L’été était revenu en ville, le soleil faisait fondre la neige rapidement, ne laissant comme preuve de ce dérèglement météorologique qu’un quelques amas de neige dans les zones les plus ombragées. Malgré la victoire que nous avions eu fasse à la menace inédite que représentait Emma, je ne parvenais pas à me réjouir de cette dernière. Un comble pour une pirate non ? La raison de ce sentiment de victoire amère ? La mise dans le coma de la Reine Blanche. Certes, je ne l’avais vu qu’une fois et en cela je n’avais pas eu le temps de m’y attacher, cependant Durnik lui adorait cette femme. Il n’avait pas réussi à la sauver. Ce n’était pas faute d’avoir tenté de réveiller la jeune femme, mais rien de ce qu’il avait pu faire avait pu faire revenir l’esprit de Juliette dans son corps encore bien en vie. J’avais assisté à la scène où Durnik avait appris la nouvelle à son mari et pour la première fois de ma vie j’avais vu le cœur d’un homme se briser sous mes yeux.

Voilà deux jours que tout était arrivé et Durnik ne parvenait pas à retrouver le moral. J’étais obligée de me rendre à l’évidence, je n’étais pas en capacité de lui faire oublier cette mésaventure. Sa femme aurait sans doute su quoi faire mais elle était morte et bien que pour la première fois de ma vie j’avais ardemment désiré entendre la voix de cette dernière pour lui demander conseil je n’avais pas eu le moindre indice. Je n’avais plus qu’une seule carte à jouer et c’était celle de sa fille. Malheureusement, notre dernière rencontre avait été assez glaciale et j’en étais la seule responsable. Je voulais qu’elle m’aide à remonter le moral de Durnik et pour ça je n’avais pas beaucoup de solution possible : il allait falloir que j’aille m’excuser de mon comportement. Dieu sait combien je haïssais cette idée. Pourtant, j’étais bien devant cette boutique de jouet. Depuis deux minutes certes, mais j’allais entrer il suffisait que je respire un bon coup et que je me lance. A travers les vitre j’apercevais la demoiselle en train de ranger les jouets et je passais les portes, me dirigeant vers elle je me lançais légèrement hésitante :

« Bonjour Ariane, … Est-ce que je pourrais vous interrompre un court moment ? »

 

  Ravaler mon orgueil et ma fierté était une chose particulièrement compliquée pour moi. Presque aussi compliquée que ça l’était pour moi d’avouer que j’aimais Durnik. Je ne l’aimais pas comme j’avais aimé Vlad. Avec Vlad c’était une histoire de possession, un désir fou qui avait fini par me tuer. Avec Durnik c’était plus simple, nous ne nous étions jamais touchés, enfin sauf pendant ce combat où il avait posé sa main sur ma joue et les enfers ne s’étaient pas déchainés dans mon esprit. En mon sens c’était une preuve. Une preuve que je devais continuer d’explorer cette piste. Je brulais d’envie de l’interroger davantage mais je refuser éperdument qu’il ne soit pas lui-même face à mes questions. Je voulais qu’il aille mieux. Ariane était hésitante encore et toujours, soit je l’impressionnais vraiment soit cette fille était la plus timide de toutes les filles que j’avais rencontré. Suivant son regard vers la porte fermé je fronçais les sourcils.

« Oui si vous voulez »

Concédais-je en concluant que son macho de patron devait se trouver derrière la fameuse porte et qu’elle était apeurée à l’idée de se faire réprimander. Qu’est-ce qu’il ne fallait pas faire, songeais-je tout en faisant semblant de regarder des peluches. J’en prenais une en forme de lion et la regardais sous toutes ses coutures en me lançant dans la gueule du lion (sans mauvais jeux de mots)

« Il semblerait que l’autre soir j’ai été un peu dure avec vous je tenais à m’en excuser … »

J’avais dit cela avec rapidité, comme si le dire plus rapidement allait parvenir à moins me bruler la langue. Mais au moins c’était dit, grande fille Lucy c’est bien, me félicitais-je intérieurement.


 

  Papa, j’avais toujours autant de mal avec ce sobriquet qu’elle lui avait donné. Certes il n’était pas son père biologique, mais au moins elle en avait un même spirituel. Je n’avais jamais eu cette chance. Il n’y avait qu’une fois dans ma vie où un homme s’était fait passer pour mon père et ce n’était qu’un subterfuge au final. Une blague ni plus ni moins, alors une fois encore je me mettais à jalouser Ariane. Quand ce n’était pas pour sa prétendue proximité physique avec Durnik c’était pour son lien amical. J’étais complètement désespérante.

« Navrée, ma présence ne sera plus un problème. J’ai été quelque peu prise de cours la dernière fois. J’ai conscience que cela n’est pas une excuse mais malheureusement, je ne peux pas m’en trouver d’autre pour justifier mon comportement. »

Sans compter que je n’allais pas déblatérer là-dessus pendant des heures. Le simple fait que je m’excuse relevait de l’exploit alors en plus je n’allais pas exprimer mon amour pour mon colocataire devant sa fille, même s’ils n’avaient pas le même ADN. Surtout qu’au final je n’étais pas venue pour cela. Il y avait plus important que de me faire des amies. Alors que je reportais mon attention sur une autre peluche, je faisais semblant de demander des conseils à Ariane en lui présentant la peluche comme j’avais pu faire lors de la vente d’objet illégaux sur le Revenge

« Je ne viens pas pour moi »

Répondais-je à la demoiselle qui était d’une générosité presque déconcertante. A sa manière elle ressemblait à Mina, était-ce cette ressemblance intellectuelle qui me poussait à la jalouser ? Aucune idée.

« La ville a été recouverte de neige il y a quelques jours. C’était dû à une force magique qui s’était emparée de l’esprit de Juliette White-Queen, la reine blanche. Quand on a découvert l’objet du dérèglement climatique, Durnik a essayé de libérer son amie et tout ne s’est pas passé comme prévu. Le lien d’asservissement a été rompu mais Juliette ne s’est jamais réveillée … Depuis Durnik n’est plus le même. Je n’arrive pas à lui faire retrouver son entrain naturel… »

Baissant la tête pour dissimuler ma tristesse, autant vis-à-vis de Durnik que de la fameuse reine qui avait été bonne avec moi, je prenais un autre jouet pour enfant. Celui qui représentait visiblement la princesse Raiponce tout en ajoutant :

« Je ne suis pas douée pour l’empathie. Il vous aime, alors peut-être que vous vous pourriez réussir là où j’échoue ? »

 

  Avouer mon incapacité à faire en sorte que Durnik aille mieux me mettait dans un état d’agacement certain. Jalouse, mais également touchée dans ma fierté je demandais donc à la fille spirituelle de Durnik de me prêter main forte. Cette dernière m’apprit qu’il m’aimait également énormément et je m’humectais les lèvres en haussant les épaules. M’aimer ? Ça il le pensait, mais j’avais toujours du mal à accepter cela. J’avais renoncé à l’amour et à l’idée d’être aimé, et je devais avouer que j’avais peur que cela finisse comme avec Vlad.

« Vous êtes déjà meilleure que moi dans ce domaine »

Ça elle ne pouvait pas le nier. Si elle n’était pas (d’après ses critères) un modèle de sympathie elle devait vraiment se dire que j’étais la pire peau de vache qu’il existe. Cette simple pensée me fit frissonner. L’amour m’avait tué une fois, et je n’étais pas certaine de pouvoir aimer sans me détruire moi-même. Reposant le jouet que je faisais semblant d’examiner, j’entendais la demoiselle me dire qu’elle me suivait. Une victoire, j’étais déterminée à la faire venir avec moi, mais j’avais cultivé l’espoir de ne pas avoir à la supplier. Je la laissais organiser son départ et une fois hors du magasin j’ajoutais :

« Par contre, je ne veux pas qu’il sache que je suis à l’origine de votre venue, vous aurez qu’à dire que vous êtes venue par vous-même »

Pourquoi cela je n’en savais rien, mais je préférais rester en dehors de cette histoire. C’était certainement dans un but de garder encore un peu ma coquille de femme guerrière, inatteignable et forte . De retour chez Durnik je la laissais gérer.

 

  « Je ne vous demande pas d’être en accord avec moi, contentez-vous de faire de que je vous ai demandé. »

Répondais-je tout en lui tournant le dos pour saisir la corde que j’avais accroché à ma fenêtre. Une part de moi savait qu’elle avait raison, mais je ne voulais pas mettre Durnik mal à l’aise, ni même profiter de la situation. Je tirais sur cette dernière pour m’assurer que mon nœud tenait encore. Ariane était en train de frapper à la porte en s’annonçant et je grimpais avec aisance en usant de la force de mes bras. La piraterie m’avait appris plus d’un tour de passe-passe, en quelques secondes j’étais dans ma chambre et j’enroulais la corde que je rangeais dans l’armoire avant de prendre un livre et de m’asseoir sur mon lit en faisant mine d’être occupé alors qu’en réalité j’écoutais ce qu’il se passait à l’étage. Il fallait qu’Ariane réussisse à remonter le moral de Durnik. Il fallait qu’elle lui fasse oublier le fait que son employée et amie était dans le coma parce que sa magie avait été un peu trop intrusive. La magie était incontrôlable.

« Et toi la voix qui passe mon temps à me pousser vers lui, tu ne peux pas l’aider ou me dire quoi faire ? »

Pestais-je avant de poser mon livre et de sortir de ma chambre pour aller jusqu’au salon mine de rien.