit. Que l'on fait des choix » Une grande philosophe pour les fragiles qui plus est. Non mais sérieux Bobby ! Te voilà réduit a cité Céline Dion. Vraiment ? Si je le pouvais, je me frapperais la gueule, au risque de passer pour un dégénéré. Rassurez-vous ! Je n’ai rien fait malgré l’envie grandissante de me faire fermer ma propre gueule. Mais que pouvais-je faire si ce n’est reconnaître que depuis que j’avais « croisé » la route de Roni, quelque chose en moi s’était mis à bugger, au point de remettre en question des décennies de « je m’en foutisme » de la race humaine. J’avais beau lutter, rien n’y faisait, mon intérêt pour elle n’avait de cesse de croître.

« - Donc c’est vous qui payez ? » répétais-je avec le même aplomb. « - C’est vraiment ce que vous voulez, je me vois mal essayer de vous en dissuader alors. » Bon je dois reconnaître que ça me faisait un peu chier, mais bon si ça lui faisait plaisir, autant se passer des convenances. Enfin presque, si l’on omet la veste que je venais de retirer pour la lui mettre sur les épaules après quelques frissons. « - Non j’insiste. Moi je peux me foutre en arrêt, je ne manquerais à personne au bureau. En revanche, je doute que vos habitués soient ravis de se passer d’un si beau sourire. » Putain Bobby, tu recommences à jouer les jolis cœurs. Ça ne va plus du tout !

« - De rien. » me contentais-je de répondre alors que déjà nous reprenions la route. J’avais bien une petite idée sur l’endroit où l’amener, à savoir notre QG à moi et Mery. Et d’aussi loin que je m’en souvienne, jamais encore je n’avais amené personne ici, encore moins une demoiselle aussi jolie soit-elle.

« - Eh bien, je suis ravi de vous faire découvrir ce petit paradis du chocolat chaud. Avec en prime d’excellentes pâtisseries. » Et nous voilà à prendre place l’un en face de l’autre sur ces confortables banquettes que je pourrais occuper des heures si je n’avais pas autre chose à faire de ma vie. Roni me rendit sans attendre la veste que j’avais précédemment déposée sur ses épaules, me remerciant à nouveau, ce qui, pour une raison étrange, me mit légèrement mal à l’aise, moi qui n’étais pas habitué. « - Mais non, vous n’êtes pas obligé. Je n’allais pas vous laisser vous peler le c… Enfin je veux dire, attraper froid. » Et me voilà à mon tour mal à l’aise. Je n’avais pas l’habitude de faire autant d’efforts, ni de me soucier autant du confort d’une autre personne.

« - Je viens ici souvent avec ma cousine. Ce sont nos petits moments de quiétude loin du tumulte de nos vies. Wow, c’est une jolie phrase hein ? Et sans jurer comme un charretier. » Je lui souris une fois encore, incapable de faire autrement et parce que je la sentais aussi mal à l’aise que moi, si ce n’est plus malgré ce qu’elle laissait paraître.

« - Je pense souvent à vous. » commençais-je en bafouillant légèrement. « - Pas en mal hein ! Et pas du genre pervers qui fantasme. » Je me frottais aussitôt le visage, conscient que j’étais sûrement en train de m’embourber. Par chance, une charmante demoiselle vint à notre rencontre pour s’enquérir de notre commande. « - Bonjour Sandy ! » Le nom étant écrit sur le badge, il n’était pas difficile de sortir la bonne appellation, sauf si bien sûr, il s'agissait du badge d’une autre personne.

« - Alors je vais vous prendre comme d’habitude un chocolat supplément chantilly avec de la cannelle et quelques marshmallows. Vous proposez quoi comme pâtisserie aujourd’hui ? »

« Une tarte aux noix de pécan. »

« - Vous n’avez plus votre succulente tarte aux pommes ? » Elle me fit « non » de la tête mettant à mal mon petit cœur d’afficionado de la tarte aux pommes Mais soit, puisqu’il fallait s’en passer. « - Eh bien je crois que je vais vous prendre une part de tarte aux noix de pécan dans ce cas. En priant pour que vous ayez à nouveau de la tarte aux pommes. »

La demoiselle esquissa un léger sourire avant de reporter toute son attention sur Roni afin de prendre sa commande. La mission étant accomplie, elle nous laissa à nouveau en tête à tête.

« - Je sens que vous êtes mal à l’aise presque à chaque fois que l’on se croise. Eh comme accessoirement je ne suis pas trop mauvais flic, j’arrive aussi à voir quand une situation et peu accommodante. Ecoutez, je sais que ça ne va pas tout justifier, mais il y a des années j’ai fait beaucoup de conneries. Être alcoolique faisait partie du package malheureusement. Je suis à peu près sûr que nous nous sommes déjà croisés. Je n’arrive pas encore à définir le contexte, mais ça n’a sûrement pas dû bien se passer aux vues de vos réactions épidermiques. Ça se dit ça ? » Je tentais encore la carte de l’humour malgré les tensions, mais je n’étais sûrement pas encore assez naïf pour y croire et me dire que j’étais sorti de l’auberge.

« - Je suis toujours plus ou moins un trou de cul, mais j’essaie de m’améliorer. Déjà victoire, je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis presque cinq ans. Ils n’ont pas de pin’s assez grand pour moi chez les AA maintenant. Ils voulaient me faire passer parrain, mais vue ma propension à l’insociabilité, ils se sont dit que ce n’était peut-être pas une bonne idée. Mais avec vous je ne sais pas pourquoi ça marche. J’ai envie d’être sympa, alors que d’habitude je n’en ai rien à foutre. Et puis vous n’êtes pas moche, ça aide aussi. »

Que m’arrivait-il ? Pourquoi éprouvais-je une petite once de sympathie pour cet homme alors que ma raison me poussait à continuer de le détester ? Mais comment aurais-je pu alors qu’il m’avait aidée quand ce malotru était venu m’attaquer au bar voilà quelques semaines pensant que je l’avais dénoncé, puis Bobby avait pris de mes nouvelles, il se montrait chaque fois courtois et prévenant, essayait d’être drôle et de faire la conversation alors que je m’évertuais à rester distante et froide vis-à-vis de lui… et voilà qu’il m’avait empêché de prendre froid et m’invitait à boire une chocolat chaud… Comment rester insensible à toutes ces marques de gentillesse ? Pourtant, je n’oubliais pas qui il était, ce qui s’était passé entre nous voilà un peu plus de vingt ans, une soirée bien arrosée, visiblement plus pour lui que pour moi, et une nuit à s’envoyer en l’air qui avait résulté à la présence de ma merveilleuse Lynaya. Bobby se rappelait-il de quelque chose ? Impossible, il était torché à un point inimaginable et c’était il y avait plus de vingt ans… Alors pourquoi essayait-il de se montrer aussi sympathique, lui qui n’avait de cesse de dire que ça ne lui ressemblait pas ? J’étais perdue, je ne savais plus comment réagir et j’étais mal à l’aise comme jamais. Je mentais très mal, je le savais, et j’avais très peur de lâcher la vérité sans m’en rendre compte.

Une fois arrivés sur le lieu qu’il avait choisi pour notre boisson chaude et après lui avoir rendu son blouson, je tâchai de faire un semblant de conversation, et sa réponse presque lyrique m’étonna.

- Waow vous savez être un poète à vos heures perdues…

La suite de ses remarques me fit hausser un sourcil. Que venait-il de dire ? Il pensait à moi ? Mais pourquoi ? Mon coeur se serra et se mit à battre plus vite, se rappelait-il de quelque chose ? Un peu avant, cette réflexion me paraissait insensée mais soudain, j’en avais peur. Une serveuse arriva et ce fut sans doute ce qui m’empêcha de me tirer en courant. Voilà que Bobby l’appelait par son prénom… Comme ça me déplaisait quand les gens faisaient ça sans ma permission… J’espérais juste que c’était du fait qu’il était un client régulier et qu’ils avaient sympathisé. Le flic savait ce qu’il voulait, je l’observai parler à la jeune femme. Il était sympathique et respectueux si l’on omettait l’emploi du prénom, mais je lui laissai le bénéfice du doute, c’était peut-être convenu ainsi entre eux. La demoiselle se tourna vers moi et je m’empressai de regarder la carte.

- Bonjour. Alors je vais suivre avec un chocolat chaud aussi, au lait d’amande, et euh… une part de carrot cake. Merci mademoiselle.

Je refermai le menu et attendit qu’elle parte en lui adressant un sourire avant de reporter mon attention sur Bobby.

- OK, ne dites plus que vous pensez à moi, c’est flippant.

Et voilà qu’il se lança dans une tirade qui me fit flipper davantage du fait qu’il était fin observateur. Bordel, il était quand même doué dans son job. Je fus néanmoins agréablement surprise de l’entendre reconnaître ses torts du passé, ses défauts. Je mordis la lèvre inférieure en baissant les yeux sur la nappe devant moi. Il avait compris qu’on s’était déjà croisé par le passé. Nom de dieu, qu’est-ce que je pouvais faire ou dire ?

- ça se dit, oui, confirmai-je pour l’emploi de l’expression.

Voilà qu’il disait qu’il voulait être sympa avec moi. Je fermai les yeux quelques secondes avant de les rouvrir sur lui. Avais-je le coeur à le rembarrer alors qu’il se livrait avec tant de sincérité.

Putain c’est compliqué là…

- Je suis pas moche et ça aide aussi ? Bordel vous savez parler aux femmes vous, certaines choses ne changent pas…

Merde, je viens pas de me griller là ?

- Je pense que vous devriez continuer à vous montrer sympa, avec d’autres personnes aussi.

Bon, je devais lui répondre, il avait compris qu’on s’était déjà vus par le passé, je ne pouvais plus nier.

- Oui c’est vrai, on s’est croisés brièvement il y a très longtemps. On était des gamins, ça va, pas la peine d’épiloguer…

Pitié non, n’épilogue pas…

Je ne voulais pas qu’il fasse le rapprochement avec Lyna, j’aurais toutes les peines du monde à lui faire croire que c’était pas sa fille. Quand j’y repensais, qu’est-ce que j’ai pu être bête...