Bien sûr que je connaissais le Fire Lips. Qui ne connaissait pas le Fire Lips ? J’avais bien trop de collègues qui m’en avait vendu les mérites. Est-ce que j’avais envie d’y aller ? Pas forcément. Ce n’était pas ma première virée au club, l’ambiance était sympa, mais les gars, c’était tellement cher. Je n’avais pas les moyens de traîner dans des lieux pareils. J’avais déjà une ardoise assez conséquente dans beaucoup de bar de la ville pour aller m’endetter auprès des nightclub. Mais bon, c’était les collègues, tout le monde avait envie d’y aller, la paye du mois venait de tomber. Ca allait être une bonne soirée. Et puis merde, hein ? Je trouverai un autre moyen de payer mon loyer ce mois-ci. Je n’allais pas me priver de sortie éternellement non plus.

Alors ouais, je me retrouvais à aller au Fire Lips, avec tout de même l’appréhension d’être refusé à l’entrée. Mais un de mes collègues connaissait apparemment un type qui bossait là, donc pas de problème. Après seulement quelques minutes d’attente nous étions à l’intérieur. La musique était déjà à fond, au final chacun était déjà parti de son côté que ce soit pour aller boire ou admirer les filles. Bien évidemment, mon premier réflexe fut d’aller au bar. Je n’était clairement pas venu pour rentrer en marchant droit chez moi ce soir. Maintenant que j’étais là, l’argent était le cadet de mes soucis, puis plus vite j’aurais de l’alcool dans le sang, plus vite j’oublierai ces histoires de budget.

Un verre en main, la soirée se passait bien, j’en étais à mon deuxième verre de whisky, tranquille. Quand un de mes collègues vint me chercher, me tirant par le bras en me disant qu’un nouveau spectacle allait commencer et il fallait absolument que je vois cette fille là, qu’elle allait me plaire. Je n’osai pas remettre en question la parole d’un connaisseur. Sérieusement, je ne sais pas comment il faisait, mais ce mec venait bien trop souvent au Fire Lips. Quelques secondes plus tard, je me retrouvais donc sur une chaise, face à la scène, avec mes collègues qui parlaient forts, blaguais. Je participais volontiers à la conversation, j’en ratais même le début du show.

Ce n’est que quand tous mes collègues eurent les yeux rivés sur la scène que je tournais mon regard. D’abord indifférent, avant d’être perplexe. Mais non cette fille, c’était Aria ! Les yeux et la bouche grande ouverte, j’entendis mes collègues se moquer de mon attitude. Attendez, il était tous en train de mater Aria, je baver sur ses courbes. Et là, je commençais à râler. Est-ce que je devais intervenir. Je m’étais levé et mes collègues essayaient de me faire rasseoir. Mais je pouvais pas attendre la fin du show. Est-ce que je devais ? Je fini par me rasseoir et mes collègues continuaient de rire en me disant de ne pas m’inquiéter qu’elle n’allait pas partir comme ça.

Mais attendez, il ne réalisait pas ! Ils pensaient que j’avais flashé sur elle alors que… Non ! C’était Aria ! Je n’avais pas vu la jeune femme depuis des années, et la voir ici ! Dès que la chanson fut fini, je poussais tous le monde pour arriver jusqu’à elle, lui attrapant le bras, sans faire attention à la sécurité qui avait commencé à se rapprocher.

- Aria ? Mais… Je… C’était quoi ça ?

Je n’étais pas mieux placé à être un des clients du Fire Lips mais, j’étais trop choqué par ces retrouvailles pour m’en rendre compte. J’étais content de la revoir, cependant j’aurais aimé que ce soit dans un autre contexte. Est-ce que son père était au courant de ça ? Rolalalah… mais ouais, c’était quoi ça ? Qu’est ce qu’elle faisait là...

Cette soirée prenait un tournant des plus surprenant. Comment une telle chose était possible ? De toutes les personnes que je connaissais, Aria était bien la dernière que j’imaginais dans un trou pareil. Et ce n’était pas une simple cliente, non, elle travaillait là, elle dansait, se déshabillait, gagnait de l’argent. Pourtant, je vous assure que je connaissais des personnes peu fréquentables, mais Aria ? Non, c’était la plus adorables de mes connaissances. Tout du moins, c’était comme ça dont je me souvenais d’elle. A croire qu’il s’en était passé des choses pendant ces années d’absence. J’allais définitivement avoir besoin d’explication. Mais apparemment, la jeune femme était aussi étonnée que moi.

Je n’avais même pas remarqué que la sécurité s’était rapprochée et que mes collègues s’étaient mis à siffler aussi en voyant la jolie rouquine m’entrainer avec elle. Je ne préférai même pas imaginer ce qu’il se passait dans leur tête. Sans aucune explication Aria me demanda ce que je faisais là et ne se priva pas de me serrer contre elle. Alors, je n’avais rien contre les signes d’affection, mais elle était toujours à moitié à poil, c’était un peu gênant. En d’autre circonstance, je lui aurais volontiers rendu son câlin, mais là, je n’osais pas bouger, je n’allais pas poser mes mains froides sur son dos nu non plus ! Certes, je doute de choquer qui que ce soit ici. Mais j’ai une conscience vous savez !

Cependant, je dois l’avouer, cette rouquine m’avait manqué aussi. Et malgré la situation, je réussi à lui répondre par un sourire après cette accolade et me laissai entraîner au bar. Je détournais le regard quand Aria commença à sortir les billets de ses sous-vêtements. Sincèrement, est-ce que j’allais la laisser payer ? Ce n’était pas très gentleman, mais, oui, j’étais dans la merde et elle tenait littéralement une pile de billet. Je n’avais pas encore assez bu ce soir pour ne plus me soucier de mon budget. C’est lorsque le serveur nous approcha que je réussi à sortir mes premiers mots depuis quelques minutes :

- Hum, un whisky, merci…

A vrai dire, même sans cette histoire d’argent, j’étais totalement dépassé par les événements. Mais apparemment Aria non, ou alors, pour compenser son choc, elle parlait beaucoup ? Vu que je n’avais pas répondu avant, elle relança ses questions. Allez, Willy, on se reprend en main :

- Ouais, j’ai l’impression que ça fait des siècles mêmes ! Et écoute, non, ça fait un moment que je vis à New York maintenant, je bosse dans une agence d’entretien. De ce que j’ai compris tu connais bien mes collègues.

Je désignai du menton la bande de gars qui étaient devant le podium où elle dansait il y a quelques minutes à peine. Ce qui me rappela la situation dans laquelle on était.

- Attends, t’essayerais pas de noyer le poisson là ? Aria ! Qu’est-ce que tu fais là ? La dernière fois que je t’aie vu tu étais étudiante en biologie, une vraie tête et maintenant, ça ? Sérieusement, tu vas pas me faire croire que t’as pas pu trouver mieux ! Un cerveau comme le tien ! Me dis pas que t’as abandonné les études quand même ! Attends, t’as les moyens de faire plus que de danser autour d’une barre !

Si un autre employé m’entendait parler, il y avait de forte chance pour qu’on me vire du club en un rien de temps. Mais la musique était trop forte. Je doute que qui que ce soit puisse m’entendre en dehors d’Aria, ce qui n’était pas un mal.

Sans que je n’ai mon mot à dire Aria paya mon verre avec un des pourboires qu’on lui avait laissé dans la soirée. Je ne préférais pas imaginer qui lui avait donné ces billets. Puis bon, de l’argent et de l’argent, j’étais assez mal placé pour m’exprimer à ce sujet, d’autant que ça m’arrangeait bien que la rouquine m’offre ce verre. C’était assez pitoyable d’en être arrivé à ce stade, mais passons. La situation était tout de même étrange, j’étais à la fois heureux de revoir Aria, mais en même temps, j’aurais préféré que le cadre soit différent. Après, j’étais là aussi, donc je ne valais pas forcément mieux. Concrètement, je n’avais rien contre ce genre de club, cependant, j’aurais préféré voir la rouquine travailler ailleurs, je sais, c’est sûrement le plus égoïste des raisonnements.

C’était plus fort que moi, il fallait que je fasse la morale à Aria. Elle était comme ma petite-soeur, il fallait me comprendre aussi. Je savais qu’elle avait fait des études, elle méritait mieux que ça ! Pas que je dénigre la profession, mais clairement, Aria méritait mieux que de danser pour des types comme mes collègues. Je ne pu m’empêcher de soupirer en entendant la raison pour laquelle elle était là. Ok, la vie ne l’avait pas épargnée non plus. Mais ça m’énervait qu’elle et ses soeurs soient obligées de payer pour les erreurs de leur père.

- Je ne te juge pas, tu fais ce que tu peux, juste, ça m’énerve. Tu mérites bien mieux que ça Aria. Et si toi t’en est arrivé là…

Je n’avais aucune idée comment finir ma phrase. je ne pouvais pas décemment comparer ma situation à la sienne. J’étais loin d’être devenu un saint. Contrairement à Aria, je continuais à avoir du mal à payer mes factures et à boire comme un trou.

- J’aurais aimé être là pour t’aider…

Je fuyais le regard de mon interlocutrice. Je ne pouvais même pas lui proposer d’aide aujourd’hui, tout du moins, pas d’aide financière, parce que j’étais déjà en train de dilapider l’argent censé payer mon loyer. Clairement, Aria avait plus de raison de me juger que le contraire. Mais ça m’agaçait de ne rien pouvoir faire.

- Si t’avais le choix, tu resterais ici ?

J’avais besoin de savoir, peut-être qu’Aria aimait bien son nouveau job, mais j’avais besoin d’une réponse honnête. Parce que s’il fallait la sortir de là, j’étais prêt à le faire, tant pis pour ce que ça me coûterai. Je n’étais pas le prince charmant qui la ferait fuir sur son cheval blac, mais je pouvait bien trouver un moyen pour l’aider et la sortir d’ici. En attendant, il semblait évident que la jeune femme allait me demander ce que j’avais fait durant ces années d’absence. Je fini mon verre d’un coup avant de commencer :

- Pff, encore une histoire bête. Il y a eu une fille, on voulait se construire un avenir ensemble et on s’est dit que pour ça il fallait qu’on parte. Alors on est partis, on est arrivés ici et elle m’a plaqué pour un autre… Quoi… un mois après notre arrivée ? Et depuis, je suis resté ici. Je suis un peu partis sans un mot alors je n’ai pas très envie de retourner à la maison.

De toute façon, ce n’était pas comme si quelqu’un m’attendait. Depuis que j’étais arrivé dans cette fichue ville, je n’avais pas reçu un seul appel, ni un seul message.

- Et j’ai pas appelé parce que… Et bien, au début je n’y aie pas pensé et après, je ne voulais pas te déranger. Mais maintenant ça va, pareil, j’ai un job pas très glorieux et un appart qui n’est pas trop un trou à rat.

J’avais un appartement, mais sincèrement, si ce n’était pas un trou à rat, comme je le disais, c’était clairement un bordel sans nom. Je vous avouerai que je rentrais, je m’effondrais sur mon lit jusqu’au lendemain et rarement plus. J’y venais vraiment que pour dormir au final.

- Tu finis à quelle heure ?

Dans un autre contexte, cette phrase aurait pu être interprétée comme une tentative de blague. Mais Aria devait bien se douter que, venant de moi, ce n’était pas le cas. Je voulais simplement savoir si on allait pouvoir discuter ailleurs que dans ce club bruyant.