Nous étions dans cette ville étrange. Lina semblait s’amuser et s’adapter mieux que moi. J’étais plus silencieux et je me méfiais des gens. Je n’avais pas peur étrangement. Je crois que c’était la haine qui me prenait qui me consommait lentement. J’avais beau les avoir entendu nous parler, je ne pouvais pas vraiment croire qu’ils avaient tout fait pour nous retrouver. Je me sentais de plus en plus mis de côté. Un petit frère espiègle du nom de Henry et une sœur. Je perdais le fils un peu. Je les voyais souriants et rigolants ensemble. Je n’avais pas envie de rire. On m’avait volé vingt ans de ma vie en fait. On m’avait volé ma famille. Famille que j’étais incapable de considérer totalement comme la mienne dans l’immédiat.

Les plus jeunes riaient et nos parents souriaient. Je décidais d’aller dans le réfrigérateur et je me prenais une pomme avant de passer derrière mes parents pour parler assez fort pour qu’ils m’entendent. J’avais besoin d’air. J’avais besoin d’oxygène et de voir un autre décor. La solitude m’appelait alors que j’étais entouré de gens. Même ma jumelle ne pouvait combler ce que je pouvais ressentir à l’intérieur.

- Ne m’attendez pas pour le repas. Je sors prendre l’air.

C’était peut-être l’absence de sourire qui avait donné la puce à l’oreille de ma mère ou alors lorsque j’avais pris mon manteau de cuir sur la patère de l’entrée avec un mouvement trop brusque. Je n’avais pas claqué la porte. J’avais terminé d’enfiler mon manteau avec la pomme dans la bouche et je m’étais mis à marcher dans la ville sans regarder cette belle et grande maison qui semblait remplie de bonheur. Un bonheur qui m’échappait dans l’immédiat. Je ne saluais personne sur mon passage. Je me retournais simplement sur la rue principale en croisant une jeune femme de mon âge magnifique. Je fronçais les sourcils. Je ne l’avais jamais vu. Un frisson me parcourait en regardant ses cheveux bouger avant que je ne reprenne ma route.

Je me rendais à la plage et je croquais dans ma pomme à nouveau avant de regarder le trognon. Je le jetais dans une poubelle sur mon passage avant de me mettre les mains dans les poches de pantalon. Je marchais jusqu’au bord de l’eau et je regardais les vagues. Je fermais les yeux. Là, je me sentais un peu comme chez moi en quelque sorte. Les Sept mers et les bateaux qui voguaient sans avoir un objectif précis. Ce sentiment de liberté si important à mes yeux. Je sentais la rage me reprendre au ventre et je sortais les mains de mes poches. Instinctivement, j’ouvrais les poings pour faire apparaître les flammes rouges. Je les rapprochais pour former une boule que je lançais de toutes mes forces dans l’océan. Une autre suivait avant que je ne décide de jouer avec la troisième. J’entendais finalement du bruit derrière moi et je tournais la tête suffisamment pour voir qui était là. Je ne souriais toujours pas et je gardais ma concentration sur ce que je faisais.

- Si vous êtes venues vous moquez à nouveau du feu qui m’habite mère ce n’est pas la peine vous pouvez rentrer vous occupez des petits.

Je disais «petits», car, pour moi, j’étais le plus âgé avec Lina. Une question de perception, car dans les faits, ce n’était pas vraiment le cas.

Je ne pensais pas être un homme mauvais ou bon. J’étais moi-même tout simplement. Je penchais du côté de la neutralité, mais je ressemblais à ma mère plus que je ne l’aurais voulu intérieurement. J’étais rempli de cette haine et cette colère que je n’arrivais pas à gérer. J’en voulais au monde entier et j’étais incapable de trouver le moyen de pardonner. Mes parents ne semblaient pas responsables et pourtant, j’avais l’impression que si. La fée noire c’était jouée de nous avec une telle facilité et nous avions réussi à nous en sortir. Je me sentais totalement à côté de la plaque. Je ne me sentais pas à ma place ici. J’avais envie de retourner sur les Sept Mers et continuer ma vie de pirate sans me soucier de demain. J’avais envie de combat à l’épée pour une parole ou un regard de travers. Mais non, j’étais sur cette plage et dans ce monde qui n’était pas le mien. J’avais suivi ma jumelle, car je voyais qu’elle avait besoin pour son bonheur. C’était la seule chose qui m’importait alors que je me sauvais du domicile familial alors que tous riaient et s’amusaient ensemble. Pas un regard vers mes parents. Seulement une parole qui en disait long. J’étouffais totalement et ce sentiment ne semblait pas près de me quitter malheureusement.

Ma mère m’avait rejoint. J’avais encore sur le coeur qu’elle s’était moquée de mes pouvoirs que je tentais de gérer seul et ce n’était pas une chose facile. Je faisais de mon mieux et j’avais horreur que l’on atteigne mon orgueil de cette façon. Rancunier? Sans aucun doute, mais on dit souvent que la pomme ne tombe pas loin de l’arbre. Je me mettais à rigoler un peu alors qu’elle disait qu’elle ne se moquerait jamais de moi. Je ne faisais que non de la tête avant de faire disparaître le feu dans mes mains en les refermant. Je me retournais finalement pour la regarder alors qu’elle me parlait d’une proposition qu’elle avait à nous faire à Lina et moi. Je me contentais de hausser un sourcil en la regardant. Elle était sérieuse là? Tentait-elle de me faire culpabiliser d’être partie de la maison?

- Nous verrons si la proposition peut me plaire mère. En attendant , je tiens à vous rappeler que vous vous êtes déjà moqué de moi à propos de mes pouvoirs. Je ne serais pas de surpris de vous voir recommencer.

Je ne voulais pas être méchant avec elle. C’était simplement un fait. Elle me disait ensuite qu’elle voulait discuter un peu et je mettais mes mains dans mes poches de pantalon pour la regarder en soupirant. Je n’avais jamais été du genre excessivement bavard, mais je voulais faire un petit effort. Lina m’aurait déjà donné un coup de coude pour que j’arrête de ronchonner donc … autant lui faire plaisir à distance.

- Je veux apprendre la magie. Là n’est pas la question … Le fait est que j’ignore de quoi discuter avec vous mère… Je n’ai rien à dire. Du moins, je ne pense pas …

Je m’assoyais les fesses dans le sable et je regardais l’eau sans bouger. L’air marin me faisait du bien et m’apaisait un peu. Je me passais une main dans les cheveux avant de me tourner pour le regarder. Un petit effort Richard … Un tout un petit effort.

- Vous pouvez vous asseoir avec moi si vous le désirez.

Je prenais une poignée de sable que je laissais filer lentement dans ma main en la regardant. C’était tellement étrange pour moi cette situation.

Je ne détestais pas mes parents. Enfin, si peut-être un peu. J’avais l’impression que l’on avait voulu se débarrasser de nous. J’avais toujours été du genre assez sensible et combien de fois la fée noire nous a répété que nous n’étions pas des enfants désirés et que nous avions été abandonnés à notre triste sort? Je ne savais plus où j’en étais et j’ignorais jusqu’à quel point je pouvais leur faire confiance. Je voyais bien les efforts que faisait ma mère. J’irais même jusqu’à dire que c’était elle qui était le plus proche de moi dans l’immédiat. Elle semblait comprendre les sentiments qui m’habitaient et mon besoin d’espace profond. J’avais un sacré caractère et j’étais bien plus silencieux et moins joyeux de nature que ma sœur. J’écoutais celle qui m’avait donné la vie alors qu’elle me parlait de son mécanisme de défense. Je n’avais pas la langue dans ma poche moi non plus. Je me contentais de hausser les épaules tout simplement.

J’étais assis dans le sable et je prenais ce dernier dans ma main pour le laisser tomber alors que ma mère s’assoyait près de moi sans se coller contre moi. J’étais soulagé en fait. Elle me tendait alors une part de tarte et j’avais un petit sourire en coin avant de prendre le contenant avec l’ustensile. J’étais mort de faim en vrai. J’ouvrais le couvercle et immédiatement une bonne odeur me montait aux narines.

- Merci mère. C’est le fruit que je préfère.

Elle se mettait ensuite à parler et j’alternais mon regard entre la mer et elle. Je mangeais lentement pour savourer les saveurs à la fois complexe et d’une simplicité déroutante de cette tarte. Elle avait des questions. J’avais horreur des interrogatoires. Je prenais une grande inspiration et j’allais lui répondre, mais elle enchaînait sur autre chose. Je la laissais continuer avant d’avoir un sourire en coin. Il est vrai que je ne me sentais pas à mon aise en étant dans la maison familiale. Sans doute que d’avoir mon espace me ferait le plus grand bien. J’avais besoin de cette bulle durant un moment pour me faire à l’idée de cette nouvelle vie. J’allais devoir me construire à nouveau et je ne savais même pas par où commencer. Elle terminait ensuite en me disant de ne plus la vouvoyer. Pour moi, c’était une façon de me distancer d’eux. Je n’avais pas l’impression d’avoir de proximité, mais je ne voulais pas blesser ma mère au fond.

- Navré, je ne voulais point vous … t’offusquer mère. On m’a élevé ainsi. Je tâcherai donc de faire un effort. Je ne voulais pas te blesser.

Je terminais de manger avant de m’essuyer la bouche avec la serviette et je fermais le plat. Je le posais à côté de moi et je décidais de lui parler ouvertement de ce que j’avais vécu. Mon point de vue qui n’avait probablement rien à voir avec celui de ma sœur.

- Tu sais, nous avons grandi dans une sorte de lieux cachés dans la forêt. C’était notre maison. Nous étions isolés de tous et je n’avais que Lina. Nous n’avions que la fée noire comme contact dans un premier temps. En vieillissant, nous quittions souvent pour explorer les alentours. Je ne suis pas … Enfin… Je ne saurais comment expliquer, mais parfois Lina m’entraînait ou alors je le faisais. Nous avons appris à nous battre. Tu sais déjà sans doute que ma sœur a hérité du don de père pour l’arc. Je suis meilleur à l’épée et c’est une arme qui me correspond mieux.

C’était bizarre pour moi de m’ouvrir ainsi. Je prenais une pause et une grande inspiration avant de continuer calmement.

- La première fois que j’ai compris que j’étais capable de faire de la magie j’étais très en colère. C’est ce feu intérieur qui me consomme et qui me donne du pouvoir. Je ne saurais dire comment j’ai réussi à le faire … C’est compliqué pour moi d’expliquer ce genre de choses. Lina et moi nous nous sommes enfuis et nous avons été dans les Sept Mers. Nous avons vécu de nombreuses aventures. De jeunes pirates remplis d’espoir de richesse et de liberté. Une belle utopie avant de tomber sur vous et d’arriver en ces lieux que je ne comprends pas vraiment parfaitement encore. J’imagine que le temps m’aidera, mais je ne sais plus où est réellement ma place dans ce monde.

C’était ça en fait. J’étais rempli de haine, de souffrance, de questions et je m’en trouvais totalement désemparé. Je poussais un profond soupir avant de la regarder dans les yeux véritablement pour la première fois. Je ressemblais plus à ma mère que je ne le croyais.

- Merci pour la proposition. Il est clair que j’irai dans un premier temps. Lina, je ne me prononcerai pas pour elle. Je crois qu’elle s’adapte mieux que moi et je n’ai pas besoin qu’elle soit en totale fusion avec moi-même si nous sommes des jumeaux. Nous partageons tant de choses.

Naturellement et sans vraiment chercher à savoir pourquoi, je me rapprochais de ma mère et je posais ma tête sur son épaule. Pas un contact de dingue, mais c’était fou ce que ça pouvait me faire du bien dans l’immédiat.

Cette femme restait celle qui m’avait donné la vie. Elle était celle qui avait autorisé à ce que je vois le jour et pour cette simple raison, je lui devais une once de respect. Certes, c’était compliqué pour moi. J’étais plus introverti que ma soeur et plus calme. Cela ne m’empêchait cependant pas d’être rongé de l’intérieur par une multitude de sentiments négatifs. Je devrais en parler avec mon père également, mais chaque chose en son temps. J’ignorais comment aborder ce dernier. C’était un fait tout simplement. J’avais l’impression de ne pas lui ressembler une seule once. C’était sans aucun doute pour ça peut-être ? Une sorte de sentiment lointain ou encore la peur qu’il me repousse. J’avais peu conversé avec lui. Je savais que je franchirais le pas un jour ou l’autre. Pour l’instant, j’étais en compagnie de ma mère assise dans le sable près de l’eau. Un endroit où je me sentais plus calme et serein.

Je discutais calmement malgré tous ces sentiments qui me prenaient et qui se mélangeaient à l’intérieur de moi. Je n’avais jamais été le meilleur pour les gérer et ce n’était pas demain la veille que les choses allaient changer visiblement. Je réussissais néanmoins à parler du passer avec la fée noire. Cette femme qui nous avait tant manipulés et que je ne pouvais me sortir de l’esprit. Elle me parlait des pommes de notre pommier et j’avais un petit sourire en coin. Une chose assez rare dans mon cas. Je n’avais pas trop le coeur à sourire depuis que j’étais ici. Il s’était produit tant de choses. Ma mère me dévoilait qu’elle était douée à l’épée. J’étais plutôt surpris imaginant mal une reine manipuler une telle arme. Je ne doutais pas de ses capacités cependant. Je devais bien tenir de quelqu’un un peu non ?

- Oui, il me ferait plaisir de m’entraîner avec vous. J’ai cependant un faible pour les épées à deux mains. Je reste excessivement adroit avec une épée ordinaire cependant. Je crois que nous pourrions le faire si l’occasion se présente. Je laisse cependant l’arc à Lina. J’ai toujours été un bien piètre tireur. Je crains plutôt de faire honte à mon père si je manipule un arc. Je vais donc en rester au corps-à-corps.

Le sujet de la magie revenait naturellement, car il était celui qui nous unissait. Je jouais un peu avec le sable en écoutant ma mère parler des catalyseurs de magie. Je ne connaissais rien là-dedans. J’ignorais même jusqu’où je pourrais aller avec mes pouvoirs. On ne m’avait rien enseigné en fait. Apprendre par soi-même était plus compliqué que l’on ne pouvait le croire.

- Même la notion de bien et mal est floue. Je te rappelle que j’étais un pirate et non un charmant prince dans un château sauvant une princesse d’un dragon.

La main de ma mère venait se poser sur ma joue. Non, je ne savais pas où était ma place. J’ignorais ce que je devais faire et encore moins qui j’étais au plus profond de mon être. Une sorte de quête sans fin dans l’immédiat. Mes yeux se fermaient au contact de la main de Regina. Elle m’apaisait plus qu’elle pouvait le croire. Je prenais une inspiration avant de lui répondre le plus calmement du monde.

- Je discuterai avec père. Je me vois mal parler avec Petit Jean pour l’instant. Je ne l’ai croisé que de loin une seule fois durant l’attaque contre Hades.

Ma tête se posait sur l’épaule de ma mère. Cette dernière m’entourait avec son bras et je sentais sa main dans mon dos. Une main rassurante et presque protectrice. Je sentais un apaisement et je fermais les yeux. J’avais l’impression d’être un petit garçon lorsque j’étais ainsi contre elle. L’amour d’une mère n’ayant aucune limite. Je restais un long moment ainsi. Plusieurs minutes avec pour seul bruit celui de l’eau. Je rompais finalement le silence avant de relever la tête. Je regardais ma mère dans les yeux pour lui poser une question.

- C’est vrai que tu as un caveau ?

Apprendre à vivre normalement. Apprendre à vivre avec eux et faire partie de cette famille. Les considérer comme un père, une mère, un frère et une soeur sans avoir à me poser de questions. Voilà ce que je devais faire, mais c’était complexe. Je n’arrivais pas à m’y faire contrairement à ma soeur. Lyna avait cette facilité à se fondre dans la masse, alors que j’étais toujours le plus suspicieux des deux. J’étais le jumeau plus craintif, mais qui gardait ses sentiments pour lui. Difficile à expliquer non ? Ou peut-être que c’était dans mon esprit que c’était compliqué. Ma mère avait preuve de bienveillance à mon égard. Elle était venue me rejoindre et m’avait apporté une délicieuse part de tarte aux pommes. Ce fruit que j’adorais plus que tout. Qui pouvait détester les pommes de toute façon ? C’était un fruit si parfait.

Mon père était visiblement un homme bon et patient. Le genre d’homme qui était capable de faire abstraction de bien des choses. J’avais visiblement beaucoup à apprendre à son contact. Chaque chose en son temps comme on dit non ? Je comptais faire connaissance avec, mais j’avais besoin du recul qu’ils m’offraient. J’avais besoin de prendre mes marques avant de foncer tête baisser dans cette relation familiale excessivement complexe.

Mon parrain semblait être un homme bon. Pour ma part, je ne l’avais croisé que durant le combat contre Hades et ses troupes. J’avais usé de mes capacités de combat avec Lyna pour mon plus grand plaisir. J’étais né pour ça d’une certaine façon. J’avais décidé de me blottir un peu contre ma mère. C’était énorme pour moi alors que je posais ma tête sur son épaule et que je lui parlais du caveau. Henry m’en avait glissé un mot. Il m’avait surtout parlé de la fameuse seconde partie cachée sans me révéler comment y accéder. Ce petit futé avait sans doute trouvé que c’était un moyen de me rapprocher de notre mère peut-être. Il avait sans aucun doute raison. Je me mettais à sourire en rigolant un peu.

- Si maman est d’accord pour faire une activité éducative avec son grognon de fils, je veux bien y aller oui.

Une façon pour moi de lui dire que le contenu m’intéressait autant que ce qu’elle pouvait m’enseigner. Je suivais donc ma mère au caveau. Nous allions donc faire notre première activité mère-fils. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais un peu la trouille. La peur de décevoir sans doute ou de faire une connerie.