Robin esquissa un sourire en entendant les paroles de Killian, appréciant l’humour du pirate malgré l’intensité de la situation. Tandis que l’agitation dans la taverne s’estompait, les voleurs et les pirates partageaient un rare moment de camaraderie. Robin baissa les yeux vers l’Ombre du Shérif, désormais inconscient à ses pieds, puis se redressa lentement, retirant son genou de la poitrine de son adversaire.

Les corps des hommes du Shérif, blessés ou assommés, gisaient éparpillés sur le sol, leurs armes abandonnées, vestiges silencieux de l’âpreté du combat qui venait de se dérouler. Robin essuya la sueur qui perlait sur son front d’un revers de main, puis jeta un coup d’œil vers les pirates, observant leur satisfaction triomphante. Leurs rires résonnaient dans la pièce, s’élevant au-dessus du tumulte. Pour une fois, la victoire était nette, sans ambiguïté. Bien que l’archer ne soit pas du genre à se complaire dans l’autosatisfaction, il ressentit un profond soulagement, comme un poids se détachant de ses épaules.

S’approchant du comptoir de la taverne, le chef des Merry Men chercha du regard quelque chose pour soigner la blessure de Killian. Il repéra un torchon propre qu’il saisit avant de le plonger dans un seau d’eau fraîche. De retour auprès du capitaine, il tendit le tissu mouillé sans un mot. « — Ça devrait suffire pour nettoyer la plaie, du moins pour l’instant, » dit-il d’une voix posée, remerciant du regard le tavernier qui avait consenti à le laisser faire en le délestant de ce torchon.

Ses yeux d’un bleu vif se posèrent une dernière fois sur l’adversaire vaincu, toujours inconscient. En l’épargnant, Robin savait qu’il avait fait le bon choix. L’Ombre retournerait auprès du Shérif, humilié, son échec cuisant, gravé dans sa mémoire. Le Shérif ne supporterait pas longtemps cette humiliation, mais Robin espérait que cette défaite retarderait la vengeance de son pire ennemi, offrant ainsi une fenêtre pour frapper là où cela ferait vraiment mal.

« — Je ne me fais pas d’illusions, » finit-il par répondre au pirate au regard charbonneux. « — Le Shérif de Nottingham reviendra, c’est certain. Mais c’est un jeu auquel mes camarades et moi sommes habitués. Gagner du temps, semer la confusion, et disparaître avant qu’ils ne puissent riposter. » Robin haussa les épaules, comme si tout cela n’avait que peu d’importance tant il était coutumier du fait. « — Mais ce soir, nous avons marqué un point. »

Il se dirigea ensuite vers une des grandes tables de bois au centre de la taverne, l’essuyant rapidement d’un revers de main avant de se tourner vers le capitaine manchot, qui semblait, en cette soirée, être devenu un nouvel allié. « — Ce que je propose, » commença-t-il en posant une main sur la table, invitant le pirate à s’y installer : « — C’est que nous profitions de cette victoire pour nous reposer, nous ravitailler, et bien sûr, partager ce verre. » Un sourire éclaira son visage, plus chaleureux cette fois, loin de la dureté qu’il arborait en plein combat.

« — Demain sera un autre jour, avec ses propres défis. Mais ce soir, nous célébrons. » Le prince des voleurs s’installa à son tour, laissant échapper un soupir de soulagement à l’idée de pouvoir enfin relâcher sa garde, ne serait-ce qu’un instant. Il était rare pour lui de s’autoriser ce genre de répit, mais il sentait que ce moment, partagé avec Killian et les autres, en valait la peine.

Se redressant, Robin attrapa la bouteille que le tavernier venait de déposer sur le comptoir, puis remplit deux chopes, tendant l’une d’elles à Killian. « — À cette soirée animée, » dit-il, levant son verre en signe de respect. Il but une longue gorgée, savourant le goût de l’alcool qui réchauffait sa gorge. Les rires, les chants, et le crépitement du feu dans l’âtre remplissaient l’air, créant une trêve fugace au milieu de la guerre que Robin et les Merry Men menaient contre le Shérif de Nottingham. Bon sang que cela était agréable.

Le sourire sur le visage de Robin, encore jeune, s’élargit en entendant les paroles du capitaine « Crochet », appréciant l’humour de l’homme. Peu à peu, l’agitation dans la taverne s’estompait. Les hommes du Shérif avaient plié bagage, emportant avec eux leur piètre leader d’un soir, tandis que les voleurs et les pirates partageaient encore un moment de franche camaraderie.

Un peu à l’écart des autres, adossés au comptoir, Robin et Killian buvaient en silence. L’archer émérite leva alors les yeux pour observer le pirate qui se tenait à ses côtés.

« — Tu sais, Killian, je me demande parfois ce qui pousse un homme comme toi à suivre cette voie… celle de la piraterie, » dit-il en penchant légèrement la tête, curieux. « — Est-ce la quête de liberté ? Le désir de richesse ? Ou peut-être y a-t-il une raison plus profonde qui t’a mené jusqu’ici ? » Robin posa son verre sur la table, le regard fixé sur son compagnon, cherchant à percer les mystères de cet homme peu commun. « — Je ne crois pas que les hommes naissent avec le goût du pillage… Il y a toujours une histoire derrière. »

L’archer émérite écouta attentivement les paroles du pirate, intrigué par cet homme marqué par une vie en mer. Le capitaine avait affronté bien des tempêtes, aussi bien au sens propre qu’au figuré, et cela se reflétait dans ses mots. Robin se surprit à éprouver une certaine sympathie pour ce pirate dont l’histoire résonnait en lui : engagement, lutte, survie, quête de justice ; même si cette justice prenait des formes variées.

Il hocha la tête, réfléchissant à la mention du Pays imaginaire. L’ancien protégé de Richard Cœur de Lion n’était pas étranger aux légendes, ayant grandi avec des récits fabuleux contés au coin du feu, mais ce lieu avait toujours gardé pour lui une aura mystérieuse, presque irréelle. Il se promit de poser plus de questions à ce sujet plus tard, mais pour l’instant, il préféra se concentrer sur les propos du capitaine.

« — Le Pays imaginaire, » murmura-t-il, savourant chaque syllabe, les trouvant à la fois intrigantes et lourdes de sens. « — J’en ai entendu parler, mais vaguement. Un endroit hors du temps, où les lois du monde réel ne s’appliquent pas tout à fait, n’est-ce pas ? » Il leva les yeux vers Killian, une lueur de curiosité brillant dans son regard. Puis il marqua une pause, se remémorant la question posée par le pirate. La transition vers sa propre histoire n’était jamais simple pour lui. Le chemin qui l’avait mené à devenir le célèbre prince des voleurs était jonché de souffrance, de choix difficiles, et d’une lutte constante pour protéger les opprimés. Il prit une profonde inspiration avant de répondre, son ton se faisant plus grave.

« — Comment devient-on un voleur au service du peuple ? » répéta-t-il avec un léger sourire. « — Par nécessité, comme tu l’as si bien dit. Mais aussi par révolte. » Il s’interrompit un instant avant de reprendre : « — J’étais le fils d’un forestier, » commença-t-il, sa voix devenant plus douce, presque mélancolique. « — Enfin, il n’était pas mon père biologique, mais il m’a élevé comme son propre fils. Plus tard, j’ai appris qu’il avait été soldat autrefois. C’était un homme juste et droit, aimé des gens du village. Il m’a appris à manier l’arc, à chasser, à survivre. Mais surtout, il m’a enseigné l’importance de la justice, de la loyauté, et du devoir envers les autres. Quant à ma mère, elle est morte peu après ma naissance. »

Robin se tourna légèrement sur son tabouret, laissant son regard se perdre un instant dans les flammes vacillantes de l’âtre. Les souvenirs de son enfance dans les bois de Sherwood, de l’injustice croissante sous le règne du shérif, et de la perte de ceux qu’il chérissait refirent surface. Mais il chassa ces pensées sombres pour se concentrer sur l’essentiel.

« — Puis il a disparu, emporté par le désespoir de voir l’homme responsable de la mort de ma mère réapparaître pour s’emparer du trône. Ce fut une période difficile pour moi. J’ai dû apprendre à survivre en volant. Je suivais une troupe d’artistes itinérants. Ils se produisaient et moi, je faisais les poches des spectateurs. J’étais plutôt doué. Jusqu’au jour où je me suis fait prendre, la main dans le sac, par un roi déguisé en paysan. Richard était son nom. Il m’a pris sous son aile et m’a enseigné le code d’honneur de la chevalerie. C’était un homme juste, profondément aimé de son peuple, et il m’a inculqué bien des valeurs. Nous avons combattu ensemble, et je l’ai perdu sur le champ de bataille. Ce fut comme perdre à nouveau un père. »

Il marqua une pause pour désigner Petit Jean, en pleine discussion avec Will Scarlett. « — J’ai été fait prisonnier, avant de réussir à m’évader avec le grand costaud que tu vois là-bas. »

Puis il reprit, son expression se durcissant légèrement. « — À mon retour près de Nottingham, j’ai découvert qu’un usurpateur s’était emparé du trône, et qu’avec l’aide de son fidèle shérif, il avait décidé de taxer les habitants jusqu’au dernier denier. Il ne se contentait plus de prélever un impôt juste. Il volait les plus faibles, affamait les pauvres, abattait ceux qui se dressaient contre lui. » La mâchoire de Robin se serra à ces mots, la colère remontant en lui.

« — J’ai vu des hommes bons mourir, des femmes et des enfants réduits à la mendicité, tout cela pour remplir les coffres du shérif. C’est à ce moment-là que j’ai compris que si personne ne se levait, alors c’était à moi de le faire. »

Le voleur se redressa, sa silhouette élancée se découpant contre la lumière vacillante du feu. Il fixa son interlocuteur du regard, la détermination marquant ses traits. « — J’ai pris les armes, non pas pour moi, mais pour eux. Pour ceux qui ne peuvent se défendre, pour ceux qui ont perdu tout espoir. En volant aux riches pour donner aux pauvres, j’ai trouvé un moyen de rendre justice, à ma manière. »

Un sourire, plus sincère cette fois, étira les lèvres de l’intrépide voleur. « — Voilà comment un simple fils de forestier est devenu Robin des Bois. Ce n’est pas une vie facile, mais c’est celle que j’ai choisie. Et si cela fait de moi un héros aux yeux de certains, tant mieux. Mais sache que ce n’est pas la gloire que je recherche, c’est la justice. »

Il se rassit, reprenant sa chope entre ses mains, l’observant un instant avant de conclure : « — J’ai l’impression que nous sommes tous deux des hommes marqués par notre passé, Killian. Mais ce passé, aussi sombre soit-il, ne doit pas définir qui nous sommes. Ce sont nos choix qui le font. Ce soir, je choisis de partager cette victoire avec toi, en tant qu’ami. » Robin leva son verre, l’élevant vers le capitaine avec un sourire en coin. « — À nos choix. »

Il but une longue gorgée, laissant l’alcool réchauffer son corps, conscient que demain apporterait de nouveaux défis. Mais pour ce soir, il se permit de savourer cette rare trêve, en compagnie d’un homme qui, malgré leurs différences, partageait avec lui bien plus qu’il ne l’aurait imaginé.