Tant de promesses, tant de choses à voir et à découvrir. Je ne comprenais pas pourquoi Antonia ne voulait pas tout quitter pour partir avec Killian. La vie serait sans doute plus dangereuse, mais nous serions tellement plus heureuses. On ne peut pas abandonner papa ! Bien sûr que si on peut ! Elle était parfois butée et insupportable ! Derrière l’enfant sage, il y avait une vraie tête de mule !

- Antonia ne veut pas abandonner notre père…

Pas de réponse possible de la part de Killian. Des gardes sortirent de nulle part, nous encerclant. Un homme se plaça devant le cheval pour lui faire peur. Ce dernier se leva sur ses postérieurs, fouettant l’air avec ses antérieurs comme pour essayer d’effrayer l’ennemi alors qu’il était terrorisé. Ce brusque mouvement nous éjecta sur le sol. Le pirate était tombé sur le dos, et moi sur lui, m’épargnant ainsi quelques blessures.

Accrochée à lui, je me débattais lorsque les gardes voulurent nous séparer. C’était le début de la fin. Killian allait sans doute se faire arrêter et juger. Notre père n’était guère connu pour sa clémence… Arsène ! Tu dois faire quelque chose ! Sauve le ! Mais comment ?! Laisse-moi réfléchir ! Que pouvait faire une enfant contre le juge Claude Frollo ? Il fallait trouver une solution, et vite. Soudain, j’entendis le marin se dénoncer.

- Non ! Ce n’est pas vrai ! J’ai fugué ! Criai-je à plein poumons.

Il était hors de question qu’il se fasse condamné pour des actes qu’il n’avait pas commis.

Les gardes m’avaient remise sur pieds, et je regardais Killian se faire ligoter. Impuissante. La poupée était le cadet de nos problèmes, alors je n’y fis pas attention. Ce fut à ce moment là que notre père arriva.

- Je me suis enfuie ! J’ai obligé Antonia à partir du pensionnat ! Le capitaine Jones nous a sauvées et nous a ramenées à la maison ! Laissez le partir ! Hurlai-je à mon père.

Je n’avais jamais été polie et respectueuse envers lui. Ce n’était pas aujourd’hui que ça allait commencer.

 


Cela me révulsait de le voir ainsi parader.
Que n’aurais-je donné pour me battre contre lui à l’épée. Quel que soit son niveau. Au moins n’aurais-je pas été lié comme un saucisson et impuissant devant la détresse d’Arsène et d’Antonia.

Pourquoi n’avait-elle pas joué le jeu ?
C’était l’option la plus intelligente.
Tout comme moi, elle avait laissé parler son cœur et son père s’en moquait. Pire il s’en servait contre nous.

Je le fusillais du regard tandis qu’il menaçait mon équipage.
Je les savais suffisamment forts et intelligents pour se débrouiller.
Le Jolly Roger était dans une crique à l’écart du port justement parce que les chemins terrestres y conduisant étaient facilement défendables. Ils avaient pour ordre de s’écarter des côtes en cas de danger. Il ne pouvait rien contre eux.
Par contre moi, j’étais bel et bien dans ses griffes.  

Je ne relevais pas pour la poupée mais je tentais de me débattre lorsqu’il entraîna la fillette pour lui parler, ce qui me valut un coup dans l’estomac qui réveilla également la douleur dans mon dos suite à la chute. Sur les nerfs, jusqu’à présent je n’avais rien ressentis.

Reprenant mon souffle alors que le juge revenait vers moi, mon visage était crispé de fureur.
Je n’attendais rien de lui. Il n’était qu’un monstre.  Et sa question insidieuse le prouva une fois de plus.

Les lèvres serrées, je lui aurais arraché la tête si j’avais pu. Après une poignée de seconde je laissais échapper clairement.

« Rien ! »

Je lui offris un sourire haineux. Puis très fort pour qu’Antonia et Arsène entendent je criais.

« N’entres pas dans son jeu. Quoi que tu lui cèdes il ne tiendra pas sa parole. »

Je me doutais qu’il avait dû faire une proposition similaire à sa propre fille. C’était un monstre sadique et implacable.
Un coup dans les côtes me fit gémir, un second coup dans l’arrière de mes genoux me fit tomber au sol, mais je relevais la tête vers lui.

« Faites-ce que vous voulez de moi, mais je connais votre valeur. Je sais que l’on ne peut vous faire confiance.  »



 

 
- Je ne suis pas Antonia ! Je suis Arsène ! Laisses le partir ! hurlai-je alors que le garde me retenait.

Arsène ! Fais quelque chose ! N’importe quoi ! Je sais que tu vas trouver une idée! J’essayais de réfléchir, il fallait que je trouve quelque chose pour aider Killian, pour détourner l’attention des gardes. Que le juge garde la poupée si ça lui faisait plaisir, mais il devait laisser partir le pirate !

Le juge se délectait du spectacle de voir le capitaine attaché et à sa merci. Il ne changerait jamais. Toujours aussi cruel et vil. Une belle enflure. Arsène… C’est quand même notre papa… Mais quelle peste quand elle s’y met Antonia ! Toujours à défendre notre père. Ce dernier fit signe à trois gardes de m’éloigner.

- NON ! LÂCHEZ-MOI!

Je me débattais. Mais que pouvait faire une enfant face à la force d’un homme adulte? Nous nous éloignâmes, suivis du juge qui me demanda ce que j’étais prête à lui offrir pour épargner la vie de Killian. Le juge ne négociait pas, je le savais… Alors autant le provoquer jusqu’au bout ;

- Ma mère ? Ma mère trouverait le capitaine Jones charmant… Peut-être qu’elle serait venue avec moi, avec le capitaine Jones… Et vous auriez eu à la juger pour un adultère…

Oui, je n’avais que dix ans… Mais je savais beaucoup de choses. J’écoutais des conversations que je ne devais pas entendre… Je posais des questions qu’il ne fallait pas. Il va être encore plus fâché… Le juge retourna auprès de son prisonnier alors que les trois gardes nous emmenaient. Bougeant dans tous les sens, l’homme qui me tenait me prit sur son épaule comme un sac à patates… Son coéquipier qui portait une torche était tout prêt. Sans réfléchir, je mis un coup de pied dans son flambeau qui tomba au sol, prêt du tas de foin laissé là pour un cheval sans doute. Maintenant, les gardes devaient choisir entre continuer leur route, où éviter au feu de se répandre… S’ils pouvaient aussi éteindre le feu qui commençait à enflammer le bas de ma robe, c’était aussi bienvenue…

 



Tandis que je lui crachais au visage l’absence de confiance que j’avais en lui, un bruit sourd et un crépitement se fit entendre du côté où se trouvait sa fille.
Un imbécile de ses gardes avait fait chuter une torche, enflammant ainsi les broussailles, mais aussi le bas de la robe de la petite.
Ce bâtard au lieu de s’occuper d’elle ordonna d’éteindre le sol et de laisser le tissu se consumer.

Ses paroles me glacèrent.

« Vous êtes un monstre stupide. »

L’un des gardes m’envoya sa main au visage, me coupant le souffle et fendant ma lèvre. Je tentais de me libérer en vain mais je n’avais que peu de temps.

« Il n’y  a pas d’Ile des pirates ! Chaque capitaine est seul maître de son navire. Nous n’avons pas de roi ou de chef. Maintenant éteignez les flammes. Quel père laisserait ainsi sa fille risquer d’être brûlée ? »

Un hululement de chouette déchira le silence qui s’était fait soudainement.

Me laissant tomber, comme évanoui, les gardes relâchèrent leur pression pour maintenir mes bras, me retenant. J’appuyais aussitôt mes talons sur le sol et me projetais violemment, tête en avant, vers la poitrine du juge que je heurtais violemment.

Au même moment jaillirent des fourrés une vingtaine de membres de mon équipage. L’effet de surprise joua en notre faveur. Les gardes furent désarmés, le morceau de robe arraché. Mes liens coupés.

« Tout va bien Capitaine ? »

Les soldats envoyés par Frollo pour arraisonner le Jolly Roger ayant avorté, du fait de la position de la crique et de sa facilité de défense, mon second avait envoyé sur mes traces la moitié de l’équipage et en bons mercenaires qu’ils étaient, ils avaient menés à bien l’opération. La situation était inversée.

« Maintenant oui. »

Rejoignant la fillette, je la serrai dans mes bras tout en vérifiant qu’elle n’était pas blessée.

«  Vous allez bien ? »



 

 
Killian l’avait dit, nous ne devions pas céder aux demandes du juge. De toute façon, je savais très bien qu’il était impossible de négocier avec lui. Il ferait ce que bon lui semblait, qu’importe ce que je lui cédais. Antonia le savait, nous serions punies pour ce que j’avais fait, mais elle était d’accord avec moi à propos de notre ami. Oui, Killian ne nous aurait pas laissées sacrifier quelque chose. Mais on peut, peut-être atténuer la peine de Killian? Tu connais notre père, Antonia, tu sais ce qu’il fait aux pirates. Ce n’était pas compliqué, il les pendait tous.

Quand le juge partit, j’essayais de faire diversion. Provoquant un début d’incendie, mais me condamnant également. Ma longue robe avait touché les flammes de la torche, et elle commençait à s’enflammer. En écoutant le juge Frollo, je fuis horrifiée par sa décision : éteindre le feu aux alentours, mais me laisser brûler si Killian ne répondait pas à ses questions. Je réfléchissais à une solution alors que j’ entendais ma sœur paniquer, hurler... Fais quelque chose ! Ça commence à brûler ! Si elle pensait que j’allais nous laisser brûler, elle ne me connaissait pas.

Mais les choses se passèrent très rapidement, alors que je me débattais, de pirates étaient sortis de nulle part et avaient mis les gardes hors d’état de nuire. Killian était même libre. Sans doute était-ce son équipage qui nous avait aidés.

Dans ses bras, je me mis à pleurer, entendant les sanglots de ma sœur dans ma tête. Oui, pour une fois j’avais eu peur... Même si j’étais habituellement calme, cette fois, ce n’était pas le cas. Le juge était prêt à nous laisser mourir pour son travail. Tu vois... Le juge ne nous aime pas. Les pleurs d’Antonia redoublèrent.

- Tu dois t’enfuir ! Vite ! Avant qu’ils ne se réveillent ! On va bien, on a eu peur. Mais on va bien ! Va t’en !

 
Un nouveau de cri de chouette retenti. Légèrement différent du premier.
Embrassant Antonia/Arsène sur le front, je la serrai ensuite dans mes bras pour lui murmurer à l’oreille.

« C’est le signal. Nous sommes attaqués. Ils essaient de nous entourer. »

Tout comme le premier signal m’avait informé que mon équipage se tenait prêt à me délivrer, maintenant la modulation du son intimait à un danger imminent que nous ne pouvions contenir.

« Je pars mais je reviendrais et je te ferai livrer une nouvelle poupée au pensionnat. »

Un nouveau baiser sur son front et un dernier encouragement.

« Prenez soin l’une de l’autre, vous êtes plus fortes que vous ne le pensez et bien plus que lui. »

Puis attrapant les rennes qu’un matelot venait de m’apporter, je remontais à cheval et au galop nous quittâmes les lieux sans un regard pour le juge qui de toute façon resterait à jamais sur ses positions intransigeantes et bornées.
Il était inutile de tenter de le raisonner, de discuter avec lui.
Il n’était que haine et colère.
Comment pouvait-on pour faire parler un ennemi risquer de blesser sa propre fille ? Voir peut être plus ? C’était inconcevable. Inacceptable.

Je me jurais en mon fort intérieur que si un jour il devait advenir que j’ai des enfants je n’agirais pas de la sorte.

C’est à bride abattue que nous regagnâmes le Jolly Roger, changeant à mi-chemin de chevaux, l’argent ouvrant bien des portes.
Il nous faudrait éviter prochainement la région, le temps que tout se calme. Mais j’avais des contacts et des relations partout, dans chaque port. Je ferai en sorte qu’elle soit aidée, par une personne peut être au pensionnat, un jardinier ou une cuisinière qui lui adoucirait discrètement le quotidien.

Quant à son père… Ecraser la merde ne fait que nous salir et projeter des excréments nauséabonds partout. Il convient mieux de l’éviter lorsqu’on la trouve sur son chemin.


 

 
Tout s’était passé très vite. Nous étions en très mauvaise posture, et finalement la tendance c’était inversée. Nous étions plus ou moins libres, et le feu de ma robe s’était éteint. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que c’était les matelots de Killian qui nous avaient aidés, ils avaient dû remarquer l’absence de leur capitaine et étaient venu à sa recherche, et  l’avaient aidés lorsqu’il l’avait vu en mauvaise posture. Rien ne les obligeait à m’aider, et pourtant, ils étaient venus à mon secours. Dans les histoires de maman, tous les pirates étaient méchants, elle s’est trompée. Ce sont des histoires, nous, nous sommes dans la vraie vie. Personne n’était complètement bon ou complètement mauvais, sauf le juge peut-être.

Des larmes coulèrent sur mes joues, mais j'essais de ne pas montrer ma peur, de parler d'histoires avec Antonia. En écoutant les paroles de Killian, je me sentais un peu mieux. Attristée par son départ, nous n’avions pas le choix de le laisser partir. Ici, il était en danger. Nous avions eu de la chance une fois, ça ne serait pas le cas la prochaine fois. Le juge se préparerait bien et ne laisserait pas filer. Alors que le pirate retournait à son navire avec son équipage, je pris aussi mes jambes à mon coup. On va se faire punir… Je sais…

Espérant pouvoir gagner du temps, je profitais que notre père soit à terre, je courus à l’intérieur de la demeure, courant dans les escaliers pour regagner notre chambre. Je m'y enfermai, et essayai de réfléchir à un moyen d’échapper à la punition. Y a pas de solution… Il y a forcément quelque chose… Fuir au pensionnat ? Il nous rattrapera avant…

Fixant la porte, j’attendais le moment du jugement du juge Claude Frollo et la sentence qu’il allait choisir ;