There's nowhere we can hide

Le plat de sa main frappe la tempe, griffonne la chair tendre. Mais en vain. L'Apparition ne cesse de s'agiter d'une hilarité grotesque. Elle se fait violence pourtant. Fourrage ses doigts dans les mèches blondes pour tirer et tirer encore. A croire qu'il lui suffirait d'arracher sa tignasse. Comme elle voudrait se glisser entre les méninges pour s'emparer de ce qui disjoncte sous son front humide. Seulement il n'est point de torture capable de taire l'Ignominie. Rien. Si ce n'est la mort. Et parfois elle y songe. Parfois elle souhaiterait tout arrêter. S'évanouir dans quelques nébuleuses pour n'être plus qu'un souvenir lointain, qu'une chimère de plus dans l'outre-tombe. Elle est bien trop lâche pour cela, cependant. Peut-être parce qu'elle n'est plus seule désormais. Qu'un petit être s'efforce de compter sur elle. Que sa famille n'est plus une élucubration fantasque de son esprit d'orpheline, mais bien réelle, militante toujours à ses côtés. Il aurait été plus confortable, finalement, de demeurer seule. Elle se fustige pour ces quelques litanies qui ne daignent point quitter le flux de ses songes. Car il y a quelque chose, comme une fêlure lorsqu'elle repense à ces derniers mois. Une fracture qu'elle n'osait admettre jusque là...

Ses pas sont désordonnés, tandis qu'elle s'engouffre dans la masse verdoyante des bois. Ici, elle peut s'abandonner. Ici, elle n'est plus obligée de se farder de ces quelques facéties abracadabrantes. Le masque s'étiole à mesure qu'elle s'enfonce dans les ténèbres environnantes. La nuit est claire, pourtant elle ne voit rapidement pas plus loin qu'un ou deux mètres devant elle. Emma se réfugie contre le tronc calleux d'un vieux chêne. Sous le bulbe de ses doigts, la vie semble se retirer comme craintive de la savoir si proche. Elle s'en gausse, animée par les frasques d'une névrose qui n'est point réellement la sienne. Là-bas, à quelques enjambées seulement de son errance, une Silhouette se plaît à mimer son allégresse. Emma la reconnaît bien vite. Cette Ombre qui tantôt prend les courbes d'inconnus puis qui s'empresse de lui renvoyer son propre reflet. Elle beugle, jette ce qui lui passe sous la main en direction de ce visage familier affublé d'un sourire sans âme. Elle perd la notion de cette réalité décousue. S'aliène à coup sûr. Un jour, elle ne serait plus en mesure de retrouver sa route. Et rebrousser chemin serait alors impossible.

- Laisse-moi tranquille, qu'elle suffoque.

Plus une prière qu'un ordre véritable, Emma n'a plus le courage de lutter. Elle est épuisée. Peut-être même vaincue. Ou pas loin. Pourtant, une part infime d'elle-même n'aspire qu'à croire en l'espoir d'un autre lendemain. Pour cause, elle n'est bientôt plus seule dans cette nature silencieuse. Emma n'a point besoin de tourner ses mirettes en direction de ladite présence. Elle sait. La magie qui brûle en elle s'ébroue de l'éprouver auprès d'elle. Regina. Il y aurait tellement à dire. Néanmoins, elle est tout juste capable de lui faire face. Chancelante, Emma s'adosse contre l'écorce. Combien de temps reste-t-elle ainsi, emmurée dans un mutisme déconcertant ? Elle ne saurait le dire. De longues minutes, c'est certain, où elle ne peut que la dévisager encore et encore. Pourrait-elle comprendre son désarroi, par cette œillade suppliante, presque frénétique ? Saura-t-elle lire entre les lignes ? Emma l'implore de toutes ses maigres forces. Parce qu'il n'y a qu'elle pour entrevoir les limbes dans lesquels elle s'égare trop souvent. L'iode lui dévore la rétine mais elle détourne les yeux pour ne point lui offrir toute l'étendue de sa détresse.

- Je disparais, qu'elle lui souffle dans un douloureux aveu.

La vérité est sûrement plus terrible que cela. Mais Emma n'en dit pas davantage. Elle s'en vient harponner les mirettes de sa consœur, à la fois honteuse et désarmée. Elle est belle, la Sauveuse, que s'égosille un pan de son être. La grande, l'incroyable Sauveuse, que subsiste-t-il d'elle désormais ? Emma fait un pas en direction de la brune puis se ravise sur-le-champ. Quelle ironie, quand on y pense ! Cette femme qu'elle a tant heurté par le passé, se trouve être la seule capable d'appréhender les remous de son essence profonde. Elle s'en amuse, totalement insensée.

- Il n'y a que toi. Il n'y a que toi et c'est tellement absurde.

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Il y avait tant à faire. Regina, à peine remise de son coma provoqué par un choc à la tête lors de la bataille contre les ogres, devait déjà se remettre au travail. Déjà aider ses sujets avec la reconstruction des villages endommagés, assurer la sécurité du royaume, faire prévenir les autres royaumes, sans compter ses enfants. Et il y avait Emma. L'autre mère d'Henry, également la fille de Blanche-Neige. D'une manière ou d'une autre, leurs familles étaient liées, et elles l'étaient plus que jamais avec ce fils en commun. Il avait été extrêmement difficile pour l'ancienne méchante reine d'accepter cet état de fait, mais elle s'était résignée pour son fils. Oh certes à une époque, elle l'aurait volontiers tuée, n'avait-elle pas déjoué le sort noir ? Mais un certain chemin avait été parcouru depuis. Regina avait changé. Ceci n'était pas reconnu par tous, mais la belle brune avait appris à n'en pas tenir compte et ne s'appuyer que sur l'avis de ses proches, son mari et ses enfants en priorité. La rédemption n'était pas un chemin facile, mais elle se sentait soutenue.

Et pour Henry, elle ne voulait pas que la noirceur envahisse Emma. Pour la sauver, Mary Margaret avait pactisé avec le Ténébreux, et les royaumes se voyaient dorénavant en présence de deux d'entre eux, fait historique totalement unique depuis la création. Jusqu'alors, personne ne se doutait de tout ce que traversait un ténébreux. Il fallait dire que Rumpelstiltskin n'était pas des plus loquaces ni des plus sympathiques d'ailleurs. Mais Emma ? Tout le monde l'aimait, n'était-elle pas la sauveuse ? Plus encore, la mère biologique d'Henry ! Il était impensable qu'Emma Swan ne devienne comme le crocodile. Pourtant, Regina le voyait, la belle blonde dealait avec des forces qui la dépassaient. La reine s'était mise en tête de l'aider, bien évidemment. Jamais elle ne la laisserait sombrer. Preuve du chemin parcouru, elle ne pensait plus à elle et ce qu'elle gagnerait à laisser les ténèbres dévaster entièrement la Sauveuse. Elle pensait plutôt à la peine d'Henry, et les dangers qu'il pour encourir à chercher par lui-même à sauver sa mère biologique. Et puis personne ne méritait de subir tout cela.

Premier conseil d'entre tous : ne pas utiliser la magie, ou le moins possible. La magie noire consumait celui ou celle qui l'utilisait, Regina le savait lieux que quiconque, pour en avoir fait les frais. La noirceur prenait uncidieusement de plus en plus de place dans le cœur du mage noir jusqu'à n'en faire plus qu'une carcasse sans émotion.

Un nouveau rendez-vous avait été fixé, la reine n'avait pas eu le temps de revoir Emma depuis son réveil quelques jours plus tôt, et elle voulait s'assurer qu'elle a'lalt bien, du moins pas trop mal. Elle l'aperçut au loin, silhouette pâle parmi ces arbres sombres. Elle le savait, la ténébreuse était en proie à des visions. Celles-ci la tourmentaient-elles encore ? Regina la vit hésitante. Que voyait-elle ? Qu'entendait-elle ?

- Emma, n'écoute pas les voix. Il n'y a que toi et moi ici, personne d'autre.

La brune fit un pas vers la blonde et posa précautionneusement ses mains sur ses épaules, contact illustrant son propos.

- Tu es là, belle et bien là. Tu ne disparaîtras pas.

Ce tourbillon intérieur qui l'emportait, Regina l'avait aussi ressenti.

- As-tu utilisé la magie dernièrement ?

La dernière fois qu'elles s'étaient vues, c'était lors de la bataille des ogres... Comment savoir ce qu'Emma avait fait entre temps ?

- Je sais que c'est tentant, que ça te dévore, mais tu dois résister. Concentre-toi sur ceux que tu aimes, Henry, tes parents, tes amis... Ils ne veulent pas te perdre.

Plus facile à dire qu'à faire, bien sûr, elle le savait. Mais elle savait aussi Emma dotée de capacités incroyables. C'était un fait, si quelqu'un pouvait s'en sortir, c'était elle. Mais personne n'a dit que ce serait facile.

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Le timbre de Regina louvoie jusqu'à ses méninges. Il vibre dans sa caboche, entre les ventricules et dans toute la cathédrale de son poitrail. Elle en papillonne des cils. A la fois ici et ailleurs. Toujours entre deux eaux. Le cœur au bord du rebord. Car la réalité, sans cesse, s'échappe d'entre ses doigts. Elle glisse et s'étiole sans un remord. C'est comme s'essayer à attraper de la fumée. Impalpable et fuyante. Emma s'égare. Est-elle réellement là, cette femme qu'elle aurait pu brûler sur la potence des condamnés ? Ou serait-ce la démence, une fois de plus, qui gangrène les songes incertains ? Comment savoir ? Si elle chasse la vision d'un battement d'aile, disparaitra-t-elle ? Emma griffe l'écorce. Elle voudrait s'ancrer à quelque chose, ne plus être cet électron libre sans amarrage aucun. Mais c'est l'existence même qui se défile. Inexorable. Ne reste que la solitude, cette grande dame qu'il ne fait pas bon de rencontrer trop souvent. Elle en ferait perdre la tête. Pire encore. Parce qu'elle dévaste tout lorsqu'elle s'invite. Elle ravage de l'intérieur. Sorte de poison venimeux dont il n'existe pas le moindre remède. Rien ne lui survit. Si ce n'est une coquille vide. Quelques ruines tout au plus.

Les mains qui se posent sur ses frêles épaules l'arrachent finalement à ses tourments. Et l'espace d'un instant, Emma croit véritablement s'enraciner à la terre. Affolée, elle jette un œil à droite puis à gauche. Rien. Elles sont seules. Point d'ombre sépulcrale dans le lointain. Seulement les pourtours des vieux arbres qui s'ensommeillent depuis des siècles. Ses mirettes se plongent en les confins des siennes, cherchent au creux d'elles la lueur qui pourrait enfin la ramener tout-à-fait parmi les vivants. Mais Regina n'est point la réponse. Du moins, pas l'Unique, capable de tout balayer d'une simple caresse. C'aurait été trop beau. Peut-être un brin saugrenu. Pour ne pas dire totalement insensé. Ses doigts s'en viennent s'enrouler autour de ses avant-bras. Combien de temps qu'elle n'a pas été touchée ? Emma ne compte même plus. Est-ce sa famille qui s'efforce de l'éviter ou bien se faufile-t-elle chaque fois que l'un deux se montre plus avenant ? Elle ne saurait le dire. Toujours est-il que cette moitié d'étreinte lui dérobe quelques émois indistincts qu'elle ne cherche pas à dissimuler. Faut dire qu'elle n'a plus le courage pour feindre. Pas cette fois. Pas devant elle.

- Je suis là, qu'elle répète machinalement, espérant ainsi s'en convaincre.

La magie de Regina fait écho à celle qui coule dans ses veines. Harmonie céleste dont le sens lui échappe toutefois. S'agit-il d'une reconnaissance métaphysique ? Ou bien serait-ce le ténébreux, dedans, qui s'exalte de pouvoir effleurer ainsi une essence différente de la sienne ? Emma ne fait plus la distinction. Entre elle et cette chose qui gît quelque part sous la couenne, elle ne saurait se dissocier réellement. Où se trouve la Sauveuse de l'Obscur ? Est-elle seulement toujours là ? N'est-elle point morte ce fameux jour ? Emma inspire l'oxygène qui lui fait défaut. Il lui semble qu'une pierre lui martèle la poitrine. Quelqu'un l'empêche de respirer. Un gloussement bien trop familier s'épanche à son esgourde. Elle se noie. Ses phalanges blanchissent sur la peau délicate de Regina. Une pensée, qui n'appartient pas à elle, pas véritablement, lui confie qu'elle pourrait arracher les membres d'une simple bourrasque. Qu'il serait si facile de broyer la chair. Emma chasse la brune sans douceur. Le tout étant de ne pas la mettre plus en danger. D'ailleurs, elle ne devrait même pas être là. Emma se détourne. Comme elle comprend, maintenant, ce qui l'avait charmé dans cette magie sirupeuse. Elle qui l'avait tant jugé pour avoir choisi les ténèbres plutôt que la lumière...

- Mes parents, qu'elle gronde. Tu veux parler de cette femme qui m'a condamné à vivre de la sorte ?

La colère bouillonne dans ses tempes. Il lui semble qu'elle pourrait détruire la forêt toute entière. Mais Emma se fait violence. Les émotions deviennent une mélasse dans laquelle elle s'enlise sans perspective aucune. Elle souffle bruyamment.

- La magie, la magie... je ne l'ai pas utilisé. Pourtant, elle claironne. Elle fredonne des mots doux. Comme j'aimerais... qu'elle s'exprime. Je me dis que si je la laisse sortir. Un peu. Juste un peu. Alors la tension sera plus douce dedans. Et alors je pourrai m'entendre penser. Non ?

Non. Parce que ça sera pire par la suite. Une chaîne sans fin. Un calvaire sans nom. Elle le sait. Alors, comment s'enfuir de soi-même désormais ?

- Elle aurai dû me laisser mourir.

La sentence tombe comme un couperet.
Elle aurait dû mourir.

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Regina avait toujours appréhendé ses rencontres avec Emma, même à l’époque où, maire de Storybrooke, elle se sentait toute puissante, elle savait que la blondinette était une menace. Mère biologique d’Henry, elle lui avait donné du fil à retordre, elle avait vu l’étendue de ses capacités. À présent, leur entente était devenue cordiale, fort heureusement pour leur fils en commun et même la communauté qui comptait sur elles. Mais à présent, la Sauveuse était devenue ténébreuse. Elle luttait, et le combat était âpre, la brune le savait. Cette fois, elle appréhendait parce que les pouvoirs en possession d’Emma étaient potentiellement incommensurables et surtout dévastateurs. La reine n’avait que trop côtoyé Rumpelstiltskin, qui avait lui-même avait été son maître de magie, pour savoir que la magie noire consumait son utilisateur. Le crocodile n’avait quasiment plus rien d’humain. Qu’allait-il advenir d’Emma si elle cédait aux ténèbres ? Qu’adviendrait-il d’Henry ? Des Charmant ?

La pauvre Emma n’en menait pas large, et la voir ainsi désolait Regina. Elle s’employa en premier à lui faire réaliser qu’elle était belle et bien là, présente, dans ce monde, et qu’elle méritait sa place. Elle avait même osé poser ses mains sur les épaules de la ténébreuse pour montrer qu’elle était là pour elle. Elle voulut continuer à lui délivrer des conseils pour l’aider, ceux qu’elle n’avait jamais eus, mais soudain, cela sembla braquer la blonde qui la repoussa. Les yeux grand ouverts, Regina observait son interlocutrice qui rétorquait. Lentement, elle dodelina de la tête.

- Tu sais que fut un temps, je n’aurais pas pris la défense de Blanche. Mais c’est ta mère, elle t’aime plus que tout, elle a fait ce qu’il fallait pour que tu restes en vie. Sais-tu comment je le sais? Parce que je suis une mère moi aussi. Et toi aussi. Pour son enfant, on fait l’insensé pour qu’il vive. Elle n’avait pas conscience des conséquences…, ajouta-t-elle avec autant de douceur que possible.

Elle savait qu’Emma ferait toujours tout pour protéger Henry, et que s’il était sur le point de mourir, elle aurait passerait un pacte avec le ténébreux si c’était la seule solution.
Emma n’avait pas utilisé la magie. Cette affirmation rassura Regina. Pour un temps seulement, car l’envie était belle et bien présente, et l’ancienne méchante reine ne le savait que trop bien.

- Tu connais la réponse, Emma. Tu sais que si tu l’utilises, tu auras encore plus envie de le faire. Si tu as du mal à résister maintenant, ce sera pire après t’être laissée tenter. Crois-moi, je suis bien placée pour le savoir. Ne deviens pas ce que j’ai été, tu ne veux pas de ça.

Sa réponse lui glaça le sang. Elle semblait préféré le sort qui l’aurait attendu sans l’intervention de sa mère. Regina aurait tant voulu la voir disparaître à l’époque de leur rivalité, mais aujourd’hui certainement pas. Tout le monde en souffrirait, Henry le premier.

- Tu ne veux pas mourir, Emma. Pense à Henry. Il t’aime tant. Tu es assez forte pour te battre et lutter contre ça. On va trouver un moyen. Je ne pensais pas dire ça un jour, mais… garde espoir.

Elle avait l’impression d’emprunter la voix de sa belle-fille.

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Emma réprime une grimace d'inconfort. Elle n'a pas envie de s'appesantir davantage sur l'héroïsme de sa génitrice. Elle est trop en colère pour cela, trop instable pour tenir un discours réaliste sur la situation. Bien sûr qu'elle n'aurait point laissé Henry disparaître si le cas s'était présenté. Evidemment. Elle n'en émet aucun doute. Cela étant, la magie qui se plaît à lui polluer les sens jurerait le contraire. Car si elle prétend que toute mort serait préférable à ce qu'elle se doit d'endurer présentement, jamais elle n'aurait pu se résigner à abandonner son fils. Pas comme ça. Pas sans déjouer les lois de l'existence. Pour autant, cela n'apaise point les remous de son âme. Sa mère est championne pour prendre les mauvaises décisions, voilà tout ce qu'elle retient. Comme elle souhaiterait entrevoir les choses différemment !... Mais cela ne reviendrait-il pas à accepter enfin ce qu'elle est aujourd'hui ? Emma s'y refuse. Elle n'est pas encore prête pour abdiquer. Ni pour embrasser cette nature qu'elle n'a clairement pas demandé. Se fourrer la tête dans le sable est plus commode. Et elle le ferait aussi longtemps que possible. Car elle craint de se perdre définitivement sans cela. De ne plus être qu'un réceptacle. A des années lumières d'elle-même.

- C'est ça, elle est parfaite, c'est bien connu, qu'elle grommelle.

Emma se détourne de ses mirettes. Elle est honteuse. Ce n'est pas elle tout cela. Pas plus que cette amertume qui semble la dévorer chaque fois qu'il est question d'un sujet épineux. Mais la colère est telle, qu'elle ne parvient jamais à l'effleurer, même du bout des doigts. Toujours, elle se défile pour mieux gangréner les synapses et les ventricules. C'est un poison venimeux. Un incurable cancer. Comment vivre avec cette boule de fureur ? Elle n'en sait rien. Peut-être que ce n'est point faisable ? Peut-être qu'elle finirait par en succomber ? Tellement d'interrogations et d'incertitudes qui ne trouveront probablement aucune réponse. Les larmes s'en viennent lui voiler la rétine, tandis qu'elle relève ses céruléennes en direction du dôme céleste. Parfois, elle prie. C'est absurde. Et souvent elle se fustige pour cela. Parce qu'elle n'y a jamais cru et que ça n'a aucun sens. Mais elle prie. Elle quémande à ce Dieu rédempteur de lui accorder une fois de plus un peu de répit, peut-être même un peu de sursis. En vain. Les jours suivants sont similaires aux précédents. Pas un frémissement ne s'en vient interrompre la ronde de l'univers. Rien. Alors elle s'immerge plus encore. S'efface dans les méandres de cette mélasse putride. Se meurt de ne plus être totalement elle-même.

- Garder espoir... ça, c'était le truc de la Sauveuse. Mais je ne suis plus la Sauveuse. Je ne suis... plus rien.

La Sauveuse. Elle n'y aurait jamais cru: mais cette part d'elle-même lui manque souvent. Car elle l'a réfuté longtemps; cet héroïsme grandiloquent que son fils se plaisait à lui attribuer. Comme elle l'a détesté quelques fois, ce destin sans queue ni tête. La Sauveuse. Elle a toujours trouvé cette appellation complètement idiote. Parce qu'elle n'a jamais rien eu de chevaleresque ni de conquérant. Pourtant, ils avaient cru en elle. Chacun d'entre eux. Emma n'en comprend toujours point les raisons. Encore faudrait-il qu'elle croit en elle pour cela. Peut-être. Un sourire chevrote sur le coin de ses lippes. La Sauveuse. Finalement, elle aime bien. Mais maintenant... maintenant elle n'est plus que l'ombre de ce symbole de paix. Qu'un leurre, claquemuré sous les apparats d'un autrefois. Qu'un présage de mort, la gueule pleine de cendres.

Emma considère sa consœur quelques instants. L'ironie de la situation n'échappe point à ses méninges. Avant tout ceci, Regina aurait sûrement profité de son désarroi. Quant à Emma, elle n'aurait pas réfréné les élans courroucés de cette magie suzeraine. Pourtant les voilà réunies, l'une prenant soin de réconforter l'autre. C'est insensé. Et elle s'y perd davantage.

- Tu sais, qu'elle inspire péniblement. Je n'ai pas demandé à être la Sauveuse. D'ailleurs, je n'ai jamais voulu de ce rôle là. On ne peut pas dire que j'avais l'étoffe d'une héroïne à l'époque. J'ai longtemps cru que ce n'était pas moi, que j'étais un imposteur. Qu'un jour ou l'autre, quelqu'un s'en rendrait compte... et pourtant, aujourd'hui, je n'ai jamais eu autant besoin d'elle. Si tu savais comme elle me manque...

Emma balaye les quelques perles iodées d'un revers de main, offrant alors aux billes de Regina son minois attristé.

- Mais elle ne reviendra pas. Elle est morte le jour où les ténèbres se sont installées. Et je sais ce que tu vas me dire: que je ne dois pas penser ça, qu'elle est toujours là quelque part. Pourtant j'ai beau chercher Regina, je peux t'assurer qu'elle n'est plus là.

Elle dévore la distance qui les sépare de quelques enjambées, se plante devant elle dans un aplomb bringuebalant.

- Regarde-moi bien, qu'elle lui souffle. Dans le fond tu le sais, n'est-ce pas ? Henry n'est pas là. Il n'y a que nous deux. Alors sois honnête.

Derrière Regina, une silhouette se tient la panse. Prise d'une allégresse folle, elle semble se moquer de toute cette mascarade. Dans un sursaut d'effroi, Emma agrippe les poignets de la brune pour la rapprocher un peu plus.

- Regarde-moi bien.

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Emma passait par toute une ribambelle de sentiments des moins enviables, devant faire face et gérer ses émotions et tous les changements qui avaient lieu en elle depuis l’arrivée de cette magie noire inhérente aux Ténébreux. Regina avait connu la même chose, mais la différence était qu’elle n’était pas, à l’époque, entourée de gens qui l’aimaient suffisamment pour prendre le risque de la retenir. Seul son père s’y était risqué mais c’était déjà trop tard, elle était consumée par le désir de vengeance qui nourrissait sa magie, et il avait fallu attendre bien des années plus tard pour qu’un petit garçon et ensuite un archer lui donnent la force de changer réellement. Pouvait-elle demander à Henry de faire la même chose ? Mettre une telle pression sur les épaules d’un jeune adolescent, leur fils à toutes les deux, était-il juste ? Henry ne méritait-il pas d’avoir enfin une vie normale, ou du moins la plus normale possible ? Était-ce seulement envisageable avec un tel arbre généalogique ? Cette pensée accapara le mental de la reine durant quelques secondes tandis qu’Emma se détournait. La réflexion de celle-ci sur sa mère tira à la belle brune un rictus ironique. Elle n’en avait pas oublié la trahison qui avait valu la mort de Daniel et tout ce qui en avait découlé

- Je ne dirais pas ça…

Mais elle ne voulait pas alimenter de sentiments négatifs, au contraire, cela n’aiderait pas et elle le savait. Mieux valait essayer de montrer à la blondinette qu’elle était capable de se sortir de cette situation désastreuse. Peut-être pas ce jour-là ou le lendemain, mais cela arriverait. Il ne fallait pas. Il fallait qu’elle retrouve son vrai elle. Cependant, un certain pessimisme s’était installé.

- Ne dis pas ça, c’est en toi. Si tu n’es plus rien, à qui est-ce que je parle en ce moment ? Il me semble que si tu n’étais plus toi, tu ne serais pas en train de lutter pour faire la bonne chose, et donc ne pas utiliser cette magie qui s’est emparée de toi. C’est ce qui me fait dire que la Sauveuse est toujours là.

L’entendre dire que la Sauveuse lui manquait la toucha et lui fit même un petit pincement au coeur. Regina savait combien elle manquait à tous les autres, à Henry, à Blanche et Charmant, et tous ses amis. Le visage qu’Emma arborait était déconcertant de tristesse. À une certaine époque, la méchante reine aurait donné cher pour la voir ainsi, mais aujourd’hui, elle avait accepté qu’Emma faisait partie de la famille, qu’elle était la mère biologique de son fils et la fille de sa belle-fille. Elles étaient liées, qu’elle le veuille ou non.
Regina se demandait si ses paroles n’étaient pas vaines au vu des réactions de son interlocutrice, mais pourtant, elle ne se sentait pas le droit d’abandonner, elle devait essayer de toutes ses forces, ne serait-ce que pour Henry. La sorcière n’eut pas le temps cependant de réfléchir à une autre stratégie pour apaiser les maux intérieurs d’Emma que celle-ci rompit la distance qui les séparait, un changement d’attitude déstabilisant, constat que Regina tâcha de garder pour elle en la regardant dans les yeux. Elle sentit ses poignets se faire saisir par la ténébreuse qui insistait.

- Je te regarde, Emma. Je te vois, telle que tu es. Tu es Emma Swan, tu es toujours la même, bien que tu traverses une période difficile, peut-être la plus difficile de ta vie. Tu vis une lutte, une guerre intérieure de chaque instant, je le sais, j’en ai conscience. C’est d’une difficulté indescriptible, je le sais aussi. Mais ce que je sais également, c’est que tu es forte, tu es capable de lutter, même si cela t’épuise, tu peux le faire. Tu es la seule à être capable de trouver la solution. Tu dois trouver la force de résister jusqu’à ce que le problème soit résolu.

Et sans doute savait-elle que, parallèlement au problème des ogres, ses parents cherchaient comment résoudre ça.

- Je t’en prie Emma, continue à résister.

Regina n’en menait cependant pas large car elle savait que si la Ténébreuse prenait le dessus sur la Sauveuse et qu’elle décidait d’utiliser sa magie sur elle, elle ne serait pas de taille à lutter.

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Elle pourrait empoigner davantage. Marteler la chair tendre sous ses doigts autocratiques. Broyer les os. Disloquer le corps. Peut-être en a-t-elle envie dans le fond. Emma ne saurait le dire. Et cette incertitude lui dévaste les sens. Si elle a parfois eu le désir fou de lui rabattre son clapet, jamais elle n'a eu ce souhait putride de plonger en les confins de sa poitrine pour lui dérober son cœur et tout le reste. Emma papillonne des cils. Elle voudrait chasser l'image dévastatrice d'une Regina sous l'emprise de ses quatre volontés. Mais le mirage est tenace. Et il lui grignote les méninges. Si proche d'elle, l'ancienne Sauveuse n'aurait qu'à user de cette magie titanesque. La Chimère jusque là hilare se presse désormais tout contre son échine. De ses murmures envoûtants, Elle s'efforce de faire céder les dernières miettes de résistance. La tentation est immense. Presque douloureuse. Comment pourrait-elle lutter encore et encore de la sorte ? Il n'y a point de répit. Pas même l'ombre d'une quelconque accalmie. Ses mandibules se serrent dans un étau déchirant. Un goût métallique lui couvre le palais, mais Emma ne s'en soucie pas davantage. Le tout étant de claquemurer la Bête, qu'importe le stratagème.

- Tu lui ressembles, qu'elle souffle légèrement amère. Ma mère et ses grands discours héroïques. Tu ne trouves pas que l'ironie est criante ? C'est toi qui les prononces désormais.

Emma ricane. Aliénée par les aspirations méphitiques de ces ténèbres qui la rongent. Egarée dans les méandres de sa propre conscience. Son rire fait écho à celui de la Silhouette qui, tout près, ne rate rien de sa déchéance. Ses phalanges blanchissent autour des membres frêles, coupent la circulation dans un craquement écœurant. A quoi pourrait-elle se rattraper d'autre, à qui ? Regina n'est-elle point l'unique capable d'appréhender ce qui la tourmente sans cesse ? Jamais elle ne s'est sentie si proche de quelqu'un. Pourtant, une part d'elle-même ne donnerait point grand chose pour l'écorcher de bas en haut. Emma s'approche d'un pas supplémentaire. Son visage si proche du sien, elle peut éprouver ainsi le moindre de ses souffles. Serait-ce de la peur ? Peut-être. Ou bien l'appréhension de ne point entrevoir de quoi les minutes à venir sont faites. Ca aussi, ça éveille des émois insidieux entre ses lombes. Il y a quelque chose de pernicieux dans ce qu'elle ressent. Quelque chose de licencieux. Ces émotions sont-elles réellement les siennes ? Là encore, Emma n'en est pas certaine. Pourtant, elle a l'impression qu'il s'agit là de troubles qu'elle aurait inlassablement refoulé. Et si tout ceci n'avait été finalement qu'en sommeil ?

- Tu devrais t'en aller, qu'elle murmure prévenante et menaçante.

Mais il est trop tard. Emma le sait. La crise est assourdissante et cette fois elle ne pourrait en réchapper. La magie afflue dans un vacarme tapageur. Néanmoins, un sursaut l'incite à ne point ébranler la brune devant elle. Dans un hurlement de rage et d'effroi, elle repousse Regina sans ménagement, aidée par les tentacules redoutables d'un maléfice. Un rayonnement de pourpre et d'ébène dégueule de chacun de ses pores. Elle est transcendée. Habitée par les réminiscences de ce parasite gargantuesque. Elle aussi, elle est propulsée quelques mètres plus loin. Le sort s'est arrachée de son corps comme la mort dérobe l'âme. Etendue dans l'écume de cette nature verdoyante, Emma peine à rassembler les débris de sa pauvre carcasse. Elle jette pourtant un œil en direction de Regina. Elle ne semble pas blessée. Du moins, pas trop amochée. La Ténébreuse inspire péniblement, le souffle toujours coupé par la violence du choc. Des points lumineux virevoltent sous ses prunelles hagardes, la clouant pour quelques minutes de plus sur le sol. Le Golem s'esclaffe à ses esgourdes, l'attire vers d'autres limbes dans l'espoir de provoquer une autre bourrasque de sorcellerie.

- Va t'en, qu'elle s'égosille. Je...

Le feu crépite dans la paume de sa main sans qu'elle ne puisse rien y faire. Tout en elle s'ébroue d'avoir ainsi éprouvé l'étreinte de la magie.

- Je ne vais pas pouvoir la contenir plus longtemps.

Et dans un grondement sinistre, Emma projette quelques langues enflammées en direction des vieux chênes. L'obscurité s'illumine d'un ocre mortifère, tandis qu'elle beugle toute la rage qui l'habite depuis sa métamorphose.

- Fous-moi la paix, qu'elle vocifère à l'attention du Farfadet qui, lui, se réjouit du spectacle.

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