J’avais à mes basques un bleu qui n’en était pas encore un. Le gamin, Dean, comme il se faisait appeler, était un pistonné, un de ceux que je n’affectionne que très peu, mais le Capitaine s’était montré clair, je devais jouer les baby-sitters, si je voulais éviter de me prendre encore un blâme et une mise à pied à effet direct et sans soldes en plus. Et puis je pense que les parents de John supporteraient mal de me savoir encore empêtré dans une merde, une de plus. J’avais peur de les décevoir et pourtant, j’avais l’amère impression de ne faire que ça depuis des années. Comme si je n’étais pas capable de faire mieux, et ce, quoique je fasse. C’était peut-être ça ma malédiction, un sentiment constant de médiocrité quoique je fasse.
Pour l’heure, je quittais mon appartement. J’avais décidé de me montrer un peu plus « cool » avec mon protégé, histoire quand même de ne pas trop le dégoûter. J’avais opté pour une sorte d’entrevue à Starbuck autour d’un café à la new-yorkaise dira-t-on. Je lui avais dès lors laissé la possibilité de me poser tout un tas de question sur le job, en promettant à mi- mot de lui répondre sans langue de bois. Par chance, j’avais affaire à quelqu’un de studieux malgré le coup de piston. Ce qui me permit de considérer différemment la jeune recrue. Ce n’était pas une lubie pour lui, mais une envie réelle de s’investir dans la police. Alors pourquoi pas ? Peut-être finirait-il par vraiment se rendre utile ? Et peut-être pourrais-je l'aider comme l'on m'avait aidé à son âge. Mais plus encore, peut-être pourrais-je l'empêcher de bafouer la profession comme d'autres avant lui. Une façon pour moi de payer ma dette à John en un sens.
Nous nous quittâmes trois heures plus tard. Lui ayant des impératifs et moi aussi d’une certaine façon. Je n’étais pas loin de Central Park. Portable en main, je farfouillais mon répertoire avant de tomber sur le numéro de Mery. Puisqu’elle était peut-être en service – vu l’absence de la calèche dans le coin – je préférais opter pour le texto, lui faisant ainsi savoir que je n'étais pas loin et que ça serait sympa de se voir, pas juste pour échanger boulot. Car en plus d’être ma cousine, cette chère Mery était aussi l’un de mes indics les plus fiables dans le coin. Dès lors, il ne me restait plus qu'à attendre sa réponse.
Ce matin, Mery se leva seule dans son petit appartement du Queens. Elle savourait toujours autant ces nuits en "célibataire", même si avoir un homme dans son lit de temps en temps était fort agréable. C'était plus les conversations qui s'en suivaient qui l'ennuyaient davantage.
Elle jeta un coup d'oeil à son réveil et vit qu'elle avait du temps devant elle pour trainer sous la couette. En effet, il n'était que huit heures trente et elle commençait son service dans le parc qu'à midi. Se prélasser sous la couette était ce qu'elle préférait avec la météo qui se rafraîchissait.
Elle avait de la chance, son appartement se trouvait à vingt minutes à pieds de son travail. Rien de tel que de marcher dans les rues de cette mégalopole pour se réveiller et pour apprécier le calme et la sérénité de Central Park.
Elle ne considérait pas son job comme véritablement un travail. Elle passait ses journées avec des chevaux, elle n'en avait rarement vu de plus beaux et de plus dociles. La rouquine arrivait toujours avec beaucoup d'avance aux écuries afin de s'en occuper comme ils le méritaient. Elle avait un faible surtout pour un magnifique cheval noir avec quelques traces de blanc au niveau des pattes.
En parlant d'Angus, elle avait une surprise pour lui et un peu pour les autres (pas de jaloux). Dans son sac à dos, elle avait rangé un gros sac de carottes. Il en raffolait, elle le savait et le récompensait régulièrement du bon travail effectué dans les allées du parc.
A midi, après avoir mangé une fois de plus sur le pouce, elle sortit sa calèche du garage et y attela un cheval avec une robe couleur bai : les poils étaient de couleur rouge, les crins et les extrémités des membres étaient noirs. Il avait fier allure de se voir choisi pour les balades du jour.
Mery fit son tour de vérification comme à chaque fois et se mit en place à l'entrée du parc comme à son habitude. Un premier couple de touristes accepta ses services et elle partit au pas dans les travées de Central Park pendant que les amoureux roucoulaient dans la calèche.
Son portable posé à côté d'elle se mit à vibrer. La jeune femme vit qu'il s'agissait d'un texto envoyé par Bobby. Son cousin préféré n'était pas très loin de là et lui proposa de se voir. Comme ses passagers étaient bien trop occupés à s'embrasser, elle prit le temps de lui répondre rapidement.
"On peut se voir dans dix minutes au même endroit que d'habitude."
Elle avait hâte de le retrouver, ça faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas vu et qu'ils n'avaient pas pris le temps de papoter. Bobby était vraiment le seul membre de sa famille qui la comprenait et avec qui elle était toujours en contact.
Je ne saurais pas dire pourquoi, mais d’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé l’automne. Peut-être était-ce la couleur changeante des feuilles, ce magnifique dégradé oscillent entre le jaune et l’orange. Peut-être était-ce aussi le fait que les journées paraissent moins longues, le soleil se couchant plutôt. Ou alors cette atmosphère étrange, ce temps brumeux, ces températures plus froides nous obligeant à d’avantage nous couvrir et à boire plus de boissons chaudes. Je ne sais pas et je ne l’ai jamais su. Toujours est-il que j’adore l’automne même si là, je commence un peu à me peler le cul sur ce banc. Mais là, je ne peux m’en prendre qu’à moi et à moi seul.
Pour passer le temps, parce que j’étais quasi-sûr que Mery n’allait pas rappliquer à la seconde, je sortis de la poche de ma fidèle veste en cuir, un paquet de Marlboro. J’avais pourtant prévu d’arrêter, du moins cette année. Mais preuve que les habitudes, aussi mauvaises soient-elles, ont la vie dure, je ne résistais pas longtemps à l’envi de m’allumer une clope et de sentir sur mes lèvres légèrement sèches, le goût du tabac qui s’imprégnait aussi sur le bout de mes doigts si bien que longtemps après, je pouvais, tel un accro, continuait à sniffer l’odeur. J’avais un problème, mais je préférais cette addiction à l’autre. Au moins cela ne me faudrait pas un séjour en clinique et tout le processus qui va avec.
Je ne pouvais prétendre être totalement sobre, bien que cela fasse cinq ans que je n’ai pas touché à une goutte d’alcool. Il m’arrivait encore quelques fois, d’avoir envie d’un verre. Un seul, rien de plus, avant de me rendre compte qu’en agissant ainsi, je mettrais à mal toutes ces années d’efforts et de sacrifices. Je me retrouvais donc à appeler mon parrain, lui faisant savoir, honteux, que l’appel du verre me titillait encore avant de me reprendre et de raccrocher pour ensuite aller courir ou m’enfermer dans une salle de sport pour évacuer ce qu’il y avait à évacuer. Mais pour l’heure, je me contentais de fumer ma cigarette, assis sur un banc à observer les gens, sans grand intérêt, juste pour passer le temps. Mery m’avait dit « dix minutes » à l’endroit où nous avions l’habitude de nous voir. Ce qui m’obligea à migrer et à abandonner sans regret, le banc sur lequel je me pelais le cul jusqu’alors.
Elle était une partie de ma famille de sang, celle que je ne connaissais que depuis peu à vrai dire. Car pendant longtemps, ma seule famille, c’était celle de John. Malgré tout, je n’avais pas pu renier cette infime part de moi qui voulait depuis toujours, connaître ses origines. Mery était la fille de l’une des sœurs de ma mère. Que je n’avais d’ailleurs toujours pas revu, elle s’y étant refusée. Mery m’avait toutefois acceptée. Elle était bien plus jeune, mais plus raisonnée et tolérante. Nous nous sommes bien trouvés tous les deux et je me plais à dire que nous formons une sacrée bonne équipe, si bien qu'il n'est pas rare qu'elle collabore sur certaines affaires. Mais je veille à ce qu'elle ne prenne aucun risque, ni court le moindre danger aussi intrépide soit-elle.
Tiens, d’ailleurs la voilà qui arrive.
« - Hey ! Où je suis en avance ou tu es à la bourre ! »
Depuis qu'elle avait reçu le message de son cousin, Mery se mit à penser à sa famille. Ses parents, cela faisait plusieurs années qu'elle ne leur avait plus donné de nouvelles et ils n'avaient rien fait, qu'elle ne sache, pour la retrouver et renouer les liens.
Du jour au lendemain, elle avait décidé de quitter le cocon familial et la vie scolaire pour travailler avec les chevaux de Central Park. Décision qu'elle ne regrettait pas même si l'envie d'avoir des nouvelles de ses frères et soeurs la titillait de temps en temps.
En parlant d'eux, après son départ, elle les avait espionné à leur sortie de cours une fois ou deux, même trois, peut-être plus. Ils lui manquaient plus qu'elle ne voulait se l'avouer. Elle se positionnait derrière un arbre de l'autre côté de la rue et les regardait quelques instants avant de les voir monter dans le bus qui les ramenait près de leur appartement.
Plusieurs fois, elle avait un élan vers eux, elle voulait leur parler, savoir comment ils allaient, comment se passaient leurs vies depuis qu'elle était partie. Leur expliquer son départ, leur dire qu'elle ne les oubliait pas et qu'elle ne voulait pas les abandonner. A chaque fois, au moment où elle allait se lancer, c'était à cet instant que le bus arrivait pour les récupérer. Elle repartait toujours aussi frustrée et déçue se promettant de moins hésiter la fois suivante, mais elle hésitait toujours autant et avait fini par arrêter d'aller les voir.
Revenons à Bobby, Mery avait découvert l'existence de ce cousin germain depuis peu de temps. Il avait contrôlé ses papiers d'identité un jour alors qu'elle se rendait sur son lieu de travail. C'était en voyant son nom de famille et en discutant quelques instants qu'ils comprirent qu'ils venaient de la même famille. Depuis, ils se voyaient régulièrement car quelque soit le passé de l'un, l'autre l'avait accepté et c'était réciproque. Mery voyait des fois Bobby comme le grand frère qu'elle n'avait jamais eu.
La rouquine avait fini son tour de calèche avec le couple d'amoureux. Elle avait son moment de pause de la journée. Donc après avoir détaché son cheval et après lui avoir donné sa ration de foin, elle partit rejoindre son cousin.
Elle le repéra de loin et se mit à courir pour arriver à son niveau. Il commençait déjà à râler tout en rigolant, comme à son habitude, en tout cas avec elle.
"Ca va, Bobby, je n'ai que deux minutes de retard ! Il y en a qui bosse ici !" dit-elle en rigolant elle-aussi. "Qu'est ce qui t'amène dans le parc cousin ? Je te manquais tant que ça ?"
De vous à moi j’ai une notion particulière de la famille. Si pour certains, c’est un des piliers essentiels de la vie, pour moi ça n’a aucune importance. C’est un fait, nous avons tous une famille par définition. Mais la mienne, « l’officielle » est le genre d’exemple qui vous fait dire, qu’on ne choisit pas sa famille. Et elle ne m’a pas choisi non plus. Cela pourrait se résumer à une détestation mutuelle, si je me mettais à personnifier « ma famille. » Par chance, j’ai passé outre les faux départs, l’abandon, les emmerdes et les drames pour me trouver ce qui ressemble le plus à une famille, que je préfère nommer « mes proches » pour m’éviter les amalgames. De toute façon, il suffit de voir les parents de John pour comprendre que ce ne sont pas les miens biologiquement parlant. Enfin bref, la famille ce n’est pas tellement mon délire. Sauf peut-être avec Mery, qui pour une raison que j’ignore encore, est vraisemblablement la seule personne que le tolère et que j’apprécie du côté Arrow. Elle ne me rappelle rien ni personne et surtout pas ma connasse de mère. Ouais, je sais, il est plutôt mal venu d’insulter la personne qui vous a mis au monde. Car en un sens vous lui êtes redevable. Sauf que moi, sans vouloir faire dans le pathos, je ne suis pas sûr que ma venue sur terre eût été une bénédiction pour elle. Sinon quoi, elle ne m’aurait pas abandonné. Qu’on se le dise, elle a juste été baisée par le mauvais gars, un enfoiré de trou du cul qui n’a pas été capable de se tenir la bite. Et me voilà !
Elle, que je préfère nommer comme ça plutôt que de me faire chier à dire son prénom, s’était amourachée du type. Grossière erreur ! Et n’a pas supporté de le voir mettre les voiles pour me laisser seul avec elle. Le foyer, le refuge, l’orphelinat, appelez ça comme vous voulez, ça n’en reste pas moins de la merde. On est seul, on ne comprend pas, on grandit avec de la colère, on fait des conneries et on arrive parfois à se demander si la famille ce n’est pas genre un mythe. J’ai fait pas mal de conneries et attendu longtemps avant que l’une d’entre elles, ne se décide à m’accueillir. Un flic ! Qui l’aurait cru ?! Il m’a montré la voie et me voilà à nouveau ! Mais je m’en veux, parce que je vois moins les parents de John et j’ai parfois l’impression de trahir sa mémoire avec ma petite croisade. Mouais, être un trou du cul ce n’est pas facile tous les jours. Mais j’ai de la chance, certaines personnes arrivent encore à me tolérer.
« - Tu sais qu’on peut faire beaucoup de trucs en deux minutes. Mais je ne vais pas développer au risque de te choquer dans le meilleur des cas. » J’esquissais un sourire, ravi de la retrouver et de la taquiner qui plus est. « - Et bien je ne suis plus de corvées baby-sitter avec le petit nouveau, du moins pour aujourd’hui et comme je n’étais pas loin du parc, je me suis dit que c’était peut-être une bonne idée de passer dans le coin et de venir aux nouvelles de ma chère cousine. Et aussi éventuellement de me faire payer un truc chaud, genre tu sais le super chocolat à la cannelle qu’ils servent pas trop loin d’ici. Avec la part de tarte aux pommes qui va avec bien sûr. Ca te tente ? Et puis je commence à me peler un peu le cul alors autant se mettre au chaud.»
Mery écouta son cousin Bobby discourir sur ce qu'une personne pouvait faire en deux minutes. Elle leva les yeux au ciel, il lui parlait comme si elle était prude et qu'elle ne savait pas à quoi il faisait allusion.
Elle était en couple depuis plusieurs mois et avait l'habitude du sport de chambre. Ca durait toujours plus de deux minutes. Comme ils étaient tous les deux sportifs, c'était plutôt un marathon. Mais elle ne voulait pas rendre jaloux son cousin, donc elle ne dit rien et ne releva pas la remarque.
Bobby se mit ensuite à parler de son boulot et du fait qu'il avait encore une nouvelle recrue. Elle savait qu'il avait horreur de cela même s'il prenait son rôle très au sérieux et montrait tous les risques du métier afin de préparer ses "bleus" à ce qui les attendait dans leur future vie professionnelle.
"Je vois que ton patron t'utilise encore au meilleur de tes capacités !!" lui lança-t-elle sur le ton de la boutade. "Il est comment celui-là ? Tu lui donnes combien de temps avant de renoncer à sa plaque ?" demanda-t-elle avec un ton plus sérieux.
Bobby lui avait raconté à de nombreuses reprises cette partie de son travail qu'il faisait à reculons, mais qu'il faisait le plus sérieusement possible quand même. Il savait que ces jeunes recrues seront un jour ou l'autre sur le terrain qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Autant les former le mieux possible pour éviter toute bavure dans le futur.
"Et le petit tour à la morgue ? Il est prévu dans ton planning de formation des nouveaux ? Tu m'as toujours dit que tu reconnaissais un futur bon flic à la résistance de son estomac." dit-elle en rigolant.
Il la regarda en levant à son tour les yeux au ciel. Cela fit sourire encore plus Mery. Bobby lui expliqua ensuite sa venue dans le parc, il voulait profiter de ne pas être loin de Central Park pour venir prendre de ses nouvelles. Comme c'était charmant de sa part ! La rouquine ne put s'empêcher de lui envoyer un pic comme elle avait l'habitude de le faire. Il le lui rendait toujours bien.
"Dis plutôt que tu avais du temps à perdre et tu voulais te faire payer le super chocolat chaud que tu aimes tant !" lui dit-elle. "Allez, viens, j'ai pitié de tes fesses congelées. Allons manger au chaud une petite douceur."
J’observais les feuilles tomber avec légèreté. Elles étaient parées de leurs plus belles couleurs, oscillant entre le jaune et l’orange, entre la chaleur et la saturation extrême. Mais offrant tout un panel de couleurs à qui prenait le temps d’observer. C’était l’automne ! Et si peu à peu les arbres se découvraient, les gens eux commençaient à se couvrir. Les bonnets étaient de sortie, tout comme les écharpes. Moi, j’avais encore un train de retard avec mon pull trop léger pour filtrer le froid et ma veste en similicuir grisâtre pourvue d’une capuche. Nul doute qu’il me faudrait, ressortir le long manteau à regret. Mais pour l’heure, bien loin de mes considérations vestimentaires, je retrouvais avec joie, ma chère cousine que je me plaisais à charrier avant de lui servir un petit brief donc j’avais le secret.
« - Non, le boss me punit. Il sait que le simple fait de me coller un bleu m’emmerde davantage qu’un blâme. Donc il a compris la technique ce trou du … » Je préférais m'arrêter là histoire de ne pas nommer ledit trou. Et puis Mery savait à quel point je portais mon supérieur dans mon cœur, nul besoin de m’épandre à nouveau sur cet amour indéfectible. L’on pouvait toutefois parler du « bleu » ça n’engageait à rien sauf peut-être de faire légèrement siffler ses oreilles. « - Honnêtement j’ai grincé des dents. C’est un pistonné, il n’a pas eu besoin de passer le concours d’entrée. Mais il veut bien faire. Pour preuve il a accepté d’aller nous chercher un kébab pendant que je faisais une descente « animale » chez Olympus. Le bleu est revenu dans la bagnole, on était en planque et il m’a attendu sagement. Il n’a rien dit à Weaver, alors qu’il aurait pu. Donc bon pour l’instant, si on omet le piston, ça peut aller. Mais je ne vais pas l’épargner malgré tout. J’ai besoin de voir ce qu’il a dans le ventre. Je lui laisse un mois et s’il me résiste je ferais moi-même de la lèche au Capitaine pour qu’il ait sa propre plaque. » D’aussi loin que je m’en souvienne, très peu de bleus m’avaient résisté. Si bien qu’au bout d’une semaine, la plupart demandaient à changer de service.
« - Attends, faut que je ménage le suspens aussi. Le petit tour à la morgue c’est le test ultime. J’attends la prochaine fusillade entre gang et je me réserve un créneau. » lançais-je avec légèreté à la suite de Mery. Elle me connaissait assez bien pour mettre à mal « ma pédagogie » et je la connaissais assez bien pour savoir qu’elle n’allait pas tomber dans le panneau du « j’étais à côté alors je me suis dit que j’allais venir aux nouvelles. » Elle était forte, tellement que je regrettais de ne pas l’avoir convaincu de passer le concours de police. Toutefois, je pouvais me consoler d’avoir l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure indics de tout Central Park.
« - Moi me faire payer un chocolat chaud ? » dis-je sur un air théâtral avant de reprendre un ton plus neutre. « - Mais comme tu le proposes je me vois mal dire non. Mes fesses congelées te seront quant à elles, éternellement reconnaissantes. » Et nous quittâmes les lieux pour retrouver l’un des cafés que nous avions l’habitude de squatter à chaque fois que nous passions un peu de temps ensemble. « - Près de la baie vitrée comme d’hab ! » lançais-je au serveur qui venait de nous reconnaître pour ensuite nous mener vers notre table. « - Ils ont remis le chocolat chaud à la cannelle avec des guimauves. Autumn is coming ! » lançais-je victorieux en retirant ma veste pour la déposer sur le dossier de la chaise. « - Ça veut sûrement dire que la tarte aux pommes et aux noix de pécan et aussi de retour et ça, ça n’a pas de prix. Bon à part ça, tu ne m’as pas dit comment ça va avec… » Son prénom m’échappait encore, mais je savais qu’il y avait un petit copain, si bien que j’avais oublié le prénom qui allait avec en digne « grand frère » que j'étais.
Mery écouta de nouveau son cousin se plaindre de son chef comme presque à chaque fois qu'ils abordaient le sujet ensemble. Elle savait à quel point un rien pouvait énerver Bobby surtout quand ça touchait sa liberté ou sa façon de travailler et surtout quand ça venait de son abruti de chef.
Sur la route en direction de leur café préféré, la rouquine prêta attention aux réponses concernant le nouveau "bleu" qu'il était en train de bizuter. Ce dernier représentait tout ce qu'il détestait notamment car il n'avait pas galéré comme d'autres en entrant dans les forces de l'ordre sans passer par l'étape concours.
Malgré ce point négatif avec lequel la nouvelle recrue commençait sa formation, il avait réussi à en marquer des positifs en écoutant les ordres que Bobby lui avait donné et en ne le dénonçant pas à sa hiérarchie pour sa descente cavalière dans un des clubs louches de la ville.
"Il a peut être une chance de te survivre celui-là !" lui lança-t-elle pour le faire râler. "En tout cas, il n'a pas encore demandé à changer de service aussi rapidement que le dernier !" dit-elle en rigolant.
Une fois arrivés au chaud dans leur repère, Bobby interpela le serveur et se dirigea vers leur table habituelle contre la vitre. Mery en profita pour commander leur chocolat chaud et une part de tarte chacun. En attendant leur commande, son cousin joua au grand frère et demanda des nouvelles de son copain. Comme d'habitude, il avait oublié son nom. Mery se renfrogna à l'abord de ce sujet.
"Ah... Tu veux qu'on parle de l'autre ahuri qui me sert de petit ami ? Très bien, parlons-en !" dit-elle avec froideur. " Au lit, aucuns soucis, c'est même le pied intégral !" La rouquine vit son cousin réagir à ses dires, cela la fit rire et réchauffa un peu le ton de la conversation.
"Par contre, niveau conversation, on n'est pas trop sur la même longueur d'ondes. Il voudrait plus d'engagement de ma part dans notre relation mais j'adore l'arrangement actuel ! Juste se voir quand on en a envie et ne pas s'ennuyer avec le quotidien, c'est le top !" conclut-elle avec désespoir et en levant les bras comme pour supplier le ciel.
Oui, la relation avec son copain était compliquée. Elle aimait bien ne pas être seule certains soirs, profiter de la chaleur humaine que pouvait procurer un câlin. Mais Mery avait vraiment en horreur tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un engagement. Et son mec, même s'il le savait, n'avait pas l'air de le comprendre et de l'accepter.
"Et toi alors ? Toujours que des filles de passage dans ton lit ?" lui demanda-t-elle à son tour.
Juste à ce moment là, leurs petites douceurs furent servies par leur serveur habituel, plutôt beau gosse d'ailleurs. La jolie rousse commença à souffler doucement sur sa tasse et à y tremper ses lèvres. Elle regarda par dessus le mug Bobby dans les yeux pour essayer de décrypter ses réactions. Petite astuce qu'il lui avait appris d'ailleurs afin de mieux cerner une personne et savoir si on lui mentait ou non.
Mery était l’une des rares personnes qui allaient au-delà de la rudesse que je renvoyais et elle me connaissait assez bien pour savoir que cette image que j’entretenais avec soin, n’était qu’une infime part de ce que j’étais vraiment. Avec le temps, j’avais appris à cloisonner. En public et au boulot je demeurais un indécrottable connard, dans le privé avec les personnes que j’estimais un tant soit peu, j’abaissais légèrement ma garde pour être un peu plus agréable. Mery savait aussi me faire râler sans craindre mon courroux. Je la soupçonnais même de prendre plaisir à me voir jouer les vieux ronchons.
« - Non, personne n’a aucune chance de me survivre. Je suis juste tombé sur quelqu’un d’un peu plus résistant. » Je ne voulais surtout pas admettre que je commençais à apprécier le petit. Cela relevait de l’aveu de faiblesse et j’étais tout sauf faible, même avec ma chère et très estimée cousine. « - J’attends de voir qu’il fasse ses preuves. »
Nous retrouvâmes rapidement notre repère et notre habituelle table collée à la vitre, nous offrant de ce fait, une agréable vue sur l’extérieur et sur les feuilles tombantes. La commande vite expédiée, je me risquais à lancer les premières hostilités en digne grand frère que je demeurais. Et à ma grande surprise, le ton semblait plutôt froid. « - Bah dit donc, en général quand on commence comme ça, ce n’est jamais bon signe. » Mais venant d’elle j’aurai dû rester méfiant, car de suite elle embraya sur un sujet qui me mit de suite mal à l’aise. « - Hey stop ! Je ne veux rien savoir de ta vie sexuelle. » Elle se riait de moi et de mon malaise, petite peste, mais je ne l’appréciais que plus encore. Tout comme j’appréciais la franchise que nous avions l’un envers l’autre. Elle reprit ensuite son sérieux et je compris que la suite allait être importante, assez pour être attentif à ses dires.
« - Ah! Je vois. Ça te donne l’impression qu’en voulant plus d’engagement, il empiète sur ta liberté c'est ça ? Malheureusement pour toi, je suis de loin le pire des conseillers en matière de relation amoureuse. Peut-être que tu devrais prendre le temps de la réflexion. Est-ce que tu l’apprécies au moins ? Si oui, essaie d’avoir une conversation avec lui pour lui faire comprendre que tu es intransigeante sur certaines choses. Et s’il ne veut pas comprendre, tire-toi ! » Je n’en revenais pas, me voilà à donner des conseils, alors que sentimentalement parlant j’étais tout sauf un exemple à suivre.
Mais pourvut de sa légendaire curiosité que je pouvais parfois exécrer, Mery se risqua à me demander ce qu’il en était de moi, alors que notre commande était en approche. Un léger silence s’instaura entre nous, le temps que le serveur dépose les deux tasses fumantes de chocolat et les deux parts de tarte aux pommes noix de pécan. Mery se saisit de son mug et m’observa par-dessus, mettant en pratique l’une des techniques que je lui avais enseignées pour déceler le mensonge chez la personne observée. Alors je pris sur moi, en prenant une grande inspiration tout en coupant un bout de tarte pour le porter jusqu’à ma bouche.
« - Non. » commençais-je « - Pas depuis plusieurs semaines. J’ai changé de réveil par contre. » Une façon pour moi de détourner la conversation. « - Hum la tarte est toujours aussi bonne hein ? »
Le chocolat chaud était toujours aussi délicieux, la tarte tout autant. Et les déguster en compagnie d'une personne qu'elle appréciait était la cerise sur le gâteau pour Mery. Cela lui permettait de changer d'air et de ne pas penser aux soucis du quotidien, tant au niveau professionnel qu'au niveau personnel.
Après avoir parlé de ses soucis de communication dans son couple avec son cousin, celui-ci lui posa quelques questions et essaya du mieux qu'il put lui donner des conseils. Mery connaissait très bien la vie sentimentale de son cousin et le voir essayer de l'aider en lui donnant son avis avait quelque chose de comique. Lui, l'indécrottable célibataire qui allait d'une conquête à une autre sans prendre le temps parfois de connaitre son nom, se transformait pour sa cousine en conseiller matrimonial.
Oui, il avait raison sur un point, elle n'aimait pas se sentir prise au piège. Elle avait toujours été férue de liberté et de grands espaces d'où son travail dans Central Park où elle passait sa journée à l'extérieur. Autre question intéressante posée par son cousin, l'appréciait-elle ? Vaste question que celle là !
"Tu as combien de temps devant toi ? Parce que là, c'est une question de philo que tu me poses ! Est-ce que je l'apprécie ? J'en sais rien à vrai dire. On peut y mettre tellement de signification dans ce verbe. Je sais pas quoi te répondre, mais tu as raison sur un point, faut que j'y réfléchisse sérieusement." dit-elle avec beaucoup de sérieux.
Elle se tut pour prendre une gorgée de son délicieux chocolat chaud. Elle réfléchit à tout ce que venait de lui dire Bobby. Pour quelqu'un qui se disait mauvais conseiller, il avait plutôt été fort et efficace sur ce coup là.
A son tour de répondre à sa question, comme d'habitude il lui dit un bout de vérité tout restant bien entendu évasif. Il n'avait pas changé, malgré tout se qu'ils s'étaient déjà racontés, il ne voulait jamais entrer dans les détails, avouer ses sentiments.
Pudique ou simplement parce que c'était un homme ? Et pour ne vraiment pas changer ses habitudes, le voilà en train de changer de sujet ! Elle ne releva pas histoire de ne pas le froisser et joua son jeu.
"Il t'a fait quoi celui là ? Il a osé te réveiller à l'heure prévue ?" dit-elle en rigolant. "Ou c'était le cadeau d'une pauvre fille à qui tu as brisé le coeur ?"
"Bon, à part nos histoires de coeur pas très reluisantes, qu'est-ce que tu racontes d'autre ? Tu as vu le journal ce matin ? Il paraît que le maire va organiser une super fête pour Halloween dans le parc. J'espère qu'ils vont pas tout détruire avec leurs stands !! Tu vas y aller ou tu vas encore faire ton solitaire ?" demanda-t-elle à Bobby sur le ton de la conversation même si le moment où elle avait parlé de son parc, une pointe de colère lui cassa la voix.