- Oui, on est bien installée.

Bon, le trot n’était pas l’allure la plus confortable, elle était très sautée et j’avais l’impression de rebondir sur mes fesses, mais c’était l’allure la plus pratique. Ni trop lente, ni trop rapide, elle nous permettait d’avancer dans notre voyage tout en ménageant notre monture.

Tranquillement, il reprit son histoire. Comme la veille, je l’écoutais avec beaucoup d’attention. C’était toujours aussi fascinant. Je pouvais imaginer les scènes de combat sous mes yeux, la prise du navire, l’arrestation du capitaine.

- C’est quoi le « bastingage » ?

Certains mots de vocabulaire m’échappaient encore. Je voyais des bateaux dans les livres, de loin mais je ne m’en approchais pas… A part les mâts, les voiles et la coque, je ne connaissais pas grand-chose…

- Les marins ont peur de toi maintenant ?

Et il avait raison, des fois, il fallait savoir ce contenter de ce qu’on avait. Le bâtiment ennemi avait le plein de marchandises, mais il en voulait plus. C’était pour cette raison qu’il s’en était pris au navire de Killian. Il avait perdu la bataille, et tout le reste.

Je voulus demander quelque chose, mais le pirate changea de direction et nous nous retrouvâmes dans les fourrés, cachés sous sa cape. Il me demanda de ne pas bouger. Je m’exécutais… Ce n’était pas papa… Mais ils étaient nombreux… On fait quoi ? Ce que dit Killian. Je sentais mon cœur battre la chamade, j’avais peur qu’on se fasse prendre ou arrêter… J’entendis les voyageurs s’arrêter et la porte de calèche s’ouvrir. J’avais très envie de lui demander ce qu’on devait faire, mais je savais qu’il ne fallait pas faire de bruit et qu’il ferait ce qu’il fallait.

 


Tout en racontant mon histoire, j’oubliais qu’elle n’était pas coutumière du langage maritime.
Je tentais de lui expliquer au mieux.

« Le bastingage c’est le parapet qui entoure le pont du navire, ce qui évite que l’on tombe à l’eau. C’est un peu un muret de bois qui nous permet de vivre sur le pont sans avoir le vide juste au bord. »

Antonia semblait toujours aussi passionnée. Elle était très attachante.

« Peur ? »

Je souris de toutes mes dents.

« Je suppose que certaines personnes ont peur de moi. Un capitaine fait toujours peur. Et je commence à me tailler une certaine réputation. »

Je n’étais pas peu fier. Je cherchais à poursuivre l’œuvre de Liam.

« Mon équipage me fait confiance. »

L’arrivée des voyageurs et de leur escorte mit fin à  notre conversation.
Camouflés par la végétation, j’espérai qu’ils ne s’arrêtent pas, malheureusement mes espoirs furent déçus.
La calèche couverte arrêtée. Une femme d’un certain âge en sorti alors que les trois cavaliers qui l’escortaient mettaient aussi pied à terre.

Me penchant sur le cheval, je caressais doucement sa tête pour qu’il reste calme. De mon autre bras je serais la fillette contre moi et lui murmurais à l’oreille.

« Surtout ne fait pas de bruit. »

L’un des hommes vint non loin de nous uriner. Je me mordis la lèvre pour ne pas rire. Patiemment, nous attendîmes que leur pause soit terminée. Enfin, quand ils repartirent et qu’ils se furent suffisamment éloignés, je nous fîmes ressortir de notre cachette.

« Hé bien !  Heureusement qu’il n’a pas fait deux pas de plus ou il nous aurait pissé dessus ! »

J’éclatais de rire.
Flattant la tête du cheval, je repris mon sérieux et m’inquiétais d’elle.

« Ca va ? Tu n’as pas eu trop peur ? »



 

 
J’écoutais avec attentions ses explications, essayant de comprendre ce que c’était que le « bastingage ». En hochant la tête, je lui fis comprendre que j’avais compris. Si l’occasion se présenterait, j’irais chercher des schémas de bateau avec des explications, comme ça, la prochaine fois que je le verrais, je lui montrerais que j’aurais appris des choses sur son univers, son monde à lui. ça peut être très intéressant. Et ça pourrait nous servir si un jour, on décide de partir. On ne partira pas !

Bizarrement, je ne pouvais pasm' imaginer avoir peur de lui. Il était tellement gentil. Sans doute était-il très différent en mer. Son récit montrerait qu’il était un véritable pirate, et pas un simple gentilhomme qui aide les petites filles perdues… Je l’aimais beaucoup quand même.

- D’accord. Répondis-je en souriant.

Petit instant de frayeur. Il y avait une calèche qui s’était arrêté. Killian essayait de nous cacher alors que le cortège faisait une petite pause. De toute évidence, il y avait des soldats qui avaient besoin de faire pipi, et la dame à l’intérieur de la voiture voulait se dégourdir les jambes. Je crus un instant que nous allions nous faire voir quand un cavalier s’approchait pour se soulager. Mais heureusement, il était resté à une certaine distance. Au bout d’un certain temps, ils partirent. Je pus enfin soufller…

- Ce n’est pas très poli de faire pipi sur les gens… Fis-je remarquer avec un petit sourire.

Il plaisante Antonia… Et surtout, s’il vous aurait pissés dessus, il vous aurait vus. C’est ça le vrai problème. Mais nous avons eu de la chance. Tu as raison…

- J’ai cru qu’ils allaient nous voir… Mais non, alors ça va.

J’avais retenu mon souffle quand ils avaient été là… Je devais avouer que j’avais eu peur, sauf que je me savais en sécurité avec Killian.

- Je n’ai pas eu très peur, parce que tu étais là… Et que je savais que tu nous protégerais.

 


Sa remarque me fit éclater de rire.
Poli ? Je doutais que ce genre de personnage ne le soient le moins du monde.

«  Je crois que la politesse est le cadet de ses soucis. »

Elle avouait néanmoins avoir eu légèrement peur. Sa confiance me touchait sincèrement et reprenant mon sérieux, je hochais la tête.

« Oui, je vous protègerai autant que je peux. Toutes les deux. »

Reprenant le chemin, et portant l’allure en un trot rapide, je lui murmurais en la serrant contre moi.

« Nous nous arrêterons dans une heure pour manger et nous dégourdir les jambes puis nous reprendrons la route. Si tout va bien nous arriverons à la nuit tombée, ce qui sera plus facile pour te déposer et éviter que je ne me fasse attraper. »

Je comptais bien la déposer au pied de sa maison pour lui éviter des ennuis. Je resterai tapis dans l’ombre jusqu’à ce qu’elle soit entrée dans la demeure de son père.
Puis je me trouverai un endroit pour dormir à la sortie de la ville et reposer ma monture. Demain, je repartirais pour revenir décrocher le cadavre de mon matelot et lui donner une mise à l’eau de pirate.
Impétueux, il ne réfléchissait pas toujours et c’est ce qui l’avait conduit à se faire attraper mais je l’aimais bien. Et tous les hommes et femmes de mon équipage savaient qu’ils pouvaient me faire confiance et se reposer sur moi.

Après avoir déjeuné de pain et de fromage nous avions repris la route et si nous nous étions arrêtés encore deux fois pour laisser passer d’autres voyageurs, aucun ne s’étaient approchés de trop près.

La nuit tombée, nous entrâmes d’un pas mesuré dans la ville où résidait son père. Le juge Frollo.
Doucement, je lui demandais.

« Tu peux indiquer le chemin jusqu’à ta maison ? »


 

 
C’était pourtant important d’être poli… Mais Killian avait sans doute raison, le garde se fichait des règles de politesse. Il ne fallait pas qu’il rencontre mon père, sinon, il lui ferait comprendre quelles étaient les règles pour vivre en société. Le juge était très à cheval sur le savoir vivre. Il est  à cheval surtout tu veux dire… Si tu ne respectes pas les règles, et même quand tu les respectes, tu te fais punir. Mon père était juste, il faisait son travail. Il pouvait se montrer sévère, mais c’était pour la sécurité de Camelot. S’il protégeait la ville, Killian promit de nous protéger, Arsène et moi.

- Merci Killian… Et merci de ne pas oublier Arsène.

Oui… C’est gentil de se rappeler que j’existe.
Le pirate fit trotter son cheval en me serrant contre lui. Il m’expliqua l’organisation de la journée. J’hochais la tête pour lui dire que j’avais compris. J’espérais vraiment qu’il n’allait pas se faire attraper. Il pouvait me déposer à l’entrée de la ville, je saurais rentrer toute seule. Et les habitants me connaissaient, personne n’oserait me toucher. Enfin, je crois… Mais il semblait déterminé à me déposer juste devant la maison. Je ne pouvais pas le contredire.

Tout se passa comme prévu. Nous n’avions rencontré que quelques voyageurs qui ne s’étaient jamais aventurés à s’approcher de nous. Nous avions pu manger tranquillement. Le voyage du retour passa plus rapidement que le chemin de la fugue. On a majoritairement marché, c’est pour ça. A cheval, ça va plus vite… ça veut dire qu’on va bientôt dire au revoir à Killian… Oui…

Lorsqu’il faisait tout noir. Nous arrivions à Camelot. Papa allait être très fâché… Et j’avais toujours peur qu’il fasse arrêter mon nouvel ami. La meilleure solution, ça ne serait pas de partir… ? Pour la première fois, j’hésitais.

- Il faut vraiment rentrer maintenant ?

Quand il me demanda le chemin pour la maison, je ne pus m’empêcher de lui indiquer la route quand même. On avait l’une des plus grandes maisons de la ville.

- C’est par là… Mais je n'ai pas envie de te dire au revoir…

Doucement, je lui expliquais comment rentrer.

 



Je trouvais normal de ne pas oublier Arsène.
Arsène et Antonia n’étaient qu’une seule et même personne. Deux âmes indissociables dans un  corps unique.

Sa voix semblait chargée de tristesse et de peur à l’idée de me quitter et je sentis mon cœur se serrer.
Il n’aurait pas été prudent de l’emmener avec moi et pourtant j’étais tenté.

« Si tu n’es pas sûre de vouloir rentrer chez toi, nous pouvons trouver une autre solution. »

Je me doutais qu’elle devait être terrorisée à l’idée d’affronter son père. Comment réagirait-il après sa fugue et pire encore, après nous avoir vu ensembles dans l’auberge si c’était bien lui.

Courageuse, elle m’indiqua le chemin à prendre pour parvenir devant la maison de son père.

Guidé par ses indications, je parvins jusqu’à elle. A travers les rideaux des fenêtres, de la lumière indiquait que quelqu’un veillait. Faisant s’arrêter notre monture, je gardais le silence quelques instants avant de murmurer.

«  Nous sommes arrivés. »

Cela me pinçait le cœur d’imaginer ce qui allait maintenant lui arriver. Réprimande ? Punitions ? Hurlements ? Peut-être même des coups. Je ne pouvais l’accepter.

« Réfléchis Antonia. Si tu ne veux pas retourner chez ton père, je peux t’emmener avec moi à bord du Jolly Roger. »

Je m'adressais à Antonia car je savais qu'Arsène serait pour mon idée. J’avais pris ma décision. Si elles le souhaitaient, je leur offrirais le gîte et le couvert.

« La vie ne sera pas facile, mais mon équipage est mixte, et de nombreuses femmes pirates vivant à bord seraient prêtes à prendre soin de vous. »

Réaliste, je précisais néanmoins.

« C’est dangereux, néanmoins je serai là et je ferai tout pour vous protéger. »

Il était difficile de demander à de si petites filles de déjà choisir leur destin, mais je ne pouvais le faire à leur place.


 

 
Mais comment quitter mon père ? Malgré tout ce que pouvait dire Arsène, je l’aimais. Il était ma seule famille avec ma sœur. Bien sûr que j’avais peur de rentrer, mais je ne pouvais pas fuir. Bien sûr que tu peux, tu peux même fuir avec Killian. Comme ça, on n’aurait même pas à lui dire au revoir. Mais, et papa ? On ne va pas lui manquer, il nous envoie au pensionnat, et on n’est pas souvent avec lui…

- Je ne peux pas partir…

J’entendais Arsène pester contre moi. Mais c’était comme ça, je ne voulais pas partir de la maison. Mon père allait me manquer. Aussi sévère soit-il. Alors je lui indiquais le chemin jusqu’à la maison. Tout en montrant la route au pirate, je discutais avec Arsène qui était pour l’idée de nous en aller. On ne serait pas dans le même corps, elle serait partie avec Killian, et je serais restée avec notre père. On se serait séparée… Sauf qu’en partageant le même corps, l’une devait céder à l’autre.

Notre grande demeure finit par se dresser devant nous… Signe que c’était la fin de notre périple et l’heure des adieux. Le capitaine me demanda de réfléchir, me proposant de venir avec lui sur son navire. L’idée était alléchante… Restée avec quelqu’un qui était gentil avec moi, qui me faisait plaisir. S’il te plait Antonia… Partons avec lui…

- Arsène veut venir avec toi… Mais on ne peut pas laisser mon père tout seul, même si j’aimerai rester avec toi aussi…

Je ne savais pas quoi faire, quoi décider… Enfin si, j’avais décidé de rentrer, mais Arsène ne le voulait pas. Des larmes commencèrent à perler au coin de mes yeux. Je ne voulais vraiment pas dire au revoir à Killian. Tu nous fais du mal pour rien ! On pourrait partir avec lui !

Je suis Arsène.

- Je ne veux pas rentrer, Killian. Emmène-moi avec toi. Je m’en fiche que ça soit dangereux !

Je n’avais aucune envie de rentrer. Cette idée me terrorisait autant qu’elle terrorisait Antonia…

 


Antonia. Toujours sage. Toujours prudente.
Je trouvais normal ses réserves même si ses raisons n’étaient pas bonnes.
Laisser son père tout seul. Mais il l’était déjà. Seul et aigris. Ce qui faisait qu’il ne profitait pas de sa petite fille si adorable.

Arsène aurait voulu me suivre. Je n’en doutais pas. Elle aurait fait une super pirate. Courageuse, téméraire et débrouillarde.

Soudain elle prit le dessus. La chevelure d’or fit place à celle couleur nuit.
Sa détresse était palpable. Je ne pouvais l’ignorer.

Les sourcils froncés d’inquiétude, je lui dis.

« Il faut qu’Antonia aussi soit d’accord. »

Il était impossible de forcer le choix de la fillette. Même si en vérité tout comme sa sœur elle souhaitait partir et m’accompagner.

« Si vous êtes toutes deux partantes, on fait demi-tour et l’on file à mon navire. »

Je reviendrais ensuite m’occuper du corps du matelot. Je la cacherai dans ma cabine le temps de faire le nécessaire pour charger les provisions et finir les réparations à bord, puis après avoir offert son dernier voyage au cadavre de mon comparse, je mettrai le cap loin de Nottingham et de Camelot pour ne plus avoir à faire avec le juge Frollo.

« Il y a de nombreux paysages et personnes à rencontrer. Vous vivrez de merveilleuses aventures. »

Elle pourrait aussi garder sa poupée.

« Je vous ferai couper une tenue digne d’une pirate ! »

Je l’imaginais déjà à mes côtés sur le pont, tenant la barre.

« Je t’apprendrai à manier l’épée. »

Je nous voyais déjà parcourant les sept mers, apprenant toutes les ficelles du maniement d’un navire. Grimpant à la vergue pour monter tout en haut du mât et voir loin l’horizon.

Distrait à la pensée de tous ces projets, j’avais baissé ma garde et je ne pris  que trop tard conscience de la présence de plusieurs ombres qui s’étaient approchées.


 

 


Stupide idiot que j’étais !
Tout à chercher à la rassurer, j’avais abandonné les plus simples principes de précaution. Nous offrant ainsi en cibles de choix.

Soudain jaillirent de toutes part les gardes, l’un d’entre eux se plaçant devant le cheval fit de grands mouvements avec ses bras et avec sa cape effraya notre monture qui se cabra nous jetant au sol.
J’avais entouré de mes bras Antonia et m’était laissé tomber sur le dos pour amortir sa chute craignant qu’elle ne soit blessée.

A peine au sol, ils nous étaient tombés dessus pour nous séparer.
Aurais-je été seul que j’aurais joué de l’épée ou du pistolet pour m’en sortir, mais là je ne voulais risquer le tout pour le tout  car la fillette risquait d’être blessée. Voire pire.

Promptement ligoté, ils étaient entraînés et avaient bien préparé leur guet-apens, deux d’entre eux avaient des torches et éclairaient le visage effrayé de l’enfant. Avant qu’elle ne puisse parler, j’annonçais d’une voix forte pour que tous l’entendent.

« Elle n’a rien fait. Je l’ai enlevé et je l’ai ramené pour obtenir une rançon ! »

Je savais sceller ma condamnation, mais de toute façon elle était acquise, autant que l’un de nous seul tombe.
Relevé, je vis arriver celui qui causait nombre de cauchemars aux pirates, aux brigands et aux quidams en général.

La mâchoire serrée, je l’observais s’approcher avec cet air suffisant qui le caractérisait. Tout en lui donnait envie de vomir. Son arrogance, la cruauté dans son regard.

Un homme ramassa la poupée tombée au sol et la lui tendit.
Je me contrôlais pour ne pas chercher à la reprendre c’était inutile.
Les yeux brillants de fureur, le défiant du regard, je répétais.

« Comme je l’ai dit à vos larbins, votre fille était mon otage. C’est moi qui l’ai enlevée au pensionnat pour en exiger une rançon. »