J’avoue. Le moindre prétexte à la baston était pour moi prenable au risque de me taper un blâme. Je suis tenté de dire, qu’on ne change pas les « bonnes » vieilles habitudes, mais je ne suis pas sûr que le Capitaine soit adepte de ce mode de pensée. Et je le vois déjà jubiler en me demandant, une fois n’est pas coutume, de déposer sur son bureau, plaque et insigne, avant de gentiment me congédier vers d’autres horizons. Mais cette fois, plus que les autres, j’avais une bonne raison de faire parler mon crochet du gauche. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais certainement pas remettre en question mon intégrité. La police était ma famille et j’étais ainsi prêt à tout pour la protéger. Et je n’avais à l’égard des trous du cul corrompu, aucune tolérance. Impitoyable ? Oui, mais j’avais mes raisons. Et tant pis si je liais le professionnel au personnel. Mes statistiques parlaient pour moi. J’avais beau être un connard, je n’en demeurais pas moins un bon flic.

J’avais donc fortement incité Dean à m’attendre dans la voiture, même si je doutais qu’il accepte une fois encore de rester sur la touche. La fougue de la jeunesse dira-t-on. Ouais bah s’il pouvait la modérer sa fougue, ça m’éviterait de devoir jouer les baby-sitters. Enfin bref, ça n’était pas ma préoccupation première.

L’amateur de café colombien dont le nom m’échappait encore, avait pénétré le Poisoned Apple d’un pas décidé, trop pour que cela ne soit pas louche. Et puis la pancarte précisait bien que l’établissement était fermé. Alors que venait-il foutre ici ? J’allais vite avoir une réponse, car me voilà à l’intérieur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la conversation n’était pas sereine. D’ailleurs, il y avait-il une conversation à en juger par le balai que tenait encore la gérante des lieux, espérant ainsi mettre à mal la progression de ce pourri qui bougonnait une colère inutile puisque je n’avais encore rien fais pour sceller son sort.

La gérante, Roni il me semble, perdit son balai et s’arma d’un tabouret qui ne sembla pas mettre à mal la progression du pourri. Il voulait régler ses comptes et il n’avait rien trouvé de mieux que de s’en prendre à une femme. Bravo ! Sans trop réfléchir, car ça n’était pas ma spécialité, je me précipitais sur le trou du cul qui se retourna aussitôt, surprit d’une telle approche. Il eut à peine le temps de prononcer mon nom que mon poing s’abattit sur sa tronche.

« - Si tu as des comptes à régler c’est avec moi. » Il cracha du sang et une dent me faisant entendre que ce n’était pas ce que je croyais, que l’on pouvait trouver un arrangement. Il trouvait ça marrant, vraiment ? Mon regard se posa alors sur la commerçante. « - Ça va ? » demandais-je avant que l’autre enflure ne tente une attaque en traitre. J’eus tout juste le temps de me décaler, le déséquilibrant sans difficulté. Je pris aussitôt l’un des tabourets à disposition avant de m’assoir au-dessus de lui, l’empêchant ainsi de tenter quoi que ce soit. « - Je suis sûr qu’à Rikers, ils seront contents d’accueillir un poulet adepte de poudre blanche. » Je sortis alors mon portable pour lui montrer les clichés compromettants. « - Pour ta gouverne, la demoiselle n’a même pas eu besoin de m’appeler. La prochaine fois que tu traites avec des requins, assure-toi d’avoir un bassin assez gros pour nager. »

Dans un timing parfait, ma jeune recrue fit son apparition. « J’ai appelé des renforts juste au cas où. » lança-t-il surpris de me voir assis sur un tabouret au-dessus de notre homme. « - Tu as bien fait gamin. Viens donc passer les menottes à ce pourri. Ça te fera une première expérience. » Ce qu’il fit presque tout excité. « - La situation est donc maitrisée. » lançais-je « - Moi c’est Bobby Arrow ! J’ai zappé de me présenter tout à l’heure. Enfin bref, si vous allez bien c’est le plus important. Vous voulez être raccompagné ? Non parce que de vous à moi, la batte c’est dissuasif, mais pas très facile à transporter quand même. »

Dans d’autres circonstances, j’aurais pu trouver ça drôle. Ouais, la grosse marrade, les doigts en l’air et tout le tintouin. Sauf que je n’étais pas réputé pour être un comique d’une part et que la situation était tout sauf drôle. Plus encore lorsqu’il n’est pas question du petit dealer lambda qui évolue tranquillement dans sa petite marre avec les types de son espèce. Non, cette fois il était question d’un flic et pire que tout, il faisait partie de la grande et « belle » famille des stups. Si je pouvais, je l’étoufferais sur place, mais je n’en ai pas le droit malheureusement. Et puis sérieux gars, t’en prendre à la patronne de ce bar, à la fin du service. Lâche jusqu’au bout.

J’étais furieux, comme à chaque fois qu’il était question de corruption. Comment pouvait-il prétendre porter l’insigne en étant si peu digne ? Et irrémédiablement, je repensais à John, assassiné par un type de ce genre. « Au mauvais moment, au mauvais endroit. » C’est tout ce qu’on avait trouvé à dire. Mais je devais prendre sur moi et si l’envie de lui casser la gueule ne me quittait pas, je me devais de faire ce qu’il fallait pour que mes poings restent à leur place. M’enquérir de l’état de la patronne me paraissait ainsi être la meilleure des alternatives pour rester concentré. Mais de toute évidence, elle avait l’air agacé et me regardait avec dédain. Je venais pourtant de lui éviter le pire. Vive la reconnaissance !

Dean fit alors son arrivée et ce malgré que je lui avais explicitement demandé de rester dans la voiture. Ces jeunes ! Celui-là est bon pour un savon et il l’aura, mais plus tard, car présentement j’avais besoin de le voir agir et non pas subir. « - N’hésite pas à serrer les menottes que ce pourri ne s’imagine pas que cela sera une sinécure. »

Après avoir libéré le prisonnier du tabouret sur lequel j’étais assis et laissais Dean œuvrer, mon regard se posa à nouveau sur cette charmante demoiselle auprès de laquelle j’entamais les présentations en bonne et due forme. Et pour une raison que j’ignore, l’espace d’un instant j’eus comme l’impression d’avoir déjà vécu cette scène, une impression qui s’intensifia lorsque ma charmante interlocutrice consentit à me donner son prénom. « - Roni ? » Je me sentais bête l’espace d’un instant, avant de me reprendre, Dean étant parvenu à menotter le pourri. « - Amène-le jusqu’à la voiture, j’arrive ! » Ce qu’il fit sans rien ajouter, me laissant seul avec Roni qui n’avait ni le besoin, ni l'envie d’être raccompagnée.

« - Je… Oui vous avez sûrement raison une batte peut être pratique quand on sait la manier. Vous avez besoin d’aide ? Pas pour magner la batte, mais pour ranger éventuellement ? » Euh… Attendez ! J’ai vraiment dit ça ? Moi, proposer mon aide à une nana ? Vraiment ? Et pourtant je venais de le lui demander. « - On s’est déjà rencontré avant non ? » lançais-je de plus en plus intrigué par mon comportement à son égard.

J’ignorais pourquoi je faisais preuve d’autant d’attention et pourquoi je m’attardais alors que notre pourri attendait dans le véhicule, menotté de surcroit. Et puis, elle m’avait très clairement fait comprendre qu’elle n’avait pas besoin d’aide. D’ordinaire, je n’aurais certainement pas insisté. Vexé d’être éconduit d’une part et n’étant pas le genre a insisté. Pourtant cette fois, j’agissais différemment, sans trop savoir pourquoi, ce qui m’agaçait passablement, au point de me sentir con, mais d’une force !

« - Comment ça je suis galant maintenant ? » Elle avait beau l’avoir murmuré, sa remarque n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Une remarque étrange qui plus est. Ça laissait entendre qu’elle me connaissait et hormis ce soir, je ne crois pas m’être déjà rendu dans ce bar, ni avoir rencontré cette sardonique jeune femme. Le cas échéant, je m’en serais souvenu… enfin je crois. Je la vis reprendre son balai, presque comme si rien n’était, mettant ainsi une bonne distance entre nous. Pourquoi cherchait-elle donc à me fuir ? Aller, je me lance ! Au pire j’aurai l’air d’un fou, ce qui, je pense, ne changera pas l’opinion de mon interlocutrice.
Et alors que je formulais ma question, elle se figea l’espace d’un instant, me faisant comprendre malgré elle, qu’effectivement nous nous étions déjà rencontrés.

« - Non, vu votre réaction, je doute que l’excuse de la grandeur de la ville suffise. » Et alors que je tentais de mettre un souvenir sur ce visage, trifouillant dans une mémoire incertaine et mise à mal par quelques années d’alcoolisme, la demoiselle tâcha de reprendre du poil de la bête en se faisant croire à elle-même, qu’elle avait la situation bien en main avant mon arrivée.

« - Ouais on va dire que vous ne vous en sortiez presque pas trop mal à ceci près qu’il n’allait vous faire aucun cadeau. Quand à la suite, pas la peine de vous ronger les sangs. Je ferais ce qu’il faut pour que vous n’ayez aucun ennui. Maintenant, ils savent que je passe par ici, donc ils ne seront pas assez cons pour revenir. » Puis elle reprit le rangement, me laissant quelque peu perplexe.

« - Écoutez, avant que je parte, faire mon boulot qui plus est, j’ai besoin de savoir. On se connaît n’est-ce pas ? Je pense que ça ne s'est pas très bien passé. Et vu votre aversion, et ne me dites pas le contraire. Ça se sent ces choses-là. Écoutez, je n’ai aucune excuse, vous avez sûrement rencontré le mauvais Bobby Arrow et si je vous ai fait du mal j’en suis désolé. Sur ce, je vais vous laisser, au besoin, vous avez ma carte. » Et sans rien ajouter de plus, je pris la direction de la sortie, tout en dégainant mon portable pour qu’une patrouille passe par ici et surveille les environs le temps que Roni ait terminé de tout ranger. « - Veillez à ce qu’elle rentre chez elle en toute tranquillité aussi. » finis-je par demander en mettant fin à l’appel. Je me retournais une dernière fois pour observer le bar, certain que ce n’était ni la première, ni la dernière fois que je viendrais. Puis je regagnais la voiture, direction le poste pour faire coffrer ce pourri, un de plus.

Merde, il m’avait entendu grommeler… Je secouai la tête l’air de rien. Je voulais juste qu’il dégage, je voulais qu’il m’oublie comme il avait si bien réussi à le faire voilà vingt ans maintenant. Je voulais reprendre le cours de ma vie sans lui dans les pâtes. Je n’avais de cesse de penser à Lyna et combien elle m’en voudrait si elle apprenait que je lui avais menti, que je connaissais l’identité de son père… Mon balais en main, je tâchai de continuer mon ménage. J’avais été derrière le bar prendre des essui-tout pour ramasser la dent pleine de sang tombée de la gueule du pourri quand Bobby lui avait assené un uppercut dans la tronche.

- Vous en avez besoin ? me contentai-je de dire d’un ton ironique avant de balancer le déchet dans la poubelle.

Mais le flic était resté sur mes réactions, il analysait un peu trop à mon goût et il était un peu trop proche de la vérité aussi.

- Je m’en sortais très bien, ça n’aurait pas été le premier tocard que j’aurais mis dehors à coup de batte, alors pas la peine de venir vous vanter d’avoir joué les héros… ou simplement d’avoir fait votre boulot.

Et puis comme si sa présence ici suffisait à me rassurer.

- Ah parce que vous comptez revenir ? ne pus-je m’empêcher de lâcher.

Génial… déjà que j’avais un client de moins en la personne du pourri, et probablement ses acolytes, maintenant tout le monde allait savoir que les flics venaient au Poisoned Apple, et ça, ce n’était pas bon pour les affaires. Je me foutais de servir des bières à des petits criminels de bas étages, un client est un client, tant qu’ils ne faisaient pas leurs magouilles dans mon établissement et qu’ils payaient comptant, ça m’allait… Sauf que maintenant, ça ne risquait plus d’arriver. Je soupirai en reprenant mon ménage lorsqu’il reprit la parole. Putain de merde, il semblait avoir compris. Comment allais-je m’en sortir cette fois ? Seulement, il acheva sa tirade par des excuses qui semblaient sincères en plus, et ça, je ne m’y attendais pas. Je restai donc interloquée tandis qu’il prenait la sortie. J’étais là, plantée au milieu du bar comme une idiote alors que la porte se refermait. J’attendis quelques secondes avant de m’y diriger pour la verrouiller à double tour, m’adossant ensuite contre celle-ci. Que venait-il de se passer ? Il allait revenir, il avait compris qu’on s’était déjà croisés… Je commençais sérieusement à vriller parano… Non, il ne pourrait jamais savoir que ma fille était aussi la sienne. Aucune raison de s’en faire… J’essayais du moins de m’en convaincre en terminant de ranger mon bar pendant une bonne heure, pour ensuite rentrer chez moi, peu sereine.