L’hôpital. Tout de blanc paré avec une odeur indéfinissable, mais ô combien désagréable. Moi qui pensais y échapper, je me fourrais le doigt dans l’œil. Le temps de la rééducation était venu, implacable tel un obstacle que l’on ne peut contourner. Bon, de vous à moi, j’exagère un peu sur le lieu, mais pas sur l’appréhension et la douleur. Étant un ancien alcoolique, j’avais décidé de ne prendre aucun médicament, du style un peu trop fort et facile en termes d’accoutumance. Je ne pouvais me résoudre, au vu de mon passif à retomber dans l’addiction et tant pis si je devais en chier. Spoiler alert, j’en ai chié, mais par fierté je n’ai rien laissé paraître évidemment. Et aujourd’hui encore, je me rendais à une nouvelle séance de rééducation, mais plus encore, aujourd’hui je tentais tant bien que mal de me vider la tête pour ne pas avoir à penser à une certaine personne dont je préférais taire le nom de peur de ne penser qu’à elle au moment de soulever des haltères. Je devais me focaliser et sur moi et sur cette putain de rééducation pour reprendre au plus vite le travail et me sentir à nouveau utile. Chose que je n’étais pas depuis qu’un connard m’avait tiré dessus en présence de Roni, alors que nous passions un moment agréable autour d’un chocolat. Et merde, je n’ai pas pu m’empêcher.

« Tout va bien inspecteur Arrow ? » me demanda la personne chargée de me supporter lors de nos séances. Je me contentais alors de grommeler avant d’acquiescer et de soulever non sans mal l’une des haltères mise à disposition. Je me rendais ensuite vers un autre appareil dont le nom m’échappe, mais qui m’obligeais à faire davantage d’efforts. C’était légèrement douloureux, mais certainement moins intense que lors des premières séances.  « Peut-être devriez-vous… » commença le jeune infirmier en me regardant m’acharner sans modération. « - Non, je ne vais pas me ménager. Je ne suis pas une petite chose fragile. » Je prenais sur moi pour ne rien laisser paraître. Je devais revenir au meilleur de ma forme et vite.

J’étais légèrement essoufflé, mais ravi des progrès accomplis. Une serviette sur le cou et buvant sans modération le contenu de ma gourde métallique, je fixais l’extérieur. Il faisait beau aujourd’hui, assez pour s’octroyer une sortie. Une de celle que je me plaisais à partager avec ma chère cousine à qui je devais un resto. Portable en main, j’avais bien l’intention de me faire pardonner de cet oubli, mais de toute évidence, Mery fut la plus rapide de nous deux. Son message venait de paraître sur l’écran tactile de mon cellulaire que je m’empressais de déverrouiller pour découvrir le contenu du SMS. De toute évidence, contrairement à moi, ma cousine n’avait ni oublier le resto, ni de prendre des nouvelles. Je m’en voulais de cet état de fait. C’est vrai que depuis les enchères à l’aquarium, je n’avais pas pris le temps de venir aux nouvelles. Pire, je n’avais même pas dit à Mery que je m’étais fait tirer dessus quinze jours plus tôt. Elle allait me tuer, c’était indéniable, mais je prenais le risque. « Désolé pour le manque de nouvelles. Toujours partant pour le resto. Je passe te chercher vendredi après ton boulot. Je suis sûr qu’on aura pas mal de choses à se dire » Message envoyé. C’était un euphémisme et j’étais loin de me douter que je n’étais pas le seul à être troublé.

Le jour « j » arriva, je devais après ma séance, regagner mon appartement pour être un minimum présentable avant de prendre la route, direction les abords de Central Park où Mery achevait son service. J’étais un peu en avance à en juger par l’absence de la turbulente rouquine. Ça me laissait au bas mot quelques minutes pour me poser sur l’un des bancs à disposition. Ce que je fis sans vraiment me faire prier. Le regard rivé sur l’écran verrouillé de mon portable, j’attendais naïvement de le voir s’animer et de voir ainsi paraître un prénom que je me refusais à prononcer par fierté. Par chance, Mery fit son apparition et me sortit de mes pensées, m’incitant à me lever pour la rejoindre.

« - Heureusement que je suis ton cousin préféré. Et pour le reste, je ne sais pas trop comment le prendre. » Elle était toujours encline à me charrier malgré le manque de nouvelles, c’était un bon point. « - Et bien de toi à moi, je me disais qu’on pourrait aller se faire un italien pour changer un peu et parce que j’ai envie d’une bonne pizza. Ça te tente ? Ne dis pas « non » tu viens de me dire que tu as une faim de loup. Et la pizza c’est le meilleur des remèdes pour contrer une faim de loup. »

L’asociale que je suis se targuait sans fierté, d’avoir très peu de liens fiables aussi bien du côté professionnel, que familial, mais ce n’était pas plus mal. Être un solitaire ne me déplaisait pas, cependant, il subsistait une exception à la règle.
Mery était ma cousine et accessoirement l’un de mes rares, si ce n’est mon seul lien filial dans cette ville. Ce qui faisait d’elle la personne la plus importante de ma vie et je n’avais aucun mal avec ça étrangement, moi le déserteur sentimental, celui qui par fierté préférait être vu comme le roi des connards. Mery, elle pouvait se targuer de me connaître et de voir mon vrai visage et je dois bien admettre que ça fait du bien d’être soi-même sans aucune concession. La voir débarqué fit donc naître un léger sourire sur mon visage. Ah cette dégaine ! Inimitable. Cependant – et n’étant pas devin – j’étais loin de me douter qu’il se tramait un truc sous cette tignasse. Le genre de choses qui vous cause bien du tourment.

« - Ah tu ris de bon cœur à mes piques. C’est bon signe ça. Madame semble de bonne humeur. » Je ne pouvais m’empêcher de la taquiner, c’était plus fort que moi, comme une seconde nature. « - Bon, on reste focus sur la pizza ? Je n’impose rien hein, bien que de toi à moi une pizza au fromage avec sa pâte épaisse et ce même fromage qui dégouline un peu partout, ça fait envie hein ? » Évidemment que ça faisait envie. Comment résister à la bouffe italienne ? On se le demande ! La soirée commençait donc sous les meilleurs auspices, du moins c’est ce que je pensais avant que ma chère cousine ne saisisse mon bras, me rappelant au « bon » souvenir de ma blessure. D’ailleurs, surpris et accablé par une douleur lancinante, je ne pus me résoudre à réprimer totalement la grimace qui venait de prendre vie sur mon visage. « - Ah mais non ce n’est rien. » Commençais-je sur un ton que je voulais léger alors que déjà Mery prenait ses distances pour mieux m’observer et ainsi se livrer à un interrogatoire en bon et due forme.

« - Je rêve où tu tentes de me cuisiner là ? Ce n’est pas grave je t’assure. » J’étais résolument trop fier une fois n’est pas coutume, pour faire entendre une défaillance, une de plus. « - Aller, on ne traîne pas, sinon on n’aura pas de place. » Et nous voilà prenant la direction du resto italien sur lequel j’avais jeté mon dévolu pour ce soir. Je ne disais rien, ce qui rendait la balade moins agréable que ce qu’elle aurait pu être. Enfin, nous arrivâmes près du restaurant, tâchant de me rattraper un tant soit peu, je retins la porte pour laisser à Mery le soin d’entrer la première. Un serveur vint à notre rencontre et nous plaça près de la baie vitrée, avant de nous affubler de deux cartes pour que nous puissions plus aisément faire notre choix.

« - Je ne suis jamais venu ici. Mais je ne te cache pas que ce resto me faisait envie depuis quelque temps. Ils ont de bonnes critiques sur internet. J’imagine que ça veut dire qu’on ne va pas trop mal manger ce soir. » Non sans mal, je retirais progressivement ma veste sous le regard mi- inquiet mi- curieux de Mery qui attendait des réponses et je ne pouvais la blâmer pour ça. Elle était inquiète, preuve qu’elle tenait à moi. Une évidence pour le commun des mortels, mais pas pour le rustre que je suis. « - On ne peut rien te cacher en tout cas. Pour ta gouverne, je ne draguais pas Roni, je lui ai juste offert un chocolat chaud et une pâtisserie. C’était pendant mes heures de repos. Un gars est soudainement arrivé pour braquer le gérant. J’ai peut-être voulu jouer les héros en tâchant de le raisonner. Il a été surpris et le coup est parti tout seul. Résultat des courses une méchante balle dans l’épaule et plusieurs semaines de rééducation doublée d’un mois de mise à pied. Autant te dire que je vis ma meilleure vie. » À mon tour je pris la carte afin de mieux me familiariser avec les lieux.

« - Allez à toi maintenant de me donner des nouvelles. Quoi de neuf depuis la dernière fois ? » Je déviais évidemment pourquoi ne pas s’en priver quand on en a l’occasion.  

Personne n’est parfait, surtout pas moi. Partant de ce constat plus que déplorable, je cherchais encore une bonne excuse pour justifier le fait que j’avais omis de dire à la personne dont j’étais le plus proche, que l’on m’avait récemment tiré dessus. Mery étant observatrice, il était fort à parier que dès la première grimace, elle me tombe dessus pour me cuisiner en bon et due forme. Je préférais donc prendre les devants en lui avouant ce qui m’était arrivé ; une façon pour moi de ne pas me sentir trop coupable de l’avoir tenu dans l’ignorance. Je narrais donc avec conviction, mon récit héroïque en compagnie de Roni. Une présence qui n’avait pas échappé à l’attention de Mery qui laissait paraître un regard qui en disait long sur son ressenti. Cependant, elle me laissa aller jusqu’au bout de mon histoire, avant de s’offusquer de la mise à pied.

« — J’étais en civil, donc je n’avais ni arme ni plaque ce jour-là. Ce qui me rend encore plus héroïque non ? » tentais-je avec humour pour décrisper Mery qui semblait avoir un doute sur la véritable nature de ma mise à pied. Une attitude qui aurait presque pu me vexer dans d’autres circonstances. « - Comment ça tu t’attends à tout avec moi ? Le capitaine m’a juste offert une mise à pied, parce qu’il savait que j’étais prêt à reprendre le service sans passer par la case rééducation. Et dans le fond, il n’avait peut-être pas tort. Ça me fait chier de le reconnaître, mais pour une fois il a bien agi. » La mise à pied n’était pas méritée, à l’inverse de la contrainte que cela engager et le capitaine me connaissait assez bien pour savoir que c’était la seule solution pour me tenir à l’écart le temps que je me requinque. En attendant, la lecture du menu me semblait la meilleure des alternatives pour ne pas m’épandre davantage.

Rares étaient les personnes capables de me toucher et ma cousine pouvait prétendre avoir ce pouvoir. Je la sentais affectée par mon attitude et je le regrettais amèrement. Mery était tout ce qui me restait sur le plan familial ; nous étions d’ailleurs si proches que certains la prenaient pour ma sœur, ce qui ne me déplaisait pas. J’aurais tant voulu avoir une sœur comme elle, mais par fierté jamais encore je m’étais risqué à le faire entendre. Toujours est-il qu’elle, contrairement à moi, ne se barricadait pas derrière ses sentiments. Elle était courageuse. « - Mery… » commençais-je penaud, pas sûr de trouver les bons mots de prime abord. Elle m’avait précédé, faisant mine de changer de sujet pour que je ne m’exprime pas sur des sujets délicats. « — Déjà pour commencer je suis ravi d’apprendre que vous allez recevoir deux nouveaux poulains. Ça te fera un peu plus de travail et comme je sais que tu aimes ça, c’est tout bénef. Ils ont de la chance de t’avoir dans les écuries de Central Park. » Les effusions n’étant pas trop mon truc, ni les compliments d’ailleurs, je reportais moi aussi mon attention sur le menu, qui je l’avoue, mettait l’eau à la bouche.

« - Alors je… Attends comment ça mon hérésie qui te fait honte ? La pizza ananas poulet n’est pas une hérésie, c’est un plaisir gustatif pour les amoureux du sucré salé, nuance. Mais puisque je ne veux pas te faire honte et que je me sens aventureux ce soir, je vais opter pour quelque chose de nouveau histoire de changer un peu. Tiens des lasagnes, elles ont l’air délicieuses en plus. Ça avec un petit verre de vin c’est le pied non ? Et toi qu’est-ce que tu vas prendre ? Attention, ne me fais pas honte. » Le serveur vint alors à notre rencontre, le sourire aux lèvres ; c’était agréable. « — Je vais prendre des lasagnes s’il vous plaît. Et pour le dessert, je vais me laisser tenter par un tiramisu au citron. » Mon regard se posa alors sur Mery pour lui laissait la parole et une fois qu’elle eût passé sa commande, je me permis à nouveau d’apostropher le serveur pour lui demander de nous apporter du vin ; la meilleure bouteille qui plus est. J’attendis ensuite qu’il s’éloigne, sûrement par pudeur, pour reprendre la parole.

« — Excuse-moi pour le coup de la blessure. J’aurais dû te le dire tout de suite et ne pas te le cacher. Tu sais, ce n’est pas facile pour le rustre que je suis de m’ouvrir. Mais je veux que ça change, je veux faire des efforts. Donc, moi Bobby Arrow, j’accepte de m’ouvrir davantage à partir de ce soir. Tu peux de ce fait me poser toutes les questions que tu veux, je n’essaierai pas de changer de sujet promis. Et j’en ferais de même avec toi. Donc commençons bien, parlons sentiments. Je craque complètement pour Roni, la gérante du Poisonned Apple. Et c’est bien plus que le fait de vouloir la mettre dans mon lit. Non, je pense à elle presque tout le temps. Elle me fait vraiment ramer et je crois que j’aime ça. »

Je me sentais idiot, plus qu’à l’ordinaire et c’est peu dire. Il faut reconnaitre qu’en temps normal, je ne suis pas le genre de type qui reconnait facilement ses erreurs. Fausse pudeur ? Fierté mal placée ? Bêtise ? Je pourrais aisément allonger la liste tant l’incertitude demeurait. Toujours est-il que j’avais blessé Mery et ça me faisait chier, autant que de devoir admettre que j’avais effectivement merdé. Je devais rattraper le coup et ne pas laisser la situation se tendre davantage. Mery demeurait ma seule véritable famille et la perdre ne ferait qu’accentuer ma solitude, chose que je ne désirais pas au plus profond de moi. Ne vous m’éprenez pas ; sous mes grands airs et bien au-delà de l’attitude de gros emmerdeur que je laisse paraître, un petit cœur bat encore assez pour que je fasse quelques efforts en matière de socialisation. Et puis je tenais suffisamment à Mery pour passer outre ma fierté.

Que pouvais-je bien faire pour rattraper le coup ? N’avais-je pas trop abusé cette fois ? Fort heureusement, le serveur vint mettre un terme à ma réflexion et brisa le lourd silence venu s’instaurer entre nous. Ça et mes goûts douteux sur le plan culinaire. D’ailleurs, pourquoi les gens s’offusquent-ils lorsqu’il est question de pizza poulet-ananas ? Je voyais bien que même avec ma cousine, l’hérésie culinaire était de mise ; ce que je « peinais » à comprendre, mais au moins ça nous permettait d’échanger à nouveau avec légèreté.

— Non c’est une interprétation alléchante du contraste sucré salé. Ne l’écoutez pas jeune homme. À mes risques et périls ça sera une pizza poulet ananas. Et puis je suis moyennement fan des lasagnes. Menteur, mais je me gardais bien de le faire entendre, ça et le fait que je connaisse une « charmante » demoiselle qui cuisine les lasagnes comme personne. — Je prendrai moi aussi un tiramisu au citron si vous en avez. Le serveur acquiesça, récupéra les cartes et s’en alla transmettre notre commande à la cuisine. Mettant ma fierté de côté et profitant du fait que nous étions à nouveau deux, je mis un point d’honneur à présenter mes excuses à Mery. J’avais tellement envie de lui faire plaisir et de me montrer plus ouvert, que j’entrepris même de lui faire savoir qu’il était fort possible que je sois un peu plus transparent ; et ce même si le sujet portait sur la gérante d’un certain établissement où je passais beaucoup de temps. Je savais à quoi je m’exposer avec Mery et sa curiosité maladive, mais j’étais prêt, autant que de lui avouer certaines choses que l’ancien Bobby ne se serait pas risqué à faire entendre.

— Je suis ravi de savoir que tu acceptes mes excuses. Je ne ferais pas deux fois la même erreur. Je ne voulais pas te blesser Mery, ça m’est sorti de la tête où peut-être qu’inconsciemment je ne voulais pas t’inquiéter. Tu sais à quel point je suis nul sur le plan relationnel. Mais ça n’est pas une excuse. Sache que toi aussi tu es importante à mes yeux, trop pour que je te dénigre comme ça. Je ne voulais pas l’admettre, mais le fait de l’entendre me faire promettre de ne jamais sortir de sa vie me toucha. Je n’avais plus l’habitude d’entendre ça ni que l’on s’inquiète pour moi. Et pourtant j’allais devoir m’habituer, car désormais une nouvelle femme venait d’entrer dans ma vie et de toute évidence, cela n’avait pas échappé à ma chère et tendre cousine.

— Wow, je rêve ou tu es en train de me cuisiner ? Ça en fait des questions en aussi peu de temps. Mais puisque je t’ai promis de faire des efforts, je vais mettre un point d’honneur à te répondre. Non seulement je craque pour Roni, mais il se pourrait bien qu’on… que nous ayons franchi une étape qui d’ordinaire me fait défaut. Initialement, je suis allé la voir avec un petit-déjeuner, j’ai même croisé furtivement sa fille avant qu’elle s’en aille pour aller au lycée. On a parlé et l’on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus lutter contre cette attraction mutuelle. Je l’avais pourtant déjà rencontré, c’était il y a vingt ans. À cette époque, où fort heureusement tu ne me connaissais pas encore, j’étais une épave et je l’ai traité comme de la merde. On a… on s’est envoyé en l’air une fois et j’ai disparu comme un voleur. J’étais tellement ivre, que je ne me souviens de rien. Je pense que c’est pour ça qu’elle m’a autant fait ramer. Pour ce qui est de l’urne au Nouvel An, j’ai honte, mais j’ai mis mon nom pour avoir un rendez-vous avec elle. Oui, je n’en étais pas fier, mais avec le recul, je ne regrettais rien, pas même le sourire niais qui prenait vie sur mon visage à présent.

— Donc oui voilà… bafouillais-je avant de saisir la perche que Mery venait de me tendre. — A mon tour de te cuisiner cousine. Parle-moi de cette Elisa. C’est une amie ou genre une amie plus plus ? Et ne dis pas que je divague, il y a quelque chose je le sens. Tu avais l’air bien avec elle à cette soirée du Nouvel An.  Je me trompe ? 

Ça me faisait chier de devoir l’admettre, mais je me sentais mal d’avoir tenu Mery dans l’ignorance, bien que de prime abord, je voulais la protéger. Mais une fois n’est pas coutume, j’avais merdé et il me fallait dès lors ramer pour apaiser et la situation et ma cousine qui méritait bien mieux que quelques explications à la volée autour d’une table. Par chance — parce qu’elle subsiste malgré tout —, je pouvais compter sur mes goûts culinaires douteux pour détendre l’atmosphère et revoir sur le visage de Mery, son légendaire sourire. J’ai enfin la preuve que ma vision alternative de la cuisine a une utilité autre que de susciter l’indignation des palets les plus sensibles. C’est bon à savoir ça. Note à moi-même. Pour résoudre un conflit, pense à parler de ton amour immodéré pour la pizza ananas-poulet.

La commande étant passée et les tensions en voie de disparition, nous nous livrions tour à tour ; je lui devais bien ça. J’avais donc accepté de faire tomber le semblant de carapace pour parler de ma vie sentimentale, sans les déboires qui vont avec (pour une fois.) Mais n’étant pas omniscient, j’étais loin de me douter que de son côté Mery avait de quoi alimenter la conversation, mais que contrairement à moi, rien n’était clair. Quoique ; malgré les apparences, pour moi non plus les choses n’étaient pas limpides. Avec le temps et l’expérience, j’ai appris à rester sur mes gardes, car la vie peut être généreuse autant qu’elle peut se montrer impitoyable. Alors, pour une fois j’avais accepté de faire preuve de légèreté et de me livrer sans me poser la moindre question. Peut-être que cela finirait par me faire du bien.

— Toi impressionnée ? Eh bah dis donc jamais je n’aurai cru un jour t’entendre dire que je t’ai impressionné. Je n’en suis pas peu fier pour le coup. Mais ouais, je dois bien avouer que c’est une grande première pour moi aussi. Toujours est-il que je garde une paire de rames à portée de main, parce que le moins que l’on puisse dire c’est que cette chère Roni n’est pas du genre midinette facile à dompter. Sauf que de toute évidence, c’est bien elle qui parvenait à dompter le rustre que je demeurais et non le contraire. Mais ça je me gardais bien de le préciser par orgueil. Toujours est-il qu’à présent c’était à cette Mery de me faire quelques confidences sur sa vie sentimentale et j’attendais cela avec une impatience difficile à cacher.

— Ah non, ne joue pas à ce petit jeu avec moi. Tu sais très bien de qui je parle, alors ne feint pas l’ignorance. Je voyais bien qu’elle était gênée et qu’elle se cherchait encore ses excuses pour éviter de me répondre tout en sachant que je n’allais pas lâcher l’affaire aussi facilement cela va de soi. Elle commença à bafouiller légèrement, mais consentit à se lancer à ma plus grande joie. — Une rencontre dans une salle de sport, comme c’est intéressant et en plus tu lui donnes des cours. Je ne pus me résoudre à développer, car déjà le serveur revenait pour nous apporter nos plats. — Merci ! lançais-je pressé d’en apprendre davantage sur cette fameuse Elisa. — En même temps, mieux vaut être élégante quand tu es patineuse pro non ? lançais-je pour la titiller légèrement alors qu’elle laissait paraître un sourire niais sur son visage ; un de ce que je ne pouvais moquer, car à n’en pas douter j’avais le même en parlant de Roni quelques minutes plutôt.

Inspirée et en confiance, Mery se lança ensuite dans un soliloque que je préférais ne pas mettre à mal. Elle avait besoin de parler, de dire tout haut ce qu’elle pensait tout bas et l’en empêchait aurait été égoïste. Alors j’écoutais avec attention attendant patiemment le moment adéquat pour reprendre la parole ; ce qui fut le cas lorsqu’elle me demanda mon avis.

— Ce quelque chose qui te manque quand vous êtes séparées, c’est elle tout simplement. Tu te poses trop de questions, ça ne fera que te rendre la réflexion plus complexe. Moi je pense que tu as le béguin pour cette patineuse et que comme c’est plus ou moins nouveau, tu flippes un peu. Plus encore, tu flippes d’une part parce que cela pourrait être sérieux si par chance c’est réciproque ou que ça puisse au contraire devenir sérieux. Franchement, tu t’emmerdes. La vie est trop courte, il faut en profiter sinon quoi l’on se traine la blinde de regrets. Moi je pense que tu devrais parler avec elle.