Voilà cinq ans que je n'ai pas bu la moindre goutte d'alcool. Cinq longues années semées d'embûches et de multiples tentations. Cinq ans, sommes-nous tentés d'imaginer, c'est long. Et c'est encore plus fastidieux lorsque votre lieu de travail regorge d'alcool à chaque recoin. J'aurai pu (dû) tout arrêter, repartir de zéro, me trouver quelque chose de plus flatteur, mais rester, c'était aussi pour moi, une façon de combattre le mal par le mal. Si j'y parvenais, peut-être que cela en valait le coup. Et puis il y avait Margot, ma plus belle réussite, ce petit rayon de soleil, qui d'un sourire vous déleste du mauvais. Je n'avais pas le droit d'abandonner ou de me contenter de la facilité pour elle. À défaut d'être un bon mari, je ne pouvais être médiocre dans le rôle de père. Alors, je suis resté. Regina m'a bazardé de sa vie, c'est un fait, mais je continuais à être là pour Margot. J'ai gardé le bar, viré la serveuse avec laquelle on m'avait prêté une liaison. Avais-je quelque chose à cacher ? Non, mais mon alcoolisme pouvait aisément m'induire en erreur. Avais-je trompé Regina ? Je l'ignorais tout comme j'ignorais pourquoi du jour au lendemain, je m'étais épris de la bouteille, détruisant ainsi notre mariage et notre famille par la même occasion. J'ai merdé, c'est un fait, mais la haine de mon ex-femme ne m'a pas aidé et continué à me desservir en témoigne notre dernière confrontation qui avait mené à des insultes, la base entre nous, mais aussi et plus tard, à une « révélation » à mon égard. Je ne pensais pas Regina capable d'autant de bassesse et pourtant, elle ne s'était pas gênée pour narrer la trahison dont elle fut la pauvre victime.

Et c'est là que ça redevient difficile. Les appels manqués, les sms sans réponses, plus rien. Du jour au lendemain, ma fille avait donc décidé de couper les ponts, m'éclipsant littéralement de sa vie. Je me sentais si désarmé et incapable de quoique ce soit, car impardonnable était ma faute. De vous à moi, le fait d'être privé de Margot, a fait resurgir de vieux démons. En l'occurrence cette bonne vieille bouteille de Whisky tout aussi vieux en âge et délicat au palais que je ne réserve qu'à mes bons clients. Cela aurait été facile de sombrer, donnait ainsi raison à Regina. L'espace d'un instant, prit d'une certaine hésitation, j'ai compris que de me rincer le gosier avec ce délicat breuvage, causerait certainement ma perte, mais plus encore, celle de Margot dans ma vie. Je ne pouvais me morfondre, je devais me sortir des doigts du cul, patienter et tenter de recoller les morceaux. Et preuve que les miracles existent, ma fille m'a recontacté et me voilà à fermer mon bar, guitare sur le dos pour la rejoindre à la plage où nous avions initialement prévu de pique-niquer.

« - Ca fait longtemps que je n'ai pas gratté ma guitare » lançais-je en tentant de rejouer les quelques accords d'une vieille chanson. « - Ne sois pas sévère hein ? » Elle ne l'était pas, la gentillesse incarnée, elle m'écoutait avec attention tandis que je faisais de mon mieux. J'ignorais à ce moment précis, que tout cela résultait d'un plan « machiavélique » je tachais toutefois de profiter de l'instant. « - En fait la chanson que je te chantais, c'est quelque chose que j'avais écrit pour ... ta mère » Oui, je m'en souviens encore, c'était ainsi que j'étais parvenue à la séduire. De bons souvenirs en perspectives, nous étions jeunes, nous nous aimions comme des fous. « - Elle s'appelait really gone. » tentais-je en essayant de me remémorer les premiers accords. Margot, dont l'attention défaillait se releva aussitôt « - Tout va bien ma puce ? » lançais-je interloqué alors qu'elle me faisait savoir qu'Adie était là « - Attends on n'était censé être tous les deux ce soir ? » Un baiser sur la joue et la voilà parti, en me laissant en plan, seul avec ma guitare. S'était-elle donc servi de moi pour pouvoir passé du temps avec sa copine ? « - Fais chié ! » lançais-je quelque peu blessé tout en continuant de gratter les accords de ma chanson. Peut-être que cela me calmerait. « - Sit and I wonder what to do next »

Quelques semaines étaient passées depuis cette confrontation avec mon ex mari et cette dispute avec ma fille. Elle avait finalement fini son stage d’une semaine à la mairie, fait un rapport exemplaire relu et corrigé par mes soins et avait, à ma plus grande fierté, obtenu la meilleure note de sa classe. Là où j’étais un peu moins fière, c’était d’avoir cédé en lui expliquant les causes de notre séparation à son père et moi. J’avais toujours estimé que ça ne la regardait pas, que c’était des histoires d’adultes et qu’elle n’avait pas à être mêlée à ça. Pire, je n’aimais pas que l’on me catalogue au rang de victime et qu’on me prenne en pitié parce que mon mari m’avait faite cocue avec une serveuse. Mais voilà, de toute façon tout le monde avait fini par être au courant, puisqu’à l’époque les rumeurs étaient allées bon train, c’était d’ailleurs ainsi que je l’avais appris. Et Margot m’avait suppliée de lui expliquer, et je voulais qu’elle comprenne pourquoi je ne supportais plus de me trouver dans la même pièce que son père. Maintenant, tout était clair. Pourtant, j’avais été quelque peu ébranlée par les propos de Robin, ce matin-là, qui m’affirmait qu’il ne m’avait pas trompée. Il continuait à démentir, même plus de cinq années après notre divorce. Je ne comprenais pas pourquoi je prenais tant à coeur ce qu’il avait dit. Il mentait, c’était évident, il mentait comme il l’avait fait à l’époque.

Margot m’avait demandé la permission de passer la soirée avec sa copine. Mon dieu, ma fille sortait avec une fille. J’avais eu du mal à m’y faire, mais après tout, en soi, ce n’était pas bien grave. Adie était une jeune fille bien élevée et tout ce que j’espérais, c’était qu’elle n’aurait pas une mauvaise influence sur elle. Après tout, elles ne passeraient sans doute pas leur vie ensemble, les amours d’adolescents ne duraient jamais bien longtemps. Et j’avais compris que ce n’était pas en la bridant sans arrêt que Margot prendrait conscience des choses. On était vendredi soir, elle n’avait pas école le lendemain, je pouvais bien lui accorder une petite soirée avec sa chérie. A la maison en train de ranger quelques affaires, je reçus un SMS de ma princesse me demandant de venir la chercher à la plage. Espérant qu’il ne lui était rien arrivé de grave, je m’empressai de lui répondre que j’arrivais, et mettant ma veste, je fermai la maison et entrai dans ma voiture.

Enfin garée, je m’attendais à ce que Margot m’attende sur le petit parking de la plage, comme elle avait l’habitude de le faire chaque fois que je devais passer la chercher. Prise d’une inquiétude folle en ne la voyant pas, m’imaginant le pire, je pris mon téléphone pour l’appeler. Mais elle ne répondait pas. Mon coeur se serra. Où était-elle ?

- Margot ?? appelai-je.

Aucune réponse. Je me mis alors à arpenter la plage depuis le chemin en dur surmonté d’un petit parapet, observant le sable pour voir si je ne la voyais pas. J’espérais de tout mon coeur qu’elle allait bien. Soudain, une mélodie vint à mes oreilles, une musique à la guitare, un air que je ne connaissais que trop bien puisqu’il avait été composé pour moi. Une chanson que Robin m’avait écrite et qu’il me chantait souvent, justement sur cette plage. Irrémédiablement un petit sourire naquit sur mes lèvres, sans que je ne m’en rende compte. Puis les premières paroles arrivèrent, chantonnées par cette voix merveilleuse qui m’avait donné si chaud par le passé. Sans savoir pourquoi, me voilà en train de fredonner la suite de l’air.

- « The love of my life made of wood hanging over my chest When an old scene changes a new one begins right away »

Assit dans le sable, sur cette fichue serviette, j'observais l'horizon, vaste et insondable, à peu près comme le fond de ma pensée à l'heure qu'il est. Avec Margot, nous ne nous étions pas parlé depuis des semaines, j'espérais donc un peu plus d'attention de sa part. Au lieu de ça, je me retrouvais là, comme un con avec ma guitare à attendre, une fille qui de toute façon ne reviendra pas. Était-ce une punition ? Avait-elle ainsi décidé de me faire payer mon infidélité passée ? Si tel était le cas, je trouvais la chose injuste. Regina avait à n'en pas douter, raconter sa version, me faisant passer pour le méchant de l'histoire et culpabilisant au passage notre chère Margot, d'avoir un jour, prit mon parti. Oui, faute de réponse à mes questions, mon imagination faisait le reste et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en de telles conditions, elle demeurait fertile, très fertile. Je devais toutefois en avoir le cœur net, avoir des réponses à mes multiples questions et être sûr que Margot, m'avait « pardonné » ou du moins essayé. Portable en main, je fixais donc intensément l'écran d'accueil en délestant ma guitare. L'écriture automatique activée, je m'apprêtais à lancer un pavé dans la mare avant de me raviser. Si elle était avec sa copine, nul doute qu'elle ne voulait être dérangée par ce genre de conneries. Allez Rob, putain, tu n'es pas le centre du monde ! Arrête un peu de faire ta foutue victime ! C'est vrai quoi, c'est l'impression que je donne là. Passé cette réprimande introspective en bon et due forme, je m'étais convaincu d'abandonner le portable, au profit de la guitare. Je n'étais certainement pas au bout de mes surprises !

Pour l'heure, loin de me douter de ce qui se tramait dans mon dos, je me cantonnais à reprendre les accords de ce qui me semblait être une vieille chanson laissée au placard et pour cause, je l'avais écrit pour Regina à une époque où tout était possible, même tombé amoureux. Peu à peu, à force de poser mes doigts sur les cordes, je retrouvais la rythmique et quand enfin ma mémoire ne me faisait plus défaut, je me lançais en entonnant les premières paroles de « Really Gone ! » Et alors que j'étais sur ce qui me semblait être une bonne lancée, une seconde voix, loin de m'être inconnue, vint se joindre à moi. Mes doigts cessèrent aussitôt de jouer et mon regard quitta l'océan pour me poser sur l'arrivante, mon ex-femme. « - Madame le Maire à la plage qui l'aurait cru ! » lançais-je railleur pour ne pas lui faire voir que j'étais quelque peu ébranlé par le fait qu'elle connaisse encore les paroles de sa chanson. « - Si tu cherches Margot, elle est partie avec Adie et ne t'en prend pas à moi, je n'étais pas au courant. »

Mon angoisse s’était envolée en l’espace de quelques secondes en entendant cette mélodie jouée à la guitare que j’avais si souvent entendue, un air composé pour moi, tout comme ces paroles que Robin avait écrites avec amour pour me séduire. Comme j’aimais le son de sa voix. Le temps de quelques accords et la première phrase de la chanson et je me retrouvée projetée vingt ans auparavant, délestée du moindre stress, me laissant aller à entonner la suite de la chanson que je connaissais encore par coeur, contre toute attente. Puis, la réalité me revint en plein visage lorsque Robin prit la parole, plein d’ironie à mon égard comme il savait si bien le faire depuis que nos relations s’étaient détériorées. Rapidement, j’apprenais que Margot avait été avec lui et qu’elle était partie avec sa copine, ce qui me rassurait. Ma fille n’était pas seule livrée à elle-même. Soulagée d’un poids, je soupirai.

- Merci, je suis rassurée. Elle était avec toi ? Elle m’avait dit qu’elle irait voir sa copine, et il y a un quart d’heure j’ai reçu un message de sa part, me demandant de venir la chercher. Adie a dû être plus rapide. Elle aurait pu me prévenir…

Que je ne me retrouve pas face à toi…

Je repensais à ce qu’il m’avait dit quelques temps auparavant, ce fameux matin alors que je devais emmener notre fille à son premier jour de stage. Et je repensais aussi à ce ton ironique qu’il avait encore pris avec moi.

- Et sinon, monsieur je sais tout, la plage est un endroit public, j’ai encore le droit de m’y rendre, que je sache. Laisse-moi deviner, en voyant son cher papa à la plage, Margot n’a pas voulu rester avec sa copine ici, trouvant qu’un chaperon, c’était dépassé ?

Je croisai les bras avec un sourire en coin. Robin avait le don de me faire sortir de mes gonds. Pourtant, le voir là, sur cette plage avec sa vieille guitare me rappelait de bons souvenirs, sans doute les meilleurs de ma vie. Comme nous étions heureux à cette époque, jeunes et insouciants, sans tracas, sans responsabilités, juste libres de s’aimer et de faire ce que bon nous semblait. Mais nous étions des enfants et la réalité de la vie d’adulte nous avait rattrapée quand j’étais tombée enceinte de Margot. Enfin, c’était surtout ma mère qui nous avait rattrapés, m ‘obligeant à faire des études de droit, conditions sinéquanone pour que je puisse garder ma fille. J’avais fini par acquérir l’ambition des Mills et avait finalement pu accéder aux plus hautes sphères en devenant maire de la ville, après de nombreuses années de travail acharné. Ah ça, ma mère était fière, et maintenant que j’étais séparée de Robin, elle l’était encore plus.

Bon sang que j'avais ramé pour écrire cette chanson et composer la mélodie. Je vous laisse imaginer qu'à l'époque, il n'hésitait aucun tutoriel pour apprendre à jouer de la guitare comme un Carlos Santana en herbe. Mais Regina, du moins celle de l'époque en valait la peine. Bon sang qu'elle était sexy avec sa dégaine de rebelle, ses cheveux en mode « curly » ses jeans, ses débardeurs à l'effigie de quelques noms de groupes de rock. Et son rire, quelque chose de tendre, de cristallin, d'aérien. Je voulais la séduire, je devais la séduire, avant de voir un autre débile me damnait le pion, car, n'en doutez pas, elle était courtisée et je savais que mes « bonjour » et mes sourires ne suffiraient pas. Alors j'ai appris à jouer de la guitare, j'ai pris sur mes économies pour m'en payer une. Grattant matin midi et soir sur les cordes, j'apprenais un à un les accords. Et lorsqu'enfin, je fus à l'aise, je me lançais dans l'écriture. En pensant à elle, ça venait tout seul. Je me surprenais moi-même à écrire des belles choses. Je l'ai invité sur cette même plage, puis je me suis lancé et je lui ai joué ma sérénade. Et je crois que mes efforts ont payé ! Cette époque me semblait si lointaine à présent. Le temps passe si vite lorsque nous sommes insouciants. J'étais nostalgique, je le suis encore, car au fond de moi, cette Regina me manquait.

Preuve que le destin était joueur ce soir, l'autre Regina fit son apparition et quelle apparition. Elle connaissait encore la chanson et de vous à moi, cela me faisait chier, car je devais admettre que l'entendre chanter ces quelques mots lui étant dédiés, ne m'avait point laissé de marbre. Reprends-toi Rob ! Aller le passé appartient au passé. « - Ouais, elle était avec moi. Comme tu le vois, nous étions censés pique-niquer. Mais je crois qu'elle m'a fait un faux plan et j'ai comme l'impression que je ne suis pas le seul... » Margot était rusée il est vrai et je venais de comprendre bien malgré moi, son petit stratagème. « - Écoute on s'est assez pris la tête l'autre fois, j'ai eu mon quota pour le mois ok ? Et de base, notre fille voulait qu'on passe du temps ensemble, Adie n'était pas prévu à l'équation ce soir. Je ne suis pas un chaperon, mais un bouche-trou, du moins c'est l'impression que j'ai. » Elle continuait donc à me faire face, les bras croisés avec un sourire en coin. « - Ouais ça t'amuse hein ? En attendant, je crois que je ne suis pas le seul à m'être fait avoir. » À mon tour je ne pus m'empêcher de sourire, un sourire sans méchanceté pour une fois. « - T'as bouffé ? Il reste des trucs dans le panier si ça te dit ? À moins bien sûr que ça ne soit pas assez bien pour toi ! »

Quel soulagement que d’apprendre que Margot était finalement partie avec Adie. Moi qui la pensais en danger… Être mère faisait avoir des raisonnements irrationnels parfois. Robin me rassura, mais d’un autre côté, me fit comprendre que ma fille m’avait encore menti. A moi, elle avait dit qu’elle passait la soirée avec Adie, il n’était nullement question de pic-nique avec son père. Je fronçai légèrement les sourcils.

- Ah oui, c’était prévu que vous vous voyiez ? Je vois qu’elle m’a encore menti, moi j’avais la version soirée avec Adie… ça va barder pour son matricule dès demain matin.

J’eus soudain, bien malgré moi, de la peine pour Robin qui se qualifiait de « bouche-trou ». Même si je lui en voulais à mort pour ce qu’il m’avait fait, Margot n’avait pas à le punir en le laissant pour compte ainsi. Je lui avais appris à respecter les adultes, et plus encore ceux de sa famille, même s’il s’agissait d’immondes menteurs infidèles comme son père. Et je lui avais fait promettre de ne pas se mêler de nos affaire lorsqu’elle avait voulu savoir la vérité sur notre divorce. Preuve qu’encore une fois, ma princesse blonde n’en avait fait qu’à sa tête. J’étais très mécontente de son comportement.

- Non, en fait ça ne m’amuse pas, ni pour toi ni pour moi. Nous sommes ses parents, j’estime que nous avons droit à un peu plus de respect de sa part.

Surtout moi.

Le sourire que me tendit Robin m’ébranla bien plus que je ne voulais l’admettre. Un sourire sans ironie, sans arrière pensée, juste son beau sourire, son magnifique sourire qui m’avait fait fondre vingt ans auparavant. Voilà qu’il me proposait de rester avec lui pour manger ce qu’il restait de son pic-nique avorté. J’aurais dû dire non. Il aurait fallu que je dise non.

- Arrête de me prendre pour une conne, ça m’arrive de manger des sandwiches tu sais. Je dois bien avouer que je meurs de faim. Qu’est-ce que tu avais préparé ?

Sans attendre, je retirai mes escarpins et vins le rejoindre dans le sable, m’asseyant sur le bord de sa serviette pour ne pas salir ma robe. Cette configuration n’était pas sans me rappeler les nombreux pic-niques que nous avions fait sur cette même plage, soit tous les deux, soit avec nos amis de l’époque. Des feux de camp, des chansons, des danses, de l’alcool, le tout jusqu’à pas d’heures. Un sourire nostalgique ne dessina sur mes lèvres tandis que je regardais l’horizon, devinant les vagues qui venaient lentement mourir sur le sable.

J’étais douée pour les plans tordus, enfin plus ou moins tordus. Je savais que maman allait venir, je savais qu’elle allait retrouver papa et je savais qu’ils allaient parler sans se taper sur la tête. Accoudée à la barrière, câchée dans l’ombre, enlacée dans les bras d’Adie, je regardais mes parents qui se retrouvaient. Un sourire naquit sur mes lèvres lorsque je me rendis compte qu’il venait de comprendre ce qui se passait.

« Je le savais ! »

Adie m’embrasse sur la joue avant de me regarder en me tirant par la main.

« Viens Margot, on va au ciné et manger une pomme d’amour, on va laisser tes parents tranquilles. »

Je souris à ma chérie avant de lui faire un signe positif de la tête. J’avais joué les cupidons et je savais que ça allait fonctionner. Papa et maman allait se retrouver et ça me plaisait beaucoup. J’enlace mes doigts dans ceux d’Adie et on se rends en courant jusqu’au cinéma pour pas louper la séance de notre film romantique préféré. Un paquet d’haribo chacune et une bouteille d’eau, on entre dans la salle avant s’asseoir.

J’étais heureuse de pouvoir passer du temps avec ma chérie mais j’étais encore la plus heureuse de savoir mes parents ensembles, je savais que tout allait bien se passer, je le sentais. J’espérais que papa pourrait faire ressortir la part de maman qu’il aimait avant, celle qui apparaissait sur les photos. Celle que je n’avais pas eu la chance de connaître. Tout ça à cause de grand-mère, ce que je pouvais la détester elle. Je n’arrivais pas à suivre le film, je pensais encore et toujours à mes parents et surtout au fait que je risquais de me faire engueuler par ma mère parce que je lui avais encore raconté un mensonge. Petit certes mais quand même un mensonge.

Enfin on verra bien. Le film terminé, je sors de la salle avec Adie avant qu’on aille s’acheter une pomme d’amour et assise sur un banc, je souris à ma copine avant de croquer dans la pomme d’amour. Je pose mon regard sur ma chérie avant de reprendre la parole.

« Dis…Je peux rester chez toi ce soir ?
- Tu crois que tes parents vont ?…
- Peut-être. Je sais pas. Mais je peux dormir chez toi ?
- Evidemment ! »

Spoiler:

Après tout, si jamais il se passait quelque chose, mes parents seraient tranquilles. Je croqua dans ma pomme d’amour une nouvelle fois alors que je me blottissais dans les bras de ma chérie, heureuse de la tournure que prenait les évènements.  

C'est marrant le passé mine de rien. Il vous hante même dans ce qui semble être des petits riens. J'étais de base, présent pour un pique-nique avec Margot. J'espérais de ce fait, fumer le calumet de la paix en sa compagnie. Les précédentes révélations de sa mère l'avaient ébranlé, il est vrai. J'étais un odieux salaud, menteur, infidèle, alcoolique. Les termes préférés de Regina pour parler de moi et j'en suis sûr, elle s'en était donnée à cœur joie d'où le silence radio de Margot, qui s'était sûrement sentie blessée, voir même trahit. Je pouvais le comprendre, mais c'était nos histoires, notre combat à nous. Elle ne devait prendre part à ça, ni pour l'un, ni pour l'autre. Car voyez-vous, c'est aussi ça le rôle de parent, savoir mettre sa fierté de côté pour œuvrer vers ce qui nous semble être la meilleure solution pour le bien de notre enfant. Enfin bref, me voilà sur la plage, avec cette fameuse vieille guitare qui m'avait valu toutes mes économies. Mais n'est-ce pas (à l'époque) pour la bonne cause ? Dire que je regrette, serait hypocrite. De vous à moi, c'étaient incontestablement les plus belles années de ma vie et ça l'est encore, malgré la dureté du présent et notre actuelle situation avec Regina.

« - J'ai peut-être été trop naïf de penser qu'elle me pardonnerait de sitôt ! » lançais-je en me grattant le sommet du crâne. J'étais déçu, mais ça, c'était avant d'assembler les pièces du puzzle et de commencer à comprendre. Comprendre, quoi me diriez-vous ? Le traquenard tendu judicieusement par une ado en crise, il est vrai, mais plus encore une jeune fille peu prompte aux tensions et encline à ce qui me semblait être la conception d'un armistice. « - Margot est respectueuse, à sa façon. Au pire du pire, c'est moi le dindon de la farce, enfin le chaperon pour continuer à filer la métaphore de la volaille. » Elle m'a regardé, pas outrée ni offusquée, quelque chose l'avait surpris peut-être même toucher et à bien y réfléchir, je me demandais quoi ? Et l'espace d'un instant, je revis celle que je me plaisais à appeler Gina, celle qui m'inspirait de belles balades, celle pour qui rien n'était impossible, celle à qui j'avais livré mon cœur en pâture, ici même en grattant les quelques accords de cette chanson que j'avais écrite pour elle. Et là, je me retrouvais bien con, car c'est moi qui étais ébranlé à mon tour.

Et de ce fait, je n'ai rien trouvé de mieux que de lui proposer de rester, ici avec moi à savourer ce pique-nique conçu à la va-vite comme toujours. J'aurai dû m'abstenir, mais pour une raison qui m'échappe je suis passé outre cela avec ma tchatche habituelle, mais de toute évidence, il en fallait plus pour déstabiliser madame le maire qui à ma grande surprise, accepta l'invitation. « - Loin de moi l'idée de te prendre pour une conne, bien que ça n'est pas l'envie qui manque. C'est juste que vu le look, je t'imagine encore mal posé ton petit derrière à même le sable. Mais on peut encore être surpris non ? » Oui et je l'étais, le sourire qui se dessinait sur mes lèvres venait quant à lui de me trahir. Zappe ça ! Aller ! « - J'ai fais le basique un sandwich jambon beurre mayo avec de la salade et un autre au beurre de cacahuète. Il y a des tomates et du jus de raisin si tu veux ! Ça ne vaut certainement pas un grand cru, mais faute de mieux. » Et me voilà à tout sortir sur la nappe et à remplir deux verres de jus de raisin enclin à quelques souvenirs. « - Tu te rappelles la première fois, quand je t'ai chanté ma sérénade ? J'avais chipé une bouteille de vin rouge pour célébrer le tout. Mon dieu que c'était dégueulasse. On était peut-être encore trop jeunes pour savourer les bonnes choses non ? » dis-je en la regardant dans les yeux et en tapotant son verre en plastique dans le mien pour porter un semblant de toast.

Je l'ai vis songeuse, avant d'être nostalgique en posant son regard sur le vaste horizon et sur les vagues qui venaient mourir sur le rivage. « - C'était une belle époque hein ? On était jeunes, insouciants et heureux. Ça me manque parfois, souvent même. Écoute, je ne veux que le bien de Margot et j'ai conscience que toute cette tension entre nous, lui fait du mal. Peut-être que l'on devrait sortir un drapeau blanc, au moins pour elle. Tu sais, je suis prêt à accepter de... de m'excuser pour ce que j'ai fait, pour le mal que cela à causer. Je n'ai pas été génial et je n'ai aucune excuse pour mon comportement. Depuis que j'ai arrêté de boire, je vois les choses différemment, mais par fierté et surtout parce que je ne supportais que trop mal ta colère, j'ai fait comme si c'était normal de se haïr et de se dire autant d'atrocités. Je ne te demande pas de me pardonner, mais juste d'essayer de me tolérer. Fais-le au moins pour Margot, s'il te plaît ! De mon côté, je promets de faire des efforts. »

J’apprenais de drôles de choses sur ma fille, comme le fait que malgré ses bonnes résolutions et son bon comportement avec moi ces derniers temps, elle m’avait encore menti. Je bloquais sur ça, clairement. Ça me décevait. J’avais été tellement blessée d’apprendre que durant des semaines et des mois elle me faisait croire qu’elle était à la bibliothèque alors qu’elle voyait en réalité son père en cachette… Son père que je haïssais à un point, pour tout ce qu’il m’avait fait subir d’humiliation de par son comportement passé. Je détestais savoir qu’elle le voyait « officiellement », et d’ailleurs je m’étais toujours arrangée pour que cela arrive peu souvent, mais alors apprendre ce mensonge qui perdurait, ça m’avait achevée. J’avais réussi à lui pardonner, j’avais même été contre mes convictions en lui expliquant ce qui s’était passé, et voilà qu’elle recommençait ? Elle l’avait vu, mais pire, elle s’était clairement « foutue » de lui en le laissant en plan pour rejoindre sa petite amie. Autant je me sentais la légitimité de pourrir la vie de Robin, autant ma fille n’avait pas à mal se comporter avec son père. La notion de respect était quelque chose que je voulais absolument inculquer à Margot, et je détestais l’idée qu’elle ait pu en manquer à l’égard de son propre père. Ça me désolait et je ne manquais pas de le dire à l’intéressé.

- Je suis navrée du comportement de Margot envers toi, Robin. Je le lui ai dit, elle n’a rien à te pardonner, ce n’est pas à elle que tu as fait du mal par le passé. Elle n’a pas à te prendre pour cible de quoi que ce soit et ce qu’elle t’a fait en te laissant en plan si vous aviez prévu de vous voir, tu pourras dire ce que tu veux, mais c’est du manque de respect. Et de m’avoir menti encore une fois aussi. Donc, je ne manquerai pas de lui dire qu’elle a dépassé les bornes.

Je m’installai donc sur la serviette, face à mon ex qui, comme toujours, trouvait encore quelque chose à redire.

- Au moins tu ne me dis pas que j’ai un gros cul, c’est déjà ça. Et regarde, je l’ai posé sur ta serviette. Ce tailleur coûte un rein…

Robin m’énuméra alors le contenu de son panier à pic-nique. Dire qu’il avait sûrement préparé ce sandwich au beurre de cacahuète pour sa fille qui en raffolait. Le pauvre, j’avais vraiment pitié de lui. J’imaginais facilement la peine que je ressentirais si elle m’avait fait un coup pareil. Déjà me mentir encore, ça brisait mon petit coeur de maman déjà bien fissuré par toutes les crises que j’avais essuyées de la part de mon adolescente…
Je pris alors le verre de jus de raisin que me tendit Robin, l’entendant parler de notre première cuite au vin, un rouge qu’on avait trouvés immonde sans oser se l’avouer, voulant « jouer aux grands » et faire comme nos parents. Je souris, bien malgré moi, repensant à cette époque heureuse.

- Je me souviens pourtant qu’on savait apprécier certaines autres bonnes choses, répondis-je avec une pointe de malice alors que nous trinquions.

Mon regard se perdit ensuite quelques instants sur l’horizon à peine éclairé.

- A qui sa jeunesse ne manquerait-elle pas ?

Mais soudain, le discours de Robin m’interpella. Non pas que je sois étonnée qu’il veuille le bien de sa fille, mais l’entendre me dire qu’il était prêt à s’excuser pour ce qu’il avait fait, alors qu’il n’avait jamais daigné le faire en plus de cinq ans… Bouche bée, les yeux ronds, je le regardai, interdite.

- Je… c’est… Waow là, vraiment… tu m’en bouches un coin. Tu acceptes de t’excuser, finalement ? C’est donc que tu reconnais ce que tu as fait, n’est-ce pas ? Dans ce cas, pourquoi l’autre fois, il y a deux semaines quand tu es venu devant la maison, tu m’as dit que tu ne m’avais pas trompée ?

Je soupirai.

- J’essaie pas de remuer la merde, Robin, avant que tu ne m’en accuses. J’essaie juste de comprendre. Tu étais devenu une telle énigme, j’avais du mal à te cerner. Et ne pas comprendre, c’est vraiment ce qu’il y a eu de plus dur, hormis le fait que je me sois sentie extrêmement humiliée par ton attitude. Bien sûr que pour Margot je suis prête à tout, et je t’ai toujours toléré pour elle, très cher, sinon j’aurais bien trouvé un moyen de te faire expulser. Donc s’il te plaît, explique moi.

Tout ce que j’avais dit avait été prononcé avec calme. C’était sincère, je voulais comprendre.