Camelot était sens dessus dessous. Jamais elle n’avait connu pareil débordement de folie, pas même la fête des fous elle-même n’était encore parvenu à lui donner pareille figure. Triste figure à dire vrai, dont les flammes rougeâtres qui léchaient le ciel en toutes parts de la ville venaient ternir le tableau bleuté de la nuit citadine.

A la fin de cette célébration… particulière pour le moins, Clopin n’avait eu d’autre choix que de laisser la Esmeralda se débrouiller par elle-même pour une fois. Prendre pareille décision alors qu’elle défiait le juge Claude Frollo (et il lui avait d’abord fallu un bon instant pour être certain que son cerveau ne lui jouait pas quelque vilain tour) avait été loin d’être chose aisée, mais elle était désormais assez grande pour voler de ses propres ailes. Quant à lui… Eh bien, il avait tous les bohémiens qui comptaient sur lui à protéger. Il ne pouvait pas mettre en péril l’entièreté de sa Cour pour sa fille, aussi fort la chérissait-elle, bien qu’elle fût tant aimée de tous qu’ils l’auraient certainement suivi sans sourciller s’il leur avait demandé. Mais avec le Roi de Thunes venaient trop de responsabilités pour qu’il puisse se permettre pareil égoïsme.

Il lui était cependant tout bonnement impensable de rester cloîtré toute la nuit alors que ce maudit juge ravageait tout Camelot à la recherche de sa protégée. Lui-même n’était pas sans s’inquiéter qu’elle ne soit pas encore de retour près de lui, cependant il savait des mouvements des argotiers que ce n’était pas parce qu’Il lui avait mis la main dessus. S’il se rabaissait à essayer d’acheter les tsiganes afin qu’ils lui révèlent la position de la Esmeralda c’était que l’heure était réellement grave. Il ne se faisait aucun soucis quant à leur loyauté, aucun d’entre eux ne révèlerait jamais la position de la cour, mais il se faisait plus de soucis pour leur sécurité. Il n’avait pas encore commencé à les arrêter pour le seul crime d’exister mais… encore… Là était tout le fond du problème.

Clopin s’était alors empressé de revêtir une tenue plus discrète que sa tenue de scène qu’il n’avait pas encore eu le temps de changer puis s’était éclipsé hors des catacombes. Plusieurs gitans partirent à sa suite dès qu’ils le virent gravir les marches de leur entrée secrète, qui savaient que leur roi ne saurait rester passif face à un tel spectacle et avaient décidé de le suivre que cela lui chante ou non. Il les aurait volontiers forcés à rester sur place par ordre de leur chef Coësre, mais au fond de lui leur présence le rassurait, d’une certaine manière. Ensemble ils étaient plus forts.

Mais il avait été trop imprudent… Dans son empressement pour retrouver la Esmeralda au milieu du chaos ambiant il avait pris trop de risques et trop rapidement ses amis et lui s’étaient retrouvés encerclés par un corps de garde. Ils s’étaient battus becs et ongles, Clopin jouant des deux épées courtes qu’il tenait dans chaque main et tentant de leur permettre de s’enfuir grâce à leurs habituels subterfuges à base de grenades de fumée, mais s’il avait réussi à permettre ainsi à la plupart des autres gitans de s’enfuir il s’était fait pincer par un des gardes. Le Duc d’Agrabah, un de ses plus proches lieutenants, qui était venu à son secours ne tarda pas à se retrouver lui aussi aux fers. Par chance, les autres gitans ne se montrèrent plus et tous deux qui se débattaient comme deux beaux diables semblaient donner suffisamment de fil à retordre aux miliciens pour qu’ils n’aient pas le temps de s’en inquiéter. Bien entendu, ils savaient déjà qu’ils avaient fait une trop belle pêche pour laisser filer leur prise.

On le traîna ainsi devant Claude Frollo, à qui il se contenta de montrer les crocs tandis qu’il le toisait du haut de son canasson.

« La fête ne fait que commencer, Juge ! » hurla-t-il par-dessus son épaule tandis qu’on l’emmenait jusqu’en prison.

La visite dudit juge à sa cellule ne se fit d’ailleurs pas attendre. On l’avait placé dans une cage isolée tandis que le cagoux, c’est-à-dire le Duc, avait tout bonnement été jeté dans la même que d’autres gitans arrêtés plus tôt dans la soirée.
Comment ce fou de Frollo pouvait-il croire que Clopin troquerait sa liberté (autant dire la corde, ce serait plus juste venant de lui !) contre sa fille ? Dans tous les cas, il ne savait pas lui-même où elle se trouvait. Et, l’aurait-il su, qu’il aurait préféré mourir derechef que le lui révéler. D’un bond, il se retrouva face à lui, seulement séparés par les barreaux d’acier, un rictus narquois étirant son visage tandis qu’il lui répondait :

« Promettez-moi plutôt la corde si vous voulez être crédible, juge. » Il avait particulièrement appuyé le dernier mot, le crachant presque et avec lui toute la haine, le mépris et le dégoût que lui inspirait cet homme face à lui. Mais son visage se durcit lui aussi, reflétant à peu près à l’exactitude ces mêmes sentiments, tandis qu’il continuait : « Je vous préviens… Si vous posez le moindre doigt sur la Esmeralda, si vous touchez au moindre de ses cheveux… » Il marqua une légère pause, son regard planté dans celui de Frollo ne cillant même plus, « C’est à toute la Cour que vous aurez à en répondre. » Il avança quelque peu son visage entre les barres étroites de sa cellule et termina : « Et je me ferai un plaisir personnel de vous voir quémander une pitié qui n’arrivera jamais du peuple que vous haïssez tant. »

Il se recula légèrement dans la cellule, ne quittant toujours pas son vis-à-vis du regard, l’avisant, fier, orgueilleux. Un nouveau sourire étira son visage qui avait repris l’apparence de ses habituelles bouffonneries, tandis qu’il lui dit sur un ton qui s’apparentait presque à de la conversation pour lui :

« Vous ne la trouverez pas. Elle est bien trop maligne pour vous. »