La veille

Tout était prêt. J’étais au point de rendez-vous avec tout le matériel : un kit de crochetage, et un sac assez grand pour récupérer ce que nous étions venu voler. Il ne me manquait que mon collègue. J’étais bien capable d’effectuer des cambriolages seul. Mais il fallait bien l’avouer, un peu d’aide n’était jamais de trop. Après, il fallait trouver la bonne personne. Les voleurs ne sont pas tous des personnes honnêtes, il ne faut pas se leurrer. Cependant, j’avais confiance en Mercutio. Enfin, pour le moment. Il n’avait encore jamais essayé de me la mettre à l’envers. Pas quand on prévoyait de travailler ensemble, tout du moins. Parce qu’il nous arrivait d’avoir pour projet de braquer le même endroit, le même jour… C’était d’ailleurs comme ça que nous nous étions rencontrés. Mais depuis, nous faisions attention.

Ca ne ressemblait pas à mon collègue que d’être en retard. Ma montre affichait qu’il aurait dû être là il y a dix minutes déjà. Encore dix de plus et il allait falloir que je fasse demi-tour. Je sais, ce n’était pas si long vingt minutes. Mais là, il ne s’agissait pas d’un rendez-vous romantique, c’était un cambriolage finement préparé, je n’avais pas toute la nuit à attendre, on avait prévu notre fenêtre d’action, si ce n’était pas maintenant, ce serait trop tard. Par acquis de conscience, j’attendis encore ces dix minutes avant de me résoudre : Mercutio ne viendrait pas. Bloddy Hell. J’avais besoin de cet argent…

J’avais hésité à y aller seul avant de me résoudre. C’était trop dangereux. J’étais peut-être parfois impulsif, mais je n’étais pas un imbécile fini non plus. Je savais que sans Mercutio je me ferais prendre. Et je n’avais pas envie de retourner derrière les barreaux.

Le lendemain

Le mal de crâne. Pourquoi je continuais de m’infliger ça, hein ? Je n’avais pas beaucoup de thunes et pourtant, je trouvais quand même le moyen de griller tout ce que j’avais dans de l’alcool, et finissait toujours par le regretter. Bref, je n’en étais pas à ma première gueule de bois, j’allais survivre, je le savais. Un peu de paracétamol et c’était reparti. Normalement je ne travaillais pas aujourd’hui, ce qui m’arrangeait plutôt bien pour tout vous avouer. Quoique, non en fait, ça ne m’arrangeait pas. La soirée de la veille me revint à l’esprit. Il fallait que je paye mon loyer et j’avais tout passé dans du whisky après m’être fait planté par Mercutio.

Finalement, j’étais peut-être encore plus bête que ce que je pensais. Allez, il était encore tôt, peut-être que je pourrais trouver quelques trucs à piquer et à revendre dans la journée, ce n’était pas encore perdu. Je pris une douche éclaire avant de quitter mon appartement à la recherche d’aventure. Ou plus exactement de quoi payer mon loyer, si je ne voulais pas finir à la rue en moins de deux. J’aurais peut-être vraiment dû considérer l’idée de faire une coloc, mais je ne sais pas si j’avais très envie de partager mon espace de vie.

Est-ce que je m’inquiétais de savoir pourquoi Mercutio m’avait planté hier ? Pas tant que ça. C’était un collègue, il ne me devait rien. Mais quand même, un message ça lui aurait fait trop de mal ? Au moins ça m’aurait épargné d’attendre bêtement. J’aurais pu l’appeler pour savoir de quoi il en retournait. Cependant, c’était possiblement une très mauvaise idée, sait-on jamais dans quoi il s’était fourré. J’étais bien placé pour savoir que la vie de voleur était loin d’être tranquille. D’ailleurs en parlant de vol, je n’étais pas sorti pour me tourner les pouces. J’inspectai les environs pour essayer de repérer une victime quand… Mercutio ? A parler du loup…. Il était là, à promener son chien, tranquillement. Sans hésiter j’allai à sa rencontre :

- Alors, comme ça on ose me poser un lapin ? J’espère que t’avais une bonne raison parce que t’imagine ? J’aurais pu choper la crève à attendre dans le froid !

Je n’étais pas vraiment énervé. Même pas du tout, c’était juste pour l’embêter que je prenais ce ton faussement indigné. Je me doutais bien qu’il avait une bonne raison, mais cela n’empêchait pas le fait que j’étais curieux aussi de savoir où il était.

Certes, je n’étais pas énervé, on en aurait d’autre des coups sympa, ce n’était que partie remise. Mais je l’avais un peu mal quand même, parce que maintenant, je ne savais pas trop comment j’allais payer mon loyer. Comment ça avec l’argent de mon salaire que je gagnais tous les mois ? Cet argent était déjà parti dans de nombreuses bouteilles d’alcool qui gisaient vides sur le sol de mon appartement. De temps à autre, il m’arrivait de passer le balai pour les cacher dans un placard ou sous les meubles avant que le propriétaire ne vienne râler que j’étais encore en retard pour le payer. Bref, il devait être habitué depuis le temps, ce n’était peut-être pas plus mal ainsi, au moins, je ne donnais pas de faux espoir à mon propriétaire en, pour une fois, lui versant son loyer en avance.

Je lâchai un soupir dramatique en écoutant l’alibi de mon cher collègue. C’était les risques du métier. Je ne pouvais pas lui en vouloir, pour le nombre de fois où je me faisais chopper. Ce qui était assez amusant, c’est que je me faisais sûrement plus pincer à cause de mon alcoolisme que de mes vols. Enfin, être bourré ne m’empêchait pas de voler, au contraire, mais apparemment, on m’en voulait moins parce que l’alcool était une excuse suffisante pour qu’on finisse toujours par me remettre dans la nature. Il faut dire, à quoi bon punir un gars qui a tenté de voler un panneau clairement soudé à un poteau lui-même enfoncé dans du béton sec depuis des années. Oui, j’étais assez con pour avoir essayé.

- Tu n’as pas tort. Ça me rassure que tu aie pensé à moi là bas quand même. Mais tu sais, je ne fais pas un si mauvais avocat. Je suis plutôt convaincant une fois en costume.

Comme si j’avais un costume. Je n’étais même pas sûr d’avoir une seule chemise déjà. J’étais vraiment le pire de tous. C’était à se demander comment j’arrivais à maintenir une vie à New York sans finir en prison ou à la rue. Il y a des miracles comme ça, que moi-même je n’expliquais pas.

- Un café et un déjeuner sont la moindre des choses je pense pour te faire pardonner. Je suis rincé. Mais t’as pas dû passer une nuit super non plus, remarque. T’es tant dans la dèche pour être aller faire des poches alors qu’on avait un super coup de prévu ?

Bien sûr que je m’inquiétais pour mon pote. Certes, je n’avais pas les moyens de l’aider. Enfin, je ne pouvais pas lui donner de l’argent si c’est ce dont il avait besoin. Mais je pouvais bien faire en sorte de nous trouver un nouveau coup. Peut-être pas aussi grandiose qu’aurait dû être celui d’hier, mais une compensation quoi. Ce qui ne serait pas une mauvaise chose pour moi non plus, remarque.