Voilà plus de deux jours que nous naviguions sur les étendues salines infinies du royaume des Sept Mers. Cette traversée me semblait alors interminable et j’avais hâte de toucher terre ! Le voyage n’était pas particulièrement desagréable. En temps normal, j’aurais pu apprécié cette aventure qui m’aurait tendrement rappelé les traversées héroïques des chevaliers qui peuplaient ces légendes si chères à mon cœur. J’aurais pu me prendre pour Lohengrin poussé dans sa barque par le cygne, oiseau mythique qui avait fait sa réputation.
Mais les circonstances étaient loin d’être joyeuses et mon cœur n’était pas à la fête ! Il était au contraire lourd des drames s’étant récemment produits dans ma vie. Mon corps était bien la seule partie de moi à être présente sur ce beau navire. Mon esprit se perdait vers les rivages de mon si cher royaume de Münchia que j’avais dû quitter dans la précipitation. On m’avait tout pris ! Mes terres étaient figées à jamais dans les glaces. On m’avait délogé de mes palais adorés sans aucun ménagement. La couronne et le trône de Münchia ne seraient désormais plus jamais miens. Tout cela à cause de l’association maléfique du nouveau chef de mon gouvernement, le baron Otto von Rothbart et de la cruelle Reine des glaces !
Mon cœur lui était aux côtés du chevalier qui aurait dû se trouver à mes côtés aujourd’hui, aux côtés de ce bel écuyer qui avait courageusement sacrifié sa vie pour sauver la mienne. Sebastian von Hönig, mon maître d’écurie royale, l’homme de ma vie… Lorsque les hommes de von Rothbart s’était présenté à mon palais, il avait fui avec moi dans le but de se rendre dans les royaumes alliés où je serais en sécurité. Personnellement, cette perspective ne me dérangeait pas ; bien au contraire ! J’étais heureux de savoir mon amant auprès de moi. J’aurais pu suivre mon bien aimé n’importe où. Maintenant que la couronne ne m’appartenait plus, nous aurions pu nous bâtir une autre vie, remplie de bonheur et d’amour partagé. Un lieu où nous n’aurions plus jamais à supporter les regards et les remarques intolérantes de cette société à l’esprit étriqué ! Mais mon ennemi juré n’était pas prêt à m’accorder cette fin heureuse. Il avait fini par me retrouver, ayant la ferme intention de me tuer. Pourtant j’avais survécu et mon Sebastian qui s’était interposé, était à présent transformé en une statue de glace, peut-être figé à jamais dans le temps sans que personne ne puisse le sauver de ce sort cruel !
Ecrasant une larme au coin de mon œil, je sortis de ces pensées le cœur terriblement lourd. Les yeux portés vers l’horizon, je regardais le Soleil se coucher. C’était une heure que j’affectionnais particulièrement puisque la nuit me permettait de me libérer de cette apparence de cygne pour reprendre celle d’un homme. Profitant depuis quelques minutes de l’air rafraîchissant du large, mon attention fut portée par un navire qui apparaissait à l’horizon et qui s’approchait de nous. Tout d’abord peu alarmé par cette vision, la vigie finit par prévenir ses camarades. Car ce bateau « ami » afficha bientôt un pavillon de pirate. L’alerte fut donnée et tous les marins se préparaient à riposter, les canons chargés. Soudain, mon ami le magicien Wilhelm vint à ma rencontre. « Majesté, je vous prie de regagner la cabine du capitaine immédiatement. Ces pirates ne doivent pas mettre la main sur vous. » Obéissant docilement à ses prières, je me rendis dans ma cachette alors que le sorcier lançait un sort de protection à l’extérieur de cette dernière.
– Le roi et ses pairs ont enfermé la Reine, A bord d’un bateau de plomb. Nous naviguerons, et par ses pouvoirs, Moi et mes frères voguerons. Yo ho ! Quand sonne l’heure, Hissons nos couleurs. Hissez haut, L’âme des pirates, Jamais ne mourra.
A la barre de mon navire, je chantonnais l’âme des pirates de bon cœur tout en espérant que nous croiserons bientôt un navire à piller. Les vivres commençaient à manquer, et les terres étaient encore loin. Nous avions essuyé une tempête quelques jours auparavant, et ça nous avait mis énormément en retard sur notre itinéraire, beaucoup de nos biens étaient passés par-dessus bord volontaire pour alléger le navire afin qu’il puisse être plus léger et rester en surface. Nous avions survécu à la tempête, à présent nous devions tenter de survivre avec des rations moindres. Nous l’allions pas tenir plus d’une semaine ainsi. Il fallait qu’un navire apparaisse, maintenant, tout de suite !
- CAPITAINE !!! UN NAVIRE MARCHAND DROIT DEVANT !! Hurla la vigie.
Je fus très surprise par le fait que mon vœu soit exaucé aussi rapidement, il fallait remercier la bonne providence. Je sortis ma longue vue, et regardais le pavillon du bâtiment qui commençait déjà s’éloigner. Le petit drapeau qui flottait dans le vent m’indiquait qu’il s’agissait d’un riche navire marchand, nous étions sans doute tous sauvés, il devait être plein de victuailles, de quoi continuer notre traversée sans complication.
- Aujourd’hui, pas de quartier messieurs ! Nous avons besoin de tous les biens, de tout ce qu’on pourra trouver pour continuer notre voyage sans encombre ! Ouvrez les voles, préparez les canons et tenez vous prêts pour aborder ce navire !
Mes hommes hurlèrent à l’unisson leur contentement d’avoir un navire à aborder, et surtout d’avoir des biens à récupérer pour notre confort personnel. Doucement, une chasse commença, le navire marchand chercha à nous distancer, mais le Revenge était plus léger, ses voiles gonflées par le vent le faisait quasiment flotter sur la houle de l’océan. Nous étions tout proche, bientôt, les coups de canon allaient se mettre à raisonner. Le voyais que notre cible commençait à s’agiter, que les hommes de l’autre côté se préparaient à répondre à notre abordage. Mais je savais que nous allions les vaincre, et réussir à avoir notre dû.
Les deux bâtiments étaient parallèle l’un à autre, tout proche, ils pouvaient quasiment se toucher. J’hurlais à plein poumon de mettre feu au navire. Les coups de canon se firent entendre, assourdissants, violents et puissants. Les deux combattants se répondaient, il y avait autant de dommage chez le marchand que chez nous, mais mon navire avait affronté tellement de chose que je savais qu’il tiendrait encore une fois, pour moi, pour mon équipage. Il y avait des corps qui gisait sur le pont du Revenge mais aussi sur l’autre pont. Il y aurait autant de perte chez nous que chez eux. Comment se faisait-il qu’un simple navire marchand soit aussi lourdement armé ? Pour y avait-il des soldats royaux à son bord ? Cette histoire était louche, étrange. Mais je n’avais pas le temps de réfléchir d’avantage, c’était le moment.
- A L’ABORDAGE !!! Criai-je à mes hommes.
Pas de quartier… Nous devions vaincre, nous n’avions pas le choix. Pour mettre toutes les chances de notre côté, je me changeais en louve. Je n’avais pas une taille banale pour un canidé, non, mon garrot arrivait à la hauteur de la hanche des hommes les plus grands. D’un bon, j’arrivais sur le navire adverse et sans la moindre pitié, je sautai à la gorge des soldats, leur arrachant le cou et parfois leur tête partait avec. Je voulais que mes hommes survivent à notre famine et à cette attaque, tant pis pour les dommages collatéraux. Sans la moindre hésitation, mes crocs se refermaient sur la vie de ces hommes… Et puis il y avait cet homme qui sentait la magie à plein nez. Je vins en face de lui, crocs sortis, grognant de toutes mes forces, attirant son attention. Derrière lui, je voyais mon second, prêt à lui tirer dessus. Le sorcier me donna un affreux mal de crâne, gémissant, je me couchai sur le sol. "Boum", mon matelot assomma violemment le magicien qui tomba au sol, inerte. Le jeune homme lui mit un bracelet pour bloquer ses pouvoirs et il me lança un regard pour me demander comment j'allais. Les maux de tête s’estompèrent, je me relevais et regardais autour de moi. Des dizaines de cadavres étaient couchés sur le sol, dans cet abordage, j’avais perdu trois hommes, le reste était des soldats. C’était une perte minime pour une telle attaque. Deux autres de mes matelots étaient morts sur mon navire durant les échanges des canons, ça faisait un total de cinq, je leur rendrais hommages. Finalement, nous fîmes quelques prisonniers, ils pouvaient toujours servir…
Doucement, je repris forme humaine pour ordonner aux hommes d’aller fouiller les calles et de tout prendre. Quand à moi, je partis fouiller dans les cabines. J’eus des difficultés à ouvrir celle du capitaine, mais elle finit par céder, j’entrai et m’arrêtai net. Il y avait encore quelqu’un.
- Sortez tout de suite de votre cachette ou je vous torture avant de vous tuer, et croyez moi, je suis douée.
J’écoutais les sons de la pièce, attirée par le son d’une respiration, je m’approchais de la cachette du petit trouillard qui n’avait pas pris part au combat. Je tombais nez à nez avec un jeune homme à l’air frêle, fragile, presque féminin. Son visage me disait quelque chose.
- Tien, tien… Qu’avons-nous là ? Demandai-je avec un sourire mauvais, du sang coulant encore sur mes joues et mon menton, c’est que ça ne mangeait pas très proprement un loup…
Dissimulé dans ma cachette, je m’étais assis dans un coin de la cabine du capitaine. Ne pouvant rien voir de ce qui se passait au dehors, je me contentais d’écouter avec concentration le vacarme du combat naval qui faisait rage à l’extérieur. Je possédais une garnison de plus d’une vingtaine d’hommes, les derniers militaires ayant choisis de me rester fidèle jusqu’au bout. Ils étaient prêts à tout pour leur monarque et je savais que je pourrais me rendre jusqu’à mon lieu d’exil en toute sécurité. Cependant, si leur loyauté était en tout point admirable, je ne pouvais que craindre les conséquences qu’elle entraînerait. Je ne voulais pas que l’on souffre ou que l’on meurt en mon nom. Je ne méritais pas une telle ferveur de leur part ! Les hommes avec lesquels j’avais eu le plaisir de m’entretenir durant mon voyage était tous de braves Munchiens qui s’étaient engagés pour défendre leur patrie et leur famille. Ils désiraient tous défendre l’honneur de leur famille et leur pays. Ils espéraient que leurs actions héroïques pourraient rendre leurs enfants très fiers d’eux. D’un certain point de vue, je ne pouvais m’empêcher de les admirer. Leurs propos étaient si touchants. Je finis même par m’attacher aux hommes qu’ils étaient derrière leur cuirasse de fer. Ils se montraient d’une telle sincérité envers moi. Pourtant, j’étais persuadé qu’ils connaissaient mon point de vue sur la guerre et la violence. Depuis toujours je n’avais cessé de clamer que j’étais fortement opposé à l’idée de pouvoir régler nos problèmes par l’usage des armes. Les grands royaumes ne pouvaient être bâtis dans le sang et ceux qui l’étaient ne duraient jamais qu’un temps ! Mais pourquoi l’Homme ne pouvait-il se contenter de vivre en paix et en harmonie avec les autres membres de son espèce ?
Cette réflexion, je me la faisais tout au long de cette bataille que se livraient les deux navires. Témoin aveugle de ce carnage, je pouvais cependant entendre les coups de canons et sentir la coque du bateau être violemment pilonnée par ces pirates cruels. À tout moment, je craignais que la coque de notre navire ne puisse résister à l’impact. Mais elle tint bon ! Cependant la peur n’était rien en comparaison de la tristesse qui grandissait dans mon cœur à chaque fois que j’entendais un cri de vive douleur s’échapper de la bouche de l’un de mes hommes. Je ne pouvais supporter ces cris qui s’éternisaient et ne cessaient de raisonner dans ma tête. Ils me faisaient monter les larmes aux yeux tandis que les pirates montaient à bord du navire. De nouveaux sons, se firent alors entendre. Les éclats d’épées que l’on entrechoquait les unes contre les autres, les coups de feu tirés par des pistolets ou des mousquets. Je peinais bientôt à distinguer quoi que ce soit dans ce brouhaha incessant et assourdissant. La peur me saisissait lentement et je finis par me recroqueviller sur moi-même. Je sentais des larmes rouler lentement sur mes joues et je plaquais mes mains sur mes oreilles. Mon dieu, c’était fou de penser à quel point les montagnes paisibles de Münchia et le silence réconfortant de mes palais pouvaient me manquer ! Je me trouvais à présent loin, si loin de mon cocon adoré !
Après de très longues minutes de carnage qui m’avaient semblés durer des heures, le silence se fit bientôt entendre autour de moi. C’est avec la plus grandes des frayeurs que j’apprenais la victoire des pirates sur mes hommes. Nous étions tous perdus ! Paralysé par la peur, je ne trouvais plus la force de bouger un seul muscle. Soudainement, j’entendis quelqu’un pénétrer à l’intérieur de ma tanière. Cela signifiait-il que Wilhelm avait lui-même succombé à l’attaque ? Oh pitié Seigneur, faites qu’il ne s’agisse pas de ça ! Pas mon ami… Une voix féminine m’interpela alors. Elle savait que je m’étais dissimulé ici et espérait que son appel suffirait à me rendre. Qu’elle n’y compte surtout pas, je ne lui ferais pas ce plaisir. Elle finit par me trouver, bien dissimuler derrière une immense malle de bois. Relevant mon regard dans sa direction, je fus pris d’un frisson d’effroi en voyant le sang sur sa mâchoire. Le sang de mes hommes… celui de mes nouveaux amis…
Les larmes toujours au coin des yeux, je sortis de ma cachette et furieux me jeta sur elle. J’étais alors tellement en colère que je ne pouvais me maîtriser. Cet accès de violence ne me ressemblait pas véritablement. Mais comment aurais-je rester sourd à la douleur qui m’étreignait le cœur à la pensée de toutes ces personnes qui avaient risqués et donnés leurs vies pour moi ? La plaquant contre le paroi voisine, je lui lançais un regard des plus meurtriers. « Combien ? Dites-moi combien de personnes avez-vous tués sale monstre ? hein, combien ? » Puis soudain, je songeais à mon cher ami qui était peut-être blessé ou pire. Je relâchais alors mon emprise sur cette pirate. Me précipitant au dehors, j’aperçus tous les morts allongés sur le sol. Plaquant une main sur ma bouche pour m’empêcher de hurler, j’avançais sur le pont tentant d’ignorer les cadavres de mes soldats ou encore les pirates que je croisais sur ma route. Je finis par trouver mon vieil ami allongé sur le sol. M’accroupissant à ses côtés, je le pris entre mes bras. Par réflexe, je pris son pouls et me rendis compte avec soulagement qu’il n’avait été qu’assommer. Je l’appelais alors dans l’espoir qu’ils se réveillerait « Wilhelm ! Est-ce que tu m’entends ? Wilhelm… » mais le magicien ne me répondit pas. Le tenant toujours serré contre moi, je relevais un regard haineux vers les pirates victorieux.
Il était rare que je choisissais de faire un abordage sous forme lupine, mais je voulais m’assurer la victoire pour récupérer les vivres du navire pour mon propre équipage. Etre le capitaine d’un navire, c’était avoir la responsabilité de la survie de tous ses hommes, ce n’était pas toujours une tâche facile, mais je faisais de mon mieux. Jusqu’à présent, je n’avais jamais failli à ma tâche, j’ai toujours réussi à nous sortir de tous nos ennuis, et ce n’était pas demain la veille que je changerais ça. Le bâtiment marchand était la solution à nos soucis de pénuries de nourriture et de boissons, je ne privais donc pas de le piller. L’abordage se passa relativement bien. Mes matelots se battaient avec leur âme et le cœur, donnant le meilleur d’eux-mêmes pour mener à bien leur mission : tuer l’ennemi sans pitié. Il fallait se rappeler que c’était eux ou nous, il fallait tuer l’adversaire pour rester soi-même en vie, c’était la règle et on n’avait le droit de faire ce qu’on voulait pour réussir à mettre l’adversaire sur la touche. Tous les coups étaient permis, j’autorisais mes hommes à se battre comme ils le souhaitaient, comme je m’autorisais de me battre à ma manière, c'est-à-dire soi à l’épée, à l’épée ou aux coups de crocs. Aujourd’hui, j’avais opté pour la dernière option.
J’avais longtemps renié ma part animal, mais depuis quelques années maintenant je m’étais faite à sa présence. Je n’avais plus honte de ce que j’étais, au contraire j’étais bien contente de pouvoir me transformer en louve, ça m’avait permis de me sortir d’affaire à plusieurs reprise. Et étrangement, je me sentais plus vivante sous cette forme là. Les sons, les odeurs, les sensations étaient plus fortes et plus impressionnantes sous cette apparence, je percevais beaucoup mieux les choses ainsi. Autant dire que le massacre que je faisais, je le ressentais de tous mes nerfs. Chaque os brisé, chaque souffle expiré, chaque cri poussé me traversait et me faisait vibrer. Je n’étais pas une grande fan de tueries sanglantes, mais une fois de temps en temps, ça me faisait du bien… J’avais l’impression de pouvoir retrouver ma nature sauvage enfoui au plus profond de mon être. J’étais une louve que je le veuille ou non.
Sans oublier mon côté louve, j’étais aussi une pirate, mon cœur était ravi de voir que nous avions vaincu et que nous pouvions à présent nous servir comme bon nous semblait dans les calles et même surtout le navire. Pendant que mes hommes s’occupaient des biens importants, je partis examiner les différentes cabines, commençant par celle du capitaine. J’y trouvais un jeune homme trouillard, pleurnichant comme un enfant : pathétique. En me vouant, il se jeta sur moi, ça me fit doucement rire. Il avait beau être un homme, j’avais l’impression qu’il avait la force d’une enfant en colère… Contre le mur de la cabine, je le dévisageais d’un mauvais sourire.
- Combien ? Je laissais échapper un petit rire. Quasiment les trois quarts des hommes du navire. Et je suis pire qu’un monstre…
Soudain, il me lâcha pour aller sur le pont. Je levais les yeux au ciel et le laissais filer, il y avait mes hommes sur le pont de toute façon, l’enfant peureux n’irait pas très loin. En attendant, je restais dans la cabine du capitaine pour chercher quelques informations. Pourquoi un navire marchand était aussi bien gardé ? J’ouvrais tous les tiroirs, lisais toutes les lettres en diagonales et trouvais enfin l’explication de toute cette histoire… C’était vraiment très intéressant. Je pris la lettre et la fourrai au fond de ma poche avant de sortir. Le petit prince était sur le corps du vieux sorcier qui avait voulu me donner un mal de crâne.
- Votre majesté… Votre ami est juste assommé, il devrait s’en remettre.
Je me tournai vers mes hommes avec un grand sourire, attirant leur attention, je m’apprêtai à faire une grande annonce.
- Mes chers camarades, cette fois nous avons un hôte de marque ! Et j’ai besoin de vous pour savoir quoi faire de lui. Ce petit monsieur que vous voyez ici, entrain de pleurnicher sur son ami le sorcier est un monarque… Un monarque qu’on a évincé du trône. Que dois-je faire ? Tenter d’obtenir une rançon auprès de la partie de population qui croit encore lui ? Le tuer, pour nous éviter à tous le gibet ? Ou encore essayer de négocier avec lui, sa vie contre notre protection dans son royaume au cas où il retrouverait sa place ?
Les enchères étaient lancées. Certains voulaient le voir pendu pour venger tous ceux des nôtres qui ont perdu la vie sur terre. D’autre voulait bien tenter de négocier pour tenter d’avoir sa protection dans son royaume. Personnellement, je ne savais pas encore ce que j’allais faire de lui. Il me faisait foncièrement pitié, il avait si faible… Un enfant le corps d’un homme. Cet homme ne retrouverait jamais son trône, il n’avait la carrure et le charisme que devait avoir un roi… Je vins le voir et l’attrapais par les cheveux pour lui relever la tête.
- Dis-moi ce que tu veux que je fasse de toi… Je veux savoir ce que tu aimerais.
Dans un mouvement de colère terrible, j’avais plaqué mon adversaire contre la paroi de la cabine. J’espérais que ce geste désespéré, mêlant à la fois la tristesse et l’envie de revanche, pourrait m’aider à me débarrasser de cette boule de fureur qui bouillonnait au fond de mon estomac. J’avais beau posséder un corps aussi frêle et innocent qu’un cygne, il ne fallait pas oublier que tout comme cet animal jumeau de mon âme, j’étais capable des pires mouvements agressifs inattendus. « Et vous osez en plus me répondre ! Comment pouvez-vous être fière de vos actions, Madame ? Il n’y a aucune dignité à rechercher son honneur dans le sang. » Cependant, la femme devant moi ne semblait en rien impressionnée par mes mouvements de colère ou mes paroles. Cela n’était pas surprenant au fond ! Elle devait très certainement être habituée à faire face aux plus féroces des soldats. Or, je ne possédais ni leur force ni leur charisme. Il était donc inutile d’insister ! Je choisis donc de suivre les appels de mon cœur qui me menait tout droit vers cet ami auquel je devais tant.
Ne prêtant qu’une attention distraite aux pirates qui m’entouraient, je m’enquis de la santé du sorcier. C’est alors que j’entendis la voix de la femme monstrueuse s’élever à nouveau derrière moi. Elle m’interpela par l’appellation de « Majesté ». Je compris instinctivement que mon sort serait scellé dans quelques minutes. Depuis que nos chemins s’étaient croisés, elle s’était doutée de mon identité. J’avais pu le lire dans son regard auparavant. Cependant, elle en possédait maintenant la certitude. Je pouvais donc commencer à craindre pour ma vie. Une tête couronnée, même ayant perdu sa couronne, pouvait représenter une aubaine des plus estimable pour des bandits de leur espèce. Ils pouvaient tout à leur guise réclamer une rançon pour me libérer. Ils finiraient bien par trouver une communauté intéressée par la survie. Cependant, dans mon cas il n’en existait aucune ! Personne ne m’attendait plus désormais ni dans la capitale de Bravia ni dans le royaume de Münchia ! Je n’étais plus qu’un paria et un indésirable. Ce n’était d’ailleurs pas pour rien si le gouvernement s’était allié contre moi. J’avais eu ce malheur d’être destiné être un Roi sans posséder les capacités d’un véritable monarque !
En silence, j’entendais les propositions du capitaine féminin de cette bande de malfrats. Que devaient-ils faire de moi ? Un frisson parcouru mon échine alors que je réalisais que je pouvais mourir à tout instant. Après avoir demandé l’avis de son assistance, je vis le capitaine se rapprocher de moi. Comme une vraie Dame, elle me soumettait également à la question. Je me doutais bien que sa démarche n’avait rien de noble. Elle cherchait très certainement par orgueil à me mettre à genoux. S’attendait-elle à ce que je me mette à genoux devant elle pour espérer gagner sa pitié ? Non, je m’y refusais tout bonnement ! Je ne verserais aucune larme pour l’attendrir. Malgré tous mes malheurs, je restais un prince de la maison des Wilbrecht. J’étais peut-être, selon la propre opinion, une précieuse petite femmelette méritant à peine l’appellation d’homme, je conserverais toute ma dignité et jusqu’au bout.
La suivant du regard lorsqu’elle se plaça derrière moi, je la laissais tirer violemment ma tête en arrière sans exprimer la moindre résistance. Lorsqu’elle me posa la question fatidique, je pris quelques secondes pour réfléchir à ma réponse. Je repensais à toutes les victimes de ce carnage, toutes les personnes que j’aimais et que j’avais perdu dans mon exil. Je ne pouvais pas me permettre de les décevoir. Ce serait peut-être ici ma seule chance de prouver à tous qu’à défaut de posséder la force d’un roi, j’en détenais au moins le cœur. « Si cela ne tenait qu’à moi, Madame, je vous proposerais de choisir l’option numéro deux ! Mais il ne s’agit pas uniquement de moi ! Je vous prierais donc de m’épargner. D’une manière ou d’une autre, je trouverais le moyen de vous rembourser la dette que je vous dois !" Je me tus un instant avant de reprendre. « Mais après tout, je ne peux pas vous forcer à prendre la bonne décision. Quoique je puisse dire mon sort repose uniquement entre vos mains ! »
Oh ? C’était que ce petit monsieur pensait me faire peur ? Il était à peine plus fort que moi, une femmelette dans les vêtements d’un homme. La seule chose qui réussissait à faire, c’était me faire rire ! Je le repoussai légèrement en arrière en arquant un sourcil, sourire aux lèvres.
- Et pourquoi ne vous répondrais-je pas ? Oh mais je suis très fière d’être pirate ! Et ni vous, ni personne ne changera ça…
Un enfant, c’était un enfant qui criait son mécontentement. Je n’avais aucune admiration pour ce genre de personne, au contraire, je trouvais ça pitoyable ! Il sortit, sans doute pour aller voir l’étendu des dégâts. En attendant, je menais mon enquête je devais connaître le secret de ce navire marchand. Quelle surprise de découvrir que ce bateau transportait en fait un roi ! Certes, un roi déchu de son trône, mais un roi quand même. Ça expliquait tout ! Cette prise était très intéressante ! Je gardais toutes les preuves de l’identité du roi que j’avais trouvé dans mes poches et sortis de la cabine du capitaine.
Criant littéralement l’identité de notre prisonnier à mes hommes, je voulus lui faire comprendre que je savais tout, que je savais qui il était et que son sort reposait entre mes mains. Il y avait quelque chose de jouissif dans cette histoire. Moi pirate, qui avais vu des amis, des frères se faire pendre par la royauté, je pouvais aujourd’hui mettre un roi à terre et venger mes camarades tués par le sang royal ! Avant de prendre une décision hâtive, je demandais tout de même l’avis de mes hommes. Il y eut un débat de plusieurs minutes, tous avaient d’assez bon argument. Je ne savais pas moi-même ce que je voulais faire et puis, sans la moindre délicatesse, je demandai l’avis du principal intéressé qui semblait ne pas vouloir me céder un peu de lui, il essayait de faire la forte tête, mais j’étais plus douée que lui à ce jeu là, j’allais réussir à le faire céder, et à le voir s’agenouiller devant moi.
Il réfléchit pendant quelques secondes, puis je l’écoutais avec attention. Réfléchissant à ses paroles, je ne le lâchais pas pour autant. Que pouvait m’apporter ce monarque que je n’avais pas ? Il ne devait pas avoir grand-chose, ni trésor, ni royaume, ni autorité… Je ne savais vraiment pas quoi faire de lui. Je regardais mes hommes un par un, les interrogeant du regard.
- Mais c’est que notre petit roi est intelligent, il sait qu’il n’a pas d’autre choix que de subir ma volonté…
Qui avait-il de mieux pour mes hommes ? Si au moins je savais dans quel état était le royaume de notre victime, je saurais plus clairement ce qui était bon à faire… Je réfléchis. Essayant de poser le pour et le contre de chaque situation, en ayant en tête, le bien être de mon équipage. Et comment pouvais-je être sûr que ce roi tiendrait ses promesses ? S’il retournait sur son trône, il nous pourchasserait.
- Que pourrait m’apporter un petit roi de votre espèce ?
Autant poser la question, il aurait peut-être une réponse à m’apporter. Je voulais savoir ce qu’il avait à m’offrir avant de décider de son sort. Une autre idée me vint à l’esprit : je pouvais très bien le garder aux fers et me servir de lui quand j’en aurais besoin ! On ne savait pas de quoi la vie était faite, il pourrait très bien servir un jour…
- Autre question… Si je choisissais de vous laisser en vie, et libre. Qui me dit que je peux vous faire confiance ?
A sa réponse, je serrais les dents pour m’empêcher de parler. Ayant déjà eu un aperçu de l’extrême cruauté de ces pirates, je compris rapidement qu’il serait dangereux pour moi de les provoquer. Ma vie n’avait sûrement pas plus de valeur pour elle que celles des malheureux qu’elle venait de tuer. Combien de personnes faut-il tuer pour atteindre un tel degré de monstruosité, pour sacrifier toute part d’humanité ?
N’ajoutant pas un mot, je m’étais précipité sur le pont pour retrouver mon ami inconscient. La capitaine des pirates n’avait pas mis longtemps avant de rejoindre ses hommes restés sur le pont. Défiant chacun d’eux du regard, j’écoutais la pirate évoquer les différentes options de ce qui convenait de faire de moi. Me tuer ou me laisser en vie ? Elle semblait fortement hésiter. Dans une extrême cruauté, elle finit par me poser la question. L’idée de mourir ne m’effrayait pas mais elle était indigne des personnes qui avait tout risqué pour que je survive. Dans l’esprit de tout un peuple, je représentais le seul espoir d’arracher le trône du royaume de Münchia aux mains de la Reine des Glaces et du cruel baron von Rothbart. Je ne me sentais pas encore prêt à me battre. Mes forces m’avait abandonnée lorsque le malheur s’était abattu sur moi. Je ne comprenais pas ce qui pouvait leur faire croire que j’étais le Messie de qui que ce soit. Cependant, j’étais prêt à défendre ma vie à n’importe quel prix puisqu’elle valait si chère aux yeux de mes proches !
Fort heureusement, ces forbans semblaient ignorer la situation politique dans lequel se trouvait mon royaume. Sinon, ils n’auraient peut-être pas hésité à mettre fin à mes jours. Il fallait que je joue sur cet aspect. Je ne devais rien laisser paraître qui pourrait leur faire comprendre que je ne possédais plus rien. Ni or puisque les constructions de mes palais avaient ruiné mon royaume, ni pouvoir puisqu’on m’avait destitué de ce dernier. Je devais donc jouer très serré pour mener à bien ses négociations. Je me dégageais de son emprise, non pour autant relâcher le corps de mon ami. « Mon royaume est peut-être petit, mais il n’en est pas moins puissant. Ma voix a tout autant d’importance que celle de la plupart des autres souverains. Si vous acceptez de me laisser la vie sauve je ferais en sorte de vous rendre la pareille lorsque la potence vous attendra… Si vous désirez une preuve de ma bonne foi, allez fouiller dans mes malles. Vous y trouverez des timbales en argent de très grandes valeurs et portant mon chiffre royal. Ainsi, si vos juges viennent à douter de notre arrangement, ces dernières confirmeront vos dires. »
Il existait cependant une petite chance pour que l’un de ces pirates viennent à me reconnaître, il serait capable de vendre la mèche. Il me fallait donc leur promettre une récompense immédiate et qui ne dépendait pas de mon hypothétique retour sur le trône de Münchia. « En outre, l’homme que vous voyez entre mes bras est le sorcier Wilhelm, un mage très puissant de mon royaume. Si vous nous laissez la vie sauve à tous les deux, il réalisera l’un de vos souhaits les plus cher pour votre équipage et vous-même. » Cette petite ruse me permettrait par la même occasion de sauver la vie de mon ami qui était en danger tout au autant que moi. La capitaine me demanda seulement une preuve de confiance. « Madame, je déteste la violence sous toutes ses formes et il n’est pas dans mes habitudes de condamner les gens à mort. Croyez ne la parole d’un homme d’honneur !» Vous en avez-si peu autour de vous, étais-je tenté d’ajouter dans un murmure.
Qu’allais-je donc pouvoir faire d’un roi déchu de son trône ? Ce jeune homme ne me servait à rien, et je le trouvais pathétique. Autant mettre fin à ses souffrances et à ses espérances de royauté maintenant, ça lui épargnerait des combats inutiles. Qui voudrait de lui comme souverain ? Pas moi en tout cas. Il était un enfant pourri gâté avec des rêves enfantins. Il était fini, jamais il ne retrouverait sont rôle et ses pouvoirs d’autrefois. En tout cas, c’était ce que je pensais.
Mes hommes et moi-même étions partagés sur le sort à réserver à notre petit roi de pacotille. Peut-être nous servirait-il en restant en vie, mais il était également un danger : il pouvait très bien nous dénoncer au prochain port où il s’arrêterait. Je devais penser à ce qu’il y avait de mieux pour mes hommes, pour ma famille de substitution… J’écoutais le plaidoyer de mon prisonnier avec attention. Un sourire mauvais se dessinait sur mes lèvres, je bouillonnais intérieurement. Il me prenait pour une idiote ! Les lettres que j’avais trouvées dans la cabine du capitaine me disaient clairement que ce roi avait tout perdu, qu’il n’était plus rien. Il osait me mentir ? A moi, Anne Bonny ? Il allait le payer cher. Instinctivement, ma main alla se poser sur le pommeau de mon épée. Je ne la tirai pas, j’attendais que ce petit menteur finisse de se défendre et de plaider sa cause.
- Tom ! Va chercher ses timbales ! Maintenant ! Criai-je.
Je n’étais plus aussi calme qu’au départ. J’étais furieuse. Doucement, je me penchai à l’oreille de mon petit roi.
- Chère majesté… Je connais votre petit secret… Les lettres de votre capitaine sont très claires. Vous n’avez plus rien et vous n’êtes plus personne. Je devrais vous couper la tête pour m’avoir menti… Ici et à maintenant, j’ai tous les pouvoirs. Ici et maintenant, c’est moi la reine… Ma voix était glaçante…
Doucement, je me redressai. Le tuer ou pas ? Telle était la question. Je me demandais alors s’il n’aurait pas quelque chose d’autres à offrir et si nous pouvions également lui faire confiance. Question stupide, qui irait me répondre « non » ? ça me faisait gagner du temps, et je pourrais ainsi réfléchir à ce que je voulais vraiment. Le roi me parla de son ami le magicien, je fis doucement non de la tête.
- La magie a toujours un prix. Et nous ne manquerons de rien. Je ne prendrais pas le risque de perdre quoi que ce soit pour de la magie. C’est jouer avec des forces que nous ne connaissons pas et qui pourraient se retourner contre nous. Hors de question. Entre ce que vous dites et qui vous êtes réellement, je dois avouer que je préfère rester méfiante, on ne peut avoir confiance en personne.
C’était décidé, cet homme allait perdre la vie aujourd’hui, je me tenais à mon idée de base : pas de quartier. Mes doigts se resserrèrent sur mon épée quand je sentis soudainement un regard sur moi. Je relevais la tête et vis Billy. Il me fit doucement non de la tête et j’essayais de comprendre pourquoi. Ses yeux me disaient beaucoup de chose : ça n’en valait pas la peine, cet homme n’était pas obligé de mourir, ça serait un meurtre gratuit. Soudain, j’hésitais. Pouvais-je me permettre une telle chose devant Billy ? Lui qui avait beaucoup de difficulté à se contrôler et à qui j’interdisais de faire du mal gratuitement… ça serait lui montrer le mauvais exemple que de tuer ce roi maintenant et sans aucune raison réellement valable. Je soupirai, contrariée et levai ma main de mon arme.
- Bon… très bien. Je vous accorde la vie, à vous et à vos homes encore en vie… En échange de ce que vous pourriez nous apporter si vous retrouver votre trôner Ludwig Schwarzenberg… Mais je vous conseille de ne pas rencontrer une nouvelle fois ma route.
J’ordonnais aux hommes de prendre les vivres dont nous avions besoin tout en laissant de quoi subvenir aux besoins du reste de l’équipage du bâtiment que nous venions d’aborder. J’étais face à un véritable cas de conscience, partagé entre ce que je voulais et ce qu’il y avait de mieux pour Billy, mon jeune protégé à qui je voulais éviter tout débordement de violence…
Dernière édition par Anne Bonny le Sam 5 Aoû - 11:27, édité 1 fois
Les négociations se passaient très mal. Je ne parvenais pas à reprendre le dessus et il me semblait que la moindre parole ou la moindre action ne pourrait qu’aggraver encore plus mon cas. Après tout, il ne pouvait y avoir de réelles négociations que si l’on possédait quelque chose. Or, je n’étais plus Roi et tout ce qui avait de la valeur pour moi qu’elle soit financière ou affective m’avait été prise. Il ne restait plus que quelques objets rares que Sebastian avait eu la bonne idée d’emporter avec nous dans la précipitation de notre fuite. J’avais donc parlé au capitaine des timbales que j’avais emportées avec moi, un gage de confiance et une garantie de pouvoir les sauver au cas où les circonstances les plaçaient en danger de mort. Mais la pirate n’avait pas été dupe, elle savait que j’avais perdu le trône de Münchia et que je ne le retrouverais probablement jamais. Si elle avait demandé à ses hommes d’aller chercher mes timbales c’était uniquement comme un lègue que j’aurais pu coucher sur mon testament. Immédiatement après avoir donné son ordre, elle s’était abaissée vers moi et m’avouais avoir lu avec intention les lettres du capitaine. Je n’étais pas même au courant de ces lettres de marque. Quelle espèce d’idiot avait pu rédiger un discours aussi révélateur ? Pourquoi y apposer tant de détails ? Je compris dès lors qu’il était trop tard. Ma vie ne tenait plus qu’à un fil. Cependant, je n’étais pas prêt à abandonner tout à fait la vie… pas pour le moment tout du moins !
Proposant à la pirate les services de mon magicien, cette dernière refusa tout bêtement. On ne pouvait faire confiance à personne, prétendait-elle ! Je compris dès lors que mon sort était scellé. J’étais condamné et regardait avec regret la main de la pirate se poser sur son épée. Abaissant mon regard, je sentais des larmes envahirent mes yeux. J’étais incapable de les cacher. A quoi bon d’ailleurs puisque je m’apprêtais à mourir ? Je gardais cependant toute ma dignité et serrait mon ami contre mon cœur. Je regrettais tellement ce qui arrivait à présent. Je pensais à toutes ces personnes qui avaient sacrifier leur vie pour moi… leur vie pour rien ! Gardant une posture aussi humble que possible, je me préparais à recevoir le coup de grâce. Il n’arriva cependant jamais. Relevant mon regard, je suivis celui du capitaine qui s’était posé sur un jeune homme. A cet instant, je compris rapidement que sans le regard échangé entre la pirate et son protégé, je n’aurais certainement pas eu ce moment de répit. Soudainement, je sentis le corps de Wilhelm s’agiter entre mes bras. Il semblait perdu et un peu choqué du fait de sa blessure. Il m’interrogeait sur la raison de notre présence sur ce bateau. Je tentais de le lui expliquer du mieux que je pouvais, murmurant à son oreille pour que cette petite parenthèse ne vint pas briser la bonne résolution de ses forbans. Le capitaine déclara alors qu’elle acceptait de me laisser la vie sauve ; à moi et à toutes les personnes encore vivantes qui m’avaient suivi dans cette aventure. Je poussais un soupir de soulagement, si heureux de savoir qu’aucune vie n’était plus en danger.
Cependant, il restait un problème à résoudre et de taille. Comment pourrait-on s’y prendre pour rejoindre le Chapelier Fou ? Notre bateau nécessitait bien plus d’hommes pour être manœuvrés que les survivants. Incapable de réagir, ce fut une fois de plus grâce à une intervention extérieur que je conservais la vie. Wilhelm se releva avec peine et je l’y aidais. Il se tourna vers le capitaine et déclara « Madame, nous vous remercions grandement pour la faveur de nos vies que vous nous avez accordés ! Cependant, nous souhaiterions négocier avec vous notre passage pour le Pays des Merveilles. Mon Roi ne vous a pas tout dit… il reste encore une chose que nous pourrions nous donner. Une chose que j’ai donné au capitaine de ce navire pour négocier notre voyage. » Avec peine, il prit appui sur mon épaule et nous nous dirigions tous deux vers la cabine du capitaine. Il en profita pour me parler de son plan que je trouvais très bon. Me demandant de l’aider à porter une caissette, nous retrouvions nos potentiels ennemis sur le bord. En l’ouvrant, il fit découvrir des instruments de marine de dernière technologie et une immense libre comprenant les cartes du Monde des Contes. Il comprenait également des cartes d’îles sur lesquelles étaient marquée des croix et des instructions ; il s’agissait d’un livre de cartes au trésor. « Voici des instruments de navigations fabriqués par les meilleurs ingénieurs de notre royaume. C’est notre dernière technologie navale… et ce livre est un présent d’un très grand explorateur et collectionneur qui a passé sa vie à sillonnés les mers aux côtés des plus grands corsaires. Il a regroupé des cartes de ces derniers indiquant les cachettes de différents trésors qu’ils avaient eux-mêmes enterrés. Nous vous les offrons en échange d’un voyage sur votre bateau. Qu’en dites-vous ? »
Le poids de ma conscience me faisait douter. Que devais-je faire de ce roi sans trône ? Personnellement, si ça ne tenait qu’à moi, je l’aurais tué. D’un seul coup, je lui aurais coupé la tête pour l’offrir à son magicien, ainsi ce dernier pourrait en faire ce qu’il voulait : pleurer dessus ou peut être en faire un trophée, qui sait ? Les magiciens avaient parfois de drôles d’idées. Ma magie n’apportait jamais rien de bon avec elle, il y avait toujours un prix à payer et souvent, le prix était très élevé. J’en savais quelque chose. Je n’avais pas grande confiance en ceux qui pratiquaient la magie, il m’arrivait parfois de faire quelques exceptions, mais je n’en ferais pas une avec celui qui avait voulu me tuer et que l’un de mes hommes avait assommé ? Ça serait stupide.
Mais là n’était pas mon plus gros problèmes, mon souci était la vie de ce monarque déchu. Il pouvait très bien m’apporter quelque chose s’il venait à récupérer son trône un jour, mais pour le moment, il ne servait à rien. Ce fut le regard de Billy qui m’avait fait hésiter. Pour lui, je ne devais pas tuer ce roi, pour sa conscience et pour son opinion à mon sujet - peut-être. Il avait quelques soucis avec la violence dirons nous. J’essayais de lui apprendre à avoir une certaine morale et un certain contrôle sur lui-même. Je ne lui donnerais un mauvais exemple en tuant cet homme frêle et fragile sur un coup de tête sans doute. Mais je ne voulais pas prendre le risque d’avoir un jour un roi sur le dos. La royauté et la piraterie ne faisaient pas bon ménage. Le regard de mon jeune mousse était cependant très insistant. Arg ! Des fois, il m’énervait ! Il me servait presque de bonne conscience.
Laissant l’épée dans son fourreau, je me résignais à tuer tout ce beau monde. Ils avaient tout intérêt à remercier Billy O’Brien. Sans lui, ils seraient tous morts. Je m’écartais alors du roi et de son magicien, afin d’éviter d’avoir une nouvelle pulsion meurtrière. Je fis l’annonce officielle que je laissais la vie à ces hommes avant de menacer le roi de ne plus jamais croiser mon chemin. A notre prochaine rencontre, il ne survivrait pas, ça, c’était sûr. Et même Billy ne me ferait pas changer d’avis. Je retournais vers mes hommes quand le sorcier se releva et m’interpella. Je me contentais de tourner la tête pour l’écouter.
Il voulait que je les emmène au Pays de Merveilles. Sacré voyage quand même, et je n’aimais pas cet endroit. Ça regorgeait de magie par là-bas me semblait-il. Mais apparemment, il avait de quoi me payer. Je fis signe à mes hommes de retourner sur le Revenge, mais gardais quand même un matelot à mes côtés. Il ne fallait jamais être seul face à l’ennemi. Nous retournâmes vers la cabine du capitaine. Je les laissais sortir une malle et regardais ce qu’il y avait à l’intérieur. Tous les instruments de navigation dont pouvait rêver un marin, étaient réunis dans ce coffre. Ils étaient tous en parfait état, sublimes.
J’écoutais avec attention les explications du magicien. Ce matériel était tout neuf, il s’agissait des dernières technologies de son royaume. Il y avait également un livre d’un explorateur. Je pris le vieux bouquin et feuilletais quelques pages avec attention. Il pourrait en effet nous servir, et ça ferait de la lecture pour Billy, il serait ravi. Je jetais un œil à mon matelot qui regardait avec admiration tout le beau matériel. Ça serait dommage de perdre tout ça quand même…
- Très bien… Nous vous emmenons en échange de tout ce matériel… Acceptai-je.
Mon membre d’équipage prit le coffre qu’il emmena sur notre navire. Je fis une nouvelle annonce pour expliquer à tout le monde que nous avions de nouveaux passagers mais également une nouvelle destination. Parfois, je me trouvais bien gentille pour une pirate sanguinaire. Ce n’était pas la première fois que j’aidais quelqu’un alors qu’habituellement, ce n’était pas dans mes habitudes. Normalement, je pensais d’abord à moi et à mon équipage. Et qui savait ce que nous allions rencontre au Pays des Merveilles. J’y mouillerais juste pour faire descendre ses voyageurs, ensuite je retournerais au large pour reprendre les mers que je connaissais par cœur et pourquoi pas, trouver les trésors que mes nouvelles cartes m’indiquaient. Ça ne faisait jamais de mal de renflouer les caisses et d’avoir plus de biens. Mes hommes pourraient ainsi se divertir, se faire plaisir. Et moi, mes économies seraient encore plus grandes, bien évidemment, je comptais me faire plaisir aussi.
Une fois sur le Reveng, je pris les commande et mis le cap vers le Pays des Merveilles. C’était le bon moment pour sortir le nouveau matériel de navigation afin de voir ce qu’il valait et peut-être arriver plus aisément à destination et ainsi me débarrasser de cette corvée !
En avant pour un nouveau voyage et de nouvelles aventures !