Assise sur le quai d’amarrage du Revenge, j’écoutais mes hommes fêter notre dernière prise. Nous avions abordé un splendide navire royal et notre butin était à la hauteur de la beauté du bâtiment que nous avions pris. Ça me faisait plaisir de le voir aussi joyeux, il fallait juste que je trouve le moyen de limiter la consommation d’alcool à bord. Le lendemain, j’allais surement retrouver la moitié de mes matelots étendus sur le pont endormis et complètement saouls. Il fallait mettre une nouvelle règle en vigueur à propos du rhum, je ne supporterais pas les retrouver bourrés le lendemain de chaque bonne prise. Peut-être étais-je pirate, mais par le passé, j’avais été une dame de la société, et le raffinement des belles soirées me manquait parfois. Une fois de temps en temps, être jolie et admirée me faisaient plaisir. Ce n’était pas avec mes compagnons de beuverie que ça allait m’arriver. Et contrairement à eux, je connaissais mes limites pour ne pas avoir la gueule de bois à chaque réveil. Cette pensée me fit soupirer. Je me contentais donc de les regarder et de les écouter de loin, profitant de ce moment de tranquillité pour réfléchir  et me retrouver avec moi-même.

La lune se levait, elle était pleine, parfaitement ronde. Dans les histoires, ça aurait dû être à cet instant que je devais me changer en louve, j’aurais terrorisé la ville entière avec des meurtres sauvages et sanglants. Mais en réalité, je commençais à avoir froid. Je me levai alors pour retrouver la chaleur de ma cabine. Je fis quelques pas sur le quai avant de tomber nez à nez avec un homme.

- Bonsoir monsieur, excusez-moi, je ne vous avais pas vu.

Il était tard, je ne pensais pas que j’allais rencontrer quelqu’un à cette heure-ci. Sinon, j’aurais gardé mes longs cheveux sous mon chapeau, et j’aurais fermé mon manteau pour me faire passer pour Adam Bonny…

Pour une fois, je profitais d’un moment d’accalmie pour me promener tout seul, pour penser à mes prochaines actions mais surtout pour me ressourcer. Cette nuit était calme, éclairé à la lueur de la pleine lune, le port n’était animé que par la musique et les voix de quelques matelots qui semblaient fêter quelque chose. Je souriais, c’était bien l’un des rares moments où je pouvais profiter en toute simplicité, pas de Rois ou des Reines à convaincre pour rejoindre mon camp, personne pour contrecarrer mes plans. Juste une douce soirée où Nathanaël n’était pas là pour me dire de retourner au travail. C’était un amour et un combattant d’exception mais lui aussi, lorsqu’il avait une idée en tête, il ne lâchait pas le morceau.

Bref, je soupirais un peu, lorsqu’une jeune femme me salua, elle-même perdue dans ses pensées.

« Bonsoir Madame », lui répondis-je alors, la détaillant quelque peu. C’était une magnifique jeune femme avec des cheveux longs soyeux à en rendre jalouses certains. La silhouette fine et bien proportionnée elle devait faire tourner bien des têtes ! « C’est une belle soirée n’est-ce pas ? », ajoutais-je étant d’humeur à discuter simplement avec cette belle inconnue. Puis remarquant qu’elle semblait avoir un peu froid, je lui souris « Quoiqu’un peu frisquet ce soir...tenez... », je lui tendis ma propre cape doublée, révélant un peu mieux ma musculature et mes vêtements plus simples que d’habitude mais tout aussi riches et finement brodés d’or. Je n’avais pas froid pour ma part, je dégageais toujours beaucoup de chaleur, un des nombreux aspect lié à ma condition de démon de la luxure…

Je regardais ma comparse avant de lui proposer : « Une petite balade sur le port vous tenterez-t-elle, Madame ? ».

L’inconnu me retourna mes salutations et je lui fis un sourire. M’apprêtant à retrouver mon équipage, il me demanda comment je trouvais la soirée. C’était en effet une belle nuit, mais comme moi, il semblait avoir remarqué qu’il ne faisait pas très chaud. Il me tendit sa propre carpe, elle était doublée, et décorée de sublimes broderies. Je le regardais d’un air septique en me saisissant de sa cape pour la poser sur mes épaules.

- Je constate monsieur, que vous avez un certain rang. J’espère que vous ne vous méprenez pas sur ce que je suis. Je ne fais pas les trottoirs si c’est ce que vous pensez.

Non, je ne passais jamais par quatre chemins, je disais toujours ce que je pensais et préférais mette les choses au clair dès le début. Et ce très charmant monsieur avait tout intérêt à savoir que je n’étais une prostituée. Je le prendrais très mal s’il faisait ce genre d’insinuation, alors autant dire tout de suite ce que je n’étais pas. Mais il devait s’en douter un peu : je ne connaissais pas beaucoup de filles qui portaient le pantalon pour séduire ces messieurs.

Il me proposa quand même une balade sur les quais. Je regardais successivement ce ravissant homme et mon navire avec ces matelots sans raffinement. Non, ce soir j’avais besoin d’un peu de civilité, d’un peu de calme loin des chants marins et des hommes étendus sur le pont.

- Je suis d’accord pour la balade sur le port. Je m’appelle Anne. Et vous ?

Je commençais à marcher en sa compagnie. Il semblait bien poli, courtois, galant et fortuné.

- Qu’est-ce qu’un homme comme vous, fait seul sur les quais la nuit ?

Pour une fois que je n’avais pas d’idée derrière la tête, la jeune femme cru bon de me préciser qu’elle n’était pas une prostituée. Je lui souris, au moins c’était clair et puis, la détaillant de nouveau, je me dis que même si elle était tout à fait charmante, jamais une prostituée ne serait vêtue de la sorte. C’était moins...aguicheur dirons-nous.

« Ne vous en faites pas, je ne vous ai pas prise pour ce genre de dame, très chère… Ma proposition est totalement dénuée d’arrières pensées. », pas besoin d’ajouter le -pour une fois-, je l’avais pensé assez fort pour que peut-être ma comparse l’eut entendu.
En tout cas je fus ravie qu’elle accepte cette petite balade sur le port et lorsqu’elle se présenta je sourire de plus belle. « Absolem, enchanté de faire votre connaissance... »

Puis nous avançâmes au clair de lune, une situation qui aurait pu paraître romantique mais qui, pour une fois ne prenait pas ce tournant. Non, j’étais bien clame ce soir, plus serein que d’habitude. C’est alors qu’Anne me demanda ce qu’un homme « comme moi » faisait seul la nuit sur les quais… L’expression comme moi m’arracha un petit sourire taquin, qui laissa place à mon masque de gentilhomme…

« Je profite juste d’un petit moment de tranquillité pour me promener. M’écarter du temps et des histoires le temps d’une soirée… Et vous Anne ? Pourquoi n’êtes-vous pas avec votre équipage ? », lui demandais-je faisant le pari que cette charmante dame était la capitaine du bateau de ces jeunes gens faisant la fête. Après tout, elle en avait les habits, la prestance et n’était pas loin du bateau lors de notre rencontre… Cela pouvait être probable, non ?

La phrase n’était pas terminée, il manquait ce fameux « pour une fois », qui m’arrivait souvent de taire également. Mais s’il avait décidé d’être un gentil monsieur aujourd’hui, je n’allais pas me plaindre et chercher à savoir ce qu’il aimait faire le reste du temps. Il fallait savoir profiter du moment présent, et ne pas s’attirer d’ennui en cherchant la petite bête quand on pouvait s’en passer. Je me présentais brièvement, donnant juste mon prénom. Il serait dommage d’effrayer ce gentilhomme avec mon nom s’il avait connaissance des légendes de pirates. C’était qu’Anne Bonny n’était pas très fréquentable.

Doucement, nous nous baladions sur le port au cœur de la nuit. Avec la cape d’Absolem, je me sentais mieux, et prête à affronter le froid nocturne qui ne ferait que s’accentuer au fil des heures. Hm… C’est que je la garderais bien sa cape, je l’aimais bien. On verrait si j’arrive à disparaitre avec plus tard. J’étais une pirate après tout, une vraie voleuse. Ainsi, lui aussi il avait besoin de tranquillité.

- « Mon équipage » ? Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est mon équipage ? J’avais besoin de respirer un peu, loin de cette atmosphère justement. Déclarai-je en montrant mon navire où mes hommes chantaient de bon cœur. J’avais besoin de calme.

Alors ce n’était pas si surprenant qu’une femme puisse être capitaine ? Cet homme me surprenait, il avait l’air de croire en la capacité des dames pour diriger tout un bâtiment, ça me faisait plaisir. J’aimais quand les hommes admettaient que nous pouvions être leur égal.

- Mais vous n’avez pas peur tout seul sur les quais ? Avec vos jolis habits brodés d’or ? Un pirate pourrait bien vous volez s’il passait par là… Dis-je sur un tom amusé.

Oui ce soir j’étais juste un gentilhomme, je n’avais pas envie de me battre, pas envie de chaleur humaine, même si c’était tout de même un sacré besoin. Disons qu’il était en veilleuse ce soir, me laissant à mes pensées et à mon envie de m’éloigner du monde le temps d’une soirée. De laisser toutes mes histoires de côtés, celles de pouvoir, de marchandage, de bras de fer. La course au trône était pour une fois relayée au second plan, de quoi me laisser un peu de temps pour la demoiselle.
Regardant furtivement ma comparse nocturne, je vis qu’elle semblait apprécier ma cape, après tout elle était sublime et apportait toute la chaleur dont on pouvait avoir besoin. Si elle le souhaitait je pourrais même songer à la lui laisser, si elle l’aimait tant...je pouvais bien faire cela, j’en avait d’autres…

C’est alors qu’elle me demanda ce qui pouvait me faire penser qu’elle était la capitaine : « Simple intuition... », lui répondis-je avant de regarder son navire et tous ses matelots s’amuser, comprenant alors le besoin de calme de la dame.

Pour moi les femmes étaient tout aussi capables que les hommes et pouvaient très bien diriger leur monde, parfois même, elles étaient plus douées que certains hommes. C’est pour dire qu’il ne fallait jamais les sous-estimer ! Mais de là à avoir peur tout seul… « Non je n’ai pas peur Anne, je sais me défendre vous savez… », je lui fis un petit aperçu furtif de ma véritable nature, puis demandais-je à la dame en ayant un petite idée de la réponse : « Et vous, n’avez-vous donc pas peur des ‘pirates’ et de marcher avec un inconnu ? », lui dis-je en souriant...

C’était qu’Absolem avait une très bonne intuition, j’avais tout intérêt à bien protéger mes secrets si je ne voulais pas qu’il les découvre. Enfin, qu’est-ce qu’un inconnu pourrait bien faire à la grande Anne Bonny ? J’étais très douée pour prendre la poudre d’escampette et sauver ma peau. J’avais défiée la mort à plusieurs reprises, et j’étais encore de ce monde pour me vanter de mes exploits ! Par contre, lui avec ses belles dorures, il avait tout intérêt à se méfier des ports, ils pouvaient être très mal fréquentés, j’en savais quelque chose… J’étais une très mauvaise fréquentation.

Soudain, je vis ses yeux me montrer qui il était vraiment. En effet, il n’avait pas à avoir peur de qui que ce soit. Finalement, peut-être que j’aurais dû refuser son invitation à la balade ? Hm… Non. S’il me voulait du mal, ça serait déjà fait, il ne me ferait pas languir ainsi et il ne jouerait pas les gentils. Moi ? Avoir peur des pirates ? Ça m’aurait presque fait rire. Et marcher avec un inconnu, c’était histoire de ma vie.

- Moi avoir peur des pirates ? Mais moi aussi je sais me défendre…

Je me tournai vers lui et lui montrais mes beaux yeux jaunes de louve avant de reprendre mon chemin en regardant droit devant moi avec mes yeux de nouveau couleur chocolat. Pas de secret ce soir apparemment. C’était pas plus mal pour une fois de jouer cartes sur table.

- A moins que vous ayez un fusil de chasse, non, je n’ai pas peur. Je n’ai pas peur de grand-chose en réalité.

En fait, je n’avais plus rien à perdre, c’était pour cette raison que je prenais tous les risques que je prenais aujourd’hui.

Nous avancions tranquillement sans aucune prise de tête, ni secrets car la belle jeune femme n’avait elle aussi rien à craindre des pirates et autres personne désirant l’ennuyer en cette formidable nuit. Non, elle aussi me montra un petit tour de passe-passe, montrant de magnifiques yeux jaunes de loup si je ne m’abusais… C’était suffisant pour me faire comprendre que, tout comme moi la jeune femme savait très bien se débrouiller toute seule.

Je lui souris, puis rit lorsque me dit qu’elle me craindrait plus si j’avais un fusil de chasse sur moi, je fis alors mine de regarder si je n’en aurait pas un caché quelque part puis lui dit : « Non pas de fusil de chasse… ». La jeune femme déclara alors être sans peur. Pourtant tout le monde avait peur de quelque chose, tous sans exception, moi aussi on pourrait sans doute m’en trouver une en cherchant bien… Ou alors… « Si vous n’avez pas peur c’est que vous n’avez rien à perdre, ou alors que vous êtes ignorante. Pourtant dans votre cas je ne pense pas que la seconde option s’applique... », lui dis-je alors sans aucune méchanceté aucune, d’ailleurs je venais même de lui dire qu’elle était intelligente, bon certes d’une façon un peu détournée, mais quand bien même…

« La vie ne vous a pas rendu les choses facile on dirait... », ajoutais-je peut-être espérant qu’elle m’en dise plus, mais si ce n’était pas le cas ? Alors tant pis, ce soir, je pouvais laisser couler, je souhaitais juste faire la conversation rien de plus.

Il fit semblant de chercher un fusil sur lui, ça me fit rire. Et quand bien même il avait un fusil, je n’aurais pas peur, j’avais déjà été chassée et je m’en étais sortie. Une fois même, un piège à loup s’était refermé sur moi, et la chance avait voulu que Belle soit sur mon chemin pour sauver ma vie. Il fallait croire qu’une bonne fée veillait sur moi.
Absolem essayait alors de deviner pourquoi je n’avais peur de rien. Il fit deux hypothèses : soit je n’avais rien à perdre, soit j’étais ignorante, mais il semblait écarter la seconde option. En effet, il était quelqu’un d’intelligent et de perspicace, deux qualités que j’admirais beaucoup.

- Je n’ai rien à perdre, si ce n’est un bateau… ça va, ce n’est pas grand-chose dans une vie un bateau.

La chose la plus importante dans ma vie ? Le Revenge et mes hommes. Sauf que ces derniers pouvaient très bien se passer de moi, ils étaient tous de bons marins. J’étais juste là pour les guider un peu. Si je venais à disparaitre, ils élieraient un nouveau capitaine, l’affaire serait réglée en moins d’une heure.

- La vie est une garce… Premièrement, elle a fait de moi une louve aux excès de rage parfois violent… Deuxièmement elle m’a pris ce que j’avais de plus cher… Si je croise celui qui m’a choisi une vie comme celle là, je le mangerai tout cru…

Quand j’étais une gamine de quinze ans, et j’avais dévoré la domestique à cause d’une colère. Vous parlez d’une enfance joyeuse, je m’étais mise à me détester à ce moment là… Et puis, à dix neuf ans, on m’avait pris mon enfant. La vie était vraiment une garce…

Notre jolie capitaine était de bonne compagnie, j’appréciais de passer ce petit moment de tranquillité en sa compagnie. Elle rit lorsque je fis mine de rechercher le fusil sur moi, un rire franc et rafraîchissant qui me rappela que parfois être naturel faisait du bien. Anne me dit alors qu’elle n’avait rien à perdre à part son bateau, un objet donc, rien d’irremplaçable, elle était donc toute seule à vivre sa vie, voguant sur les sept mers. Une vie bien solitaire pour une charmante jeune femme qui me confirma que la vie n’avait pas été des plus tendre. Loup aux excès de rage et une personne lui ayant prit ce qu’elle avait de plus cher. Je ne pouvais que comprendre son désir de vengeance, nous n’avions peut-être pas les mêmes raisons de nous battre mais chacun à notre manière avancions avec un but.

« Je n’aimerais pas être la personne la personne qui choisi les destinées, mais sachez que moi aussi je serai sur le banc des réclamations... »

J’ai beau être un démon supérieur, adulé et représentant de la luxure à l’état pur, cela ne voulait pas dire que l’on m’avait épargné. Non, j’avais dû me battre pour en être là où j’étais pas comme mes frères qui étaient mieux classés dans cette accession au trône des enfers. Non, eux qui ne faisaient aucun efforts n’avaient pas autant de mérite que moi. Mon frère m’avait même volé cette vie dont j’aurai tant voulu profiter. Me volant la femme de ma vie, lui faisant un enfant !

Le temps d’un instant mon pouvoir explosa de la colère contenue, mais je me repris rapidement.

« Excusez-moi… Quel sera votre prochaine destination ? », lui demandais-je alors histoire de détourner la conversation à quelque chose de plus...léger….