Le père Goode est précieux et il l'a toujours été. Je doute que sans son aide et son abnégation, notre ordre est survécu à l'avènement d'un nouveau siècle. Bien sûr, de moi, il ne savait rien, Wendy était et demeure la seule à connaître ma véritable identité et il en est de même pour moi avec elle. C'est un secret que nous partageons donc de concert et ce n'est pas désagréable de savoir que je peux compter sur quelqu'un, comme moi qui plus est. Mais revenons à nos moutons. Je dois beaucoup à mon homme de main et plus encore, je lui dois l'arrivée d'Ethan. C'est une histoire comme les autres. Un jeune homme, que l'on pointe du doigt, que l'on affuble d'une imagination un peu trop débordante pour son âge, que l'on isole parce que trop excentrique. En somme, un être manipulable avec les bons mots. C'est un contact en Écosse, qui nous a parlé de ce jeune homme. À cette époque, pas si lointaine, je n'étais pas encore Victor Whale, mais William Whale, le père. Car oui, je ne vieillis pas ou peu. Et depuis que je connais Goode, il m'a fallu changer deux fois d'identité pour ne pas éveiller les soupçons.

William Whale descendait d'une prestigieuse branche des Inquisiteurs. Je me suis chargé de construire sa légende comme les autres. En règle, générale, je m'arrange toujours pour disparaître à un moment donné tout en gérant l'ordre dans l'ombre par le biais du Grand Inquisiteur. Un être dont personne ne connaît l'identité et que j'ai inventé à l'aube de la création de notre ordre. Il ne doit être présent que rarement (ça facilite les choses) porte toujours un manteau cérémonial accompagné d'une capuche et transmet en général son pouvoir à l'Inquisiteur en chef, en l'occurrence moi et mes faux ancêtres. J'avoue, c'est une vie de mensonges et l'ordre repose lui aussi sur un mensonge.  Mais je ne peux décemment dire à mes fidèles, que je suis issu d'une contrée magique, que je suis en un sens, comme ces êtres que l'on traque depuis toujours, ça n'est pas cohérent avec notre mission. Oui alors, je mens ! Je mens à en perdre haleine, mais c'est pour leur bien. Donc maintenant que William Whale est « mort » c'est son fils Victor qui est l'inquisiteur en chef. Goode n'y a vu que du feu, heureusement. Et j'ai pris la tête de l'Institution depuis « peu » Enfin, je suis sorti récemment de mon trou en ayant en amont, sous le pseudo du « Docteur » prit contact avec Alex Newton, une nouvelle recrue prometteuse, qui ère sur le Dark Web.

Mais l'on s'égare là ! Revenons donc quelques années en arrière, quand je me faisais encore passer pour William Whale et que l'on me mena jusqu'en Écosse pour rencontrer Ethan Debray. Et c'est ainsi que tout commence. Dans un endroit où Ethan avait accepté de me rencontrer, toujours accompagné de mon fidèle bras droit, cela va de soi. D'ailleurs, il me paraissait logique de le laisser commencer, pour introduire la conversation « Ethan, je te remercie d'être venu. J'aimerais donc te présenter quelqu'un ! » Et c'est là, que je rentre en scène en m'approchant lentement avec un sourire qui se voulait amical, comme toujours. « - Bonjour Ethan. Je suis William Whale. Le Père Goode qui m'a beaucoup parlé de vous jeune homme et il me tardait de vous rencontrer. » Oui, j'aurais pu employer la première personne du singulier, après tout, il était jeune, mais je ne voulais pas instaurer de prime abord, une trop grande familiarité. Il fallait y aller en douceur. « J'ai raconté ton histoire à William qui aimerait t'aider » « - Oui et je ne vous parle pas d'une aide psychologique, comme on vous l'a sûrement déjà proposé. Ethan, j'aimerais entendre à nouveau votre histoire, mais plus encore, j'aimerais que vous me parliez de ces choses que vous voyez ! »

Ce cher bougre de Goode, s'est laissé flétrir avec les années et je regrette peut-être un peu, je l'avoue l'impact du temps sur lui. Je me plais alors à imaginer que je suis chanceux, avant de me rappeler que finalement, c'est relatif et voilà que peu à peu cette réalité que je cherche à fuir me rappelle indubitablement à l'ordre. Je mentirais si je disais que de ne pas sentir l'influence du temps sur soi est agréable. J'imagine que ça l'a été un temps. Je mentirais aussi si je disais que de ne pas s'attacher est facile. Mais à quoi bon quand on sait que quoiqu'il arrive, l'issue sera fatale ? Ce n'est qu'une question d'expérience et de pratique. D'un commun accord avec moi -même, j'ai donc appris à me détacher des autres, car à quoi bons s'échiner à développer des liens, puisque leur vie sur terre est aussi éphémère que le battement d'aile d'un papillon ? Mon temps a beau être infini, il n'en demeure pas moins précieux. Tant pis pour le père Goode. Je lui trouverai bien un successeur un jour. Pour l'heure, ma priorité est ailleurs. Ethan Debray, jeune, un fort potentiel en devenir. J'ignore encore s'il est suffisamment malléable, peut-être devrais-je le tester et de ce fait, arborer mon visage le plus avenant. C'est un jeu auquel je sais jouer. Être un autre, brouiller les pistes, tout bon inquisiteur sait s'adapter de par ses observations. Il est primordial d'être le plus fin des observateurs, car même le plus imperceptible des détails peut être utile. La magie n'est qu'illusion et pour combattre une illusion, il faut d'abord la comprendre et pour comprendre, il faut d'abord observer. Encore une histoire de détails, mais j'y tiens. Ethan était un garçon discret, presque chétif, pas le genre à chercher à attirer l'attention. Je le sentais d'ailleurs mal à l'aise, intimidé peut-être. Avais-je vraiment ce pouvoir ? De toute évidence oui à en juger par l'attitude de ma « proie » qui déglutissait en tendant la main. Je savais dès lors que je n'avais pas affaire à un bavard et qu'il me faudrait ramer. Je savais aussi, après avoir pris en considération les précédents comptes rendus de ce cher Goode, qu'il ne fallait pas brusquer le gamin pour instiguer le dialogue et faire preuve de patience. Je me contentais donc du silence, tandis que le gamin regardait ses pieds. Certains pourraient trouver cela gênant, pas moi. La patience est mère des vertus, dit-on et il en faut pour gagner une partie d'échec. Pour l'heure, j'en étais au stade de poser mes pions, un par un certes, mais toujours avec précaution. Ethan voulait parler, il voulait être entendu sans être jugé. Mais plus encore, il voulait être considéré. N’est-ce pas ce que nous voulons tous ?

« - Il y a toujours quelque chose à dire mon grand. Il suffit juste de trouver le bon interlocuteur. » Il haussait les épaules et semblait tellement détaché, sûrement par habitude, puisque de toute évidence, personne ne semblait prêt à croire à ses paroles. « - Je suis de ceux qui pensent que ce n'est pas un mal, d'avoir comme ils disent « trop d'imagination » Cela prouve que ton esprit est ouvert et que ta vision du monde est vaste. Eux cherchent à te cloisonner en te réduisant à n'être rien de plus qu'un gamin excentrique avec une imagination débordante. Ils ont peur inconsciemment de s'aventurer là où jamais ils ne sont allés. » Je pesais chacun de mes mots tout en choisissant délibérément et subtilement de dénigrer celles et ceux qui jusqu'alors n'avaient pas cru en Ethan. Je laisse ensuite mon discours infusé et garde le silence pour lui laisser la parole et lorsqu'enfin, il se décida à me poser la question fatidique, je ne pus m'empêcher d'esquisser un léger sourire. « - Oui, j'y crois, non pas par conviction, mais parce que je sais qu'elle existe. Mais elle n'est pas telle que l'on pourrait l'imaginer vois-tu ? La magie est dangereuse, elle provoque dans notre monde comme une sorte de déséquilibre. Tu comprends ? » Une fois encore, je prenais le temps qu'il fallait pour poser mes mots, en adressant de temps à autre quelques regards à mon acolyte. « - Je sais que c'est difficile à croire et que peut-être, tu doutes que je sois à même de te croire. Beaucoup de personnes se sont moquées de toi n'est-ce pas ? J'étais comme toi lorsque j'étais petit garçon. J'avais comme ils disent, beaucoup trop d'imagination. Mais ça vois-tu c'est pour limiter notre plein potentiel. Ils ne veulent que nous croyions des choses qui les dépassent. » Goode en profita pour se rapprocher, cherchant du regard mon approbation que je lui offris en hochant légèrement la tête. C'était à mon tour de rester en retrait au profit de mon bras droit qui maîtrisait son discours.

« Ethan, je crois en toi et tu le sais ? Tu es pourvu du don de croire et je ne te parle pas de religion cette fois, car la croyance n'est pas seulement inhérente à ce domaine que je représente pourtant… » « - Action, fait de croire une chose vraie, vraisemblable ou possible. » ne puis-je m'empêcher de faire entendre alors que Malcom était en plein développement. Je le connaissais assez pour savoir que cela aller prendre une plombe si je ne l'arrêtais pas avant. « - On peut croire en Dieu, mais nous n'avons pas la preuve qu'il existe, sans vouloir vous offenser mon père. Mais moi vois-tu, je crois en la magie et je sais qu'elle existe, car je la combats depuis longtemps. As-tu déjà entendu parler des inquisiteurs Ethan ? » Je pris grand soin de laisser ma question en suspens pour lui laisser à nouveau la parole et voir si oui ou non, j'étais parvenu à titiller sa curiosité.