Le corbeau eut beaucoup de chance, il y eut quelques occasions où son éternel jamais plus collait parfaitement avec le sujet abordé par le féetaud, ce qui donnait l'impression qu'ils pouvaient réellement établir une conversation entre eux. Ils semblaient penser la même chose des humains, en tout cas. L'oiseau était plutôt pessimiste, bien qu'il se vît comme un être réaliste (comme tous les pessimistes), il savait que ce moment où ils semblaient sur la même longueur d'onde ne durerait pas. Cette rencontre allait se finir comme toutes les autres, alors, l'oiseau profita de cette accalmie.
Il fut surpris d'entendre son interlocuteur croasser parfaitement. Surpris et jaloux. À cause d'un stupide vieil homme, lui ne pourrait plus jamais crier comme ces semblables. Le corbeau en fut déprimé. Il releva la tête lorsque le petit être ailé essaya de lui remonter le moral. "Jamais plus." Répondit-il encore et toujours. Honnêtement, il aurait aimé croire que ce maudit sortilège finirait un jour par disparaître, mais, le sort ne montrait aucun signe de faiblesse à mesure que le temps passait. Il ne semblait pas vouloir s'estomper. Son interlocuteur continuait de jouer les optimistes. Le corbeau leva la tête lorsque le féetaud avoua avoir une autre question. Oh non, comment allait-il s'en sortir cette fois ? Ne voyait-il pas que chaque étape de cette conversation était un challenge pour se faire comprendre ?
D'abord, il se fit insulter en sous-entendant qu'il était humain avant. Ensuite, le féetaud enchaîna sur une supposition plus proche de la vérité qui reçut l'approbation d'un nouveau jamais plus. Le corbeau avait un peu baissé sa garde au cours de cette discussion des plus particulières. Chose qu'il regretta aussitôt en remarquant un geste dans sa direction. L'oiseau recula vivement avec une exclamation servant de mise en garde. Le féetaud ne se laissa pas abattre et glissa de nouveau pour combler la distance instauré. Le corbeau avait presque retrouvé toute sa méfiance. S'il ne s'était pas dégagé quelques choses d'apaisant de l'être ailé, sans doute se serait-il déjà envolé au loin. À la place, il lança un regard en arrière pour s'assurer de la longueur de branche qu'il lui restait.
Cette fois, Liot lui demanda franchement s'il pouvait lui toucher les plumes. Le corbeau se gonfla le plumage pour témoigner son étonnement face à cette étrange demande. Avec un mélange de prudence et de réticence, il baissa la tête en signe d'invitation. Son attitude révélait qu'il se tenait prêt à donner un coup de bec en cas de mauvais tour.
« Oh bah non ! Je comprends bien. Qui souhaiterait revivre ça » dit-il gravement avant de soupirer, ses deux mains qui prenait appui sur la branches et ses épaules qui s’écroulèrent. Il imaginait bien que jamais-plus il se retrouverait dans cette situation. « Bon déjà... Techniquement tu ne peux pas être dans ton cas deux fois et tant que ça ne changera. Ca t’arrivera bah... Jamais-plus quoi. » dit-il avant de ricaner discrètement, en respirant fortement par le nez. Il se trouvait sincèrement drôle et ce n’était pas méchant du tout. Enfin, pour lui ça ne l’était pas.
Il avait déjà oublié et après avoir longuement lorgné l’oiseau qui s’éloignait toujours plus du bout de la branche. Avec sa taille, il allait faire pencher le tout. Sauf que Liot, il n’avait qu’une envie : allez le toucher. Diablo était le premier corbeau qu’il avait approché d’aussi près et qu’il était beau.... Il préférait alors lui demander plutôt que de basculer. A sa grande surprise, l’oiseau accepta. Il s'inclina. Liot se mit debout sur la branche d’un bond en hochant vivement la tête pour s'assurer que c'était d'accord. Il sautilla et trottina jusqu’à lui.
Il déposa dans, un premier temps et avec délicatesse, le dos de sa main juste au-dessus de son bec. Sans bouger un instant, lui appréciait le présent et toutes ces sensations que ce premier contact provoquait contre sa peau. La chaleur, la texture, la respiration de l’oiseau. Puis il remonta doucement sa main pour la passer au-dessus de sa tête. La fée avait la tête penché et se déplaçait lentement autour de lui. Il avait l’air en transe, comme dans un autre monde ou en plein rituel d’hypnose aller savoir. Non, il était simplement un animal qui en rencontrait un autre. Il s’arrêta dans son cou et passait son autre main le long de son aile qu’il ouvrit et se fit une idée de son envergure. Une seule faisait presque deux fois sa taille en longueur. Il était très impressionné ouvrant de grands yeux brillants et fascinés. Puis il s’entoura avec, avant de caresser les immenses plumes qui lui permettait de voler comme les pans d’une robe au tissu raffiné. Son noir était si profond et ses reflets verts n’avaient rien à envier au palais du Magicien d’Oz.
Il le lâcha mais pas éternellement. Il lui sauta subitement dessus pour l’enlacer avec de la pure joie qui pulsait dans ses veines. « Comment t’es trooooop mignon ! » frottait-il sa joue contre la sienne, complètement gaga. Il adore les oiseaux.
C'était vraiment un petit être curieux. Le corbeau n'avait jamais rencontré de fée avant, encore moins du sexe masculin. Avec les humains, il savait à quoi s'en tenir, tandis que son étrange interlocuteur semblait changer d'humeur comme certain changerait de chemise. L'oiseau pencha la tête de côté tandis que Liot se lançait dans une plaisanterie qu'il n'était pas certain de trouver drôle ou de comprendre. De toute façon, il ne pouvait lui fournir que les deux même mots en guise de réponse. Ce qui se passa ensuite chassa très vite ces interrogations intérieures. Le féétaud avait essayer de le toucher ! Le corbeau avait vivement reculé en protestant de surprise.
Il avait continué d'avancer et lui de reculer. Un bref coup d'oeil en arrière informa le corbeau qu'ils ne pourraient pas jouer à ce petit jeu éternellement. Liot demanda franchement s'il pouvait le toucher et l'oiseau accepta avec méfiance. Bien qu'il s'était incliné dans un geste d'invitation, il se tenait prêt à donner un coup de bec au cas où on essayerait de lui arracher une plume ou quelque chose dans le genre.
Le corbeau tressaillit lorsque Liot lui toucha délicatement le plumage juste au-dessus du bec. Personne ne l'avait jamais approché d'aussi prêt. Correction : il ne s'était jamais laissé approcher d'aussi prêt depuis qu'il avait été touché par le maléfice qui lui pourrissait l'existence. Il faut dire que les autres personnes qu'il avait rencontrées depuis avait clairement des intentions belliqueuses, ce qui n'aidait pas à faire confiance. L'instant se prolonger et l'oiseau attendit, n'osant bouger, redoutant que la situation ne prenne une mauvaise tournure. Son petit coeur battait à toute vitesse et le rythme de sa respiration trahissait une méfiance qui lui crispait les muscles. Instinctivement, il se baissa d'avantage alors que la main montait.
Liot lui ouvrit l'aile. Le corbeau dut se retenir de pousser un nouveau jamais plus de surprise. Il sursauta un peu, un mouvement si bref que le petit curieux ne l'avait sans doute pas remarqué. L'oiseau jeta un coup d'oeil aux ailes de la fée, lui aussi se montrait curieux. Il en profita pour regarder de plus près, du moins jusqu'à ce que Liot ne s'entoure de son aile. Le corbeau recula vivement la tête alors qu'il avait été proche de toucher l'aile de la fée avec le bout de son bec. Frustré de ne pas avoir pu assouvir sa propre curiosité et choqué du sans-gêne du petit être, il fut complètement pris par surprise lorsque Liot l'enlaça. "Jamais plus !" S'exclama-t-il, incapable de contenir plus longtemps son cri. Mignon ? Lui ? On ne l'avait jamais traité de mignon.
L’oiseau était méfiant et Liot le comprenait bien, puis en avait conscience. Il n’était pas très agile dans ses approches parfois, mais il savait ressentir le stress chez l’animal. Au pire, le volatile s’envolerait et il reviendrait avec plus de délicatesse. Il tenterait de canaliser ses émotions. Mais ça faisait un moment que je lui tournais autour. J’étais tout excité. Il avait pris son temps pour établir le contact. Diablo se tortillait presque pour éviter au maximum cet attouchement. Comme si sa main était un aimant face à un autre et le repoussait par une force physique invisible à l’oeil nu. Liot avait sourit. Il était plus qu’honoré. L’oiseau lui avait accordé ce moment.
Or vite son attitude enfantine et candide, noyé par ses émotions, il se montra beaucoup moins avenant. Il joua avec son aile et arracha un cri de surprise à son nouvel ami. Oui, maintenant c’était mon ami ! Le corbeau avait très légèrement sursauté et Liot n’en avait cure. Il s’enveloppait dans son aile avant de lui sauter au cou. Il lui partagea alors ses impressions sur lui. Il sentait ses petites plumes de son cou contre sa joue. C’était sensationnel. Il n’avait pas bougé et resserré son étreinte, un sourire amusé sur les lèvres. « Jamais plus ? Ah mais si, si, si ! Des câlins ! Car t’es trop mignon ! Et ça c’es pas Jamais-plus mais Pour-toujours. » s’excita t-il.
Il le lâcha enfin, toujours son grand sourire d’enfant sur le visage et le regardait en penchant la tête. « T’as pas aimé ? » demanda t-il subitement avec une moue déçue. « T’es si tendu. C’est agréable pourtant. Ça aurait du t’faire du bien... ». Les mains derrière le dos, il se dandinait avec un nouveau sourire malicieux. « Tu verras, je t’apprendrais à t’y faire » ricana t-il en faisant danser ses doigts, comme s’il s’apprêtait à lui sauter une nouvelle fois dessus.
Le corbeau ne savait pas à quoi s'attendre. C'était la première fois qu'on demandait à le caresser. Tout naturellement, comme lors de l'offrande de pain, il soupçonna un piège ou une farce. La curiosité l'emportait sur la crainte. En plus, qui sait, peut-être obtiendrait-il une récompense en se pliant aux fantaisies de cet étrange petit être ailé ? Le bout de pain lui avait fait plaisir, mais il était encore terriblement affamé. Cela faisait des jours qu'il n'avait rien avalés. Profiteur ? Lui ? Et pourquoi pas ! Ce n'était pas souvent que l'oiseau tombait sur une âme charitable.
Il ne s'attendait certainement pas à ce qu'ils soient deux à profiter de la situation. Liot joua avec son aile, ce qui lui arracha un cri de surprise. Avant qu'il ne puisse se demander si le jeu n'en valait pas la chandelle, la fée s'était jetée à son cou ! Pendant un instant, le volatile avait craint que le petit être ailé n'essaye de le lui tordre tellement l’étreinte était forte. Le corbeau essaya de se dégager et se calma doucement alors qu'il fut submergé par une sensation agréable. Être qualifié de mignon fut comme un coup de grâce. Mignon ? S'il avait été humain, il en aurait écarquillé les yeux. À défaut, il se montra aussi surpris que pouvait lui permettre ces expressions d'oiseau.
Le temps qu'il se remette de ce compliment et Liot s'était éloigné. L'oiseau se secoua la tête, à croire qu'il voulait se ramener à la réalité, puis passa des petits coups de bec délicat afin de lisser les plumes ébouriffés par la démonstration affective du petit être ailé. Il manqua de peu de s'arracher une plume de surprise alors que Liot déclarait vouloir lui apprendre à s'y faire. Le corbeau tourna vivement sa tête en direction de la fée qui semblait être sur le point de repasser à l'attaque. "Jamais plus." Dit-il brusquement avec un petit claquement de bec servant d'avertissement.
Il s’était éloigné après le moment de panique de l’oiseau face à un geste gratuit et tendre, sans attente en retour. Il y était si peu habitué et Liot était si naturelle avec ce genre de chose. La communication avec les animaux passait souvent soit par les regards, l’attitude et sa posture, mais surtout après par le touché. Ils se ressentaient mieux. Là, il avait bien sentit qu’il était aussi détendu et souple qu’un vieux bout de bois sec. Les corbeaux pouvaient être apprivoisés et domestiqués, appréciant ou tolérant alors la présence d’un autre. Bien sûr, ce n’était que des généralités, mais cela avait fait déduire à la fée que c’était juste ce corbeau qui était tendu.
Il avait encore croassé un jamais-plus alors que Liot le taquinait. Les démonstrations affectives, avec lui l’oiseau allait devoir s’y faire. Encore une fois, c’était plus fort que lui. C’était toujours plus fort que lui même. Des impulsions de son coeur jusqu’à son cerveau qui traduisait à travers son corps. L'oiseau ne se trouvait pas mignon et il ne voulait pas d’autre câlins. Il suffisait de l’écouter. La situation était cocasse. Avec ses bêtises, ils avaient l’air d’avoir un semblant de discussion. « C’est ce que tu dis pour l’instant, tu verras avec le temps » ricana Liot avant de faire un bond, s’élever et finir derrière son nouvel ami. Rapidement et en gardant une certaine distance, il laissa ses mains glisser le long des plumes de sa queue, puis un autre bond en arrière. Il avait bien remarqué que son bec le démangeait.
Liot riait et souriait. Tendre et sincère. « Allez, viens ! Suis moi » Il lui fit un signe de la main, tout en reculant jusqu’au bout de la branche qui tremblotait sous son faible poids. Il arriva au bout et se laissa tomber en arrière, une boucle et il se retrouva, flottant proche de Diablo. « Au fait tu t’appelles comment ? Attends laisse moi deviner... » se plaqua t-il un doigt sur la bouche. « Jamais-Plus ? Premier du nom non ? » rit-il encore. « Moi c’est Liot... J'l'ai pas déjà dis ça ? Tant pis. » et il s’envola en direction de la forêt.
Il jeta parfois un oeil pour être sûr que le corbeau le suivait et fila entre les arbres, les branches, effleura la surface d'un ru, puis enfin, caché dans le feuillage épais de toutes cette forêt, sous le couvert, un buisson de fraises sauvages. « Tadaaaaa ! Bon tu m’en laisses un peu quand même. Je passe parfois ici. En tout cas demain j’irai et si j’en ai plus... » il fit volte face et menaçait le volatile d’un doigt autoritaire. « Je te fais un bisou sur son bec, ‘ttention ! Et je ferais de ta vie un cauchemar. »
Il cueillit une fraise, trottinant sur une fine branche du buisson et s’approcha de Diaval, un petit sourire adorable. « Etre tout seul ? Jamais plus ! » lui tendit-il le fruit comme une offrande avec un clin d’oeil.