Il sourit. La regarde, elle. Celle qu'il avait cru perdue. Il attend qu'elle s'endorme, glisse, sombre dans un monde de rêves qu'il espère doux. Même les yeux fermés, elle a ce quelque chose de si calme qu'elle brise en lui les cristaux sombres qui se forment sans cesse, symptômes féroces de ce qu'il est. Inviter Belle à s'établir chez lui avait été naturel. C'était comme si les choses reprenaient un cours normal, comme si la vie reprenait un certain rythme, une routine rassurante sans vraiment en être une. Rumple soupire, doucement, pour ne pas la réveiller. Il s'assure qu'elle soit réellement endormie. Sent son cœur se serrer. Un peu. Trop. Ses mains replacent les couvertures, geste mécanique, attentif. Délicatesse insoupçonnée. Un regret caché derrière une attention banale, si regret il lui est possible de ressentir. Il se sait un homme difficile à aimer. Mais encore plus, un homme difficile à changer. Même avec une bonté infinie, une intention née du cœur le plus pur. Il espère qu'elle a remarqué la lumière qui perce timidement les fenêtres de son manoir. Qu'elle a remarqué que son logis ne baigne plus entièrement dans les ténèbres. Peut-être ce détail lui a-t-il permis, en quelque sorte, de marquer des points.

Il se lève, doucement. Précaution nécessaire. Belle doit rester endormie. La pièce est paisible, et Rumple espère que ce sera suffisant. Il descend, parcours les dédales de sa demeure, se réfugie dans une petite pièce. Il retient son souffle, débouche les fioles, glisse presque amoureusement ses doigts sur sa table, ses ingrédients, ses objets inédits. Son cœur s'emballe. Frôler l'interdit. Flirt dangereux. Tendre une main, tremblante, vers sa béquille. Enfreindre une promesse. Comme un goût de culpabilité qui remonte dans sa gorge, vite refoulé. Adrénaline qui court dans ses veines, teintée de magie et de ténèbres. Il manipule les ingrédients, le verre, le feu. Se laisser tenter, agite la main. Fruits de son désir qui s'envolent, virevoltent devant lui, se posent dans l'ordre. Puis une gorge raclée, brisant le silence. Belle. Sa main se serre sur l'éprouvette, l'autre se ramollie, lâche. Il se retourne, souffle retenu, respiration en suspens. Son visage tilte, un mélange de culpabilité, d'agacement, d'amertume, de colère, peut-être, et un soupçon de regret. « Belle... » Sa voix s'éteint, murmure faible, mais audible. Une voix qui demande pardon. Une voix qui supplie qu'on reconnaisse qu'elle a raison. « Je... Je peux t'expliquer. S'il-te-plaît, écoute-moi. » Le ton qui monte, vers la fin. Presque une exclamation, mais pas tout à fait. Pas encore. « Je sais que je t'ai promis. Promis que j'arrêterais la magie. Mais il me reste encore une chose à faire... » Pause timide. La bête ose, enfin, plonger ses yeux dans ceux de sa belle. Espère lui faire comprendre de qui il parle. Craint que ce ne soit suffisant. Qu'il ne soit suffisant. Que sa raison ne soit suffisante. « Je dois réussir à le retrouver. Je ne peux pas quitter cette ville, mais pourtant Belle, je dois retrouver Bae. » Qu'il travaille également sur autre chose n'avait que peu d'intérêt. Ce soir, Rumple ne ment pas. Il tente de trouver une solution. Une solution à cette perte. Belle était revenue. Baelfire, non. Il détourne le regard, manque de courage. Lâche. Dépose la fiole. Se rapproche doucement d'elle. Un pas. Deux pas. Espère.

Coupable. Il le sait. Ne sachant se ternir tranquille. Changer. Ses traits s'étirent de tous les côtés. Goût amer qui remonte à la gorge.

« Oh, Belle... » Voix qui tremble, puis casse. Est-il trop tard? Était-ce trop? A-t-il, ne serait-ce qu'un peu, le droit d'espérer? « Tu as raison, je... Je n'aurais pas dû. » Mais il l'aurait fait. Tout de même. Encore et encore. Poing qui se serre presque, main tendue. Quelque part, au fond de lui, gronde une colère sourde. Comme une vague de ténèbres. Dents serrées, seul signe de ce combat qu'il mène contre la noirceur. Autre bataille qui se déroule dans son cœur. Il regarde Belle, sachant que ses yeux trahiraient tous ces combats internes. Il ne peut pas la perdre. Pas encore. « J'avais peur. Comme j'ai toujours peur. » Réalisant ses propres paroles, il s'approche encore. Se rattrape. « Pas que tu ne comprennes pas, Belle. J'avais peur de ne pas y arriver. Je ne sais pas comment le retrouver. Peur de ne pas arriver à m'expliquer, Belle. Si peur que mon besoin de magie te fasse fuir. » Regard fuyant, douleur au cœur.

Tête lentement redressée. Une larme perlant au bout d'un cil. Goutte s'écrasant sur une joue, pour venir mourir au creux des lèvres. « Je n'arrive qu'à te blesser. » Murmure faible, lèvres tremblantes. Sons fragiles qui portent la douleur d'une vie.

Une main sur sa joue. Si douce. Délicate caresse. Comme une puissante décharge dans son cœur. Éclat de lumière. Tendresse. Il ne mérite pas ce réconfort. Mais il le désir plus que tout. Mots de sa belle comme soufflés au creux de son oreille. Il manque d'air, comme si un étau enserrait sa poitrine. Il est si faible, si lâche. Être de noirceur toujours dans l'erreur. Il ne la mérite pas, mais tente de se convaincre du contraire. Douce étreinte. « Belle... » Main qui se porte aux doux cheveux de la jeune femme. Rumple inspire, profondément. « J'ai si peur... » La serrer plus fort. Enfouir son visage dans ses cheveux. Une autre façon de lui dire je t'aime. Il n'ose pas souvent le dire. Ce sont des mots difficiles à lui arracher. Qui étaient, certes, de circonstance lorsqu'ils se sont retrouvés.

Il s'en sort, cette fois. Il ne doit plus retomber. Rechuter. Peut-être faut-il cesser de promettre? Mais il est trop lâche pour cela. L'authenticité pleine et entière lui fait bien trop peur. Car qui est-il, que reste-il, lorsque tous les masques s'effacent? Il ne reste que ses échecs. Et il n'a pas le courage de leur faire face. « Je ne sais pas. Je ne peux pas sortir de la ville pour partir à sa recherche. Je ne sais pas où il est. Ni sous quel nom il vit. » Silence. Trop vide. Presque lourd. « Si seulement c'était possible de sortir de cette ville... » Changer de sujet. Rapidement. « Ou de connaître son nom dans ce monde. » Peut-être aurait-elle une idée. Sans magie, sûrement, mais une idée tout de même.

Lèvres sur sa main doucement déposées. Mots de réconfort résonnant, imperceptiblement. Détermination. Rumple ne se sentait pas si sûr. Pas si certain. Mais il voulait espérer. Et c'était ce que Belle lui apportait. De l'espoir.  Douleur causée par les mensonges oubliée. Ou presque. Rumple savait qu'il y avait toujours un prix à payer. Il croyait simplement encore être capable de le débourser. Pour l'instant...

Hocher la tête, doucement. Tenir fermement les mains de Belle. Chaleur humaine dont il avait terriblement manqué. Elle cherchait une solution. Oh, peut-être y en avait-il une. Il s'agissait de la trouver. Le Ténébreux était toutefois presque certain que cette solution serait magique. Ce qui ne plairait pas à Belle. « Il pourrait peut-être y avoir un moyen... Il faudrait que j'arrive à créer une sorte de... bouclier. Quelque chose qui me permettrait de sortir de cette ville. » Plonger les yeux dans ceux de la jeune femme. Serrer ses mains un peu plus fort. « Qui nous permettrait de sortir d'ici. » En d'autres temps, il aurait fait, pour sa mission, cavalier seul. Mais pour ne pas la perdre, il se devait de faire des efforts. S'il arrivait à partir sans tout oublier, alors il l'emmènerait avec lui. Il n'était pas question de la perdre une autre fois.

Il veut retrouver Bae, à tout prix. Mais si Belle peut l'aider, même sans magie, alors soit. « Merci, Belle. » Sourire. Coin de lèvre étiré, presque espièglement. « Je ne te permettrai toutefois pas de te priver de sommeil, dearie. »

Mains délicates. Douce caresse. Frisson léger. Once de bonheur. Vague étrange qui naît au bas du dos. Emplit son ventre. Douce chaleur. Envie soudaine de la faire tournoyer. Puis de la serrer contre lui. Mais il se retient. L'écoute parler. Savoure avec délice le son de sa voix. Notes doucement jouées. Enthousiasme partagé. Il est si heureux qu'elle approuve son idée. Craintes presque envolées.

Il est un homme têtu. Entêté. Il cherchera sans arrêt. Et ne permettra pas à Belle de rester toujours éveillée. Il veillera sur elle. Comme elle veille sur lui. Larme de joie qui, doucement, coule, roule sur sa joue, se perdant dans le creux de ses lèvres. Larme unique, discrète, mais bien présente. « Oui, un objet qui permettrait de franchir la frontière sans que s'effacent les souvenirs. Exactement. Comme une sorte de... talisman. » Plonger ses yeux dans les siens. Simple regard, mais si puissant. Remerciement silencieux. Mais surtout, sincère. « Je ne sais pas qui il est ici. Mais il est certain qu'il est arrivé dans ce monde avant la malédiction. » Il n'a sûrement pas gardé son nom. Mais il y a une chance qu'il ait gardé ses souvenirs. « Je crois qu'il se souvient peut-être... »

Envie de fermer les yeux, férocement combattue. Se promettre de s'excuser à son fils, s'il le retrouve un jour. Ne pas tomber dans la nostalgie. Se concentrer sur le moment présent. Ils le retrouveront.