La rumeur d’un mariage prochain avait couru tous les royaumes adjacents. Une nouvelle tête couronnée qui prenait place sur un trône ce n’était jamais mince ragot, et cela avait au moins la décence de rendre les gens plus prompts à mettre la main à la bourse ! S’il était vrai que la légalité du monde courant n’était pas toujours la préoccupation première de la cour des miracles, ils ne crachaient jamais sur un peu d’argent dûment gagné. De plus, tout prétexte au voyage était bon à prendre et plus encore si cela voulait dire croiser sur la route des bohémiens établis dans d’autres villes ! Clopin n’était pas homme à se montrer pour le plaisir d’étendre la réputation de son nom dans les mondes souterrains, mais les festivités qu’accompagnaient inévitablement de longues retrouvailles étaient un prétexte suffisant pour préparer leurs verdines au voyage qui les attendait.

Bon, en l’occurrence la route ne serait pas trop longue. Se rendre jusqu’à la forêt enchantée était un trajet qui leur était assez commun –quoique depuis que la reine Regina avait pris le trône local et persécutait plus encore qu’à l’accoutumée les tsiganes vivant là il leur fallait redoubler de prudence lors de leurs voyages– et les routes détournées connues depuis longtemps déjà. C’est pourquoi ils arrivèrent aux abords du château en fête, comme prévu, près d’une semaine avant les épousailles. La ville était déjà en pleine célébration, entre les préparatifs et les premiers ébats selon les avancées des spectacles proposés. Un large sourire étirait les visages de Clopin et ses compagnons à cette vue ; ne manquait à toute cette organisation qu’un peu de créativité toute bohémienne.

Comme de coutume à leur arrivée sur les lieux, bien qu’ils aient laissé leurs roulottes quelque peu à l’extérieur de la ville, les avis des gens à leur encontre semblaient mitigés. D’un côté, leurs mains se plaquaient naturellement sur la bourse pendue à leur hanche pour laquelle ils craignaient à leur simple vue, de l’autre la qualité de leurs divertissements était suffisamment réputée pour que l’anticipation des réjouissances à venir fasse d’ores et déjà briller leurs yeux. C’était toujours un instant de flottement dont Clopin ne se lassait jamais, tandis qu’il se penchait ça et là au-dessus d’un enfant pour l’amuser de ses marionnettes, que ce mélange de révulsion et d’attrait qu’éprouvaient ces étrangers à leur encontre.

Mais cette journée leur avait surtout été utile afin de se familiariser avec les lieux, et tous fatigués qu’ils étaient de leur voyage avaient rapidement pris congé des citadins pour s’en retourner à leurs verdines. La journée n’étais pas encore tout à fait achevée et un soleil pourtant timide réchauffait encore les terres, aussi un grand nombre des saltimbanques en profitait pour échauffer leurs poignets au jonglage, faire quelques passes en échasses…

Leur chef, après s’être quelque peu dégourdi à leurs côtés, avait décidé que vérifier les décors de ses spectacles de marionnettes pourrait attendre après qu’il se soit dégourdi les jambes également, emportant avec lui des lames de jonglage (qui, accessoirement, lui servaient aussi à se défendre si d’aventure il en avait la nécessité) tandis qu’il partait explorer la plage non loin de leur lieu de camp. Les accessoires solidement accrochés à sa ceinture, il s’était d’abord laissé aller à quelques cabrioles dans le sable (qui était certes pratique pour amortir les chutes -qui ne lui arrivaient plus depuis longtemps bien évidemment !- mais beaucoup moins pour ce qui était d’une vraie pratique. Trop… mou, voyez-vous) puis s’était finalement trouvé un endroit qui lui plaisait suffisamment pour qu’il s’amuse plus sérieusement à jongler.

J’étais heureuse d’épouser Eric. Après tout ce que nous avions traversés, aujourd’hui nous étions là, l’un pour l’autre. Eric avait compris que je voulais passer du temps à Atlantica avant de me marier, il l’avait bien compris et m’avait même accompagné plus d’une fois. Les préparatifs pour un mariage, c’est long alors j’avais besoin de temps pour me retrouver et quoi de mieux que ma caverne aux merveilles au fond des flots ? Ce jour venu, Eric était resté sur terre pour s’occuper des derniers préparatifs, beaucoup lui demandait où se trouver la Reine, il répondait sous les flots.

Ce qui est vrai, j’y passais du temps, je dois avouer que je paniquais un peu à l’idée de devenir Reine, j’étais toujours apte à être une bonne princesse mais c’est sans doute ainsi que vont les choses alors il allait falloir que je m’y attelle et puis de toute manière, je ne serais pas seule, Eric serait à mes côtés. Après être venue voir papa, j’étais repartie d’Atlantica et me voilà, nageant pour retourner à la surface. Il y a une chose qu’il faut savoir, depuis que papa m’a donnée des jambes, je retrouve mes jambes une fois sur Terre, il me suffit de frapper ma nageoire sur le sol. Mais habituellement, j’attends toujours d’être belle et bien seule pour reprendre mon apparence. Les habitants de notre royaume connaissent notre existence, ils savent tous que leur future reine est une sirène mais les étrangers, eux l’ignorent et pour l’instant, il était sans doute mieux que ce soit ainsi.

Arrivée à la surface, je sors la tête de l’eau et regarde l’homme au loin, sur le sable, jonglant. Intriguant. Oui, il l’était véritablement. Cependant, le soleil commençait doucement à s’endormir mais offrait encore une belle chaleur à notre royaume et il avait l’air d’en profiter. Mon regard se porta sur le chateau d’Eric. M’attendait-il ? Sans doute. Je ne connaissais pas cet homme qui jonglait mais ma curiosité se voyait soudainement intrigué, il fallait absolument que je rencontre cet homme. Il était sur nos terres, peut-être avait-il entendu parler du mariage ? Replongeant des les flots, je nage jusqu’à la rive.

« Bonjour. » déclarais-je alors que je lui faisais face, ma nageoire toujours sous les flots.

Oui j’étais toujours sous ma véritable apparence mais dans peu de temps, il comprendrait que je suis la future reine du royaume, cependant comment allait-il réagir quand il ferait le lien entre la sirène et moi ? Je lui souris, attendant une réaction de sa part.