Habillée de ses classiques habits couvrant, col roulé, manches et jupes longues, elle commençait à avoir un peu trop chaud dans cet intérieur bondée qu'était le Granny's Dinner à cet instant. Mais il fallait bien ça pour éviter la morsure du soleil sur sa peau, finir aussi rouge qu'une tomate non merci. Ou plutôt comme une viande trop grillée, ce qui donnait encore moins envie. Quand à sa présence, elle était si heureuse de pouvoir mettre le nez dehors en pleine journée qu'il était hors de question de différer cette pause thé qu'elle effectuait, entre la préparations de deux cours pour les enfants. C'est qu'isolé comme elle était dans le restaurant, contre une vitre donnant sur l'extérieur, elle pouvait profiter paisiblement du soleil et de sa lumière, tout en évitant de se sentir trop mal ainsi exposée. Carmilla en tout cas attendait bien patiemment sa commande. C'est qu'on était en plein weekend, le samedi plus précisément, et la salle était donc bondée de ses habituées, et les serveuses peinaient à faire le service en temps et en heure. Alors la jeune institutrice, qui mettait les pieds pour la première fois ici, n'était pas nécessairement la priorité retenue. Pas que cela soit de la méchanceté, mais on retenait plus facilement les demandes habituels. Finalement, elle reçu sa tasse bien chaude d'un bon thé anglais, et sentit presque aussitôt après une présence devant elle.

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Noël approchait à grands pas. Le problème, c’était que je ne savais pas ce que c’était, Noël. Chez moi, en Ecosse, c’était rarement fêté, voire même considéré comme hérétique. A Storybrooke, en revanche, cela réjouissait tous les enfants et j’avoue que j’avais du mal à comprendre leur enthousiasme. Enfin, si, pour être exact, il y avait une part de leur enthousiasme que je comprenais très bien : la nourriture. Granny s’évertuait à préparer des petits gâteaux de Noël et plein de nouvelles pâtisseries à la cannelle pour rappeler les fêtes de fin d’année. Rien que d’y penser j’en avais l’eau à la bouche. D’ailleurs, maintenant que c’était les vacances de Noël et qu’il n’y avait plus cours, dieu merci !, je passais le plus clair de, ok tout, mon temps chez Granny. On était samedi, je savais que c’était un jour où il y avait beaucoup de travail chez Granny. J’avais donc pris mon mal en patience pour essayer de venir un peu après le rush matinal. Un peu. Essayer. Et j’avais lamentablement échoué. Mais que voulez-vous ? Mon ventre hurlait à la mort ! Comment pouvais-je le laisser souffrir plus longtemps ? J’étais donc descendu dans la salle bondée pour voir que Granny voyait que j’avais vu l’assiette de Cinnamon roll avec mon chocolat chaud posé à ma place habituelle. Je courus à ma place sur un tabouret au comptoir et remerciai la vieille femme. Même en plein rush, elle pensait à moi, c’était vraiment une personne adorable !

J’avalai pratiquement sans mâcher, le chocolat chaud m’aidant à faire descendre le tout, mon assiette tout en parcourant rapidement la salle du regard. Toujours les mêmes visages habituels. Cela faisait peu de temps que j’étais là et pourtant, même si je ne connaissais pas leur nom, je voyais inlassablement les mêmes têtes défilaient tous les matins. Certains avaient leurs habitudes sur ce qu’ils mangeaient et d’autres allaient jusqu’à venir au même horaire. Tout le monde était réglé, minuté dans leur journée. Et ce, même un samedi. Pourtant, dans ce décor de pure banalité, quelque chose, ou plutôt quelqu’un, se détachait : une femme. Elle était assise dans un coin, seule. Je ne savais pas si elle me faisait de la peine ou si elle m’intriguait tout simplement, mais je me disais que je ne pouvais pas la laisser comme ça. Et sans que je comprenne vraiment comment, j’étais déjà descendu de mon tabouret, deux assiettes de cinnamon roll et ma tasse de chocolat en équilibre instable dans les bras, et je me dirigeais vers sa table. Sans même qu’elle ne m’en donne l’autorisation, je pris place en face d’elle et poussais l’assiette à côté de la tasse que Ruby venait de lui apporter.

- Ca ne vous dérange pas que je m’asseye à votre table ? L’endroit est bondé et il n’y a plus de places ailleurs.

Ouais, même ma place venait déjà d’être reprise. Et puis en tant que prince, je n’avais pas vraiment l’habitude de me voir refuser quelque chose.

Elle observa d'un regard décontenancé le jeune garçon s'installer à sa table, apportant une tasse de chocolat chaud et quelques gourmandises en équilibre dans ses bras. Pas bien sûr qu'elle soit gênée par cela, elle n'était pas possessive au point de réserver une table pour elle toute seule alors que tout le monde se bousculait dans le restaurant pour une place assise, mais étonnée surtout par le fait qu'il s'approche d'elle aussi insouciant. Dangereuse, pour l'instant elle ne l'était pas vraiment. Mais il arrivait par moment qu'une aura se répande autour d'elle. Une aura qu'elle ne percevait pas, mais que les autres ressentaient instinctivement. Et c'est donc tout naturellement qu'ils l'évitaient. La plupart du temps. Parfois, cela ne fonctionnait pas, mais elle s'était habituée à ce vide l'entourant. "D'accord, mais je prélève un droit d'installation !" répondit-elle, un timide sourire aux lèvres, tandis qu'elle piochait l'une des pâtisseries. " Tu as dû être persuasif pour obtenir tout ça aussi vite ! Surtout que Granny est débordée, avec tous les préparatifs pour les fêtes qui approchent. ". Bon, peut-être qu’elle lui parlait légèrement comme si elle s’adressait à un jeune garçon, ce qu’elle voyait pour le moment en lui. Il semblait plutôt jeune après tout, qu’y pouvait-elle ? Avec son chocolat chaud et ses manières de petit prince !

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Je n’avais pas vraiment l’habitude de me voir refuser quelque chose, d’autant lorsque j’étais venu avec une offrande. Autant dire aussi que ladite offrande a failli ne pas tenir tout le chemin du tabouret jusqu’à la table de cette jeune femme. Je l’observais rapidement, elle était plutôt jolie, enfin je crois. Il faut que je ne m’étais jamais vraiment intéressé à la gente féminine. Je souris à sa remarque. Bon au moins je n’avais pas perdu ma place vainement. Je tirais vers moi l’assiette restante. « Ça me va, tant que je garde une part de mon butin ! » J’étais déjà en train de croquer dans l’une des pâtisseries et le goût de cannelle et de sucre se répandirent dans ma bouche mettant mes papilles en fête. Je haussais les épaules à sa seconde remarque. « Granny m’aime bien, enfin je crois. Ça doit lui faire plaisir de voir quelqu’un manger alors avec appétit alors qu’ici visiblement, les gens n’aiment pas s’engraisser. » J’espérais qu’elle ne faisait pas partie de ses femmes qui ont le culte de la maigreur en ligne de mire sinon j’allais m’en faire une ennemie. Je tentais de ne pas trop m’étaler sur le sujet, ne sachant pas s’il s’agissait d’un terrain glissant ou non. Je décidai que des présentations en bonne et due forme s’imposaient, surtout si nous allions prendre notre petit-déjeuner ensemble. Après tout, un moment aussi important de la journée ne se partageait pas avec des inconnus complets. « Je m’appelle Harris, Harris Dunbroch, et vous ? » Je lui fis un grand sourire, la bouche encore à moitié pleine, niveau bonne manière et élégance, on pouvait repasser.

Un sourire plus franc marqua ses lèvres en le voyant récupérer une assiette de petit gâteau pour lui, laissant donc la seconde sous son nez à elle. Pas qu'elle fasse spécifiquement attention à sa ligne, elle cherchait plutôt à profiter des derniers plaisirs de la vie avant qu'elle ne lui soit hotté, mais il y en avait quand même bien trop pour elle ! Mais bon, la nourriture ne serait manifestement pas perdue si elle en croyait l'enthousiasme du jeune garçon à dévorer les pâtisseries de son propre plat. Carmilla jeta un regard alentours, observant les nombreuses personnes présentes. Il était vrai que la plupart ne prenait qu'une boisson, un café le plus souvent, et pour le peu qui accompagnait leur tasse de quelque chose de plus consistant, il n'y avait guère à se mettre sous la dent. Un croissant à l'occasion, un pain au chocolat pour les petits gourmands-mais-pas-trop, et toutes ces choses restaient bien souvent entamé dans l'assiette tandis que la personne payait et retournait à ses occupations. Le Granny's restait un lieu de passage pour beaucoup. « Oui tu as raisons, les gens ne prennent plus le temps de déjeuner, alors que c’est le repas le plus important de la journée ! Il te permet de bien commencer la matinée ». Institutrice qui ressort ? Oui peut-être un peu, mais c’était dans sa nature aussi.  Elle croqua à son tour dans la pâtisserie, appréciant son goût quoiqu’un peu trop sucrée pour elle. « Enchanté Harris ! Je suis Carmilla Stocker, mais tu peux m’appeler Carmilla. Tu es d’origine écossaise ? ». Elle hésita à lui tendre sa main, mais qu’il la serre ou la baise – à la manière des gentilhommes de son époque – cela lui semblait un peu trop cérémoniel pour une telle rencontre, à la table d’un petit restaurant. De plus, les doigts de sa main droite étaient maintenant pleins de sucre, aussi se contenta-t-elle de l’agiter pour faire un petit salut.  « Je ne connais pas ces petites choses, comment tu les appelle ? » demanda-t-elle après avoir fini une seconde bouchée. Elle se sentait plutôt bien à l’instant, malgré le soleil qui tapait contre la vitre. Sa vie, pour une fois, semblait presque normal et apaisée. Pour le moment.

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Je n’étais pas spécialement reconnu pour mes bonnes manières et je supposais que les trois-quarts du sucre glace de mes cinnamon roll avaient fini sur mon joli minois. Tant pis, au moins elle savait que j’étais loin d’avoir les manières d’un prince, même si théoriquement j’en étais un. Enfin plus ou moins, bref !

- C’est aussi le repas où on peut se permettre de gaver en accusant le fait qu’on a pas mangé depuis longtemps. Enfin, n’importe quel repas vaut mieux que celui du soir. Je le déteste, on nous force à manger léger, sauf prétexte qu’on dormira plus facilement. Sauf que si on meure de faim, il est dur de s’endormir paisiblement.

Parler de bouffe et on ne pouvait plus m’arrêter. C’était déjà l’un de mes passe-temps favoris à Dunbroch. Enfin, surtout piquer de la nourriture où on en trouvait, mais ne jouons pas sur les mots !

- C’est très joli Carmilla, ça vient d’où ? Oui, une famille d’écossais pure et dure, « comme en fait plus » me disait mon père.

Mon sourire s’était vite estompé de mon visage et une boule s’était formée au creux de mon estomac. Pourtant, je savais qu’il n’était pas question de nourriture pour une fois, le souvenir de la mort de mon père était encore vif et douloureux. Mais est-ce que cette douleur passerait seulement un jour ? J’en doutais fortement. Je souris faiblement à sa question.

- Des cinnamon roll ou cinnamon bun, c’est bon hein ?

Je regardai ensuite à l’extérieur, je repensai toujours à mon père. Des enfants jouaient à l’extérieur. A l’occasion des fêtes de Noël, la mairie avait fait les choses en grand et avait installé un peu partout en ville des jeux pour les enfants : près du Granny’s, il y avait un traîneau, un bonhomme de neige gonflé à l’air et un petit igloo sur lequel les enfants pouvaient grimper ou entrer à l’intérieur. J’enviais leur innocence, où était passer la mienne ? Soudain, quelque chose me frappa dans le reflet de la vitre. Je fronçai légèrement les sourcils et pointai la vitre du doigt en penchant légèrement la tête sur le côté.

- Eh ! Vous avez vu ? On voit mon reflet dans la vitre mais pas le vôtre, c’est bizarre non ? dis-je en rigolant doucement.