Il range, quelques objets seulement. Mouvements lents et frénétiques à la fois. Il tente de contenir sa colère. Sa rage. Éviter d'exploser, se montrer sage. Pour elle. Même si elle n'est pas là. Il ne le voulait pas. Trop risqué. Parce que s'il perd la maîtrise de lui-même, il ne veut pas qu'elle en soit témoin. Sa main se serre sur un vieux morceau de bois. Tressaille. Il le bouge ailleurs, en dispose momentanément. S'assure de ne rien laisser d'important à la vue. Soigne les lieux, à défaut de pouvoir soigner les pensées qui tourbillonnent dans sa tête, font bouillonner son sang dans ses veines, palpiter les veines sur ses tempes. Il ne sait pas encore ce qu'il dira. Sait qu'il devra peser ses mots. Tenir en laisse sa hargne. Forcer sa voix à se faire douce, basse. Afficher un calme factice.

Ce qu'il veut avant tout, se sont des explications. Du moins, il tente de s'en convaincre. Fait les cents pas dans sa boutique. Scrute les murs. Se distraire. Détourner ses pensées de son envie la plus profonde. De son désir de vengeance. Pour l'instant, du moins. Il retourne à l'arrière-boutique. Inspire un grand coup. Porte à ses yeux ses doigts, observe sa main, longuement. Puis examine l'autre. Ces mains capables de tant de choses. Ces mains destructrices. Qui s'étaient retrouvées si douces, si délicates à son contact. Doigts glissés doucement dans ses cheveux, soulagement profond de la retrouver enfin. Rumple secoue légèrement la tête, dissipe les souvenirs.

Il baisse les mains. Pose les yeux devant lui. Inspire à nouveau, dans un énième effort. Un effort d'oubli. Un désir presque sincère de mettre de côté. D'écarter, pour l'instant, la rancœur. Ses pas lents résonneraient dans la boutique, si elle était plus grande. Ils se contentaient de faire grincer les lattes du plancher, comme une longue plainte faible à chaque pression du pied. Il prend place derrière son comptoir. Y laisse glisser ses paumes, avant de s'y appuyer. Il attend. Espère que la reine se présentera. Faisant fi de son désir de vengeance, il ne voulait qu'une chose: des réponses. Elle lui en devait quelques-unes. Il sait qu'il est presque l'heure du rendez-vous. Un demi-sourire étire ses lèvres, sourire en coin, moqueur. Masque de chair. Camoufler un volcan d'un voile délicat, expression habilement composée pour refléter une image presque sereine. Voile transparent, laissant entrevoir l'amertume qui lui colle encore au palais. Yeux vissés sur la porte. Nul besoin d'entendre tinter la clochette. Il la voit arriver, puis entrer. « Bonjour, Regina. » Voix peut-être trop calme. Ton doucereux. « Je commençais à croire que tu ne viendrais pas. » Autre rictus, discret. « Allons, approche... Toi et moi, on a des choses à se dire, dearie. »  Tête inclinée. Yeux plissés, l'espace d'un instant. Rumple contourne le comptoir, accueille son invitée.

Il lui avait demandé de passer à la boutique. Son ancien maître de magie, le Ténébreux en personne, celui qui l’avait manipulée pour qu’elle lance le Sort Noir, celui qu’aucun autre sorcier n’avait jamais osé lancer. Rumpelstiltskin, celui avec qui il ne fallait surtout pas passer de deal au risque d’y perdre son âme, il avait souhaité la voir. Que voulait-il ? Regina était passée par mille et une émotions depuis la levée de la malédiction. Elle avait accepté de changer, du moins essayer, pour Henry, pour qu’il puisse avoir confiance en elle, pour qu’elle soit la mère qu’il mérite, et faire acte de rédemption n’avait pas été facile. Elle avait rencontré Robin qui s’était avéré être son âme-sœur, celui dont la fée lui avait parlé et qu’elle n’avait pas osé aller voir dans cette taverne, bien des années auparavant dans le monde des contes. Ils avaient fini par se trouver, un peu comme la vieille devise des Charmant : « je te retrouverai toujours ». Si avant, voir ces deux-là tomber dans la guimauverie donnait la nausée à la méchante reine, aujourd’hui, elle comprenait.

Mais voilà, son grand amour, elle l’avait perdu. Il s’était passé tant de choses en si peu de temps. Alors qu’ils étaient revenus du désert de glaces où tous ensemble, ils étaient parvenus à briser le miroir d’Ingrid, Robin et Roland s’étaient installés à la maison. Regina avait également adopté CJ, une jeune adolescente de quatorze ans issue du monde sans magie. Au départ, elle voulait l’avoir à l’oeil, de peur qu’elle ne découvre la vérité et que la sécurité des habitants de Storybrooke ne soit mise à mal. Mais bien vite, madame le maire s’était attachée à la jeune fille et elle était bien vite devenue un membre à part entière de la famille. Et soudain, tout avait commencé à dégringoler, ce bonheur que la belle brune découvrait était appelé à ne pas durer. Robin l’avait demandée en mariage, pourtant, alors qu’elle lui avait organisé un petit week-end romantique avant Noël, pour qu’ils se retrouvent et se remettent de leurs émotions dues au voyage en terres gelées. Il lui avait fabriqué une bague en brindilles que Regina avait ensorcelée pour qu’elle ne se détériore jamais. Aujourd’hui, elle la portait en pendentif.

Ce fut après les fêtes de fin d’année que la situation commença à basculer. En effet, Marianne, que tout un chacun pensait morte, refit son apparition. Robin commença à avoir un comportement étrange et au bout de trois jours, déclara à Regina que c’était fini, qu’il aimait sa femme et qu’il devait retourner avec elle. Roland sous le bras, il était parti sans se retourner, lui brisant le coeur et lui intimant de ne pas chercher à le revoir. Regina avait respecté son choix, bien qu’elle en ait eu le coeur en miettes. Peu après, par une froide nuit, certains habitants de Storybrooke se virent aspirés dans les Enfers. C’est là que Robin et Regina s’aperçurent que la vraie Marianne était belle et bien morte, et que la personne qui prétendait être elle dans le monde des vivants n’était qu’une usurpatrice. Tout alla très vite ensuite, et Robin fut propulsé dans le Styx en voulant protéger le groupe du kraken. Regina avait assisté, impuissante, à la mort de son grand amour, sans avoir pu lui dire une dernière fois qu’elle l’aimait, puisqu’ils n’étaient plus ensemble. Chaque jour qui passait, désormais, elle s’en voulait de n’avoir pas essayé de l’empêcher de jouer les héros.
Aussitôt revenue des Sept Mers, voyage qui succéda aux Enfers, Regina était allée voir l’usurpatrice pour récupérer Roland et le confier à son parrain Petit Jean, annonçant par la même occasion la funeste nouvelle.

L’enterrement de Robin avait eu lieu. Regina avait par ailleurs appris de par la fée bleue qu’elle était enceinte. En effet, le jour où Robin l’avait demandée en mariage, il avait émis le souhait de fonder une famille avec elle. Elle lui avait alors fait part de son acte désespéré envers sa mère bien des années auparavant qui la privait de la possibilité d’être mère. Mais elle lui avait promis qu’elle chercherait un remède, et dès lors s’était lancée dans diverses expériences, ne se doutant pas le moins du monde que l’une des mixtures qu’elle avait ingurgité avait réellement fonctionné. Cela lui faisait une raison de plus de se lever le matin, de continuer à se battre pour ne pas laisser les ténèbres la gagner à nouveau. Ce combat était extrêmement difficile.

Arrivée devant la boutique d’antiquités, madame le maire poussa un petit soupir et se décida à ouvrir la porte. Étonnamment, elle ne fut pas accueillie par le traditionnel « la boutique est fermée » que Gold réservait souvent aux visiteurs indésirés.

- Bonjour, répondit-elle au propriétaire des lieux (et de la ville, avant de hausser un sourcil. Ai-je déjà manqué à ma parole ? Si je t’ai dit que je viendrais, c’est que je comptais le faire.

Elle avança de quelques pas sans le quitter du regard, se demandant ce qu’il lui voulait.

- Tu as été assez vague, au téléphone. Que me veux-tu ? J’imagine que ce n’est pas pour prendre le thé que tu m’as conviée.

Fureur sans fin. Comme un trou noir dans l'estomac, ravagé par le feu le plus terrible. Noirceur rampant en lui jusqu'au bout des doigts. À peine ébranlée par une inspiration discrète. Rumple ouvre les bras, demi-sourire toujours accroché aux lèvres. Intime Regina d'approcher, lui-même n'avançant que peu. Pour l'instant.

« Certes, le thé n'est pas au menu d'aujourd'hui. Tu n'as rien perdu de ta perspicacité, dearie. » Sujet amené, comme on dit. Nuances et douceur, si ce n'est de quelques remarques. Il est plus facile de se contenir ainsi. Il remonte une manche, puis l'autre. Pose ses yeux sur ceux de son invitée. « Je ne t'ai pas non plus fait venir pour discuter de la pluie et du beau temps, comme tu t'en doutes probablement. Le téléphone, ce n'est pas une valeur sûre... » En d'autres temps, il aurait fait voler quelque chose, un papier, un crayon, n'importe quoi. Un objet d'intérêt. Une preuve. L'objet d'un contrat. Mais pas aujourd'hui. Jour de tempête. Comme des éclairs dans les yeux, l'espace d'un instant. Disparus rapidement. Ne pas lâcher prise, se concentrer. Elle dirait sûrement que la colère et la violence ne règlent pas les choses. La magie non plus, d'ailleurs. Que c'était du passé.

Du passé, certes. Mais un passé douloureux. Inacceptable. Tressaillir légèrement. Sentir son cœur se débattre de fureur. Sourire. Rictus alarmant, masque plus dangereux qu'un visage sincère. « Alors... » S'approcher, lentement. Puis, chuchoter. Doucement. Voix se faisant ténèbres et légèreté. Joie de retourner un couteau dans la plaie. Passivité agressive. Délecté. « N'est-il pas horrible de ne pas savoir? » Tourner autour de sa proie. Souffler dans l'autre oreille. « Ne pas avoir eu la chance de dire aurevoir? De prononcer ces simples mots... » Tourner encore, puis faire face à la reine. « Tu devrais maintenant savoir, dearie, qu'il est difficile de seulement les murmurer... Une absence déchirante, alors que résonnent ces simples mots dans ta tête... » Reculer, de quelques pas. Pause courte, minimale. Chantonner. Légèreté. Pointer au ciel. À gauche pour la première syllabe, à droite pour la seconde. «  Je... t'aime. » Air de fou du roi, ton rieur, fredonnant. Mimique de l'ancien Rumple, qui, soudainement, reprend sa place. Ricaner, quelques secondes. Reprendre son sérieux. Rumple ouvre les bras, les jetant presque au ciel. Provocation légère. Trembler de rage sans que cela ne paraisse. Mr. Gold, antiquaire violent. Homme de parole. Un peu trop. Soi d'aujourd'hui retrouvé, dérapage contrôlé. « Comment on se sent? »

Dévier de son but. Son but factice. Il ne veut pas que des réponses. Il veut une vengeance. Si douce. Et encore, il n'en est qu'au commencement. Belle n'était pas morte. Emprisonnée si longtemps, enlevée. Il l'avait crue morte, certes. L'avait longtemps pleurée. Mais cette douleur n'avait pas été suffisante pour Regina. Arracher son amour au Ténébreux. Il avait fallu que Belle souffre aussi. Rumple attendait une réponse. Mieux, une justification. Saurait-elle le calmer? Probablement pas.

N'avoir qu'une envie: hurler. Crier, s'écorcher les poumons, s'arracher la gorge à demander pourquoi. Frapper les murs, tout détruire. Mais il se contente d'étirer les lèvres, encore. Sourire mauvais, provocateur. Dédain contenu, fureur apparente. Masque diaphane. Trop fragile.

Être face au ténébreux était toujours aussi « malaisant », même après toutes ces années. Surtout en ces circonstances. Une étrange amitié perdurait entre ces deux être à la fois si différents et si proches. Regina savait qu’elle s’était faite manipuler, que tout ce que Rumpelstiltskin voulait en lui apprenant la magie noire, était qu’elle lance le Sort Noir, cette malédiction qu’aucun sorcier n’avait encore osé lancer, et pour cause, il fallait sacrifier le coeur de la personne que l’on aimait le plus. Toute cette démarche de la part du plus puissant mage de tous les royaumes dans le but de retrouver son fils dans le monde sans magie. La méchante reine y était allée de sa petite vengeance secrète en séparant son maître de magie de sa bien aimée, l’envoyant dans un royaume voisin qui serait épargné par la malédiction, faisant croire à l’un comme à l’autre au décès de l’autre. Pourquoi devait-être la seule à perdre la seule personne qui l’aimait encore et qu’elle aimait encore en retour ? Sa haine et sa soif de vengeance avaient été plus fortes que tout et le roi Henry avait été sacrifié. Et Belle avait été envoyée à Nottingham dans une cellule où elle avait fait la connaissance de Robin des bois, et plus tard des autres joyeux compagnons.

A présent, alors que quelques semaines avant, Regina nageait dans le bonheur, elle vivait ses heures les plus noires. Robin, l’homme de sa vie, son véritable grand amour, son âme-sœur, avait péri aux Enfers, propulsé dans le Styx par le kraken invoqué par Neïlina, l’amie d’enfance de Regina. C’était infernal, chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle revoyait cette scène. Elle avait l’impression de devenir folle, d’autant que lorsqu’elle parvenait à trouver le sommeil, elle rêvait sans cesse de Robin, comme s’il était toujours là, plus réel que jamais. Chaque réveil était déroutant au possible.

N’ayant guère envie de traîner dans la boutique de Gold outre mesure, madame le maire avait demandé presque aussitôt ce qui lui valait une invitation du Ténébreux. Comme à son habitude, Rumple n’en vint pas directement au fait. La reine soupira et levant les yeux au ciel. Les pirouettes du « nain tracassin » ne l’amusaient pas. L’avaient-elles déjà fait ? Elle le vit s’avancer, lentement, trop pour que ce ne soit pas inquiétant. Les manières qu’il pouvait avoir parfois avaient de quoi dérouter. Elle l’observa du coin de l’oeil, sans bouger, sans mot dire, se contentant de l’écouter. Et la belle brune n’apprécia pas le contenu de ses paroles. Elle restait stoïque, interdite, mais à l’intérieur, elle hurlait, elle luttait et se débattait pour empêcher la méchante reine de tout brûler sur son passage. Mâchoires serrées, lèvres pincées et un regard noir braqué sur le mur en face d’elle, Regina laissait Rumple à son petit jeu, de venir lui parler de part et d’autre. Ses manières… Qu’elle avait envie de lui faire bouffer ses mains.

Ordure… pensa-t-elle.

- Tu as fini ? Demanda-t-elle, aussi calme que son état de nerfs le lui permettait. Est-ce pour essayer de me tourmenter que tu m’as fait venir ?

Elle souffla longuement, poussant un soupir. Ce n’était donc pas le jour pour chercher des réponses auprès du ténébreux.

- Je pensais qu’en… quel âge as-tu déjà, quelque chose comme cinq-cents ans ?  Que tu serais un peu plus mature. Tu seras sans doute enchanté, je suis détruite, ça te va ?! C’était pour entendre ça que tu m’as faite venir ? Réjouis-toi alors.

Regina mourait d’envie de l’insulter, de lui cracher tout ce qui lui passait par la tête au visage, mais elle avait fait une promesse. Robin voudrait sans doute qu’elle continue ses efforts, et ce n’était pas en laissant son mauvais côté reprendre le dessus qu’elle y parviendrait. Pourtant, c’était plus difficile que jamais, surtout avec ce vile provocateur en face d’elle.

Mâchoires serrées. Bras lentement redescendus de chaque côté. Rumple ne sourit que peu, visage presque serein, mais pas détendu. Fureur engendrant fureur, chez les deux bien contenue. Ce n'est pas le ton de voix de Regina qui témoigne d'une quelconque colère. Ce sont ses mots. La parole est une arme plus qu'intéressante. Nuance subtile apportée par chaque syllabe prononcée. Phrases et vers dont l'essence même se transforme au gré des termes empruntés. Rumple incline la tête; très peu, toutefois. Il a repris son soi d'aujourd'hui, maître de son corps et de ses folies, simagrée envolées. Il aurait aimé répondre. Acquiescer. Oui, il voulait la tourmenter. Mais il ne fallait pas que cela soit la raison première de cette rencontre. Il ignore le soupire de Regina, trop occupé à écouter ce qu'elle a à lui répondre. Épuisement, essoufflement peut-être. Énervement? Peu importe pour le moment.

« Oh, tu sais, les années passent et se ressemble. L'âge n'est qu'un nombre. » Demi-sourire, presque détendu. Retourner à pas lents et francs derrière le comptoir de bois. Le sorcier s'y installe, mains bien appuyées, à plat. « Et l'enchantement est un bien grand mot. Peut-être qu'un autre jour, ça aurait été le cas. » La colère ne s'est pas tue. Elle gronde en lui, au creux de ses entrailles. Brûle, tiraille, énerve. Le colérique antiquaire, dangereux tireur de ficelles. Image bien acquérie durant les longues années de malédiction. Mémoire toutefois bien intacte. Ressenti bien réel. Douloureux souvenirs l'ayant hanté si longtemps. Mais Regina avait aussi été son élève. Son élève et son pion. Pièce judicieusement placée sur l'échiquier. Malgré quelques dérapes. Pas si facile à contrôler. Car cœur noirci désire vengeance, et, à quelque part, Rumple avait dû payer.  

Cependant, ce ne sont pas ses propres explications qu'il veut entendre aujourd'hui. Ce sont celles de la méchante reine. Il peut se flatter de comprendre, mais comprend-il réellement? Il lui fallait l'entendre de sa bouche. Peut-être que ce serait comme retourner le fer dans la plaie. Masochiste, un peu. Mais toujours pour parvenir à une fin. « Je veux seulement discuter, dearie. » Mais jamais sans but. « Je veux savoir une seule chose. Une seule et très simple chose... Pourquoi? » Toujours appuyé sur le bois. Paumes confortables. Regard sérieux, loin du Rumple d'autrefois. Quelque part, il doute. Veut-il vraiment savoir? Enfin, la colère gagne sur l'incertitude. Traits durcis, presque neutralité. Dangereux entre-deux. Se redresser, légèrement. Se détendre et se crisper à la fois. Rumple avance la tête, un tout petit peu. Ses doigts le démangent. Il pourrait faire glisser vers lui la chaise la plus proche. S'asseoir, croiser une jambe. Accoter un bras, prestance nonchalante. Mais il se retient. « J'ai tout mon temps. » Moquerie dissimulée, vieille habitude dont il ne peut se défaire. Dont il ne veut se défaire, peut-être? Il sait qu'il retrouvera Belle, une fois la discussion terminée. Il n'a pas réellement tout son temps, mais il organise celui-ci à son gré.

Que voulait-il à la fin ? L’attitude du prêteur sur gage suscitait un millier de question dans l’esprit de Regina. Elle le connaissait désormais suffisamment pour savoir qu’avec lui, rien n’était laissé au hasard, tout était calculé jusqu’à la moindre inspiration. Elle s’était faite berner et manipuler par lui, comme beaucoup, elle savait désormais à quoi s’en tenir. Leur relation avait toujours été d’une nature étrange. Ceci dit, Rumpelstiltskin avait-il déjà eu une relation normale avec quelqu’un ? Sauf peut-être avec Belle ? De quoi se plaignait-il ? Lui au moins, il l’avait retrouvé son grand Amour. Pourquoi voulait-il tourmenter son ancienne élève alors qu’il avait Belle, la seule à lui faire confiance et croire en lui ? Regina était amère, elle le savait, mais elle avait bien du mal à être autrement face à cet individu qui se plaisait à se jouer d’elle. Madame le maire n’avait ni le temps ni l’envie de jouer aux petits jeux du Ténébreux. Le temps parut soudain bien long à l’ancienne méchante reine, le temps que l’obscur n’en vienne aux faits. Il voulait discuter. Sans blague ?

- Discuter ? Répéta Regina, incrédule.

La belle brune croisa les bras. Mr Gold ne discutait jamais sans but, jamais sans une idée bien précise en tête. Quelle était cette idée ? Quelle erreur espérait-il la voir commettre pour ensuite la faire se retourner contre elle ? L’attitude de son ancien maître de magie ne rassurait pas Regina. Non pas qu’elle ait peur de lui, mais surtout qu’elle se demandait ce qu’il avait en tête. Il voulait savoir « pourquoi » … Pourquoi quoi ? La maire de Storybrooke haussa un sourcil.

- Vaste question, que je pourrais te retourner sur tout un tas de sujets. Mais vois-tu, je n’en ai pas envie. Alors viens-en au fait. Tu choisis mal ton moment. Pourquoi n’es-tu pas venu me demander tous les « pourquoi » du monde quand j’en avais le temps ?

C’est vrai, depuis la levée de la malédiction, puis l’arrivée des « réfugiés », il avait eu plusieurs mois pour venir l’ennuyer, pourquoi choisir ce moment, celui où la peine, le chagrin, le deuil la faisait souffrir dans chaque parcelle de son être ? Sans doute encore l’une des preuves de son sadisme avéré.

- J’imagine que tu fais allusion à Belle ? Pourquoi je t’ai fait croire qu’elle était morte ?

Regina soupira, exaspérée.

- C’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité, pour reprendre une expression de ce monde. Bien, tu veux savoir pourquoi ? Je vais te le dire. J’avais bien compris, depuis longtemps, que tu te servais de moi, tu voulais que je lance ton Sort Noir pour ma vengeance, me laissant tuer mon propre père parce que tu n’avais pas le courage de toi-même ôter la vie à la personne que tu aimais le plus au monde. Alors, j’ai trouvé qu’il était juste que je ne sois pas la seule à perdre quelque chose. J’ai fait passer Belle pour morte en l’envoyant dans un autre royaume où la malédiction ne la prendrait pas. Rassure-toi, je lui ai aussi fait croire que tu étais mort, ajouta-t-elle avec un léger sourire en coin.

La noirceur était si tentante, ce serait si facile de sombrer à nouveau. Non, elle devait résister. Son sourire s’effaça.

- J’ai fait beaucoup d’erreur dans ma jeunesse, aveuglée par mon chagrin et ma colère, je ne veux plus refaire les mêmes. Aujourd’hui, tu as retrouvé Belle, et moi j’ai perdu Robin. Ne crois-tu pas que la roue a suffisamment bien tourné pour toi ? Que veux-tu de plus ?

Certes. Vengeance accomplie. Légitime. Réponse attendue, sans surprise. Mais affirmée de la bouche d'autrui. Plus que simple spéculation. Vérité. Elle avait raison. il avait eu amplement le temps de passer discuter. Mais il lui en avait fallu plus pour se réadapter. Apprendre à vivre avec Belle. Il n'avait jamais réellement eu l'occasion de le faire... En tant que couple, du moins. Se défaire, progressivement, de sa béquille. Commettre des erreurs et les réparer. Vivre, un peu, ce nouveau bonheur retrouvé. Rumple inspire, discrètement. Pose ses yeux autour, puis les plonge dans ceux de la reine. Ressent sa souffrance. Autrefois il s'en serait contenté. S'en serait, peut-être même, réjouit. Mais certaines choses changent une vie. La colère gronde toujours. Noirceur terrible qui coule dans ses veines. Fait battre son cœur. Mais elle côtoie maintenant l'amour. Il ne peut changer sa nature, mais remarque certains changements. Sentiments. Élans. Comme un baume sur une plaie, qui calme la douleur temporairement. Sourire mesquin s'adressant à lui. Ténèbres tentateurs, vite réprimés. Sourire effacé de la reine, réduisant à néant la fébrilité, née de l'idée d'un jeu dangereux. Il vivait, autrefois, pour cet état. Adrénaline, noirceur, magie. Jeu de force, de pouvoir. Mesquineries.

« Je ne crois pas, dearie, que tu aies fait uniquement des erreurs. » Si facile à dire, pour la main dirigeant le pion. Il devait admettre qu'elle était une création dont il était fier. Mais une création qui l'avait, également, mis en danger. Yeux plissés. Faire mine de réfléchir. Détester s'ouvrir. Avouer. « Il est vrai, toutefois, que certaines choses ont tourné en ma faveur. » Concession arrachée. Mots durement prononcés. Gorge brûlée. Rumple esquisse un demi-sourire. Simagrée. Vieille habitude récupérée, voile derrière lequel il peut se cacher. Il ne possède toujours pas ce que l'on appelle le courage. Dans certaines situations, peut-être. Mais le plus dur est de faire face à soi-même, en étant face aux autres. 

Ce qu'il veut le plus, outre la vengeance, c'est retrouver son fils. Mais il ne peut se permettre d'en parler. Il ne peut, non plus, avouer ses désirs de torture les mieux enfouis. « Je te l'ai dit, je veux seulement discuter. » Sourire en coin, sans effort pour le dissimuler. « Pourquoi » est une question large. Autant en profiter. Pourrait-il, d'une manière ou d'une autre, faire revenir Robin? Il lui faudrait, pour cela, avoir plus de détails. Endetter la reine serait toutefois plus compliqué. Il y réfléchirait plus tard. Il aura, un jour, cette douce vengeance. De quoi meubler une partie de son éternité.

Le Ténébreux se retient. Des mots se bousculent dans sa tête, sombres formules. Fiel à déverser, haine contenue. « J'ai promis bien des choses à Belle, je devrais donc me tenir tranquille. » Échapper, en murmurant. « En théorie... » Tirer, d'un bras, une chaise. L'installer devant le comptoir, puis s'en saisir d'une deuxième. La déposer à côté. Geste d'une main, invitant à s'asseoir. Éviter, toutefois, de faire venir par magie du thé. Gage des paroles prononcées. « Il semblerait que ce soit le temps des explications. » Plus ou moins. Mais il a du temps à tuer. Et aime les histoires bien racontées. Particulièrement ce qui se cache dans les détails. « Retournons-nous la question, alors. » Coude accoté. Prestance nonchalante. Dos bien calé au dossier. Prêt à s'adonner à quelques jeux de la pensée.

L’expérience lui avait appris qu’il était non plus nécessaire mais vital de se montrer prudente avec le Ténébreux. Rumpelstiltskin n’avait pas son pareil pour embrouiller son monde, et bien que résolue à ne pas lui donner ce qu’il voulait, n’importe quelle personne pouvait, en un claquement de doigts, se retrouver avec un contrat à honorer sous peine de perdre gros. Le voyant approcher deux fauteuils, madame le maire sentait que cette entrevue n’était pas près de s’écourter. Elle ne quittait pas des yeux son perfide interlocuteur. Elle lui avait dit la vérité, une ignoble vérité qu’il voulait entendre de sa bouche. L’ancienne méchante reine pouvait parfaitement le comprendre, à sa place, elle aurait aussi voulu savoir. Cependant, elle se doutait bien qu’un tel aveu pouvait rapidement se retourner contre elle. Mais elle n’était pas suicidaire non plus. Elle souffrait, certes, c’était intolérable, certes, mais elle avait ses enfants, et celui à venir. Elle ne pouvait ni laisser les ténèbres la gagner en entrant dans le jeu de Gold, ni le laisser la tourmenter, moralement ou physiquement. Regina le savait, elle devait se montrer plus forte. Mais il excellait dans bien des domaines, ce fourbe de ténébreux. Elle l’entendit parler des promesses faites à Belle. Son ancienne servante était la bonté incarnée, une vraie héroïne à l’instar de Blanche-Neige, le genre qui lui avait donné la nausée durant bien longtemps, ne supportant que peu toutes ces mièvreries de gentillesse. Néanmoins, madame le maire devait bien se rendre à l’évidence que si elle était toujours en vie après l’aveu qu’elle venait de faire, elle le devait fort probablement à Belle French qui avait sans doute fait promettre à Rumpel d’éviter toute vendetta. Le « en théorie » qu’il avait ajouté n’avait cependant rien de rassurant. Regina s’assit prudemment sur le fauteuil proposé, sans quitter son ancien maître de magie des yeux.

- Soit. As-tu quelque chose à me dire ? Cesse de parler par énigme, Gold, je n’ai pas le temps pour tes petits jeux. Peux-tu accepter de faire table rase du passé, ou veux-tu t’entêter dans une vengeance qui pourrait potentiellement te faire perdre gros ?

Belle n’apprécierait sans doute pas que sa « bête » ne respecte pas sa parole. Une promesse était une chose importante dans le monde d’où ils venaient.

- As-tu au moins obtenu ce que tu voulais ?

Voilà des mois que la magie était revenue. Avait-il pu s’en servir pour retrouver son fils ? Après tout, le but de tout ceci, le Sort Noir, la manipulation dont Regina avait été victime pour jeter la malédiction, tout ceci n’avait pour but que de retrouver Baelfire.

Discussion presque tranquille. Confortablement assis, maître des lieux, mais pas de ce qu'il ressent. En apparence, peut-être. Mais les apparences ne sont souvent qu'un mince voile, réalité le perçant ici et là. Particulièrement face à quelqu'un que l'on connaît. Ou qui nous connaît. Peu importe. Rumple sait que Regina se doute probablement de quelque chose. D'une quelconque intention, aussi floue soit-elle. Sourire calmement, satisfait de la tournure des événements. Pour l'instant. Il renvoyait la question en général, mais ne voit pas de mal à répondre à un questionnement plus précis. Regard posé sur son interlocutrice. Mains pratiquement immobiles. Visage étrangement détendu.

« Je n'avais pas pour intention de parler en énigmes. C'est peut-être toi qui en voit où il n'y en a pas, dearie. » Pique sans signification particulière. Pour le plaisir, simplement. Se divertir. Satisfaire une partie de ses envies de meurtre, en empruntant la voie de la répartie. « Tu m'excuseras, mais comme tu peux toi-même t'en douter, il n'est pas facile de faire table rase du passé. » Yeux qui se plissent en parlant, muscles tendus sur l'arrête du nez. Expression prenant vie avec les paroles, mourant dans le silence. Léger mouvement de tête accordant plus de poids aux mots lancés sans tact, mais avec une étrange délicatesse. Une sorte de douceur amère, préliminaire d'une plus violente mesquinerie destinée à voir le jour plus tard. Bien plus tard. Nul besoin de jouer cartes sur table pour le moment. « Il semblerait toutefois que je me sente plus sensible à ce genre d'élans. » Regard rapidement dérobé, dérivant l'espace d'un instant vers l'armoire où est rangée la précieuse tasse. Belle y est certainement pour quelque chose. Il ne renonce aucunement à une vengeance. Mais il sait que celle-ci n'est pas pour bientôt. Nul besoin d'amener ces réflexions à l'oreille de qui que ce soit. Secret sans en être un, peut-être. Mais secret tout de même. « Je ne sais pas s'il est réellement possible de faire table rase... Disons que je pourrais enterrer la hache de guerre. C'est une image qui me semble mieux adaptée à la situation. » Tâter le terrain en même temps. Chercher à déceler les failles. Les limites. Les points sensibles où le bris est possible.

Acrobaties délicates. Ne dévoiler que ce qui est sans risque. Ne pas trop parler. Du moins, ne pas trop parler de soi. Répondre, sans réellement le faire. Tout se joue dans la formulation. Agencement de mots offrant plusieurs ouvertures. Panoplie de réponses possibles. Rester vague sans l'être. Encore l'art du paraître. Vital lorsqu'il est question de sujets délicats. « Oh, je suis en train de l'obtenir, dearie. » Sourire à demi. Certes, il lui faudra travailler encore un peu. Le processus est entamé, mais la démarche n'est, pour l'instant, pas très avancée. Mais l'avouer ne servirait pas ses intérêts. Mentant comme il respire, Rumple n'éprouve aucune difficulté, ni aucun remord, à jouer avec les mots. Une autre vieille habitude dont il sera difficile de se défaire, pour ne pas dire suicidaire. 

Il serait trop simple de demander à Regina ce qu'elle désire. D'un côté, parce que Rumple a déjà une idée de la réponse. De l'autre, parce que ce serait faire preuve d'un manque cruel de subtilité. « Dis-moi, dearie... À quoi t'attendais-tu en venant ici? » Curiosité innocente. Conversation de salon. Question sans intérêt. Simplement histoire de tester. Découvrir des choses, quelles qu'elles soient. « J'ai cet étrange sentiment que tu attendais quelque chose que tu ne trouves peut-être pas... » Hausser les épaules. Nonchalance. « Mais il se peut que je me trompe. » Introduction d'une pensée à implanter. « Mes suppositions ne sont pas toujours exactes... » Paroles chuchotées, comme à lui-même. Audibles, tout de même. Destinées à être entendues. Suggestion erronée.

Gold et Regina, c’était une histoire compliquée. Si aujourd’hui elle s’en méfiait comme la peste, il était une époque où, encore jeune et naïve, elle lui faisait confiance. Aujourd’hui, l’eau avait coulé sous les ponts, il s’était passé énormément de choses et l’un comme l’autre s’étaient tiré dans les pattes, si bien qu’il était impossible pour l’ancienne méchante reine d’avoir une confiance aveugle en Rumpelstiltskin. Elle avait voulu lui donner une leçon en éloignant Belle de lui, et même si aujourd’hui sa chère et tendre était en vie et avec lui, il y avait fort à parier que le ténébreux ne laisserait pas passer l’affront. Pourtant, il avait retrouvé sa princesse voilà plusieurs mois, et elle était toujours en vie. C’était bien que le petit rat de bibliothèque avait une bonne influence sur lui et que probablement elle lui avait fait promettre de ne pas se venger. Seulement, Regina le connaissait, ce crocodile, et tôt ou tard, il trouverait une parade. Elle se sentait de plus en plus mal à l’aise dans cette obscure boutique où pourtant elle était venue maintes et maintes fois au cours des vingt huit années précédentes. Peut-être avait-il raison, peut-être cherchait-elle des énigmes où il n’y en avait pas, peut-être était-elle en pleine crise de paranoïa. Elle soupira en le regardant droit dans les yeux.

- Bien, tu deviens sage. Écoute, je t’ai fait du mal, j’en ai conscience et j’en suis désolée. J’ai changé, et je sais que toi aussi tu as changé. Belle est avec toi désormais, elle va bien. Je sais que tu vas continuer à m’en vouloir, je doute que tu sois capable de pardonner malgré ce que tente de t’inculquer ta promise. Alors faisons cela, enterrons la hache de guerre. A quoi bon s’obstiner ?

Le sourire de Gold n’augurait rien de bon. Qu’avait-il en tête ?

- Je suis ravie que les choses aillent comme tu veux. As-tu retrouvé Baelfire ? Pour répondre à ta question, je ne le sais pas. Tu m’as demandé de venir, je suis venue. J’imaginais que tu avais quelque chose d’important à me dire. Je vois que tu as plutôt du temps à perdre. Malheureusement, je n’en ai pas autant.

Il sous-entendait. Encore. Regina remit une mèche de cheveux derrière son oreille, se demandant à quoi il faisait allusion.

- Que pourrais-je bien attendre de toi ?

La seule chose qu’elle voulait était qu’on lui ramène Robin, mais même le ténébreux ne pouvais ramener les morts. Elle l’avait bien vu avec Daniel. Et elle n’aurait plus l’inconscience de passer un marcher avec lui. Regina serait toujours méfiante vis-à-vis de lui désormais. Il était dangereux, elle le savait, et elle avait commis une grossière erreur en voulant le remettre à sa place par le passé. Son égo l’avait emportée. On ne l’y reprendrait plus.