Bien avant de rencontrer une certaine personne, Diablo n'était qu'un corbeau ordinaire. Ordinaire ? Pas vraiment, son esprit était déjà plus aiguisé que celui de ces semblables. Il avait compris par exemple, qu'il était plus plaisant de passer la rudesse de l'hiver dans une maison bien chaude que de rester à l'extérieur.
Plein d'audaces, un jour, le volatile tapa quelques coups de bec au carreau d'un manoir. À peine le propriétaire eut le temps d'ouvrir la fenêtre que le corbeau s'engouffra à l'intérieur et prit ses aises devant la cheminée dans laquelle brûlait un bon feu, idéal pour se réchauffer après avoir affronté les vents hivernaux.
Le vieil homme était peut-être trop seul pour refuser cette compagnie improvisée ou bien trop étonné du culot dont faisait preuve le corbeau en s'installant ainsi comme s'il était chez lui. Toujours est-il que le propriétaire du manoir le garda.
Loger et nourri, le corbeau put inspecter les différentes pièces de la maison pour satisfaire sa curiosité. Le vieil homme avait une quantité impressionnante de livres sur tous les sujets. Lorsqu'il était de bonne humeur, l'érudit lui apprenait quelques lettres, ou du moins, il s'amusait à jouer les professeurs en ignorant que l'oiseau écoutait attentivement toutes ses leçons.
Le corbeau aurait été plus attentif, il aurait vu que la personne dont il abusait de l'hospitalité essayait également d'apprendre la magie, tout cela dans un but utopique : faire revenir une certaine Lénore à la vie. L'oiseau avait bien vu à l'immense tableau de la belle qui occupait tout un mur du bureau que la demoiselle avait occupé jadis une place importante dans le cœur de celui qui l'hébergeait.
Un détail sans importance aux yeux de l'oiseau. Au mieux, cela lui offrait parfois un spectacle étrange à observer, comme la fois où le vieil homme avait réussi à mettre la main sur une lampe. Bien sûr, le génie ne put réaliser le voeu le plus précieux que l'érudit voulait voir exhaussé puisque la magie ne permettait pas de faire revenir une personne morte. Le corbeau regardait la scène, perché sur une des étagères, regardant avec un mélange de méfiance et de curiosité ce débordement de magie. Il n'avait jamais vu ce genre de chose avant et trouvait cela plutôt divertissant. Jusqu'au moment où il fut victime d'un des voeux. Là, il rigola beaucoup moins. Apparemment, les deux premiers souhaits avaient fait réaliser au vieil homme que cet oiseau qui s'était invité chez lui représentait la seule véritable compagnie qu'il avait, aussi avait-il fait le voeu que le corbeau reçoive une longue vie. Ainsi, il pourra profiter plus longtemps de sa présence. Le troisième voeu fait, le génie rendra dans la lampe qui disparut. Le corbeau n'avait pas compris ce qui s'était passé, mais, au final, cette aventure se finissait avec plus de peur que de mal. Dans un premier temps.
Le temps passa. L'hiver touchait à sa fin, mais le corbeau avait pris ses aises dans ce qu'il osait voir comme sa nouvelle maison et ne désirait pas partir. Ici, il était au chaud et n'avait plus besoin de se montrer ruser pour obtenir de la nourriture. Les pièces du manoir étaient, en plus, assez grandes pour se dégourdir les ailes lorsque l'envie lui en prenait. Pendant ce temps, le vieil homme restait plongé dans ses livres. Chaque jour, de nouveaux ouvrages venaient s'ajouter à la bibliothèque déjà fort chargée de la maison. L'expérience avec le génie n'avait pas dégoutté l'érudit de la magie. Il aspirait à créer ces propres tours. Peut-être qu'à terme, il espérait briser les lois de la magie, ou quelque chose dans le genre. Le corbeau ne le sut jamais.
Un jour, l'érudit eut la fantaisie de vouloir lui lancer un sort afin de lui donner le don de la parole. Sans doute pour en faire une compagnie plus agréable... Là encore, il ne sut jamais ce qui était passé par la tête du vieil homme.
En tout cas, le sortilège ne fonctionna pas entièrement (prouvant l'amateurisme du soi-disant lanceur de sort) car désormais, au lieu de croasser, le corbeau disait deux mots :
Jamais plus.Le nouveau cri du corbeau n'améliora pas la déception du vieil homme devant le résultat de son essai. Au début, il avait décidé de ne pas tenir compte de son échec et de retourner à son mystérieux grand but. À mesure que ces recherches piétinaient, l'oiseau ne pouvait plus dire autre chose que
'Jamais plus', faisant plongé son propriétaire dans des pensées de plus en plus lugubres. Ces deux mots que le corbeau se retrouvait forcé de prononcer contre sa volonté renforçait l'échec de l'érudit à accomplir un simple sortilège alors comment ramené quelqu'un à la vie ?
Le vieil homme ne reverra jamais plus sa Lénore. Voilà ce que semblait lui dire le corbeau avec insistance. Un jour, il en eut assez et chasser l'oiseau avec colère, lui lançant tout ce qui se retrouvait à sa portée. Le corbeau fut obligé de quitter son nid douillet et ne revint
jamais plus.
Le 'don' accordé par le sorcier ne lui apporta que des problèmes, renforçant la réputation d'oiseau de mauvais augures qui collait déjà au dos de sa race partout où il osait se poser. Dès que les fatidiques mots sortaient de son bec, il était chassé et il ne pouvait se retenir de les prononcer. C'était comme essayé de contenir un hoquet. Plus il essayait de se retenir et plus les deux mots retentissaient forts lorsqu'il n'avait plus la force de lutter. La longue vie accordée par le voeu ne fit que rallongé ce calvaire qu'était devenu son quotidien.
Jusqu'à ce qu'il la rencontra, ELLE, Maléfique. Elle le sauva alors que des chasseurs l'avaient emprisonné dans un filet. Le corbeau crut que Maléfique serait comme son précédent propriétaire ou les autres humains dont il avait croisé la route, même si elle l'avait baptisé du nom de Diablo, elle allait forcément se lasser de son cri devenu si particulier par la faute du vieil érudit. Étonnement, cet instant redouté ne vint jamais.
Maléfique semblait prendre plaisir à écouter les
'jamais plus' lancer par l'oiseau, comme une prémisse aux malheurs qu'elle allait causer aux autres.
Diablo lui voua une fidélité sans égal en signe de gratitude. Il fut son serviteur le plus dévoué, son espion le plus efficace. Maléfique lui fit don de la capacité à prendre apparence humaine, comme lors de leur rencontre où cela avait permis de faire fuir les chasseurs. Il lui fallut du temps pour s'y habituer, mais, au final, il trouva ces changements de forme bien pratique lorsqu'il s'agissait de rapporter les dernières informations collectées ou pour torturer des pauvres quidams dans le but de leur délayer la langue ou simplement par plaisir, car, au contact de sa maîtresse, Diablo développa une certaine satisfaction à voir souffrir les autres. Un juste retour des choses après tout ce qu'il avait enduré.
Naturellement, lorsque sa maîtresse plongée cette pimbêche d'Aurore dans un sommeil ensorcelé, Diablo eut l'honneur de monter la garde afin de s'assurer qu'aucun baiser d'amour véritable ne vienne perturber la vengeance de Maléfique.
C'est ce qu'il fit, même si la tâche pouvait sembler ennuyante, car pendant longtemps, personne n'osa s'aventurer dans les parages du château entouré de ronces. Jusqu'à ce que le prince Philippe n'arrive, accompagné de trois fées. Le corbeau fut tout son possible pour empêcher le prince d'atteindre la belle endormie, mais il n'était pas de taille à lutter contre un chevalier bénéficiant d'une aide magique. Alors qu'il prenait son envol pour avertir sa maîtresse, une de ces satanées fées le changea en statue de pierre.
Lorsque sa maîtresse lui rendit son état normal, certaines choses avaient changé. Désormais, Maléfique enseignait la magie à une certaine Regina. D'instinct, Diablo se méfia de cette personne s’incrustant dans leur quotidien, qui se prétendait l'amie de celle qu'il servait. Prenez cela pour de la jalousie,
(peut-être y avait-il un peu de cela, en effet), mais, en tout cas, l'avenir prouva qu'il avait eu raison de se comporter avec suspicion.
La trahison n'arriva pas aussi vite qu'il l'avait redouté. Regina eut le temps de gagner en puissance et de recevoir le joli surnom de méchante reine. Sa maîtresse ayant accompli sa vengeance contre Aurore, Diablo avait prit l'habitude de s'éloigner du château pour commettre quelques mauvaises actions ou espionner des histoires intéressantes. C'est ainsi qu'il comprit les projets de Regina concernant celle que la méchante reine nommait
'sa seule amie'.Malgré l'évidence qu'il n'avait aucune chance de réussir, Diablo était décidé à tout tenter pour empêcher Regina de s'en prendre à Maléfique, même s'il devait mourir en essayant ! Bien sûr, il échoua et, malheureusement ou heureusement pour lui, Regina avait d'autre projet que la mort en ce qui le concernait.
Lorsque la méchante reine se lassa de lui faire subir ces petits jeux tordus, Diablo fut envoyé ailleurs, là où Regina avait la certitude qu'il ne serait pas emporté par la malédiction qu'elle prévoyait de lancer, dans le même
'coin paumé' où elle avait envoyé la princesse Belle, une autre victime de ces machinations. Le corbeau passa chaque jour de sa captivité à essayer de retrouver sa liberté.
A force d'acharnement, il ne saurait dire au bout de combien de jours ou de semaines ou plus, il réussit à se frayer un passage vers l'extérieur. Un passage si étroit que lui-même y laissa quelques plumes en l'emprunter. Bien qu'il n'était pas le seul prisonnier, il ne fit rien pour aider les autres. Après tout, il n'était pas un héros.
Diablo a retenu la leçon de son précédent échec. Il ne pouvait retourner au château de la méchante reine sous peine d'obtenir le même résultat que sa précédente tentative. Il allait devoir ruser, il allait surtout avoir besoin d'un allié de poids, mais, qui pourrait vouloir l'aider à sauver Maléfique ? Paysans ou chevaliers se seraient plutôt réjouis de la nouvelle. Dommage que le Ténébreux était coincé dans les cachots du château de Blanche-Neige !
Le corbeau chercha l'appui d'un sorcier qu'on disait aussi puissant que Rumpelstiltskin, sinon plus. Il ne trouva qu'un vieillard en robe rouge qui se présentait comme son apprenti. Non seulement, celui-ci refusait de l'autoriser à voir le sorcier, mais, en plus, il refusait catégoriquement de l'aider. Ayant pris sa forme humaine pour cette négociation, Diablo insulta et menaça le vieil homme jusqu'à ne plus en avoir de souffle, il faillit finir embrocher par l'épée qu'avait saisie son interlocuteur lorsqu'il voulut l'attaquer, puis, en dernier recours, Diablo supplia. Ce fut un moment particulièrement humiliant pour lui. Le sorcier était son dernier espoir de retrouver Maléfique et il ne pouvait imaginer une vie sans sa maîtresse.
L'apprenti finit par accepter de discuter avec son maître en échange que l'oiseau joue les pies voleuses pour récupérer un objet. À son retour, la mission accomplie, le vieil homme traça les contours d'une porte dans l'air et Diablo recula de surprise en voyant une porte se créer. L'apprenti lui garanti que cette porte le conduira à Maléfique, du moment qu'il se montre patient. Le corbeau regarda avec méfiance à l'intérieur, mais ne vit rien d'autre qu'une épaisse brume noire. Il soupçonnait un piège, puisque son interlocuteur avait dit que le sorcier n'aidait pas les méchants et ce n'est pas les commentaires énigmatiques de l'apprenti qui allait l'aider à en savoir plus. Cependant, il n'avait pas le choix. Alors, Diablo reprit sa forme de corbeau et franchit le portail en un battement d'aile.