Ne cherchez pas de grande aventure, de prophétie ou de destinée dans cette histoire. Ce n'est pas l'histoire d'un héros, mais celle d'une personne ordinaire ayant comme seul objectif de faire de son mieux en toute occasion. Né dans une famille de boulangers, Lefou connut quasiment le temps de cuisson d'un pain avant de savoir marcher. Son éducation, sa vie, était liée à cette activité familiale. Son futur était tout désigné : reprendre le commerce quand il en aura l'âge. On le lui répétait suffisamment assez pour qu'il comprenne qu'il n'avait pas besoin d'espérer autre chose. Le garçon avait beau être bercé par les chants des ménestrels de passage qui contaient les aventures de preux chevaliers, il avait beau rêvasser en les écoutant, il ne fit jamais rien pour concrétiser cette envie. Il pensait à ses parents, qui avaient travaillés dur pour maintenir la boulangerie à flot, pourquoi risquer de leur faire de la peine en partant à l'aventure ? En plus, sa vie n'était pas horrible au point de désirer en changer. Il mangeait à sa faim, avait de l'argent (sans pour autant être riche), un travail tout trouvé, ils habitaient dans un royaume dirigé par roi bienveillant, le roi Maurice... Beaucoup n'avait pas autant de chance, comment oser se plaindre simplement parce que cette vie manquait un peu de piquant ? C'est sûr qu'on ne fera jamais de sonnet sur un apprenti boulanger qui faisait de son mieux, et alors ? Il essayait chaque jour de se persuader que ce n'était pas grave, que ce n'était pas le plus important. Le plus important était de ne pas faire honte à sa famille, chose assez difficile quand on était pétri de bonnes intentions maladroites.

Le jeune homme aimait bricoler. Il aimait prendre ce qui lui tombait sous la main et imaginer comment leur trouver une utilité en les assemblant différemment. Il aimait partir de rien et transformer ce "rien" en "quelque chose". L'ennui est qu'il était totalement autodidacte. Il savait à peine lire et écrire. Ces bricolages avaient beau fonctionner, ils avaient une allure étrange (pour rester courtois) et étaient généralement très bruyants. C'était sur ces aspects-là que les gens se concentraient et non sur l'efficacité de ces inventions. ça et le fait que ces bricolages survivaient rarement à leur premier essai. Il essayait de calmer cette ardeur, les regards de reproches de ses parents le remplissaient de honte à chaque fois, pourtant, il ne pouvait faire taire cette part de lui. Invariablement, il voulait créer.

C'est à cause de ce genre de chose qu'il écopa du surnom de Lefou. Surnom qui remplaça son véritable prénom, au point que même lui se présentait ainsi. Puisque ce sobriquet finissait toujours par franchir les lèvres de son interlocuteur, à quoi bon lutter contre ?

La vie suivit son cours, ponctuer par quelques autres essais infructueux et des chansons qu'il fredonnait sans réfléchir comme il les connaissait par coeur. Avides de récits glorieux, les ménestrels avaient toujours la garantie d'obtenir de quoi boire et manger en passant à la boulangerie, quoi qu'en disent ces vieux parents. Il ne semblait pas presser de se marier et il ne semblait pas s'intéresser aux femmes, ce qui inquiétait un peu sa mère, mais il fallait dire qu'il y avait tellement de travail qu'il n'y avait rien d'étonnant. Même lui mettait ce manque d'intérêt pour le sexe opposé sur le dos de journée bien remplie, niant l'évidence qui sautait pourtant aux yeux des plus attentifs.


Arriva un jour la guerre contre les ogres. Chaque personne en âge de tenir une épée fut recrutée dans la bataille. En dehors de la terreur que lui inspiraient ces monstres, Lefou ressentit également une pointe d'excitation. Il marchait aux côtés de chevaliers et de seigneurs dont il connaissait le moindre exploit sur le bout des doigts ! Il était partie pour une aventure ! C'est là qu'il fit la rencontre du seigneur Gaston qui lui sauva la vie lors de la première bataille qui faillit de peu être sa dernière sans l'intervention de ce héros.

Gaston était la concrétisation de toutes les histoires contées par les poètes de passage. Il était tout ce que lui n'était pas. Il était fort, il était courageux, il était... parfait ! Bref, ce fut un coup de foudre aussi instantané qu'inavouable. Dès cet instant, Lefou colla Gaston comme s'il en était devenu l'ombre. Grossissant les exploits de ce héros devant les ignorants qui ne connaissait pas ce brillant chasseur, insufflant de l'espoir aux nouvelles recrues terrifiées. Habitants et soldats n'avaient plus rien à craindre puisque Gaston était arrivé. Gaston, Gaston, Gaston, il n'avait plus que ce nom en bouche tout en refusant d'admettre que la dévotion qu'il portait pour son héros était plus proche de l'amour que du comportement d'un simple admirateur.

Heureusement, sa route croisa celle de deux autres chevaliers, Florian et Raphaël. Florian lui apprit les rudiments de l'escrime, ce qui lui sauvera plus d'une fois la vie plus tard. Lefou essaya de se montrer un élève aussi attentif que motiver mais les avances de son professeur le perturbèrent et renforcèrent sa maladresse. Il ne comptait plus le nombre de fois où son épée lui avait échappé des mains à cause d'un geste ou d'une réflexion. Avant que cette situation ne devienne trop embarrassante, Arthur rappela ces chevaliers et se fit la fin de ces leçons.


Il ne brilla pas sur le champ de bataille, mais il en revenait vivant, c'était déjà ça. La guerre contre les ogres s'éternisait en leur défaveur. Lefou serait incapable de dire si ce fut cette nouvelle ou les fiançailles de Gaston avec la princesse Belle qui le mortifia le plus dans cette période de sa vie. Au début, il essaya de la détester. Une tentative qui échoua tant la princesse était intentionnée, aussi belle que son nom l'indiquait et intelligente. Cela en était déprimant d'être jaloux sans parvenir à haïr la cause de cette jalousie.

Quoi que, à la réflexion, à la première place dans le top de la déprime, fut l'intervention du terrible sorcier Rumpelstiltskin. Lefou n'était pas là au moment des faits, c'était une réunion d'état-major auquel il n'avait pas sa place. Il sut après que le Ténébreux avait mis fin à la guerre et également emporté la princesse Belle. Deux bonnes nouvelles pour lui, techniquement. Sauf que Gaston avait décidé de sauver sa fiancée de la Bête... et ne revint jamais de sa tentative.

Qu'était-il arrivé à Gaston ? Avait-il été tué ? Était-il prisonnier ? Ou pire encore ? Lefou avait essayé de monter une expédition pour aller à l'attaque du château du monstre et n'obtenu que des rires et des moqueries en retour. Aller défier seul le terrible sorcier ? Si Gaston avait échoué, quelle chance avait-il ? Non, il n'avait aucune chance. Il fallut attendre les rumeurs sur la capture du ténébreux pour que Lefou ose s'approcher du château à l'abandon. Il y retrouva Florian et Raphaël, ainsi que d'autres occupants transformés en objets parlants. C'est aussi à ce moment-là qu'il apprit le sort de Gaston, transformé en rose. Son héros n'était plus, mais il se devenait d'honorer sa mémoire en agissant comme lui l'aurait fait. Lefou emporta les maudits en jurant qu'il trouverait un moyen de tous les délivrer.

C'est alors que la malédiction de la reine frappa et les emporta tous dans un autre monde.

Ici, il se nomme Théodore, le plus souvent surnommé Teddy (comme l'ours en peluche). Son travail ? Faire que les rêves des autres se réalisent. C'est dans ce but qu'il fonda avec deux amis l'agence "Be Your Guest" où le terme de 'le client est roi' n'a jamais été autant respecté à la lettre.

Et son rêve à lui ? Il répondra toujours l'avoir réalisé avec la création de l'agence, alors qu'on fond de lui, il en cache un autre : gagner le concours Eureka, le rassemblement des inventeurs. Cela fait une éternité qu'il économise pour le voyage en Europe et travaille pour le projet qu'il présentera ce jour-là. Seulement, il n'arrive jamais à franchir le premier pas pour concrétiser ce doux rêve. Ce n'était pas un manque d'imagination, son appartement rempli de prototype peut en témoigner, mais, dès que la date du concours approchait et que venait le moment de songer à franchir les limites de la ville, le doute l'envahissait. Il trouvait des imperfections ou alors l'inspiration soudaine pour une idée bien meilleure. À chaque fois, il jurait que l'année prochaine sera la bonne et ainsi de suite.

Ainsi s'enchaîna les jours dans la ville tranquille de Storybrooke. Même s'il ne réalisait pas son rêve, Théodore s'estimait heureux d'avoir un travail qui rendait le sourire aux autres avec l'aide de deux bons amis. Même si Florian l’embarrassait avec ces propositions plutôt directes. Tout les samedis, il rejoint d'autres habitants de Storybrooke rêvant d'aventure pour mener des quêtes dans des parties de Donjons&Dragons endiablés. La plupart des modèles réduits des parties sont de sa conception, un grand honneur que lui avait fait leur maître du jeu. Ah, parce que vous pensiez que c'était lui le maître du jeu ? Jamais il n'oserait ! Vivre l'aventure avec son paladin niveau 20 était amplement suffisant.

Depuis un an, il est marié avec la belle Hannah, la meilleure (et seule) coiffeuse de la ville. Théodore voulait toujours avoir une apparence impeccable pour sa clientèle, un objectif qui se retrouvait corsé par une chevelure qui avait tendance à friser dès que le temps était humide. Il ne comptait plus le nombre de fois où il avait débarqué dans le salon de coiffure d'Hannah pour rectifier une urgence capillaire ! Les gens ont commencé à jasé, affirmant que ces bouclettes récalcitrantes n'étaient qu'un prétexte pour rendre visite à la belle demoiselle. À force d'entendre ces rumeurs, Teddy commença à y croire lui-même et fit sa demande dans les règles de l'art.

Hannah était (enfin, elle l'est toujours, enfin, c'est compliqué !) une épouse formidable, ils s'entendaient comme deux excellents amis et c'était peut-être ça le problème. Il l'adorait, mais n'avait pas l'impression qu'il s'agissait d'amour comme on en parle dans les chansons. Théodore s'en voulait beaucoup, estimant que le problème venait de lui.

Arriva la Sauveuse qui brisa la malédiction. Soudainement, la petite ville tranquille ne l'était plus autant. Il se réveilla en réalisant que la personne qui partageait son lit était une parfaite inconnue, que tout ce qu'il pensait être sa vie n'était que de faux souvenirs, que Big-Ben et Lumière avaient retrouvé leur apparence humaine, que ces amis de jdr étaient des véritables héros dans leurs anciennes vies. Quelques mois plus tard, on apprend qu'une reine des glaces est occupée à tout gelé, on doit accueillir des réfugiés fuyant cette catastrophe, le chaos à régner brièvement en ville pendant qu'un petit groupe parti brisé un miroir... Tout cela est très perturbant. Il faut continuer de vivre comme avant sauf qu'un millier de questions venait s'ajouter à ces tracas quotidiens. (Comme par exemple : est-ce qu'il devait toujours s'estimer marier ?
Une question qui allait devoir aborder un jour ou l'autre avec son épouse.) Théodore fait de son mieux, en tout cas, comme il l'a toujours fait. Pour le reste : Alea jacta est, comme on dit.