L’histoire de ce monde était vaste et très compliquée… Comment réussirais-je à retenir toute l’histoire de la musique avant la fin de l’année ? Avant la fin du semestre même ! Je pouvais y mettre toute ma volonté, toutes les dates finissaient par disparaitre de ma tête. Il y avait tant de choses à apprendre ! Et il me manquait tellement de notion. Avant de m’inscrire à l’université, j’aurais peut-être dû rattraper tout mon retard sur les connaissances générales à avoir sur ce monde… J’allais couler, et j’allais redoubler. Ça ne m’était jamais arrivée ! A Camelot, j’étais une excellente étudiante, une élève exemplaire ! J’y arrivais partout. Quand j’avais des mauvaises notes, ce n’était pas vraiment moi, puisque c’était Arsène. Je n’ai jamais eu le goût pour les études, et alors ? A cause de toi, notre moyenne baissait ! Il fallait me laisser faire ces interrogations. J’avais envie d’essayer aussi. Et en étant moins parfaite, les autres nous détestaient moins... Je m’en fichais des autres, je voulais juste être excellente !
En fait, je voulais être parfaite pour que mon père soit fier de moi, mais ça n’était jamais arrivé. Il ne disait rien à propos de mes bonnes notes… Il y avait toujours le comportement d’Arsène qui faisait tâche et c’était la seule chose qu’il retenait. Et une fois, nous avions fait une grosse bêtise, et ça avait été comme si c’était la fin du monde. Je m’en rappellerais toute ma vie. On s’était bien amusée avec Killian. Tu regrettes ? Non… Je ne regretted pas, mais la punition a été horrible… Bon ! Assez discuté ! Laisse-moi me concentrer. Comme tu veux… Quand on était deux dans un même corps, il était si simple de perdre le nord et de se déconcentrer ! Mais je ne pouvais pas me dissiper ! Je devais retenir tous les compositeurs du XIXème siècle, connaitre leur histoire et leurs particularités !
Commençant à réviser la vie de Chopin, je voulus en savoir plus sur sa maitresse George Sand. C’était un étrange prénom pour une femme… Je quittais ma table. Il n’y avait personne, alors je doutais que quelqu’un vienne voler mes cahiers. Je n’avais pas encore d’ordinateur : je ne maitrisais pas encore cette machine, et je n’avais pas l’argent pour m’en acheter un. Je fis le tour des rayons, à la recherche de la biographie du compositeur, et une biographie de l’écrivaine. Cette dernière m’intriguait, elle semblait être un personnage singulier et je voulais en savoir plus sur elle. Le nez en l’air, à regarder les différents titres des ouvrages, j’entendis à peine Arsène. Attention ! Que patatras, je rentrais dans quelqu’un. Je fis quelques pas en arrière et regardais la jeune femme dans laquelle je venais de rentrer.
- Oh pardon !! Je suis vraiment désolée ! Je n’ai pas fait attention, je ne regardais pas où j’allais. Vous allez bien ? Je ne vous ai pas fait mal ?
La ville semblait presque irréelle dans sa banalité, tranchant vivement avec les mondes étranges qu’abritaient les haricots. Reconstruite à présent comme si la vie de ses habitants n’avait pas basculé en l’espace d’une nuit et d’une matinée, à l’exception d’une mairie qui conservait les stigmates de la révolte qui l’avait secouée, elle était toujours parcourue par des habitants moins nombreux mais qui affichaient un calme étonnant après les événements survenus quelques mois plus tôt. Le temps efface les blessures, citation dont la vérité n’avait jamais parue criante à Leah conservait encore les traces de son voyage infantile tout comme elle garderait celles plus récentes de la rébellion et de son bref séjour en prison. Cette simple pensée tendait ses muscles se raidissant dans l’expectative d’une torture qu’elle avait pourtant peu endurée mais qui l’avait marquée trop profondément. Car si son corps n’en montrait aucunement l’existence, si son moral semblait être revenu, la mémoire demeurait, fidèle à son poste, engendrant une méfiance accrue de la part de la victime.
Ironie du retour aux sources, ses pas la portaient en ce jour en un lieu qu’elle avait déjà visité en arrivant, encore innocente, encore ignorante d’une grande partie de ce qu’elle pensait alors si bien connaître, mieux que tous les autres du moins. Les péripéties l’avaient remise en place, lui avaient rappelé la vérité que tout scientifique se doit de garder tel un credo. Elle ne détenait pas le savoir mais en explorait les limites, expérimentant et se trompant pour mieux se rapprocher de celui-ci. Les livres n’étaient pas ses meilleurs alliés mais elle n’avait qu’eux pour l’heure, à défaut de la présence de l’unique monstre qu’elle avait retrouvé en ville, un ancien roi des cauchemars dont elle ignorait le lieu de vie actuel mais dont elle connaissait le caractère insaisissable. La bibliothèque n’avait pas été épargnée par les flammes mais rien ne laissait toutefois entrevoir ce chamboulement, sauf dans le soyeux aiguisés de ceux qui avaient connu le lieu avant et qui savaient observer. La magie avait sans aucun doute été à l’œuvre, ce qui conforta Leah dans son projet de recherche parmi les rayons. Elle avait côtoyé cette force surnaturelle plus que de raison ces derniers mois, son esprit curieux se repaissant de ces nouvelles expériences après la frustration engendrée par le magicien qui s’était joué d’elle, de ses faibles connaissances et de sa volonté inébranlable de les étendre. Volonté amoindrie par sa rencontre avec une sorcière qui avait fait montre de ses impressionnants pouvoirs d’une manière bien moins subtile. Pourtant, et ce malgré elle, la curiosité demeurait forte et même la méfiance nouvelle dans son regard n’avait pu entamer sa fascination pour un art encore inconnu par bien des facettes.
Pour autant, elle n’était pas venue ici dans le but de nourrir son savoir concernant la magie, espérant trouver dans ces livres des données concernant plus qu’une forme indistincte de pouvoir, espérant croiser au fil des pages des visages ou du moins des silhouettes familières. Car son exploration du monde des contes n’avait mené à rien, pas plus que ses discussions avec ses habitants, tous inconscient de l’existence de l’incroyable terre que ses pieds avaient foulée et de la population tout aussi étrange qui l’occupait. Si les mémoires orales ne pouvaient l’aider, les écrits, plus anciens et plus fiables, lui apporteraient peut-être plus, si les personnages qu’elle recherchait appartenaient bien à un conte comme tous ceux qui peuplaient la ville et le monde derrière les haricots. Elle fouillait les étagères dans ce mince espoir, plissant les yeux pour lire la calligraphie complexe de certains livres anciens, brusquement sortie de son intense concentration par un choc violent sur son flanc gauche qui la projeta légèrement sur le côté et faillit lui faire perdre l’équilibre qu’elle garda tant bien que mal en s’appuyant sur sa cheville droite. Une voix accompagna immédiatement cette bousculade, timbre féminin et accents catastrophés alors qu’elle se confondait en excuse. Elle fit un bref signe de tête et haussa les épaules, signe que le geste ne l’importunait pas. Elle n’était après tout pas tombée et cette maladresse lui rappelait la sienne, aussi ne pouvait elle pas en tenir rigueur à cette étrangère.
Un rapide regard de l’amie des monstres balaya la nouvelle venue, une jeune femme au visage angélique encadré par des boucles blondes, sourire gêné étirant ses lèvres fines. Son esprit émit aussitôt des hypothèses sur l’identité de cette inconnue, comme elle avait pris l’habitude de le faire ces derniers temps, associant tant bien que mal chacun avec un des personnages parsemant les contes qui avaient peuplé son enfance, bien qu’elle n’y ait à l’époque pas accordé tant de crédit, passionnée bien plus par les êtres atypiques que par les dames nobles aux nombreuses vertus dépeintes dans bien des histoires féeriques. La chevelure de blé lui évoqua trois ours et une jeune fille perdue dans une chaumière au cœur des bois, conte qui lui rappelait parfois sa propre histoire, curiosité insatiable d’une enfant qui traverse une porte et voit d’un autre œil les créatures qui se cachent derrière, chamboulement de la vie de bêtes effrayantes lors de cette irruption incongrue dans leur quotidien.
Tu es Boucles-d’Or ?
L’hypothèse pourtant si peu probable avait été exprimée immédiatement alors même qu’elle avait pu constater ces derniers temps que les personnages ne correspondaient pas toujours à leurs homologues réels. Et bien qu’il serait étonnant que la jeune fille du conte ait perdu le trait qui lui avait donné son nom, des mèches pouvaient facilement être teintées et les jeunes blondes au visage doux abondaient dans les histoires pour enfant, souvent princesses, souvent ingénues, souvent mariées a la fin d’un récit qui élevait cet événement comme une fin ultime et ô combien espérée par l’héroïne. Rien de tel dans le conte cité à voix haute, une fin abrupte qui n’offre aucun réconfort, une histoire qui se termine par la peur infligée à une enfant et une course dans une vaste forêt. Un caractère inachevé qui piquait la curiosité de Leah car qui savait ce qu’il était advenu de la fillette après cette aventure, qui savait ce qu’il adviendrait d’elle même après son voyage, questions qui trouveraient peut-être leurs réponses dans cette rencontre fortuite.
Papa avait mis la ville sens dessus dessous, mais ça ne m’empêchait pas de continuer à étudier normalement. Il fallait bien occuper ces journées, et je voulais obtenir mon année. Au moins, je n’aurais pas perdu mon temps. Oui, enfin, si on retourne à Camelot, ton diplôme ne vaudra rien là-bas. Alors pourquoi tu as aussi choisi quelques matières sur la danse, hein ? Pour occuper mes journées, certes. Mais je me fiche bien d’avoir le diplôme. Il ne servira à rien et j’ai déjà trouvé du travail. Dans un club de strip-tease, bravo Arsène. Ce n’est pas un club de strip-tease. En attendant, si on a de l’argent de poche, c’est grâce à moi et pas toi. Je ne pouvais pas le nier. Si nous pouvions nous faire des cadeaux et se payer ce que nous voulions, c’était grâce à elle. Je n’aimais pas son travail, mais au moins, elle en avait un. Ça me contrariait de savoir que la moitié de la ville m’avait vue en petite tenue, mais j’avais passé un marché avec Arsène : certains jours de la semaine lui appartenait, et elle avait le droit de faire ce qu’elle voulait. J’avais moi aussi mes jours rien que pour moi. Ça ne nous empêchait pas de nous chamailler et de faire la morale à l’autre, mais nous ne pouvions rien s’interdire. C’était le deal.
En tout cas, cette journée m’appartenait, et j’avais décidé d’aller à la bibliothèque pour approfondir mes connaissances en matière de musique. Arsène pouvait rouspéter autant qu’elle voulait, dire que c’était ennuyant, je m’en fichais. J’aimais cette endroit et comme papa l’avait reconstruire après qu’il ait obtenu la place de maire, j’étais heureuse de pouvoir m’y rendre à nouveau. L’ambiance y était studieuse sans être pesante et la bibliothécaire était sympathique. Je lui avais demandé quelques conseils et je me retrouvais à présent face à une pile de livres à lire afin d’en apprendre plus. Dans ma tête, ma sœur s’ennuyait à mourir et ne cessait pas de me le faire remarquer. Quant à moi, j’avais l’impression de me noyer sous toutes ses informations. Mais je fus intriguée par le prénom masculin attribué à une femme. Je voulus en savoir plus sur cette George Sand et me levait pour aller chercher des biographies. Le nez en l’air à la recherche du nom de l’écrivaine, je percutais quelqu’un de plein fouet. Arsène n’avait même pas eu le temps de prévenir. Je m’excusais vivement, réellement gênée d’avoir provoqué ce petit accident.
Regardant mon interlocutrice, j’eus la vague impression de me faire reluquer de la tête aux pieds. Je savais que c’était impoli de bousculer quelqu’un, mais elle n’était pas obligée de me dévisager ainsi. Quel manque de savoir vivre. Ironisa Arsène. Soudain, l’inconnue me demanda si j’étais Boucles d’Or. Ma sœur se mit alors à rire dans ma tête, me donnant presque un début de migraine. On a vraiment la tête de Boucles d’Or ? Non, mais je te jure… Une autre étrangère à notre monde qui essaye de deviner qui est qui… Je ne trouvais pas ça particulièrement drôle. Quoi que comparer Arsène avec Boucles d’Or, si c’était drôle. Toutes les deux n’avaient rien à voir l’une avec l’autre.
- Oh… Euh non… Je suis Antonia Arsène Frollo… La fille du nouveau maire. Expliquai-je.
Je n’apparaissais pas dans le roman Notre-Dame de Victor Hugo, ni dans le film d’animation. Personne ne me connaissait.
- Vous n’êtes pas du monde des contes, c’est ça ? Demandai-je par curiosité.
Si elle voulait savoir d’où je venais, ça ne me dérangeait pas. Ce n’était un secret pour personne.
- J’apparais plutôt dans La Femme au collier de velours d’Alexandre Dumas. Je suis à la fois Antonia et Arsène, les protagonistes féminins. Enfin, c’est compliqué. Je ne vous ai pas faite mal alors ? Je suis encore navrée… Je cherchais une biographie et je ne regardais pas devant moi.