Il ignore si l’envie pressante de manger vient d’une faim réelle ou de l’ennui qui le fait tourner en rond dans le loft silencieux. Il fouille les placards en quête d’un reste, regrettant que Mary-Margaret soit si organisée, incapable d’oublier quoi que ce soit au fond d’un tiroir. Il va devoir passer à la supérette, pas aux heures de pointe, l’idéal serait à l'ouverture, alors que tout le monde travaille ou dort et que les rues sont presque désertes. Depuis qu’il est revenu en ville, son attention s’est accrue par nécessité et le rythme de la ville et de ses habitants lui est à présent familier, bien qu’il les côtoie assez peu. Il déteste cela, cette impression d’être un étranger dans la ville qui l’a vu grandir, de ne pas y avoir sa place, contraint de se terrer dans un appartement délaissé, à l’abri des regards, revêtant des habits sombres et une capuche pour sortir d’un refuge qu’il ne quitte qu’à la nuit tombée ou durant ce qu’il nomme les heures tranquilles, osant à peine lever la tête de peur de révéler son visage à quelqu’un qui voudrait lui nuire. D’une certaine manière, c’est comme être en mission d’espionnage constante, une menace pesant en permanence dans l’air tandis qu’il sent l’adrénaline envahir son corps. C’est grisant et en même temps épuisant, le jeu de l’opération secrète durant trop longtemps pour ne rester qu’un jeu d’enfant et parfois, Henry voudrait simplement pouvoir quitter les quelques mètres carré qui l’enferment pour aller manger une glace en pleine journée dans la rue principale, discuter avec les collégiens restés en ville à leur sortie du bus, ou seulement dire bonjour aux habitants connus qu’il croise et qu’il n’a pas vus depuis trois mois. Avoir une vie normale, sa vie d’avant, même rythmée par les péripéties des héros, une existence dans laquelle la famille n’était pas si compliquée, dans laquelle il n’était pas si seul.

Il s’évente avec un magazine, vaine tentative de contrer la chaleur régnant en maître en cette période et ce malgré les volets fermés qui laissent peu passer la lumière et la fenêtre du salon légèrement entrouverte pour qu’un filet d’air pénètre dans la pièce, fraicheur dérisoire tant la température extérieure est élevée. Affalé sur le canapé, tournant paresseusement les pages de son unique livre, il désespère de n’avoir pas même une télévision pour pouvoir au moins tromper l’ennui en s’adonnant à une activité totalement extérieure aux contes de fée. Il veut lâcher prise, sortir un instant de l’échafaudage de ses plans pour aider Emma à vaincre les ténèbres qui la détiennent, heureux d’avoir au moins pu la trouver et constater qu’elle l’aime encore, essayant de ne pas s’inquiéter de ce qu’elle fait sans lui, de ne pas penser à ce qu’elle a en tête, de garder la confiance qu’il a placée en elle. Elle ne fait rien de mal, il voudrait se convaincre de cette affirmation ridicule, la ténébreuse, incarnation du mal qui ne ferait rien s’y rapportant. Alors il attend, résiste à la tentation trop fréquente de l’invoquer, lui laissant le temps et l’espace dont elle a besoin. Il pourrait lui demander de la nourriture ou un sort contrant la chaleur à leur prochaine rencontre mais il n’aime pas la voir utiliser ses pouvoirs, même pour une action aussi futile, déjà exaspéré qu’elle ait scellé l’abri de son fils avec la magie du sang, pour le protéger. Il est suffisamment prudent pour que nul ne vienne le chercher en ce lieu et, quitte à être protégé, il préférerait qu’elle soit là en personne pour le faire. Alors il se débrouille sans magie, comme il l’a toujours fait, rechignant à demander de l’aide en sachant pertinemment que chaque utilisation plonge un peu plus sa mère dans des ténèbres profonds dont il sera difficile de la faire sortir.

Il se lève à nouveau, la température devenant insupportable, et il ouvre le robinet de la cuisine et récolte avidement dans ses mains le précieux liquide froid dont il s’asperge le visage puis les bras, soulagement provisoire mais si agréable. Il plonge ensuite sa tête dessous pour boire à grandes gorgées l’eau qui s’en échappe, poussant un soupir de contentement après en avoir avalé les dernières gouttes. Un bruit sourd ponctue son action et il se fige, sourcils froncés et muscles tendus. Les questions silencieuses ne tardent pas à trouver une réponse lorsqu’une voix familière retentit, brisant sa bulle de silence si habituelle.

Il jure à mi-voix, sachant pertinemment la teneur de la conversation à venir, connaissant par cœur les reproches pour les avoir passés en revue dans sa tête et il hésite un instant à répondre, appréhendant la confrontation. Mais il craint aussi que Regina ne soit pas derrière cette porte, sa voix résonnant uniquement dans son esprit rendu fou par la solitude des derniers jours, malgré les visites d’Emma. Ou bien que cette voix, si elle n’est pas le fruit de son imagination, ne soit qu’un stratagème destiné à faire tomber les barrières de protection l’entourant. Et en même temps, malgré les appréhensions, la méfiance et la peur, il a besoin de croire que c’est bien elle, qu’elle est venue pour lui et qu’elle est bien réelle, besoin de la voir autrement que sur des images en papier glacé. Il s’avance lentement vers la porte, la prudence guidant ses gestes alors qu’il l’ouvre, dévoilant le visage si familier de celle qui l’a élevé, un sourire se dessinant sur le sien à cette vue.

Salut maman.

Il s’avance sur le palier, ne lui donnant pas accès à l’appartement tant que ses doutes ne sont pas apaisés par la certitude qu’il s’agit bien d’elle. De toute manière, il ne connait pas assez la magie du sang pour affirmer avec certitude que, même autorisée par lui, elle pourrait entrer dans la zone marquée par le sang d’Emma. Il se dirige vers elle pour l’étreindre et se conforter dans la chaleur rassurante de son corps contre le sien, à présent certain que c’est sa mère qui se tient là, heureux de ce contact familier dont il est privé depuis trop longtemps. Un câlin, denrée rare dans une ville où il demeure caché à la vue de tous, une ville dans laquelle réside pourtant sa mère, proche et en même temps lointaine, trop souvent absente pour défaire l’emprise de la solitude sur le garçon. Il s’abandonne dans ses bras, retardant le moment des explications, profitant d’un instant fugace de complicité avec sa mère avant de laisser les disputes ternir son humeur.

La plupart du temps, Henry voudrait grandir, être élevé aux yeux de tous au rang de héros qu’il aspire à atteindre, voir sa maturité reconnue par ceux qui ne voient en lui que l’enfant qu’ils ont connu jadis. Mais parfois, en de rares occasions, l’inverse se produit et il voudrait pouvoir revenir en arrière et revivre, ne serait-ce qu’un instant, les joies simples et l’innocence qu’il a en partie laissée sur la route. Il s’accroche un peu plus à sa mère, koala cherchant l’appui d’un adulte protecteur, enfouit son visage dans son épaule et arrête le temps pour quelques secondes dans ce geste familier qui n’est relié à aucune époque particulière mais qui les relie toutes, cette étreinte comme une intangible sécurité lui redonnant un semblant de contrôle sur une vie emportée par la tempête des événements. Une douce chaleur l’envahit aux mots d’affection de Regina, chassant pour l’heure les doutes quant à sa valeur aux yeux d’une mère qui ne l’a pas abandonné malgré la semaine qu’il a passé seul, ponctuée par les visites d’Emma ces derniers jours et il sourit toujours sur son épaule, laissant un silence éloquent répondre à ces paroles, absence de mots disant pourtant autant que les siens sur l’amour qui les lie. Il s’éloigne d’elle à regret, percevant le changement dans son regard avant que les reproches ne fusent, l’agacement et l’inquiétude se mêlant sur le visage de celle qui l’a élevée, comme bien des fois alors qu’il faisait l’école buissonnière avec  Indra, comme pendant la dispute qui avait suivi cette nuit mémorable où il avait ramené en ville une étrangère pourtant liée bien plus intimement aux habitants que tous ne le croyaient. Il ne prend pas la peine de répondre, sachant parfaitement qu’elle n’acceptera jamais le danger lorsqu’il le concerne, ce manque de confiance étant l’apanage des parents qui ne cessent jamais de voir sous des traits adultes le visage joufflu d’un bébé si fragile. Alors il attend patiemment la fin du discours, se récitant les arguments auxquels il a mûrement réfléchi dans l’attente de cette rencontre, presque surpris qu’elle lui demande  la raison évidente de son départ sans prévenir. L’éventualité, la certitude même, que ce départ lui serait refusé, ou du moins retardé par une surveillance accrue à laquelle il aurait fini par échapper, un retard aux conséquences non négligeables sur Emma. Elle ne méritait pas cette attente, n’aurait pas attendu dans la situation inverse, tout comme lui n’a pas attendu et tant pis pour les remontrances car que valent-elles face au bien-être de sa mère ?

Tu m’aurais pas laissé partir.

Simple constatation, vérité qu’elle ne peut nier, trop attachée à un bambin dont elle supportait à peine les chutes alors une escapade en des lieux périlleux ? Dire le contraire serait faire preuve de mauvaise foi de sa part, de l’avis du plus jeune, aussi est-il surpris par la suite de ses paroles. Étonné par cette facilité à obtenir gain de cause, avant même d’user sa salive dans une discussion houleuse, un moment déconcerté par cette femme compréhensive en qui il ne reconnaît pas la mère qui l’a élevé, surpris par sa capitulation plus rapide encore que celle d’Emma qui a pourtant toujours été la plus laxiste des deux. La mère protectrice est toujours là, exigeant des nouvelles régulières en glissant de force le moyen de les obtenir entre ses doigts réticents. Il soupire à la requête mais ne tente pas d’argumenter, sachant où s’arrête le dialogue quand commence l’autoritarisme, connaissant l’issue de ces discussions qui ne mènent à rien sauf à lui donner raison.

C’est bon, d’accord… Mais deviens pas le genre de mère qui envoie des SMS toutes les 5 minutes, je risque de perdre le miroir sinon.

Elle est déjà presque ce genre de mère, à l’exception de l’usage de magie pour la protection de son enfant, et s’il désapprouve cette méthode il ne peut la refuser après ce qu’il a consenti à laisser Emma faire pour le protéger. Nouvelle embrassade, angoisse palpable derrière les mots traduisant une adoration toute maternelle à laquelle il répond par la réciproque et la réassurance.

Moi aussi. Et je fais attention, ça va.

Tension imperceptible à la question suivante, le cœur de Henry se serre malgré la caresse légère sur sa joue. Interrogation saugrenue que celle-ci, presque une tentative d’agir comme si tout allait pour le mieux, comme si Emma était simplement absente, probablement en train de résoudre un mystère ou de donner des contraventions pour excès de vitesse, comme si sa mère n’était pas aux prises avec des démons aussi anciens que la magie elle-même, comme si Regina demandait simplement des nouvelles pour tenter de maintenir la relation cordiale que les deux femmes ont développé pour le bien de leur fils commun. Et cela l’irrite, autant par la casualité apparente de la question que par son sens profond. Au fond elle est presque rhétorique, car comment répondre « bien » alors qu’elle est en proie à des tourments permanents, condamnée à vivre avec l'ombre de l'épée planant sur son être ? Comment rendre compte de l’état d’une ténébreuse transformée et abandonnée par une famille qu’elle peinait déjà à identifier comme la sienne ? Comme un écho à leur conversation, une voix familière retentit dans son dos, le soustrayant à ses hésitations quant à la manière de répondre à cette dernière intervention. Sarcastique et piquante, l’attitude de la ténébreuse ne le surprend pas, l’animosité dans ses paroles coupantes comme un reflet de celles qu’elle a prononcées devant lui à l’égard des mêmes personnes qu’elle accable à présent. Seule la lueur maternelle est absente du regard dur qu’elle adoucit habituellement à la faveur de tête-à-tête qui laissent apparaître un mère dans cet océan de ténèbres, une facette qu’elle ne montre qu’à celui qui la voit toujours de cette manière, malgré les changements visibles. Une joute verbale se met alors en place, Regina répondant aux attaques de celle qui fut longtemps sa rivale auprès de leur fils, un rôle qu’elle semblait avoir quitté mais qu’elle reprend avec facilité, leur ancienne dynamique reprenant le dessus pour le plus grand désarroi de Henry qui aurait voulu éviter cette rencontre. Il se contente d’abord d’écouter, retrouvant dans la bouche d’Emma l’agressivité qu’il lui a découverte le soir où il l’a retrouvée, sa voix acide révélant des raisons plus développées à présent qu’elle se trouve devant la principale cible de sa haine. Il retrouve dans la défense de celle-ci les principaux arguments opposés lorsqu’il avait émis un avis contraire à cet exil dans un autre monde, malgré son envie de voyage, voyant dans cette décision un acte de lâcheté. Il se tend à l’évocation des parents d’Emma et coule un regard inquiet vers elle, guettant une réaction de sa part face aux reproches adressés par Regina pour la peine causée par son départ. Il sait la blessure encore vive suite à ce premier abandon pourtant justifié, celle encore plus profonde causée par une transformation non désirée, trahison suprême de la part d’une mère qui disait l’aimer, les remous du couteau face à l’absence des deux êtres qui auraient dû la retrouver pour réparer leurs torts à son égard. Et il sait quel impact aura ce rappel, ce reproche adressé à la victime plutôt qu’au coupable, serrant les dents en attendant l’explosion d’une mère à la tension déjà présente. Une mère qui, le prenant à parti, se heurte à un mur érigé par une autre mère défendant un fils qui n’en a nul besoin, blasé par les tentatives plus ou moins voilées de chacune pour le ramener vers elle, agacé par cette protection supplémentaire et futile et cette mise en garde qui lui donne envie de répondre par simple provocation. Il n’a pas le temps de protester autrement que par un léger soupir, le ton de Regina se faisant plus doux, son discours se teintant des notes d’espoir qui résonnent habituellement dans la voix chantante de cette belle-fille qu’elle a tant haïe. Il fronce les sourcils en écoutant ses paroles, et secoue très légèrement la tête, à la fois reconnaissant des efforts qu’elle semble faire pour aider Emma mais consterné par son manque de discernement quant aux sentiments éprouvés par la ténébreuse à son égard, son animosité visible suffisant à réduire à néant toute chance de réussite de cette tentative. Comment aider dans ces circonstances, alors que sa simple présence fait ressortir les ténèbres avec plus de force encore, ranimés par la flamme de la colère qui brille en l’ancienne sauveuse au destin brisé par une reine vengeresse ? Avant tout elle doit apprendre à pardonner mais le chemin est plus escarpé lorsque la cible de sa rage se trouve à portée, les ténèbres la poussant certainement à être plus vindicative encore, gagnant en puissance à chaque pique acérée, chaque regard brûlant. Il attend la fin de ces dernières paroles pour s’exprimer alors, croisant les bras sur son torse pour montrer physiquement et oralement sa désapprobation, adressée au comportement des deux femmes qui l’entourent bien que son regard se pose d’abord sur celle qui l’a vu grandir.

Je peux me défendre tout seul, c’est bon. Ce n’est pas comme si j’avais été élevé par une méchante reine ou comme si j’avais passé ces derniers jours avec une ténébreuse.

Sourire en coin au souvenir de ce trait qu’elles partagent, cette férocité qu’elles lui ont transmis chacune à leur manière, et son regard passe de l’une à l’autre pour s’arrêter sur Emma.

Tu savais ce que j’en pensais, pas vrai ? J’étais déçu et énervé mais je pouvais rien faire alors j’ai attendu et j’étais tellement pressé de revenir pour faire ce qu’on avait pas fait la première fois ! Mais je suis pas revenu pour ça, et tu le sais aussi, alors est-ce que mon point de vue sur cette situation est vraiment important ?

Une autre situation occupe son esprit, des centaines de pensées le traversant à propos de cette dernière, mais de celle-ci non plus il ne veut pas discuter, ne sachant pas lui-même ce qu’il en pense sincèrement tant tout se mêle et ne souhaitant pas se pencher sur ce sujet trop intime pour l’évoquer ici.

Si vous avez fini de vous saluer, on peut peut-être entrer non ? J’ai fait tellement attention à ne pas me faire remarquer cette semaine, alors si vous vous inquiétez vraiment pour moi, essayez de pas tout gâcher en vous disputant dans ce hall d’immeuble.

Il se tourne vers l’entrée de l’appartement protégé, lançant un coup d’œil furtif à Emma, la suppliant silencieusement de laisser passer son autre mère malgré leurs différends. Il ignore quel effet aura sa demande muette sur la ténébreuse cependant, se demandant si son amour pour lui peut toujours vaincre son ressentiment envers l’ancienne méchante reine, et, si tel est le cas, pour combien de temps encore.