La naissance. Cette brutale transition par laquelle nous passons tous de l'état d'être en puissance à celui de la vie.
Comme tout un chacun, je ne me rappelle naturellement rien de ce premier temps de mon existence, je ne pourrais rien vous en dire.
Mes premiers souvenirs sont heureux. Aux côtés de parents aimants et d'un grand frère qui ne l'était pas moins.
Mon frère... Qu'il m'est douloureux de l'évoquer. Plus que mes parents. Sans doute parce que j'ai passé moins de temps à leurs côtés... Mais ce temps fut celui du bonheur, de tous ces petits riens qui modèlent les êtres et les coeurs et qui m'ont permis de grandir, forte et confiante. Le temps chasse leurs visages, mais je n'oublierai jamais mes parents.
Ni la violence avec laquelle on nous les as arraché, à l'aune de mes treize ans, au gré de la folie et d'une loi injuste.
Je l'ai appris ce jour là : rien n'est jamais acquis. Nous ne sommes que l'instant présent, puisque ce qui était est perdu et ce qui sera n'existe pas.
J'aurai pu mourir ce jour là, mais mon frère me sauva.
Mael... L'unique sens de ma vie. L'être que j'aime le plus. Celui pour qui je donnerai ma vie, si seulement elle suffisait...
Mael était pourvu d’un cœur trop grand. La vie lui a donné et repris plus qu’il ne pouvait supporter. C'est lui qui s'est occupé de moi, après. Il avait seize ans et se retrouvait sur les routes avec moi, sans abri, sans argent, mais avec ses deux mains et du courage à revendre. Le mien n'était qu'un pâle reflet...
Je n’ai jamais manqué de rien. D’amour encore moins que du reste. Les regrets sont des choses dont je ne m’encombrais pas alors…
Mon enfance, je la passais derrière les talons de mon grand frère. Comme dans toutes les fratries, je suppose, nous passions autant de temps à nous chamailler qu’à prendre soin l’un de l’autre. Il était mon roc, celui à qui je pouvais tout dire, toujours. Celui qui me défendait aussi, contre la convoitise des hommes, à mesure que mon corps se transformait. Plus d’une fois, j’ai pleuré dans le secret de ses bras et lui a prétendu n’en rien voir. Les êtres peuvent être cruels, souvent. Je me suis construite à l’abri de cette aile protectrice et à l’aune de ce regard bienveillant.
Est-ce parce qu’il n’y avait aucune présence féminine que j’étouffais la mienne ? Sans doute un peu, mais je n’ai jamais eu le cœur à rester en arrière. Quand j’ai voulu apprendre à me battre, Mael n'a pas pu me le refuser. J’appris ainsi les rudiments de la dague, qui était pour moi une véritable épée. Bien qu’émoussée, sa lame tenait en respect les autres, d’autant qu’elle me conférait une grande confiance en moi. Je me sentais invincible et je me voulais aussi courageuse que n’importe quel homme.
Pendant un temps, Mael trouva du travail. Il faisait tout ce qu'on lui demandait et moi avec, tant que cela n'avait rien de dégradant. Plus d'une fois, on nous proposa de l'argent contre ma vertu, ou la sienne, mais nous avons toujours refusé. La vie nous emmena dans les différents villages de la région. J'appris à utiliser les plantes pour guérir et réparer, autant que faire se peut. Chaque jour, je gagnais en force et en agilité, mais je n'égalais jamais l'adresse de Mael.
Nous avions peu mais nous étions honnête, et cela me convenait, tant que la naïveté voilait encore ma vision du monde.
Un jour, Mael vola de la nourriture. C'était la première fois que je le voyais faire, sans doute pas la première fois que cela arrivait. Cela me fit un choc, mais il me répondit que, dans la vie, il faut penser à soi avant tout. Or, nous avions besoin de manger. Si, au début, je me révoltais contre cet état de fait, la vie se chargea de me convaincre. Mael tomba malade et il me fallut prendre le relais. Sauf que le seul travail que l'on me proposait, je m'y refusais.
Une vieille femme accepta de s'occuper de Mael en échange d'argent. Elle en manquait autant que nous. J'étais à l'aune de mes vingt-ans, et ce fut la première fois que je prenais une vie. J'aurais, sans doute, dû m'en vouloir, mais ce porc n'avait eu que ce qu'il méritait. Et Mael se remit, alors rien d'autre n'importait. C'est quand elle soigna mon dos que la vieille femme remarqua ma tache de naissance. Après quelques questions, dans le secret de la chambre où elle m'avait menée, elle affirma avoir aidé ma mère à me donner la vie. Elle affirma aussi que mes parents n'étaient que ceux à qui elle m'avait confiée. Elle me parla d'une femme, belle et triste, qui disparut avant son retour. Elle me parla d'un petit garçon, né en même temps que moi, qui avait disparu avec elle. Elle s'excusa, enfin, que la vérité me soit révélée si tardivement.
Je n'ai jamais su si elle délirait ou si elle était sincère. Je me contentai de lui répondre que j'avais déjà un frère et qu'il était le seul dont j'avais besoin.
Nous finîmes par nous faire engagés en tant que mercenaires pour défendre une cité prospère. Ce n'était pas la vie dont nous avions rêvé mais la paye était conséquente et le travail fait pour nous. Mael n'aimait pas me voir ainsi, mais il me connaissait suffisamment bien pour ne pas chercher à m'imposer une existence qui ne me ressemblerait pas. Je n'ai jamais été faite pour autre chose que l'action et il n'y aurait pas eu un homme pour vouloir d'une femme aussi forte et entêtée que moi. De toute façon, je n'avais besoin de personne. Mael et moi, nous étions une équipe, tellement soudée que nous n'avions pas besoin de parler. Au combat comme dans la vie, nous nous comprenions. Et ça, personne n'aurait pu le comprendre, encore moins l'égaler.
J’aurais dû savoir, déjà, que le bonheur n’est qu’une illusion et qu’il ne peut être que temporaire…
Mais l'orgueil me le fit oublier. Et, quand Mael fut happé d'un trait d'arbalète dans le cou, mon univers s'effondra.
   

Je refuse d'abandonner Mael. Je refuse de vivre sans lui. Dans un monde imbibé de magie, il y a forcément quelque chose à faire pour le ramener à moi.
C'est en suivant ce chemin qui j'ai croisée Ingrid. Pour cette raison que je l'ai suivie...
Elle m'a montré avec sa magie un médaillon, celui qui me ramènerait à mon frère disparu. J'ai lu dans ses yeux qu'elle disait la vérité. Je n'ai jamais servi d'être aussi mauvais qu'elle. Dans la garnison où nous avions été embauchés, on nous demandait de garder les lieux, d'empêcher les intrus d'entrer. Tout au plus de faire peur aux individus suspects.
A cause d'Ingrid, j'ai fait des tas de choses dont je ne suis pas fière. Je ne saurais vraiment l'expliquer, mais elle a chassé tous mes scrupules, tous mes verrous. Elle a poussé au paroxysme ma quête pour retrouver mon frère. Quitte à me perdre en chemin...
Je n'étais pas là quand elle a été vaincue, une mission m'avait éloignée temporairement. Qu'aurais-je pu faire ? Qu'aurais-je fait ? Nul ne le saura jamais.
Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai cru que tout espoir était perdu. J'ai songé à prendre ma vie, puisqu'elle ne valait plus rien. Je n'ai aucune certitude quant à la mort, mais le désespoir me poussa à la croire plus douce que mon existence...
Puis je l'ai aperçu. Grand, brun, des yeux couleur azur, presque aussi clairs que les miens. Son sourire était d'une douceur infinie et il disait des mots qui rassurait la foule. Il n'était pas seul mais je ne voyais que lui : l'homme qui portait le fameux médaillon.
Le destin se joue de nous tous, mais il était de mon côté ce jour-là. L'homme parla d'un portail vers un autre monde, je n'écoutais pas la suite.  Dans les rangs des réfugiés, j'étais décidée à ne pas laisser passer cette chance.
C'est ainsi que je suis arrivée à Storybrooke.
Je n'avais jamais imaginé quitter la forêt enchantée. Ce monde que je découvre depuis quelques semaines, il est un peu plus étrange chaque jour. D'autant plus que l'influence d'Ingrid ne m'atteint plus, alors je me retrouve emprise aux souvenirs et seule face à moi-même. Plus seule que je ne l'ai jamais été...
C'est pourquoi, je prends le temps de m'acclimater et de rassembler mes forces. Je dois me préparer au mieux, parer à toutes les éventualités. Il y a de la magie ici, beaucoup. Trop. Je ne peux pas compter sur ma seule force. Il me faut un plan, un moyen d'approcher l'homme au médaillon. Mais il me faut aussi un moyen de l'activer et de retourner dans la forêt enchantée, pour retrouver la tombe de Mael. Je n'ai pas tous les détails, encore moins toutes les explications, mais je sais que je peux arriver. Je dois y arriver.
J'ai besoin de mon frère...