Autrefois, elle était l’héritière d’un royaume. Une princesse aux cheveux ornés de perles, étudiante assidue auprès des plus grands savants de l’époque, promise à un prince au cœur aussi pur que son sourire. Une dirigeante en devenir, surprotégée, certes, mais préparée à un avenir prospère. Autrefois, elle était quelqu’un.
À présent, elle est une jeune femme perdue dans une forêt, couverte de vase de l’étang où elle a passé la journée, cachée derrière un buisson pour échapper aux hommes qui la traquent. À leurs yeux, elle n’est qu’un prix à rapporter, un monstre à tuer pour s’approprier les supposés pouvoirs magiques de son plumage de cygne. Aux yeux des étrangers qu’elle rencontre à l’auberge où elle travaille, elle est une paire de mains portant un plateau, un sourire commercial. Aux yeux de ses amis - elle n’a pas d’amis. Ne pas avoir de bras où se réfugier, d’oreilles pour l’écouter, est un destin pire encore que sa transformation quotidienne. À présent, elle n’est personne.
Toujours accroupie, Thalie recule lentement, jusqu’à une pile de rochers éboulés, qui forment une meilleure cachette que le buisson. Les chasseurs sont proches, elle entend leurs voix excitées, animées d’une sauvagerie mêlée d’avidité. Cela fait deux heures qu’ils la poursuivent, depuis l’instant où l’un d’eux a aperçu sa transformation sur les berges de l’étang. La forêt touffue ralentit leur progression et fournit à Thalie des cachettes en abondance, mais la traque est leur métier. Ils finiront par la trouver. La jeune femme se glisse entre deux rochers, s’écorchant les genoux au passage. Si elle se roule en boule, elle parvient tout juste à tenir dans la cachette. Mais elle a dû laisser des marques à l’entrée - des gouttes d’eau, et de sang. Trop tard, maintenant, pour changer d’endroit. Ils arrivent.
La jeune femme ferme les yeux. Elle n’avait pas imaginé sa fin ainsi, couchée entre deux rochers, grelottant de froid et sans défense. En un flash, elle revoit sa mort, la première: des yeux couleur ambre qui la fixent intensément, la douleur qui explose dans sa gorge lacérée, puis le noir, le vide, l’oubli. On lui a offert une deuxième chance, une nouvelle vie, l’espoir de grandir, de vieillir, d’apprendre, de chercher, d’aimer, de perdre, de protéger, de redevenir non seulement quelqu’un, mais quelqu’un de bien. Un espoir perdu, une occasion de plus jetée aux orties, comme si elle n’était née que pour mourir.
- Halte ! Qui va là ? Que faites-vous dans cette forêt ?
L’un des chasseurs interpelle un étranger, sans recevoir aucune réponse. Thalie n’attend pas la suite des événements. Son envie de vivre est plus forte que sa résignation. Elle ne finira pas ainsi. Elle le refuse. Profitant de la distraction momentanée des chasseurs, elle jaillit de sa cachette et court. Sa jupe se prend dans les ronces, ses pieds nus saignent en courant sur les cailloux, mais elle ne s’arrête pas, ne se retourne pas. Elle plonge entre deux chasseurs surpris et fonce droit devant, dans une direction qu’elle espère être celle du village. L’un d’eux a dû reprendre ses esprits, car une flèche se plante dans la terre à ses pieds, et une deuxième lui érafle la cuisse. Déstabilisée par la douleur, c’est trop tard que Thalie voit l’homme qui se dresse en travers de son chemin. Elle le percute de plein fouet, et ils chutent tous deux sur le sol poussiéreux. Essayant de se redresser, la jeune femme pousse un cri quand sa cheville gauche émet une vive protestation.
- S’il vous plaît. Aidez-moi. S’il vous plaît.
Il n’a aucune raison de le faire - hormis la bonté d’âme, mais celle-ci se fait rare depuis que les Ogres terrorisent la Forêt Enchantée. Mais s’il ne le fait pas, Thalie mourra. Et cette fois, rien ni personne ne pourra la ramener à la vie.
Nothing you can take from me was ever worth keeping
Si ma rencontre avec Merida m'a redonné foi en l'humanité? Il en faudrait bien davantage, je le crains. Mais il faut admettre que savoir qu'une part de ce royaume a toujours été à quelques pas de moi au cours de ces mois (années? Ces souvenirs maudits me semblent si réels que je peine à deviner le moment exact où cette vie et la mienne, réelle, se sont collapsées) a quelque chose de rassurant, même pour le solitaire que j'ai toujours été. En vérité, je crois qu'une part de moi aimerait être capable de vivre en société, mais j'ai tant appris à me débrouiller par moi-même et à ne faire confiance qu'à moi-même qu'il est évident aujourd'hui que mon cheval et moi, c'est là le meilleur "groupe" que je puisse trouver à rejoindre. Mes vues sur Camelot? Il faut l'admettre, aussi entouré puisse-t-il être, un roi est seul sur son trône. Je ne serai pas tant dépaysé.
C'est le bruit de plusieurs voix s'amenant dans ma direction qui me tirent de la sieste que je m'étais octroyée dans un coin à priori tranquille de la forêt. Me félicitant d'abord de ne dormir que d'une oreille sans compter sur l'attention d'Argo pour veiller à ma place, je me redresse rapidement, trop peut-être, avant de récupérer la cape roulée qui me servait d'oreiller pour l'attacher à l'une des sangles de ma selle, et détacher l'étalon noir comme la nuit pour le mener derrière moi. Si je n'entends à première vue pas de bruits de sabots, je préfère tout autant m'éviter une course poursuite si je peux me contenter de laisser le groupe me passer devant.
J'ai cependant la mauvaise idée d'y regarder davantage, autant que me le permettent les frondaisons qui me séparent du théâtre, et remarque après m'être apparemment fait remarquer le premier que ces hommes ne courent ni après une biche, ni après un malandrin. Je dirais plutôt que les brigands sont dans le camp adverse à celui auquel je pensais initialement. Disons, pour qui souhaite une preuve de ce que j'avance, que la jeune femme qui déboule d'un tas de pierres en espérant clairement leur échapper me donne une assez bonne vision de la situation.
N'ayant que ma dague sur moi, songeant très fortement qu'il me faudra récupérer une épée dès que l'occasion s'en présentera, j'abandonne ma monture où elle se trouve avant de progresser plus avant. Un cheval percé de flèches n'est pas de la plus grande utilité, inutile d'en faire une cible. Parvenant à prendre assez d'avance sur eux à travers les buissons et autres branches basses pour rester quelques instants encore hors d'atteinte de leurs tirs alors que je les précède sur le sentier, je ne peux que constater que j'ai été plus efficace que prévu dans ma traversée du bosquet. En effet, mon intention première était d'avoir leur cible dans le dos, pas qu'elle me percute de plein fouet.
Je chute violemment sur le dos, lâchant ma dague dans la foulée, entrainé par le poids de son élan contre ma position statique. Rouvrant les yeux après les avoir fermé un instant durant la chute, je croise son regard, un regard qui semble me reconnaitre autant que je la reconnais, d'une autre vie pourtant pas si lointaine. "Odette?!" * La surprise ne dure qu'un instant avant que l'urgence de la situation se rappelle à moi, et je la fait basculer sur le sol, usant de mon corps comme d'un bouclier, avant de me relever entre elle et ses agresseurs, mettant la main à ma ceinture pour prendre ma dague... et ne trouvant qu'un fourreau vide. Oui bien sur, la dague, la chute, le sol...
En désespoir de cause, plutôt que de vouloir stopper à mains nues une épée levée dans ma direction, je passe sous la frappe haute de l'adversaire pour le contourner, précédent la trajectoire de sa lame sur le coté, et me retrouvant dans le même temps bien trop proche de lui pour lui permettre d'asséner à peu près n'importe quelle passe d'arme avec une lame aussi longue. Oui, mon arme de prédilection est le poignard, si ça avait échappé à certains. Une arme qui nécessite de pénétrer dans l'espace vital de son adversaire pour être utile. Et à défaut d'être armé, je frappe sa tempe d'un poing fermé, utilisant mon pied pour lui faucher la jambe dans le même mouvement. Juste de quoi me permettre de récupérer son épée tombée à terre, et gagner un peu de temps pour repérer ma dague et la rejoindre d'une glissade au sol, me replaçant entre agresseurs et agressée. Si l'un ou l'autre de mes maitres d'armes me voyaient faire, ils seraient probablement horrifiés de ma technique, mais les entrainements prennent rarement en compte les spécificités d'un vrai combat, de ce que j'en pense en tout cas.
En attendant, la pointe de chacune de mes lames suit la trajectoire des hommes qui prennent position autour de moi, et je ne peux m'empêcher de penser que si la mémoire musculaire fait bon effet, il y a tout de même plusieurs années que je n'ai livré un véritable combat. A cette époque, non seulement je m'entrainais suffisamment pour que les gestes me soient naturels, mais j'étais plus jeune. Les réflexes, la force, la résistance, tant de facteurs qui décroissent proportionnellement aux années qui passent.
"J'ignore ce que vous voulez à cette femme, mais tenez le vous pour dit. Mordred Pendragon ne fait pas de prisonniers."
S'il est bien rare que j'use de ce patronyme davantage volé à mon géniteur que réellement reçu de sa part? Soyons honnêtes, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, j'ose penser que ce nom éveille une certaine crainte dans le cœur de mes adversaires. Non? Tant pis.
"Ce que je vois surtout, c'est que tu es seul face à nous."
Digne des meilleurs acteurs, j'offre à celui qui s'adresse ainsi à moi un regard des plus étonnés, et lance ce regard vers les arbres qui bordent ma gauche, comme si un archer posté en hauteur couvrait mes arrières. Une seconde seulement, avant de le reporter sur les brigands.
"Qui vous dit que tel est le cas?"
Un bluff complet, mais d'une crédibilité suffisante pour semer le doute dans l'esprit des voyous. Et le doute est le pire ennemi du combattant. Même s'il en faut toujours un peu, car être trop sûr de ses certitudes emmène tout autant au tombeau.
☽ A S Y L ☾
*Du coup j'ai bien bugué sur celle là, si pour toi il la connait sous le nom de Thalie, redis-le moi ;) j'ai joué à ploufplouf pour savoir comment il l'appelait xD (et désolé je me suis laissé emporter xDD j'espère que t'aura de la place pour répondre là dedans, sinon j'éditerai ;) )
I was told I was meant to be a King
But wasn't I just the puppet in the theater?
récompenses:
Nothing you can take from me was ever worth keeping | Thalie & Mordred