La journée avait été longue. J’avais chevauché depuis l’aube jusqu’au coucher du soleil en ne faisant qu’une courte pause en milieu de journée pour laisser mon cheval se reposer, manger et boire. J’étais épuisé, courbaturé et je ne rêvais que d’un lit confortable et d’un repas chaud. Je voyageais ainsi depuis près de deux semaines, cherchant un moyen de me retrouver après tout ce qui était arrivé ces dernières années. J’avais pensé que me mettre la main sur l’homme qui avait assassiné ma chère Roxanna et lui rendre la monnaie de sa pièce me permettrait au moins de mettre cette histoire derrière moi et de me tourner vers l’avenir, mais la mort de cette ordure n’avait rien changé. J’avais toujours mal à en crever, j’avais toujours perdu la confiance de mes sujets, j’étais toujours aussi secoué par le temps passé à Storybrooke, puis à New York. Tout ce qui avait changé, c’était qu’un monstre de moins foulait ce monde et que c’était moi qui avais fait cela. Comme le disait mon maître, à l’époque : « C’est pas parce que tu raccroches la cape et le bâton que tu arrêtes d’être un Epouvanteur, mon gars. Garde l’œil ouvert et l’bon. Surtout si tu regardes dans un miroir. ».
Après avoir confié ma monture à un garçon d’écurie, j’entrai dans une auberge. Il était très peu probable qu’on me reconnaisse. Seul des chevaliers au service de Pendragon savaient vaguement à quoi je ressemblais et je doutais qu’ils perdent leur temps dans la première gargote venue. Et même si c’était le cas, nous n’étions pas en guerre, aux dernières nouvelles, quel intérêt auraient-ils eu de me chercher querelle ?
Je m’assis seul à une table et commandai une bière et un repas chaud. La tenancière me sourit et m’apporta bien vite la boisson demandée avant de s’en retourner à ses affaires. Je lui rendis maladroitement son sourire et but une bonne gorgée de bière avant de me laisser aller un peu plus contre mon siège et d’écouter distraitement les conversations dans la salle. Rien de bien fascinant, les gens parlaient du retour des ogres, des dernières récoltes et de divers ragots qui n’intéressaient qu’eux.
J’allais me désintéresser des conversations quand j’entendis des rires gras suivre l’évocation du nom « Morgause ». Je tournai la tête vivement et vis trois gaillards avinés autour d’une table couverte de pintes vides. L’homme dont j’avais entendu la voix riait à gorge déployée.
« - … mon avis, la Morgause, elle f’rait mieux d’s’chercher un homme plutôt qu’d’attendre qu’son bâtard s’marie ! Vu l’temps qu’il a gardé la sorcière du Val ! »
Dans d’autres circonstances, je n’aurais pas réagi. On m’avait enseigné que j’étais au-dessus des déblatérations d’ivrognes et que je ne devais pas y prêter attention. J’étais roi, je ne devais pas réagir à de telles paroles. Cependant, ce soir-là, j’étais fatigué, courbaturé d’avoir tant chevauché, mon humeur n’avait jamais été aussi mauvaise depuis mon retour de New-York. Donc, au diable la dignité des rois et la noblesse des chevaliers, cet homme allait payer !
Je vidai ma choppe d’un trait, me levai et m’approchai de la table des trois ivrognes. L’homme se retourna vers moi et me regarda avec agacement.
« - Quoi ? J’peux t’aider ? »
Son haleine me fit froncer le nez.
« - Veuillez modérer vos propos, je vous prie. C’est de personnes royales dont vous vous moquez. »
Ses deux compagnons éclatèrent de rire et l’ivrogne se leva de sa chaise pour me pousser en arrière.
« - Mêle-toi de c’qui te regarde, le noiraud ! Ca vaudrait mieux pour toi ! »
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Il a bien tenté de me convaincre de rejoindre la cour de Camelot à ses cotés, mais c'est seul que Robin fera le dernier pas vers Arthur, Guenièvre, ou qui que ce soit qui soit présent dans la salle du trône ce jour-ci. S'il est sans doute vrai qu'à ses cotés, les gardes m'auraient laissé pénétrer la place forte, je doute que l'homme qui m'a mis à mort il y a plusieurs années de cela m'aurait laissé en ressortir vivant. Avec une note moins égoïste que mon désir de demeurer en vie quelques temps encore, je suis certain que les deux souverains ont bien assez de choses à se dire, de traités à établir et autres relations diplomatiques à mettre en place entre leurs royaumes pour ne pas avoir besoin de la présence d'un traitre à la couronne, coupable, probablement, de plus d'un crime de lèse majesté, dans le périmètre. D'accord, ça, ça a été mon argument pour convaincre Robin, mais en toute sincérité, je suis égoïste, et je tiens à rester en vie, encore un peu.
Ayant quitté l'homme près de la citadelle, je me suis tout de même intéressé au climat qui règne dans le royaume, tant d'années après que mes pas en aient foulés les terres pour la dernière fois. C'est pourquoi j'ai chevauché jusqu'au village le plus proche, avant de laisser la bride d'Argo à un garçon d'écurie. Face aux nombre de nuits que mon cheval et moi avons passées dans des clairières au beau milieu de la forêt depuis nos retrouvailles, je crois qu'il mérite autant de dormir dans un box paillé que mon dos d'apprécier le confort d'un matelas. Mais surtout, qui dit auberge dit taverne, dit lieu idéal pour avoir vent des ragots, rumeurs et nouvelles qui circulent dans le royaume. En sachant qu'il vous faudra probablement également supporter les histoires d'agriculture, les ragots de filles-mères mauvaises à marier et autres colportages de marchands, mais heureusement, nous ne sommes ni à coté d'un lac, ni de la mer, alors nous nous épargnerons l'histoire du poisson géant dévoreur de navires, qui se révéla être une sardine légèrement grossie par la vue d'un alcoolique patenté.
A peine entré dans l'établissement que je repère aussi bien les lieux, que les accès à l'extérieur, que les personnes présentes et leur posture. Si l'endroit ne semble pas être un coupe-gorge, on ne sait jamais vraiment où on met les pieds. Analyse rapide fait, je finis par m'installer à une table vide entourée d'autres tables vides près de la cheminée, un petit luxe que je m'accorde après tant de nuits passées dans la fraicheur extérieure. M'asseyant, j'écarte les pans de mon manteau pour rendre visible la garde dorée de ma dague, mon capuchon, quant à lui, restant baissé sur mon crâne, son ombre dissimulant efficacement mon visage.
Ma commande passée et la bière clairement coupée d'eau ainsi que l'assiette de poulet et de pommes de terre chaudes déposées à ma table, je règle mes consommations à l'aubergiste en y laissant la monnaie, laissant la pression retomber autour de moi en me concentrant sur mon assiette, appréciant de consommer autre chose que le pain et la viande séchée avec lesquels je me nourris depuis plusieurs jours déjà. Je jurerai presque que les lasagnes de Granny me manquent, quelque part.
La porte s'ouvre sur un nouvel arrivant, et je relève le regard sous mon capuchon pour l'observer sans être vu, craignant de croiser certains chevaliers avec lesquels j'ai combattu main dans la main par le passé. J'ai passé une bonne partie de ma vie à marcher sur le fil du rasoir, mais je crois avoir rarement été aussi proche du précipice tout de même. Si je le reconnais? Il ne m'est pas inconnu, mais plus comme quelqu'un que j'aurai croisé au détour d'une rue qu'autre chose. Si nous nous sommes davantage côtoyés, il peut se vanter de ne pas m'avoir laissé un souvenir marquant.
En revanche, il se pourrait qu'il en laisse un à présent. Et ayant quasiment terminé mon assiette, je me rince le gosier avec ce semblant de bière risquant fort peu de me faire tomber de cheval avant de prêter plus ample attention à l'agitation qui gronde bientôt dans la taverne. Pourquoi faut-il toujours que les hommes saouls lancent des grivoiseries dont personne ne se rappellera au matin, mais qui sur l'instant, parviennent efficacement à mettre le feu aux poudres?
Avec un soupir, je relève juste assez mon capuchon pour avoir une vue plus nette de la scène, laissant probablement la lumière de la cheminée se refléter dans mes yeux sombres, en me demandant sincèrement si je ne devrais pas intervenir pour éviter une esclandre. Vieux réflexe de chevalier s'il en est. Mais en vérité, je vais plutôt terminer mon repas d'abord. Pas besoin d'être Merlin pour deviner qu'en me mettant entre deux, deux autres vont se lever derrière pour soutenir leur copain contre le nouveau, que celui-ci refusera de prendre la porte de sortie que je lui offrirai, et qu'en fin de compte, celui qui terminera avec la corde au cou se trouve assis à ma place. A jouer les justiciers, on ne récupère que les ennuis des autres. Cela dit, si on me demande mon avis...
"C'est vrai, pourquoi ne pas vous gausser du roi Arthur lui-même? Non, personne? Au moins, aucun de vous ne s'étouffera avec son courage."
Le tout exprimé du ton le plus neutre possible, comme si mes paroles n'étaient que l'évidence la plus simple, dans une conversation tout à fait banale, alors qu'il est clair que la situation dans laquelle nous nous retrouvons tous est tout sauf normale.
"Il est en effet bien plus facile de se moquer d'une femme dont vous n'aurez pas à souffrir le courroux, ou qui n'a pas droit de vie et de mort sur chacun d'entre vous."
Je me relève tranquillement, avec droiture, laissant ma capuche retomber sur mes épaules, et avance en direction du petit groupe sans me presser davantage, continuant à énoncer mon point de vue sur le même ton de simple constatation.
"C'est... jubilatoire, j'imagine, de s'en prendre à quelqu'un dont vous ne risquez rien. Ainsi, je n'aurai qu'une question à vous poser..."
Passant trop près de l'un des hommes restés assis à rire bêtement sur sa chaise, je le repousse contre la table, dégainant ma dague dans la foulée pour la pointer vers son œil, m'arrêtant à la limite de sa cornée. Le moindre mouvement, de sa part ou de la mienne, risquant de le rendre borgne pour de bon.
"L'un d'entre vous a-t-il déjà vu la pointe d'Excalibur aussi nettement que tu vois la pointe de ma dague? J'en doute. Arthur ne la tire jamais totalement du fourreau, je laisse vos cervelles de moineaux se demander pourquoi."
Je résiste à l'envie d'avancer ma dague vers lui, encore un peu, juste pour l'entendre me supplier de le relâcher, mais je sais aussi que, le premier choc passé, ses compagnons ne mettront pas longtemps à me sauter sur le dos. Ce n'est pas dans les auberges qu'on peut torturer quelqu'un tranquillement. C'est cependant une voix, proche mais me semblant lointaine, qui me fait quitter ma cible des yeux, relâchant par la même la pression sur lui et sur ma dague, que je remise finalement à ma ceinture. Il semblerait que ma dissection d'un œil encore vivant devra attendre.
J’aurais pu punir ce malotru très facilement. Un claquement de doigts et celui qui avait insulté ma mère ne serait plus là pour s’en vanter. Même sans utiliser ma magie, j’aurais pu le maîtriser et lui faire regretter ses paroles : j’avais appris à me battre contre des monstres bien plus impressionnants que lui, j’étais chevalier, un guerrier accompli.
Comme je refusais de me laisser intimider par l’ivrogne, ce dernier me saisit au col et ses camarades rirent de plus belle. Ce serait tellement facile de leur faire regretter leur folie. Les Dieux me gardent, comme j’avais envie de les faire hurler…
Alors que je tentais mon possible pour me retenir de faire quelque chose de stupide, un jeune homme intervint, raillant le manque de courage de mes adversaires. Aucun de ces hommes n’auraient osé se moquer ainsi de Pendragon en étant sur ses terres et j’étais persuadé que s’ils s’étaient trouvés à Gorre, la simple pensée que leurs paroles auraient pu parvenir aux oreilles de ma mère leur aurait imposé le silence. Oh, j’osais à peine imaginer leur tête s’ils avaient été en face de la souveraine. Je la voyais bien s’asseoir face à eux, un sourire faussement candide sur le visage, tandis qu’elle leur demanderait sur un ton dangereusement doux de répéter leurs paroles s’ils osaient.
Je regardai le jeune inconnu s’avancer vers nous et je sentis celui qui avait provoqué ma colère me lâcher. Je lissai mon col d’un geste distrait alors que l’inconnu se positionna derrière l’un des rieurs. Les pauvres poivrots ne le percevaient pas, mais le nouvel arrivant avait quelque chose d’extrêmement menaçant dans sa façon de bouger et de se comporter. Pourtant cette menace n’était pas dirigée vers moi et j’eus un sourire.
Quand il immobilisa l’un des hommes contre la table et plaça sa dague près de son œil, je sentis une pointe de satisfaction et je profitai de la surprise de ses amis pour repousser mon adversaire.
« - Pour ma part, je n’aurais aucun scrupule à vous faire voir la pointe de mon épée en entier si vous insultez encore la reine de Gorre ! »
« - Qu’est-c’qu’ça peut t’faire ? Tu couches avec, le noiraud ? »
C’en était trop. Je lui balançai mon poing dans la figure et l’envoyai à terre. Je grimaçai de douleur, m’étant fait mal quand mon poing l’avait atteint, mais je restai droit dans mes bottes et regardai les deux autres avec une lueur de défi dans les yeux.
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Ce qu'il y a de bon à savoir sur l'alcool, c'est qu'à forte dose, il a tendance à rendre les hommes stupides. Quoique, à mon humble avis, nombreux sont ceux à ne pas avoir besoin de boire pour avoir un comportement des plus stupides. Et ceux qui se trouvent dans la pièce avec nous semblent avoir un taux de stupidité particulièrement élevé, dépassant et de loin celui de ces idiots de chats qui grimpent en haut d'un sapin puis pleurent pendant trois jours à qui viendra les décrocher de là-haut.
Ne tenant pas particulièrement à laisser trace de mon retour aussi évidente qu'un ou deux macchabées dans l'arrière cour d'une auberge, j'éloigne définitivement la pointe de ma dague du visage de l'homme que je menaçais jusque là, la faisant tourner dans ma main d'une flexion du poignet pour orienter la lame vers l'arrière, suivant la ligne de mon avant-bras. Le tout en m'éloignant d'un pas, alors que l'homme que je peux penser être dans mon camp, pour le moment du moins, répond sans le savoir à la question que je me posais justement. Mes connaissances concernant les familles royales de Camelot et des environs immédiats ne sont très certainement plus à jour, mais m'entendre confirmer que la dite Morgause est bien la Reine de Gorre me donne à croire que je ne suis peut-être pas si rouillé que je le pensais.
Le commentaire suivant du maraud obtient réponse d'un coup de poing si rapide que je me demande un instant lequel des deux est parti le premier, entre le commentaire et le coup, j'entends. J'ignore quelles sont les relations exactes de celui-là avec la fameuse reine, et en toute honnêteté, je m'en fiche autant que des guirlandes de ronces qui courent le long des murailles du château de Maléfique, mais une chose est certaine, je n'aurai pas frappé aussi vite pour défendre l'honneur de ma propre mère.. d'accord, mauvais exemple.
Je jette un regard à la ronde avant d'opter pour une stratégie très simple, qui consiste à ce que chacun protège les arrières de l'autre. Oui, vulgairement, je me place dos à dos avec lui, la garde de ma dague fermement ancrée dans ma main. Un coup de poing, ça ne fait pas de bien, mais un coup de poing aidé du pommeau d'une dague, ça, ça peut faire mal.
Je profite de ma proximité avec mon allié du moment pour glisser mon propre commentaire, allant davantage de la constatation que d'un quelconque sarcasme.
"Ils nous sont supérieurs tant en nombre qu'en gabarit. J'ose espérer que votre reine mérite qu'on se batte pour elle."
Pour être honnête, ma vie était trop calme ces dernières années, alors si je suis partant pour une bonne bagarre? Je m'en excuserai plus tard. Pour le moment, j'ai bien envie de faire voir quelques boules de neige à ces types là.
Mes relations avec ma mère étaient parfois tendues depuis mon retour de Storybrooke. Morgause était ambitieuse, calculatrice et, n’ayons pas peur des mots, manipulatrice quand il s’agissait d’obtenir ce qu’elle voulait. Elle avait eu la couronne de Gorre en séduisant mon père et en concevant un enfant avec lui hors mariage, elle avait fait en sorte de nourrir ma rancœur envers lui au fil des années et avait un soutien indéfectible quand j’avais choisi de repousser la proposition d’alliance de Camelot. Je n’avais pas toujours été d’accord avec ses idées pour le royaume, mais j’avais toujours écouté ses conseils. Mais depuis la fin de la seconde Malédiction, après que je sois rentré de New-York, elle me traitait comme un enfant ou essayait clairement de me manipuler. Je n’étais ni stupide, ni aveugle et ses tentatives si ouvertes de diriger le royaume dans mon ombre avaient quelque peu terni nos relations.
Mais qu’importait. Elle était ma mère, ma plus fidèle conseillère, mon soutien le plus indéfectible. Et je l’aimais de tout mon cœur, malgré ses défauts. Et je savais qu’elle aurait mis notre monde à feu et à sang s’il m’était arrivé quelque chose. Son amour avait toute la force et la violence des tempêtes. Alors, même si nous avions nos différends, je n’allais certes pas permettre à ces malotrus de salir son nom. Et le mien par la même occasion.
« - Elle vaut mille fois la peine que je me batte pour elle. Si vous ne voulez pas vous battre, rien ne vous y oblige, messire. »
J’avais dit cela sans animosité aucune. Ce n’était pas le combat du jeune homme et je lui faisais savoir que je ne lui en voudrais pas de ne pas vouloir risquer sa peau pour Morgause. Mes adversaires ne m’inquiétaient pas plus que cela et même s’ils étaient plus nombreux et d’apparence plus forts que moi, j’étais sobre, bien que fatigué. Et surtout, j’étais absolument déterminé à leur faire ravaler leurs paroles.
L’homme que j’avais frappé se releva en se tenant la mâchoire, l’air furieux. Ses camarades l’aidèrent et nous encerclèrent. Le reste de la taverne s’était vidé et l’aubergiste tenta d’intervenir, mais un regard glacé de ma part suffit à le faire taire.
« - Cela dit, peut-être devrions-nous sortir. Inutile d’endommager cet établissement. »fis-je remarquer à mon adversaire.
« - Ca, t’aurais dû y penser avant, petit ! »s’écria-t-il en m’envoyant un coup de poing maladroit que je parvins à bloquer de mon avant-bras.
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J'ose un regard vers mon compagnon du moment quand il me suggère de le laisser se battre seul si je n'ai pas envie d'en faire partie. Tout en me précisant que sa reine mérite mille fois qu'il se batte pour elle. Je crains qu'un autre que moi lui dirait qu'il alimente en eau le moulin de ses adversaires, mais je ne suis pas homme à me gausser d'une personne que je ne connais pas, et qui ne mérite pas mon courroux. j'ai bien assez de monde à me mettre à dos dans mon entourage pour ne pas en rajouter.
"Je n'ai rien de mieux à faire de la prochaine demi-heure. Et vous seriez plus désavantagé en nombre encore si je n'étais pas à vos cotés."
Les forces se regroupent autour de nous, nous encerclant bientôt, de quoi nous promettre qu'on ne sortirait pas indemnes de cette taverne. Et effectivement, sortir avant que ça ne dégénère, histoire que ça dégénère plutôt dehors, ne serait pas une mauvaise idée. Mais le reste du groupe ne semble pas être d'accord avec cette proposition plutôt censée.
L'agitation se fait dans mon dos, et je me rappelle que je n'aime guère ne pas savoir ce qui se passe derrière moi, autant que je préfère aisément compter sur moi-même et sur la protection d'un mur plutôt que sur qui que ce soit, que je connaisse ou pas. Disons que la vie m'a appris à ne faire confiance qu'à moi-même. Un poing vole dans ma direction, et je me penche pour s'esquiver, passer sous le bras de mon adversaire et en profiter pour lui offrir un coup de poing (toujours serré autour de la garde de ma dague) en plein ventre. Le tout pour me faire cueillir par un autre coup qui me fait tomber lourdement à terre, brisant une chaise en passant. Je ne dois qu'à mes réflexes de rouler sur le coté pour éviter de me faire piétiner, finissant par balancer deux coups de pieds dans le tas de mollets derrière moi pour me donner la place nécessaire à me remettre debout, retenant de justesse un geste vers ma mâchoire douloureuse. On verra quand je n'aurai plus autant besoin de mes deux mains. En attendant, autant pour gagner de la place que pour respecter l'idée de ne pas détruire l'intégralité du meublier de l'établissement, je tâche d'entrainer mes adversaires vers la porte. Peut-être aussi parce que mon dos préfère s'écraser contre la terre battue du chemin que contre une nouvelle chaise, allez savoir.
Le combat s’annonçait difficile, même avec l’aide du jeune homme. Comme nous étions encerclés, il nous était difficile d’éviter tous les coups que nos assaillants nous portaient. Mais si nous parvenions à les amener dehors, briser l’encerclement serait plus facile et nous éviterions ainsi de saccager l’auberge.
Le pugilat n’était pas mon fort, ça ne l’avait jamais été. Quand j’étais enfant et que je vivais chez les Ward, je m’étais souvent retrouvé dans des bagarres avec les enfants du village – être un fils de sorcière, même si la sorcière était la reine, était visiblement une raison suffisante pour venir me tourmenter. Si certains avaient trop peur de moi, d’autres se liguaient contre moi pour me faire sortir de mes gonds. Ils voulaient que je porte le premier coup, leur donnant dès lors une raison de porter les suivants. Plusieurs fois, quand Morgause était venue me voir chez ma famille adoptive, elle m’avait trouvé avec un œil au beurre noir ou des bleus. À chaque fois, elle me prenait dans ses bras, me caressait les cheveux et me disait que l’heure viendrait où tous ceux qui me tourmentaient ploieraient le genou devant moi, que je devais être patient. Puis, des années plus tard, j’étais devenu Epouvanteur et je n’avais plus vraiment eu d’occasion de me battre à mains nues. Encore moins quand j’étais devenu chevalier, puis roi. Un roi ne s’abaisse pas à de telles pratiques.
Toutes ces considérations de protocole et de standing avaient été balayées par les paroles des manants qui nous faisaient face à présent. Si ces hommes avaient su à quel point il m’aurait été aisé de les envoyer valser contre le premier mur venu. Mais si j’utilisais la magie sur les terres de Pendragon, j’étais assuré de me faire remarquer et les dieux seuls savaient ce qui m’attendrait. Il fallait donc que je me débrouille sans.
Mon frère d’armes impromptu se retrouva à terre après un coup bien placé, et je fis mon possible pour assurer ses arrières le temps qu’il se relève. Il n’était pas mauvais en combat rapproché. J’esquivai un coup qui aurait dû me cueillir à la mâchoire, mais je pris un coup de coude dans le nez qui me fit reculer. La douleur ne fit qu’accroître mon envie d’en découdre et je me débarrassai de mon assaillant d’un coup de pied défonçant qui le fit s’écraser contre une table.
Voyant que le noiraud essayait de diriger nos adversaires vers la porte pour amener le conflit dehors, j’entrepris de faire de même. Plus de place pour se battre serait bénéfique et éviterait que le tavernier ait trop à payer les paroles de ses habitués.
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Physiquement parlant, comparé à ces brutes qui nous font face, je fais pâle figure, mais c'est un constat dont j'ai toujours tiré avantage dans les bagarres. Pas que j'apprécie de me battre au corps à corps pour des futilités, même si ça a le bon goût de me défouler, mais j'ai grandi entouré d'un certain nombre de gamins de tous âges, et Fiona fermait suffisamment les yeux sur les débuts de bagarres pour que quelques coups aient été échangés quand elle décidait de remettre de l'ordre. On se méfie assez peu du gringalet de service, qui finit pourtant par donner plus de coups qu'il n'en reçoit.
Je me baisse pour éviter un nouveau coup, finissant par faucher les jambes d'un autre qui s'écroule lourdement au sol, me permettant de reculer de quelques mètres, me rapprochant de la porte qui est mon objectif. Un objectif que je laisse derrière moi quand je vois l'un de nos adversaires s'approcher dans le dos de mon allié du moment, une lame moins élaborée mais au moins aussi effilée que la mienne dans la main. Avec moins d'agitation, je me serai contenté de vérifier mes talents au lancer de couteau, mais je crains assez que la mauvaise personne vienne se mettre sur ma trajectoire pour préférer le rejoindre en trois pas rapides, et tenter quelque chose que je n'ai pas tenté depuis des années. Plonger ma main dans sa poitrine pour en ressortir son cœur, battant et enchanté.
Verdict? Je suis définitivement rouillé. Moi qui avait peut-être un peu trop espéré que revenir dans mon royaume de naissance, dans un monde où la magie est partout autour de nous, aurait pu me rendre un peu de cette magie que je possédais et que je n'exploitais pas suffisamment par le passé, je me contente de manquer me fouler les doigts sur le cuir de sa cuirasse avant qu'il ne se retourne vers moi pour me saisir à la gorge et me clouer au mur, légèrement trop haut pour que mes pieds touchent le sol. D'instinct, mes mains viennent enserrer son poignet, lâchant ma dague dans le même mouvement, et si quelqu'un se le demande, non, je ne refuserai pas de retrouver mes plumes pour me faire le plaisir de lui crever les yeux avec mon bec... Mais il semblerait que je doive définitivement me passer de magie, alors si jamais vous avez un coup de main à perdre...
La magie a toujours un prix, m’avait-on appris quand j’étais plus jeune. Ma mère m’avait dit ça quand elle m’avait enseigné l’usage de mes dons, et Maître Gregory me l’avait rabâché pendant tout mon apprentissage d’Epouvanteur – particulièrement quand je me servais de mes pouvoirs pour « emprunter » les livres qu’il ne voulait pas que je consulte. Mais j’étais né avec ce don, ma mère était une puissante magicienne et on m’avait appris à l’utiliser. Cela faisait partie de moi, bien plus que mes talents d’escrimeur ou mes connaissances des monstres et de l’étiquette. Sans compter que j’avais épousé une enchanteresse. Je respectais la magie, mais je ne la craignais pas comme ceux qui ne la maîtrisaient pas. La magie avait toujours un prix, il ne fallait pas l’utiliser à tort et à travers. Mais cela faisait plusieurs semaines que je ne pensais plus clairement, que je n’en avais plus rien à faire de ce qui était juste, noble ou bon. J’agissais d’instinct, je répondais à mes plus noires impulsions. Et ces hommes m’avaient énervé.
Ainsi, même si la pensée de me servir de magie contre de simples ivrognes me paraissait un gâchis intolérable, mon premier réflexe en voyant mon compagnon en difficulté fut d’attraper une chaise par télékinésie pour l’envoyer sur son assaillant. Malheureusement, l’un des autres hommes me sauta dessus, me jetant à terre, et me fit perdre ma concentration. Le siège alla s’écraser contre un mur et je dus lutter pour me dégager de mon adversaire. Il me frappa au visage et je le dégageai d’un coup de pied au torse avant de me relever d’un bond et de m’élancer vers l’homme qui s’en prenait au noiraud qui m’était venu m’aider. Je le saisis par les épaules et l’arrachai à mon allié pour l’envoyer valser contre une table. Je jetai un coup d’œil au jeune homme pour m’assurer qu’il allait bien, puis je me tournai vers nos adversaires.
« - Bon, cela suffit ! »
Je levai la main et des nuages de fumée pourpre nous emportèrent dehors. Toute idée de discrétion était dès lors abandonnée. Une fois hors de l’auberge, je fis face aux malotrus et portai ma main à mon nez qui saignait, jetant un regard dédaigneux au sang que je vis sur ma main.
« - Je ne vous le demanderai pas une nouvelle fois : retirez vos paroles et restons-en là ! Vous n’aimerez pas ce qui se passera si nous continuons. »
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La grippe de l'homme autour de ma gorge me donne l'impression d'être à chaque seconde plus féroce, inversement proportionnelle à la force que je parviens à mettre dans mes mains qui tentent de l'écarter, alors que je jurerai que l'obscurité se fait autour de nous à chaque instant un peu plus. J'ai bien conscience que le manque d'oxygène n'y est pas pour rien, c'est d'ailleurs exactement la raison pour laquelle je lutte avec acharnement pour rester conscient.
La prise cessant soudain comme l'homme se retrouve projeté au sol plus loin dans la pièce, je tombe lourdement au sol, me réceptionnant durement sur un genou tout en gardant une main sur ma gorge, tâchant de reprendre le maximum de souffle possible en un minimum de temps, car je doute que nos adversaires me laissent le temps de reprendre une totale contenance. J'en profite pour récupérer ma dague tombée au sol avant moi, un instant avant que mon coéquipier, d'un geste, nous transporte magiquement à l'extérieur. Je lui ferai bien remarquer que je déteste les téléportations, ce qui est d'ailleurs l'une des raisons qui font que j'ai perfectionné la métamorphose plutôt que la téléportation - et soyons honnêtes, le vol d'un corbeau est bien plus discret que les éruptions de fumée d'une téléportation. Mais bref, c'est un débat pour un autre jour. Pour le moment, je profite de la trêve apportée par notre déplacement magique pour me relever, m'accrochant au bras de l'homme à mes cotés pour me relever, pour le relâcher une fois certain de mes appuis.
"Vous maniez la magie."
Je braque le regard sur lui, un regard presque admiratif, ne le jugeant pas l'ombre d'une seconde contrairement à celui de ceux qui nous arrivent dessus. Ma main se porte à ma gorge alors que je tente difficilement de déglutir, oubliant rapidement cette priorité pourtant à priori vitale pour reprendre une prise ferme sur le manche de ma dague, prêt à vendre chèrement ma peau, malgré que je risque d'avoir un splendide hématome pour les jours à venir. Les risques du métier. Des coups, j'en ai déjà pris et j'en prendrais d'autres, il m'en faut plus pour abandonner une bataille.
"Si je peux me permettre de rajouter quelque chose, nous sommes deux, vous étiez cinq, et les deux à terre ne sont pas de notre coté. J'imagine que le calcul n'est pas votre fort, mais j'ose penser que l'avantage est nôtre."
Et qu'il faut vraiment que j'arrête de parler parce que franchement, ça tire.