Alors que je m’envolais pour aller mettre une bonne correction à ces assaillants, je ne fis pas attention à comment j’agissais, ni aux conséquences de mes actes, si bien que je pris le même appui que je prenais normalement pour rejoindre les aires. Le bateau tangua sous l’impulsion, sans que je ne le remarque vraiment, trop concentré à rejoindre ces inconnus qui étaient venus nous déranger sans réelles motivations. Alors que je fonçais dans leur direction, je pus voir des objets arriver contre moi à une vitesse folle, comme ces branches qu’utilisaient les humains sur Beurk pour chasser le gibier, mais ceux-ci avaient une forme différente et le bruit qu’ils produisaient était bien plus effrayant. Ces cailloux qu’ils s’envoyaient faisaient la taille d’une tête humaine, soit de quoi me blesser gravement. Je pris alors la sécurité de voler plus haut afin de me protéger même s’ils ne semblaient pas me viser pour le moment.

Puis, lorsque j’arrivais à une distance courte, plusieurs d’entre eux dégainèrent une sorte d’objet métallique qui tirait également de la petite caillaçe, si petits que je pouvais difficilement les distinguer. Une fois bien placé et les tirs calmés (il faut bien recharger…), je me mis à brûler le mat central de leur rafiot et de tout ce qui se trouvait dessus. Les quelques restes retombèrent sur le pont, n’écrasant malheureusement aucun bipède. La plus part d’entre eux prirent peur et sautèrent par-dessus bord, me laissant plus de place pour poser patte sans soucis. Je fus cependant accueilli par le chef de ce groupe d’amuse-bouche qui ne recula pas malgré les quelques menaces que je montrais. Lorsque j’allais m’envoler pour terminer cet assemblage de morceaux de bois, je fis l’erreur de lui dévoiler mon flanc et il n’hésita pas de profiter de cette occasion pour tenter une attaque. Il aurait bien sûr été bête de ne pas le faire, je ne m’attendais cependant pas à ce que ce caillou vienne se loger là juste où mon cuir était plus fin et sensible. Un puissant cri de souffrance sortit de ma bouche alors que je repris mon envol au plus vite pour en terminer avec ce navire. Tout était devenu plus compliqué, la douleur me prenait tout le bas du corps et je pouvais sentir que du sang commençait à couler par la blessure.

Après que ce bateau soit détruit, je retournais difficilement vers mon stock de poissons, là où je savais que je ne serai pas en danger pour le moment, et surtout là où je pourrais voir comment était cette plaie, la nettoyer. Non sans effort, je rejoignis le navire et atterris difficilement, m’étalant à moitié à cause de cette maudite blessure qui me fit perdre l’équilibre. Décidant de ne plus bouger, je grognais de douleur et me tirais jusqu’au tonneau de poissons sous le regard de ces Hommes qui avaient essayés, quelques heures plus tôt de m’agresser avant qu’une voix ne retentisse à mes oreilles, celle du matelot supérieur que je vis arriver avec de drôles de bouteilles et d’outils dans les bras. Dubitatif, j’attendis de voir ce qu’il allait pouvoir bien vouloir faire avec tout cela…

Maintenant que je considérai le Jolly Roger hors de danger, j’avais encore une mission à mener à bien avant de pouvoir enfin m’accorder un repos bien mérité.

La masse de la bête appontant notre navire le fit tanguer mais mon quartier maître en avait vu d’autres et la mer étant passablement calme il parvint à faire garder son équilibre au bateau.

Rejoignant le dragon, je posais l’onguent, les chiffons et le nécessaire pour nettoyer les blessures au sol afin de pouvoir travailler facilement.

Rayan, le  jeune mousse courageux que j’avais accueillis m’apporta un baquet d’eau avant de se reculer prudemment.

Tendant ma main vers le museau de l’animal, je plongeais mon regard dans le sien

« Tout doux. Je vais juste te soigner d’accord ? »

J’attendais un signe de sa part, inquiet d’un possible mouvement d’irritation ou de douleur qui me balayerait du pont. Je ne devais pas provoquer sa colère au risque de voir brûler et couler le Jolly Roger.  

Lentement, je me mis à l’ouvrage, nettoyant la plaie le plus doucement possible, d’un signe à Rayan, celui-ci apporta quelques poissons qu’il lui lançait pour le distraire le temps de l’opération.
La blessure nettoyée, j’appliquais l’onguent de graisse de baleine et fit comme je pus un bandage toujours aux aguets d’un possible acte de violence de la créature gigantesque.

Me relevant, j’allais moi-même chercher quelques poissons supplémentaires et les lui apportait dans un seau.
Sur le pont les marins reprenaient leurs gestes habituels tout en jetant des regards de temps à autres par-dessus leur épaule. Ils se méfiaient. Hommes et femmes. Et avec raison.

M’adressant au dragon, j’écartais ma main et mon crochet en signe de paix.

« Bon, essaie de te reposer. Nul ici ne tentera de te faire de mal. Tu en as ma parole. »

Tout en sachant qu’il y avait peu de chance qu’il ne me comprenne, je me disais que l’intonation de ma voix et peut être son intuition jouerai en ma faveur.

De toute façon, je ne pouvais qu’attendre et espérer que tout se passes bien.
J’imaginais la tête d’Anne si elle m’avait vu ainsi parler avec un dragon et plus encore en me voyant le soigner. Elle aurait été furieuse, elle se serait changée en louve, aurait grognée, peut-être même aurait-elle tenté de m’en empêcher.
Heureusement elle n’était pas là. Et avant de lui apprendre ce qui s’était passé, je comptais bien la faire boire et lui apporter tout le bien-être nécessaire afin de la détendre et qu’elle soit la plus encline possible à accepter cette histoire sans me sauter à la gorge.

M’installant sur mon fauteuil, que des matelots m’avaient apporté de ma cabine, je m’installais sur le pont  non loin de la créature, afin de la surveiller.
Je n’envisageais pas de prendre du repos loin d’elle. Il me fallait rester vigilant.

La fatigue se fit plus présente dans mon corps alors que je m’étais envolé pour rejoindre le bateau où se trouvait le poisson. La douleur était lacérante, insoutenable. Rien ne m’avait encore percé la peau de cette façon, aussi profondément. C’était comme si, à chaque mouvement, ce caillou s’enfonçait encore un peu plus loin et créait des décharges désagréables qui remontaient le long de mon dos. J’avais vite compris que je ne pouvais rien faire pour le retirer de là où il s’était logé et au vu de la force de la souffrance, je n’imaginais même pas tenter quelque chose.
Le point positif de l’histoire, c’était que le poisson était toujours sain et sauf.

Malgré la pratique, l’atterrissage fut bien plus compliqué que prévu. Dès qu’il fallut poser la patte sur le sol, je la sentis se dérober, laissant le reste de mon corps aspirer la chute qui s’en suivit. Je n’étais pas loin de là où se trouvait la nourriture, je m’y trainais alors en grognant le mal que je ressentais. Leurs regards étaient vissé sur moi, je le savais. Mais aucun de ces bipèdes n’osèrent bouger. Qu’était-ce plus dangereux qu’un dragon blessé ? Alors que je posais enfin la mâchoire sur le sol de bois, j’entendis la voix du capitaine du navire résonner jusqu’à mes oreilles. Mon regard se tourna alors dans cette direction et je le vis arriver avec pleins de bouteilles et d’outils plus étranges les uns que les autres. Un autre amuse-gueule avait rejoint le chef de bande, portant une sorte de panier rempli de liquide. Le regard du pirate se planta dans le mien alors qu’il parlait tout doucement. Il approcha sa main de mon museau sans agressivité apparente. Par manque de force, et de volonté, je le laissais faire sans même grogner ou tenter de m’éloigner. J’avais bien compris qu’il cherchait à me soigner, Harold avait déjà procédé de la façon lorsque je m’étais coupé ou que des flèches s’étaient plantées. Mais Harold était Harold et personne d’autre avait pu m’approcher de la même façon que lui avant aujourd’hui. D’un air blasé, je vins toucher sa main du bout de ma gueule, comme pour lui donner l’accord qu’il cherchait.

L’humain se mit alors à nettoyer la plaie qui était moins saignante. Un léger ruisseau carmin continuait de s’en échapper, mais rien à voir avec ce qui s’en écoulait quelques minutes plus tôt. Tout à coup, un poisson arriva non loin de mon museau, détournant mon attention de la scène que je regardais scrupuleusement. Je vis alors que le gamin qui avait amené le panier avait de la poiscaille dans les bras et qu’il en lança un deuxième dès que j’eus gobé le premier. Cependant, ce petit jeu ne marcha pas longtemps. Je grognais lorsque le capitaine versa une sorte d’eau puante qui me donna l’impression de brûler l’intérieur de la blessure et qui me fit donner un coup de patte dans le vide sous la douleur avant de la reposer à sa place initiale en lui adressant un regard qui le défiait de recommencer ne serait-ce qu’une seule fois. Le bipède dû comprendre car il reposa la fiole et prit une sorte de pâte que je reconnus être de la graisse. Il en tartina la plaie et se releva avec un air content sur son visage. Son co-équipier lui donna une sorte de tissu qu’il vint appliquer sur ma patte. Ne comprenant pas ce qu’il était en train de faire, je me tortillais pour essayer d’enlever le bandage, ce qui ne l’arrêta pas, au contraire, ce qui le fit rire. Vexé, je grognais et ne lui prêtais plus attention avant qu’il ne m’adresse la parole et qu’il ne me donne quelques poissons, ce qui eut le don de me faire oublier pourquoi je lui en voulais. Je l’observais alors s’asseoir sur un fauteuil non loin de moi et me regarder, me surveiller. Ce petit jeu dura un certain temps avant que mes paupières ne se ferment et que je tombe dans un sommeil léger.