Leah avait faim. Elle n’avait aucune idée de l’heure actuelle mais son estomac lui en donnait un bon indice. Treize heures au moins. A moins qu’il ne soit déjà quatorze heures. Elle n’avait pas de montre pour le vérifier.

Être assise au Granny’s Diner n’aidait pas. Toute ces odeurs et ces plats qui défilaient… C’était comme être face à un énorme et délicieux gâteau sans pouvoir y toucher. Non, en réalité, c’était exactement ça, rectifia-t-elle en regardant passer une serveuse chargée d’un plateau sur lequel reposait une pile de pancakes dégoulinants de sirop.

Elle n’avait jamais été patiente, déballant toujours son courrier comme un enfant déchire avec empressement le papier coloré recouvrant son cadeau de Noël. L’âge aurait pu lui donner cette qualité dont elle avait quotidiennement besoin dans son travail scientifique mais ce n’était pas le cas et elle devait affronter chaque jour la frustration de ne pas voir ses recherches avancer aussi vite qu’elle l’aurait souhaité. Cette profession, tout comme celle qu’elle avait exercée pendant un temps dans un zoo, lui avait au moins appris à prendre son mal en patience et à garder un calme de façade. Parfois, quand elle était très concentrée sur ce qu’elle faisait, que ce soit au laboratoire ou dans un enclos, elle atteignait véritablement ce calme intérieur et même une certaine patience. Dans les autres cas, infiniment plus nombreux, elle s’arrangeait pour que les choses aillent vite pour éviter  de perdre son sang-froid.

C’est pour cette raison qu’elle préférait les fast-food aux restaurants gastronomiques et les sandwichs tout prêts aux plats faits maison sophistiqués. Oh, elle aimait les plats faits maison, tant qu’ils étaient faits par quelqu’un d’autre et surtout prêts à temps. Elle n’accordait pas beaucoup d’importance à ce qu’elle mangeait en général, du moment que c’était rapide et rassasiant. Et bon, accessoirement. Manger était une nécessité vitale mais cette action devenait rapidement chronophage s’il fallait cuisiner puis nettoyer. Et le temps était une denrée précieuse, surtout lorsqu’on était une scientifique manquant cruellement de patience et poursuivant un but précis sur lequel on s’acharnait depuis des années.

Elle avait peu avancé dans ses recherches depuis qu’elle était à Storybrooke. Après avoir déniché facilement une chambre, il avait fallu s’occuper de trouver un garagiste, et cela n’avait pas été aisé, ce qui était surprenant compte tenu de la taille de cette ville. Puis faire un tour à l’hôpital pour soigner sa nuque et enfin faire le tri dans ses affaires. Une partie de ce qu’elle avait emmené n’était pas sorti indemne de son petit accident, notamment son matériel de laboratoire. Les pièces survivantes qu’elle avait rassemblées suffiraient dans un premier temps, ensuite il faudrait improviser. Mais, à en juger par ce qu’elle avait fait ces derniers jours, elle était plutôt douée pour ça. Restait à savoir par où commencer.  

HRP:

Être maire n’était pas de tout repos, il y avait toujours un problème duquel s’occuper. Et lorsqu’on avait à charge une ville peuplée de personnages de contes et que potentiellement des personnes « normales » pouvaient s’y aventurer, cela générait des risques pour les citoyens. Une certaine Leah Milton s’était ainsi retrouvée à Storybrooke depuis déjà une bonne semaine. Un accident de voiture. Bon, la chose n’était pas rare, et Regina avait espéré qu’elle reparte aussi vite qu’elle était venue. Seulement voilà, la jeune femme était toujours là… Il fallait absolument qu’elle trouve un moment pour aller s’assurer que cette fille n’était pas un danger pour les habitants de sa ville. Regina avait appris de mademoiselle Milton logeait au Granny’s bed and breakfast et qu’elle passait pas mal de temps dans le dinner. Le prétexte pour aller prendre un petit café et tomber sur elle par hasard était tout trouvé. Ce jour-là, l’ancienne méchante reine se rendit donc chez la mère grand, commanda un grand café noir et se tourna, cherchant du regard Leah, prétextant chercher une place. Au vu de l’heure, le café était bondé, l’heure de la pause déjeuner touchait à sa fin mais les gens prenaient leur temps. L’étrangère était installée, seule, à une table. Parfait. Regina avança, son café en main et s’arrêta à sa hauteur.

- Tiens, bonjour. Mademoiselle Milton, c’est bien ça ? Commença-t-elle avec son sourire le plus bienveillant possible. Je suis Regina Mills, le maire de la ville. Je suis bien aise d’enfin vous rencontrer.

Elle désigna du regard la place libre en face de la jeune femme.

- Je peux ?

Puis elle s’installa en face d’elle.

- Je voulais prendre de vos nouvelles, j’ai entendu parler de votre accident de voiture, et je voulais vous signifier que j’étais tout à faire navrée pour ce qui vous est arrivé.  Est-ce que vous allez bien ?

Regina prit un air désolé et contrit.

- Vous n’aviez sans doute pas prévu de rester aussi longtemps, je m’inquiète. Sans doute étiez-vous attendue. Puis-je faire quelque chose pour vous venir en aide ?

Sous-entendu, « pour que tu dégages de ma ville au plus vite »… Enfin, ce sous-entendu était extrêmement subliminal. A la vérité, Regina se demandait ce que Leah faisait encore en ville. Sa voiture avait été réparée, visiblement elle était tirée d’affaire côté santé puisqu’elle était plantée dans ce café où l’on osait servit des lasagnes surgelées… Que fichait-elle encore en ville ? Regina plongea ses iris chocolatés dans les yeux de son interlocutrice tout en prenant une gorgée de café.

Leah aimait bien observer les gens. En réalité, elle n’en retenait pas grand-chose, seulement des silhouettes et des détails précis. Ce qui faisait l’originalité de ces personnes. Un piercing par ci, une légère déformation du pouce par là, un cou un peu long ou des cheveux volumineux et elle s’était déjà fait son idée sur vous. Ensuite, elle reprenait ces caractéristiques et, quand elle en avait le temps et l’envie, elle dessinait ses observations sous forme de monstres. C’était plus rassurant d’une certaine manière. Les autres paraissaient plus… abordables ainsi. Moins de tenue, moins de perfection, moins de faux-semblants.

Comme cette femme, là. Sourire avenant, dos droit et posture assurée, regard perçant. Exactement ce genre de personnes. Tout ce qu’elle n’était pas et aurait parfois aimé être, les admirant de loin, ces gens qui inspiraient le respect par leur simple présence. Sauf que cette femme était plutôt proche, juste de l’autre côté de la table, à lui dire bonjour et à se présenter.

Leah tiqua.

Mademoiselle. Bon elle avait l’habitude, soit. Parfois, elle en jouait et y prenait plutôt plaisir. Elle faisait jeune, et elle se sentait parfois jeune. Quand elle s’entendait mieux avec un enfant de 12 ans qu’avec un adulte de son âge par exemple. Mais parfois, c’était aussi une manière de lui rappeler à quel point on la prenait au sérieux. Une gamine face à des adultes qui croyaient tout savoir. C’est sûr que personne n’oserait l’appeler Mademoiselle Mills, elle.

Bonjour, dit-elle avec une pointe de méfiance et de retenue dans la voix.

Elle ne comprenait pas pourquoi elle était là. Sa confusion augmenta d’un cran quand Madame Mills lui demanda si elle pouvait s’asseoir en face d’elle. Leah cligna des yeux.

« Tu peux me montrer tes dessins ? »

Elle chassa les souvenirs et hocha la tête sans pouvoir s’empêcher de sourire. C’était inattendu, de venir s’asseoir ici, de la part d’une personne comme Mada- Mademoiselle Mills. Voilà, Mademoiselle Mills. Comme ça, elles étaient au même niveau. Alors que sa voisine de table parlait, Leah se concentra sur son visage. La première chose qui la frappa fut la cicatrice. Assez petite et discrète, sur la lèvre supérieure. Leah se demanda comment elle était apparue. Est-ce que Mademoiselle Mills était aussi une adepte des accidents de voiture ? Leah sourit à cette idée et en oublia presque de répondre. A l’évocation de l’accident, elle ne put s’empêcher de frotter l’arrière de son cou avec sa main gauche.

Euh, oui… oui, ça va.

Non, ça n’allait pas, lui criait sa nuque. Mais elle n’allait pas avouer à cette femme qu’elle ne suivait pas le traitement imposé par l’hôpital. Et puis tant qu’elle ne bougeait pas trop brusquement, ça allait. Mais au fait, comment était-elle au cour- Oh. Bien sûr, petite ville. Les grandes métropoles avaient leurs défauts mais au moins, on pouvait rester discret. Est-ce que Leah devait s’attendre à voir débarquer la moitié des habitants, tous désolés pour son accident ou est-ce que cette Regina Mills était la seule à le faire ? Et est-ce qu’elle passait son temps à aller voir chaque habitant ayant subi quelque chose pour lui présenter ses condoléances ? Être maire de cette ville, ce devait être assez pren- Mais oui. Elle était maire. Donc cette visite n’était pas motivée par le simple bien-être des habitants de la ville.

Est-ce qu’on est en période d’élections ?

Elle n’avait pas vu d’affiches, pourtant, mais elle ne voyait pas d’autre explication.

Parce que je m’investis assez peu en politique donc je pense que vous perdriez votre temps à essayer d’obtenir mon vote. Cela dit, je vous souhaite bonne chance. Vous avez l’air d’être une bonne maire.

Elle sourit sincèrement.

Mademoiselle Mills lui demanda alors si elle était attendue quelque part. Elle semblait vraiment s'inquiéter à propos de cet accident et des répercussions sur la vie de Leah.

Disons que je n’avais pas prévu de passer autant de temps à trouver un garagiste ! Maintenant que ma voiture est réparée, je vais pouvoir me concentrer sur autre chose, et me déplacer plus facilement.

Oui, c’était un soulagement. Le simple fait d’être à Storybrooke était un soulagement mais avoir une voiture cassée sans réparateur avait été une ombre au tableau.

Regina était bien loin de se douter des réflexions intérieures de Leah concernant l’appellation utilisée par la maire pour s’adresser à elle. En réalité, ce qui la préoccupait davantage était de savoir pourquoi elle était toujours là alors qu’elle était sortie d’affaire médicalement parlant, et que visiblement sa voiture aussi avait vu le « docteur ». Essayant de se montrer aussi aimable que possible, l’ancienne méchante reine essayait de démêler cette affaire. Leah Milton venait du monde sans magie, elle était un danger potentiel. Il fallait la jouer fine, mais la patience n’avait d’une part pas souvent été le point fort de la belle brune, et d’autre part, tant d’autres soucis l’accaparaient, sans compter les hormones qui la faisaient passer par toutes les émotions, tout ceci n’amélioraient pas son état d’esprit. Elle s’enquit donc premièrement de l’état de l’étrangère. Après tout, un accident de voiture n’était pas une chose anodine. La pauvre tout de même. La question de Leah à propos des élections amusa Regina qui ne put retenir un petit rire, bien cela l’inquiéta. Pour voter, il fallait habiter quelque part. Comptait-elle habiter à Storybrooke ?

- Oh non, pas du tout. Par ailleurs, à quoi bon chercher à récupérer le vote de quelqu’un qui ne restera pas, n’est-ce pas ? Demanda-t-elle, souriant toujours de ce qu’elle avait pris, tout exprès, pour une blague. Merci du compliment, je fais de mon mieux.

Ça, c’était vrai. Bon, la voiture de Leah était réparée, elle venait de le dire. Bon sang, pourquoi restait-elle ? Allait-elle se mettre à fouiner ? Avait-elle vu quelque chose de suspect ? Regina commençait à s’inquiéter. Parce que si par « se déplacer plus facilement », elle s’imaginer « circuler partout en ville au lieu de lever le camp », ça n’allait pas se passer comme ça.

- Oui, j’imagine que ce doit être un soulagement pour vous. Vous venez de loin ? Si vous avez besoin d’une carte, ou d’un GPS, n’hésitez pas à me le dire.

La serveuse déposa la commande de Leah et demanda à Regina si elle voulait quelque chose. Elle commença aussi à se laisser appâter par les délicieuses odeurs qui passaient par là, et si elle savait que ce n’était pas très sain d’autant que… mince quoi, ses lasagnes étaient surgelées ! Enfin bref, les deux minimoys dans son ventre la faisaient avoir faim à n’importe quelle heure, aussi petits soient-ils.

- Oui, une part de carrot cake, merci.

La serveuse s’éclipsa et le regard de madame le maire se reposa sur son interlocutrice.

- Que faites-vous dans la vie ? Simple curiosité de ma part, ajouta-t-elle avec bienveillance avant de boire une gorgée de son café.

Histoire de savoir si elle était seulement moyennement dangereuse, ou vraiment très dangereuse. Ah, pourquoi n’avait-elle pas ce qu’Emma appelait son « super-pouvoir » pour savoir si la personne mentait ou non ?

- J’en profite pour vous demander si l’on vous a bien traitée à l’hôpital. C’est important que je le sache, afin de faire un retour s’il y a des choses à améliorer.

Et peut-être saurait-elle par ce biais à qui elle avait parlé… Une véritable enquête parallèle. Elle n’allait pas tarder à confier la tâche à la sauveuse. Après tout, c’était le boulot de la shérif, non ? Mais ce besoin de tout savoir et tout contrôler était bien trop obsessionnel, c’était trop important pour la sécurité de la ville. Chaque fois, Regina craignait que tout le monde se retrouve tels des animaux en cage dans un zoo dans le monde sans magie.

Donc, la ville n’était pas en période d’élections. Cela semblait logique vu l’absence d’affiches, de discours et de discussions politiques. Bien sûr, on n’allait pas voir les touristes pour se faire élire. Et Leah avait l’air d’une touriste, elle le savait bien. Elle connaissait  le mépris de beaucoup de riverains pour les touristes débarquant dans leur ville chérie. Et ici, on la regardait de travers. Précisément pour cette raison.

Oui, c’est vrai… ce serait assez bête.

Elle avait répondu avec un petit rire, pour cacher sa confusion. Elle était revenue à son point de départ, c’est-à-dire, son incompréhension de l’attitude du maire. Elle étudia rapidement les hypothèses restantes. Il y avait celle du tourisme, bien sûr. Non, cette femme n’allait tout de même pas rencontrer tous les touristes du coin pour s’assurer qu’ils passaient un bon séjour et qu’ils recommanderaient Storybrooke à leurs amis, si ? Ce scénario improbable gagna en crédibilité lorsque Mademoiselle Mills reprit la parole pour lui demander si elle avait besoin d’une carte. Donc Leah avait raison, le maire jouait bien le rôle de l’office de tourisme dans cette ville. Leah sourit.

Si vous avez des cartes de la ville, je veux bien. J’ai encore du mal à ne pas m’y perdre.

Un léger rire ponctua cette phrase. Leah avait presque oublié sa faim mais la serveuse raviva sa mémoire en posant devant elle son assiette colorée de cobb salad. Leah la remercia avant de s’attaquer à son plat avec empressement. C’était tellement bon. Pas seulement le plat, surtout le fait de manger, enfin. Quand la serveuse demanda à Regina Mills si elle souhaitait commander quelque chose, Leah crut pendant un instant qu’elle allait décliner l’offre. Elle fut soulagée de l’entendre demander un carrot cake. Au moins, elle ne serait pas la seule à manger, sous le regard scrutateur de Mada-emoiselle Mills. Qui, en attendant son dessert, continuait à lui poser des questions.

Elle ne pouvait même pas s’arrêter quelques minutes pour la laisser manger ? Leah finit à peine sa bouchée de salade avant de répondre.

Je suis chercheuse dans un laboratoire, enfin j’étais. J’ai aussi travaillé dans un zoo quelques années.

Parler de son travail la ramena à ce qui l’avait conduite à Storybrooke. Cette coupure de journal trouvee dans son laboratoire, évoquant une disparition mystérieuse et une ville fantôme inexistante. Qui existait en fait.

« C’était juste un rêve. »

Non, cria-t-elle mentalement au souvenir. Ce n’était pas un rêve, pas plus que ne l’étaient les monstres. Cette ville était bien réelle. Tout comme cette Regina Mills. Leah avait de l’imagination, certes, mais cette femme-là, elle n’aurait pas pu l’imaginer. Et puis, dans un rêve, il n’y avait aucune logique. Ici, tout était logique. Même le comportement du maire trouvait une explication.

Attirer les touristes, c’était plutôt fréquent comme volonté chez les maires. Et dans une petite ville comme celle-ci, l’absence d’office de tourisme avait dû pousser le maire à aller à la rencontre des habitants elle-même. Après tout, ce devait être rare les touristes, puisque la ville n’était répertoriée sur aucune carte.

Ah. Voilà ce qui clochait alors. Pourquoi ne pas chercher à faire répertorier la ville ? Si elle était sur une carte, elle attirerait plus de touristes. Là, au contraire, elle les éloignait, elle devenait une ville secrète.

Leah reprit quelques bouchées de salade. Manger l’aidait à se concentrer, à suivre le fil de ses pensées. Dommage que la nourriture ne soit pas admise dans les laboratoires.

Si Storybrooke restait inconnue et cachée, c’est qu’on ne voulait pas que quelqu’un y vienne. C’était pour cela qu’elle était venue, parce que cette ville devait abriter quelque chose. Donc le comportement de Regina Mills ne collait pas. Et sa question suivante contribua à plonger Leah dans un flou plus intense encore. Elle voulait savoir ce qu’elle avait pensé de l’hôpital ? Pour l’améliorer ? Leah fronça les sourcils.

Mon séjour s’est bien passé… Pourquoi cette question ?

L’hôpital était normal, sans plus. Elle avait bien tenté d’y trouver quelque chose… de spécial, mais rien. Elle prit une autre bouchée.

Je veux dire, vous demandez ça à tous vos habitants dès qu’ils utilisent un service public ? Parce que ça doit vous prendre du temps et de l’énergie…

Mademoiselle Mills semblait vraiment très préoccupée par sa ville, elle prenait son travail trop à cœur. Ou autre chose ? Leah n’arrivait pas à comprendre cette femme.

Cette jeune femme était décidément bien décidée à s’incruster. Regina essayait de se montrer la plus sympathique possible, mais sa patience, bien qu’aiguisée ces derniers temps, commençait sérieusement à faiblir. Après lui avoir fait comprendre qu’il n’était nullement question d’élections, madame le maire proposa, peut-être pas très subtilement, de lui procurer une carte ou un GPS. C’était dans le but de la faire sortir de la ville et qu’elle n’y revienne jamais. Voilà que Leah demandait une carte de la ville. En plus elle arrivait à se perdre dans une bourgade aussi petite que Storybrooke ? L’ancienne méchante reine dut retenir un soupir d’exaspération.

- Oui… hésita-t-elle. Je dois avoir ça quelque part à mon bureau. C’est que personne n’en demande d’habitude. Je pensais que vous voudriez repartir rapidement. Que planifiez-vous ?

Au moins, elle lui demandait clairement ses plans. Regina voulait savoir combien de temps elle comptait rester. Madame le maire avait appris à ne pas se fier aux apparences. Sous ses airs de mignonne petite jeune femme souriante, Leah Milton pouvait très bien être la plus dangereuse des citoyennes. Apprendre qu’elle était chercheuse dans un laboratoire lui fit froid dans le dos. Etait-elle capable de faire des expériences scientifiques sur des personnages de contes potentiellement dotés de magie ? Le côté sombre de Regina l’obligeait à voir ce qui pouvait être de plus noir en de potentiels ennemis.

- Comme ce devait être intéressant… commenta-t-elle avec un sourire forcé. Vous risquez de vous ennuyer ici, point de laboratoire et point de parc zoologique.

La commande de Regina arriva. Une jolie part de carrot cake dans un assiette aux couleurs du Granny’s. Elle but une gorgée supplémentaire de café avant de reposer la tasse.

- Je devrais arrêter de boire du café. D’autant qu’ici, il n’est pas aussi bon que dans les célèbres enseignes que l’on connaît aux grandes villes. Je suis allée à Boston, il y a quelques années. Là-bas, le café est remarquable. D’où venez-vous déjà ?

Elle se saisit de sa cuiller et entama son gâteau. Elle était capable de faire cent fois mieux que cette Granny, mais bon, elle n’avait pas forcément toujours le temps de préparer mille et une choses. Regina s’enquit alors de savoir si le séjour de Leah à l’hôpital s’était bien passé, ce qui sembla étonner la principale concernée. La belle brune reposa sa cuiller et sourit à son interlocutrice.

- Eh bien, comme je ne vous connais pas, contrairement aux habitants de ma ville, je trouve que c’est important d’avoir un regard extérieur. Cela fait partie de mon travail de m’assurer que tout est en ordre. Vous comprenez ?

Ce qui lui prenait du temps et de l’énergie, c’était surtout de savoir comment composer avec les nuisibles… Des nuisibles venus du monde sans magie !

- Vous avez de la famille ? J’espère que vous les avez prévenus que vous alliez bien.

Avec un peu de chance, ils lui demanderaient de rentrer. Si Henry appelait Regina pour lui dire qu’il avait eu un accident, elle lui demanderait de rentrer à la maison au plus vite, et ce peu importe l’âge qu’il aurait.

- Alors, vous êtes en vacances, c’est ça ?

Les vacances avaient toujours une fin, n’est-ce pas ? Elle avait bien un travail qui l’attendait… Au laboratoire ou au zoo… Un poste sans doute très important qui lui tenait à cœur, et qu’elle ne pourrait abandonner bien longtemps. Regina essayait de trouver les failles dans lesquelles s’enfoncer pour montrer à Leah que Storybrooke n’était pas une ville faite pour elle.

Regina Mills posait beaucoup de questions. Leah avait la vague impression d’être un suspect interrogé dans un film policier. A ceci près qu’aucune lampe n’était braquée sur son visage et que le maire avait un air bien plus avenant qu’un agent enquêtant sur un crime.

Ce qu’elle planifiait ? Leah avait d’abord été soulagée que le maire accepte de lui fournir une carte de la ville, ce qui faciliterait ses recherches et sa vie quotidienne. Elle ne s’était pas attendue à ce que la femme la questionne sur ses plans. On pouvait dire ce qu’on voulait des employés d’offices de tourisme mais, au moins, ils n’étaient pas si curieux. Elle détourna le regard, gênée malgré elle par les yeux de Madame Mills qui la scrutaient.

Elle ne parvenait plus à l’appeler Mademoiselle. Elle se sentait comme une gamine, face à des adultes aux mines sérieuses et inquiètes, aux sourcils froncés et à la moue dubitative. Alors quoi ? Est-ce qu’elle pouvait vraiment lui dire la vérité ? Passer pour une folle, se faire interner, devoir quitter la ville alors qu’elle était si près du but ? Devenir un simple nom sur un article de faits divers, comme cet Owen Flynn. Elle imaginait déjà le titre : Une folle invente une ville dans le Maine.

Si elle voyait un jour son nom dans un journal, elle aimait autant que le titre soit : Une scientifique découvre l’existence de la magie. Ou autre chose du même genre, elle n’était pas très exigeante du moment qu’on ne la traitait pas de folle.

Et, en l’occurrence, Leah ne pouvait pas faire confiance à cette femme. Elle ne pouvait pas lui dire la vérité. Mais elle ne pouvait pas lui mentir. Elle mentait très mal et son interlocutrice n’avait pas l’air de se faire facilement embobiner.

Elle pouvait toujours opter pour une omission.

Je n’ai pas vraiment réfléchi  à ce que j’allais faire exactement…

Ce qui était tout à fait vrai. Elle avait le plan général et le but, il lui manquait toutes les étapes pour y arriver.

Pour l’instant, je me promène un peu.

Se promener, c’était le bon mot. Elle n’avait pas explicitement dit qu’elle faisait du tourisme, pas plus qu’elle n’avait évoqué ses recherches. Elle n’avait rien nié et ce serait à l’autre femme d’interpréter ses dires. Elle espérait que le maire irait vers l’hypothèse du tourisme.

Quand elle parla de son métier à Regina Mills, celle-ci lui annonça, sans grande surprise, que Storybrooke n’abritait ni zoo ni laboratoire. Mais ce n’était pas pour autant que Leah allait s’y ennuyer, bien au contraire. Elle avait abandonné son travail pour se consacrer à son objectif et il y aurait assez à faire dans cette ville sans rajouter ces deux activités épuisantes. Bien sûr, le manque de revenus finirait par lui poser problème mais ses économies suffiraient pour l’instant. Elle avait travaillé toute sa vie pour en arriver là, ce n’était tout de même pas l’ennui qui allait la faire abandonner.

Ne vous inquiétez pas, j’ai de quoi m’occuper et j’avoue qu’arrêter le travail en laboratoire me fait du bien. Et j’ai vu qu’il y avait un refuge ici, donc les animaux risquent de ne pas trop me manquer.

Elle irait au refuge dès que possible, quand elle aurait avancé un peu dans ses recherches. Elle devait avouer qu’un peu de compagnie animale lui ferait du bien, et lui remonterait le moral.

Toute à ses pensées envers ses amies les bêtes, elle n’écouta que d’une oreille la tirade de Mademoiselle Mills sur le café et les grandes villes ainsi que sa question. Elle hésita. D’où venait-elle ? Devait-elle donner sa ville de naissance, celle où elle avait passé son enfance, celle où elle avait fait ses études, celle qu’elle venait de quitter ? Elle opta pour cette dernière.

Avant de venir ici, je vivais à Denver. Je suis aussi allée à Boston mais je n’ai pas remarqué de différence de goût pour le café, il y a seulement plus de lieux pour en boire, donc plus de choix. Cela dit, il y a encore plus de choix à New York. Vous y êtes déjà allée ?

Le maire s’immisça alors un peu plus dans sa vie personnelle. Sa famille ? Pourquoi aborder ce sujet en particulier ? Elle eut une pensée pour Owen Flynn, devenu orphelin après la disparition de son père à Storybrooke. Son cerveau embraya sur des hypothèses peu réjouissantes. Et si le maire voulait en réalité savoir si sa propre disparition serait remarquée ? Personne n’avait écouté Owen l’orphelin, ni cherché son père, car qui tenait à cet homme, à part son fils ? Leah frissonna. Cela ne lui arriverait pas. Elle avait une famille qui, certes, ne la croyait pas, mais qui ne la laisserait pas disparaître sans rien dire.

Oui, mes parents et mon petit frère savent que je vais bien. Ils me demandent régulièrement des nouvelles.

C’était vrai. Elle avait reçu un message de son père la veille. Elle n’y avait pas répondu. Elle n’aimait pas s’étaler sur sa vie, surtout avec ses parents. Elle avait été brève dans ses explications. Elle faisait des recherches à Storybrooke pour un projet et elle avait eu un accident de voiture qui s’était bien terminé. Fin de transmission.

Quand Regina Mills voulut savoir si elle était en vacances, Leah sourit franchement.

Disons que j’ai pris des longues vacances, oui.

Pour ne pas dire autre chose.

Plus la conversation avec Leah avançait, et plus il semblait clair qu’elle ne comptait pas quitter la ville de si tôt. Mais pourquoi, à la fin ? N’y avait-il pas déjà suffisamment de problèmes à gérer ? Loin de se décourager, Regina cherchait comment lui faire comprendre subtilement que sa place n’était pas à Storybrooke.

- Si je comprends bien, vous projetez de rester un peu ? Je m’interrogeais, parce qu’il est toute de même rare qu’après un accident de voiture, l’on souhaite séjourner dans l’endroit où s’est arrivé. D’autant que j’imagine que vous aviez une destination, de base, non ?

A moins qu’elle soit totalement irresponsable et perdue… Si en plus elle n’était pas stable mentalement, ça allait être compliqué. Madame le maire extrapolait beaucoup, préférant être trop prudente que pas assez. Il ne fallait pas non plus qu’elle ait vraiment l’air de la décourager volontairement.

- Je vous aurais bien indiqué la plage, comme activité récréative, mais en cette période de l’année, vous risqueriez de prendre froid. L’eau n’est agréable que vers mi-juin. Ceci dit, le cadre est très joli pour une promenade, si vous ne craignez pas de recevoir un peu de pluie.

Et c’était loin de la forêt où se trouvait le puits à souhaits. Leah parla du refuge avec les animaux, tenu par Freya, l’une des amies de Regina. Parfait, elle irait bien vite la mettre au parfum et lui intimer la plus grande prudence.

- Ah oui, le refuge. Vous verrez, la gérante est très sympathique et ses chiens très accueillants.

Vu qu’elle avait travaillé dans un parc zoologique, elle ne serait pas effrayée par les grands chiens, il était donc inutile de tenter cette carte. Elle essaya celle du sentimentalisme, sa famille devait s’inquiéter pour elle après un accident de voiture. Mademoiselle Milton sembla au contraire dire que tout allait bien et qu’ils communiquaient. Ah, la technologie, voilà !

- Je préfère vous prévenir que vous avons souvent des soucis de réseau… Que voulez-vous, c’est une toute petite ville presque perdue dans la campagne. Il arrive fréquemment que les lignes internet soient difficilement utilisable. C’est assez aléatoire.

S’il fallait complètement couper le réseau pour la décourager, Regina était prête à le faire. La discussion sur le café dans les grandes villes ne sembla pas non plus décourager Leah. Pourtant, ça se saurait si le café de Granny était excellent…

- Je connais un peu Boston, moi aussi. Et quant à New York… oui j’y suis allée il y a peu, mais pas assez longtemps pour prendre un café.

En effet, aller récupérer Robin amnésique et réfractaire avec l’aide de Neïlina et Aeline n’avait pas été de tout repos et les filles étaient rentrées immédiatement après avoir assommé Robin. Maintenant, la mission était de lui faire recouvrer la mémoire. Bien difficile en somme. Mais ce midi, le souci principal était de connaître les intentions de Leah. Elle avait l’air inoffensif, mais il fallait toujours se méfier des apparences, c’était bien une chose que Regina avait apprise avec l’expérience.

- De longues vacances, alors ? Quelle chance ! Si je pouvais en avoir, je crois que j’irai sur une île paradisiaque, comme les Bahamas, ou les Maldives. Vous connaissez peut-être déjà ? Vous voyagez beaucoup ? Demanda-t-elle avant de prendre une nouvelle gorgée de café.

Leah n’avait jamais été adepte des longues conversations polies. Le « little talk » ne l’intéressait pas et elle aurait mille fois préféré parler d’astronomie, de biochimie ou d’évolution des espèces avec Regina Mills. Mais Regina n’était pas le genre de personnes avec qui on abordait ces sujets, apparemment. La brune n’avait pas de mal à l’imaginer sirotant un thé sur une terrasse ensoleillée, habillée d’une de ces robes impossibles à enfiler et qui compriment le torse, souriant à demi et s’esclaffant parfois pour faire bonne mesure. Elle se tenait droite et avait un port de tête digne d’une reine alors il n’était pas difficile de l’imaginer dans une telle situation.

Mais voilà, Leah ne serait jamais une de ces dames affublées de jupons par milliers, parlant de la pluie et du beau temps ou du dernier bal organisé par le duc. Et rester assise devant un café à discuter, à moins que le sujet ne soit passionnant, n’était pas l’idée qu’elle se faisait d’un bon moment.

Le maire s’étonna qu’elle ne quitte pas avec empressement l’endroit où elle avait eu son accident de voiture, pour se rendre à sa destination. C’était un peu superstitieux, de décider de quitter un endroit après une mauvaise expérience. Son accident ne l’avait pas non plus traumatisée. Et puis, que se passait il quand il arrivait malheur une fois arrivé à destination ? Est-ce qu’on devait aussi quitter cet endroit au plus vite, renonçant à ce pour quoi on avait voyagé si longtemps ?

Oh, vous savez, ce n’était qu’un petit accident, ne vous inquiétez pas, je n’en veux ni à votre ville ni à son panneau d’entrée.

Oh non, elle n’en voulait pas à Storybrooke, c’était sûr. Ni au panneau qui lui avait indiqué sa présence, après des heures de recherches vaines et de soupirs désespérés. Leah continua de discuter tourisme avec Mademoiselle Mills qui lui indiqua la plage, bien qu’elle soit moins attrayante à cette période de l’année. La grande brune ne craignait ni la pluie ni le froid mais elle n’avait que faire de la plage. Elle ne comptait pas faire de tourisme ici, mais elle devait tout de même le laisser penser au maire, aussi affirma-t-elle qu’elle irait y faire un tour.

Au moins, si elle avait besoin de solitude, elle saurait où aller.

Après avoir discuté un peu de son métier avec Regina Mills, celle-ci lui conseilla le refuge et sa charmante gérante et cette fois-ci, Leah hocha la tête avec plus d’enthousiasme.

Le maire lui demanda ensuite si sa famille s’inquiétait, ce qui mit Leah mal à l’aise. Heureusement, elle lui annonça des problèmes de réseau fréquents dans cette ville et la nouvelle arrivée sourit. Bon, cela risquait de la gêner parfois dans ses recherches mais au moins elle serait vraiment coupée du monde. Sa famille pouvait parfois être trop présente et intrusive et ses parents étaient malheureusement des adeptes du little talk téléphonique.

Ce n’est pas grave, je voulais justement partir à la campagne pour profiter un peu du calme et de la solitude.

Petite, elle n’avait rêvé que de s’échapper à la ville, fuir une famille à la fois trop présente et trop absente, un lieu où elle ne se sentait pas chez elle, pour découvrir de nouveaux horizons. Mais la ville n’offrait en réalité aucune issue. On y restait piégé entre quatre murs et prisonnier des nombreux réseaux. Certes, la taille de New-York lui avait offert l’anonymat mais elle ne l’avait pas éloignée de ses parents, ni des pressions sociales. A présent, dans ce village où elle n’était qu’une inconnue, elle pouvait tout recommencer. Et terminer sa quête.

Le café amena un autre sujet intéressant. Ainsi le maire était allée à New-York récemment. Leah ne put maîtriser sa curiosité.

Vous y êtes allée pour le travail ?

Si elle n’avait pas eu le temps d’y prendre ne serait-ce qu’un café, il ne pouvait s’agir de vacances. Mais pourquoi s’y serait-elle rendue en tant que maire ? Leah avait du mal à croire que le maire de New-York ait invité celle de cette petite bourgade insignifiante du Maine. D’ailleurs, il y avait peu de chances pour qu’il en connaisse ne serait-ce que le nom, vu le temps que Leah avait mis pour le trouver.

Elles évoquèrent ensuite les vacances, Regina indiquant ses destinations de rêve, toutes des îles paradisiaques au sable fin et blanc et aux eaux turquoises et claires. Leah avait déjà été dans une de ces « destinations prospectus »comme les appelait son oncle et... non décidément, elle préférait la forêt. C’était plus vivant, plus mystérieux, et les cachettes n’y manquaient pas. Une plage, c’était plat, et même les vagues perdaient de leur saveur au bout de quelques minutes. Toujours le même rythme, toujours le même chemin. Le genre de vacances passées allongé à dorer au soleil. Au moins, Leah avait eu la paix, elle avait pu dessiner et lire tranquillement mais l’ennui l’avait tout de même vite rattrapée.

Ces destinations manquaient cruellement d’aventures.

Je ne suis jamais allée aux Maldives mais les Bahamas... c’est à faire une fois je pense, mais on a vite fait le tour... et les gens sont un peu tous pareils là-bas...

Elle se rappela que Mademoiselle Mills lui avait demandé si elle voyageait beaucoup. Elle avait passé quelques vacances à l’étranger mais c’était plutôt rare, cependant elle avait visité de nombreux endroits aux États-Unis. Avec ses parents en vacances, puis seule pour le travail et les études.

J’ai plutôt voyagé dans les limites de ce pays, de ville en ville. Mais c’est assez grand pour que je n’aie pas besoin d’aller voir ailleurs. Je me déplace assez souvent pour chercher un nouveau travail et m’installer quelque part.

Elle se sentait rarement chez elle très longtemps, cherchant cet endroit parfait où elle ressentirait ce qu’elle avait ressenti alors avec les monstres. Cette impression d’être parfaitement à sa place. Et elle n’avait jamais été aussi proche du but.

Elle resta un moment silencieuse, après cet échange sur les voyages, silence rompu par l’arrivée de la serveuse qui reprit son assiette vide. Leah songea à cette conversation. Elle avait l’impression de n’avoir fait que tourner autour du pot tout au long de celle-ci, d’avoir fait ce qu’elle détestait, du little talk. Elle ne réfléchit pas longtemps avant de se lancer.

Dites, vous croyez en la magie ?

C’était la question. Celle qui lui permettait de cerner les gens quand elle les rencontrait. Les plus ouverts ne disaient pas non, les plus terre-à-terre la regardaient avec des yeux de merlan frit ou éclataient de rire. Voire les deux. Elle avait légèrement hésité à la poser. Mademoiselle Mills semblait être une personne très sérieuse, pas du genre à croire que le tarot pouvait prédire l’avenir ou que les colombes apparaissaient vraiment par magie dans le chapeau du magicien. Mais elle paraissait aussi légèrement superstitieuse. Et sur ses gardes. Un peu la même attitude que Leah parfois, quand elle rencontrait un inconnu et qu’elle n’osait pas lui dire ce qu’elle pensait vraiment. Ce en quoi elle croyait. Et cette ville était vraiment bizarre.

Et puis tant pis. Au pire, elle passerait pour une folle.

Elle avait l’habitude après tout.

Détourner Leah d’un intérêt quelconque ou plus poussé pour Storybrooke semblait bien plus difficile que prévu. Regina avait de plus en plus de soupçons envers cette jeune femme qui démontait un par un les arguments que la maire de la ville avançait avec plus ou moins de subtilité pour lui faire entendre qu’une petite bourgade du Maine ne pouvait pas être d’un bien grand intérêt pour une demoiselle comme elle. Surtout après avoir eu un accident de voiture en arrivant. La belle brune décida de ne plus insister, au pire elle déploierait d’autres stratagème pour la dégoûter de la ville. Une invasion de nuisibles dans son logement ? Une fausse tentative de cambriolage ? Il y aurait bien des moyens de lui faire peur et renoncer ainsi à son envie d’approfondir ses visites. A mesure qu’elle énumérait mentalement les possibilités, Regina réalisa que ce n’était pas « bien », et que probablement Robin ou Henry lui aurait fait une remarque quant à ce genre de plan. Elle soupira silencieusement. Elle était encore loin de la ligne d’arrivée. Mais fut un temps, elle n’aurait pas hésité à faire brûler directement cette présence non désirée. Durnik lui dirait probablement de s’accrocher à ça et que cela prouvait qu’elle avait changé.

La discussion s’orienta sur les voyages et les grandes villes comme New York ou Boston. Boston, Regina connaissait un peu puisque c’était là qu’elle avait été pour adopter Henry. Et New York pour récupérer Robin. Mademoiselle Milton demanda si ce voyage récent avait été pour le travail et Regina esquissa un sourire.

- Du tout, non.

Mais elle ne précisa pas davantage. Elle n’allait pas non plus lui dire qu’elle était partie récupérer son fiancé qu’elle pensait mort après un petit plongeon dans le Styx, aux Enfers, oui oui (!) et qu’il était à présent amnésique, ce qui lui donnait encore plus de soucis et que donc elle en avait un peu ras la casquette de perdre son temps avec elle qui refusait de se tirer de Storybrooke. Une phrase de Leah la rassura néanmoins. « Je me déplace assez souvent pour... ». OK, un espoir était permis. Elle avait dit « souvent ». Cela voudrait dire qu’à un moment où un autre elle finirait pas se lasser et voguerait vers d’autres villes où elle ne mettrait pas la vie des habitants en danger de par ses potentielles découvertes.

- Je vois, répondit-elle en souriant.

Regina termina sa tasse et la serveuse vint la récupérer ainsi que l’assiette de Leah. Certes au Granny’s les lasagnes étaient surgelées, mais au moins le service était efficace. Bien que cette Ruby aurait facilement pu travailler au Libertease tenu par Neïlina au vu du peu de tissu qui composait ses vêtements… Bref. Madame le maire s’apprêtait à prendre congé lorsque la nouvelle arrivante lui demanda si elle croyait en ma magie. Cette question n’était pas anodine, Regina en était sure. Cette question était bien trop orientée pour avoir été posée au hasard. Cette question était dangereuse. Comment et surtout quoi répondre sans attirer davantage de soupçon ? Affichant un sourire bienveillant mais qui intérieurement se voulait crispé, l’ancienne méchante reine posa ses mains sur la table, plongeant son regard insondable dans celui de son interlocutrice.

- Je croirais entendre mon fils quand il avait dix ans. Il me posait aussi souvent ce genre de question, répondit-elle d’une voix rieuse, presque moqueuse.

Il fallait qu’elle pense que sa question était ridicule et infondée.

- Je vais vous dire ce que je lui ai répondu. Je lui ai dit que la magie existe, oui, mais pas au sens où nous l’imaginons quand ce mot est prononcé.

Elle prit une inspiration, sachant que ce qu’elle allait dire sentirait le Charmant à plein nez, mais c’était la seule façon de s’en sortir. Elle s’inspirait directement de Mary-Margaret pour le coup, et sa patience, en réalité, commençait à faiblir grandement.

- La magie se trouve dans les moments uniques partagés avec ceux que l’on aime. La vraie magie, c’est tout simplement l’amour. Inutile de s’attendre à pouvoir lancer des sorts ou se téléporter, puisque partager un tel sentiment est la plus belle chose qui soit.

Quelques années auparavant, prononcer ces mots l’aurait probablement fait vomir de dégoût.

- Vous n’êtes pas d’accord ? Ajouta-t-elle avec un sourire, la tête penchée sur le côté. Néanmoins, si vous voyez quelque chose qui s’apparente à du David Copperfiled, surtout prévenez-moi, ajouta-t-elle sur le même ton humoristique qu’au début.

Cette fois, il était temps de partir, Regina sentait la fatigue augmenter à l’inverse de proportionnelle de sa patience qui diminuait, il fallait qu’elle sorte avant de réellement étrangler Leah.

- Bien, je vous ai assez enquiquinée pour aujourd’hui. Je me suis assurée que vous alliez bien suite à votre accident et qu’on s’était occupé de vous comme il se doit, c’est tout ce que je voulais savoir, mentit-elle le plus naturellement du monde. Je vous souhaite une bonne journée, ajouta-t-elle en posa un billet sur la table qui suffirait à régler les deux consommations.

Elle se leva, récupéra son sac et son manteau, salua une dernière fois Leah du regard et quitta le Granny’s, fulminant intérieurement de ne pas avoir réussi à la faire fuir.