Jamais je n’aurai crû un jour, me confronter à une telle situation et n’étant pas le mieux loti pour donner des conseils sentimentalement parlant, je me demandais si j’étais légitime dans ma prise de parole. Sauf que rester mué n’était pas non plus la meilleure des solutions surtout après ce que Mery venait de me dire. Avait-elle besoin de soutien, de mon aval ou d’encouragements ? Que devais-je faire ? Que devais-je dire ? Étais-je heureux pour elle ? Bien sûr, comment ne pas l’être ? Et puis, j’ai beau être de la vieille école, je ne m’offusquerai jamais de voir deux personnes du même sexe s’aimer. Encore fallait-il que cela soit réciproque évidemment. Pourvu que ça le soit, car je supporterai très mal de voir Mery au plus bas après de telles confessions.

La petite pique de rigueur lancée, j’arborais présentement le costume du vieux sage en reprenant une once de sérieux pour prodiguer mes petits conseils, résultante d’observations et de quelques années de pratique. « — Tu vois, tu t’offusques à cause de ce que je viens de dire ; c’est que j’ai raison. » Je laissais paraître un sourire en coin et une fausse attitude victorieuse en croisant les bras. « — Alors que l’on soit clair, je ne te prends pas pour une midinette ; tu n’es pas assez prude pour ça. Moi je pense surtout que tu te prends trop la tête. Un coup de cœur, ça n’est pas forcément la prémisse d’un engagement. Mais disons que si tu te sens mal quand elle n’est pas là, que tu cherches irrésistiblement à attirer son attention, c’est à mon sens un peu plus qu’un simple coup de cœur. » Il est vrai que j’aurai pu, si l’on se fit à mon expérience toute relative, éviter de prodiguer des conseils. Mais que voulez-vous, on ne se refait pas ; et jouissant du privilège de l’âge et donc d’une pseudo-expérience, je me sentais obligé d’apporter mon petit grain de sel ; en tout bien tout honneur que l’on se rassure.

Force est de constater que j’étais dans le vrai, car Mery demeurait silencieuse, trop pour que cela paraisse normal. Elle cogitait tellement que j’aurais presque pu entrapercevoir de la fumée s’échapper de sa charmante boîte crânienne si d’aventure nous étions dans un univers cartoonesque. Lorsqu’enfin elle cessa de cogiter, je pus voir sur son visage un léger sourire, preuve qu’elle n’était pas mal à l’aise. La conversation pouvait ainsi reprendre sans encombre et sans fausse pudeur à ma grande joie.

« — La vie est trop courte, alors je crois qu’il est temps de se laisser aller à un peu de spontanéité. Je pense aussi que je me mettais des barrières tout comme toi. Pour ne rien te cacher, cette blessure… » je désignais l’épaule concernée avant de reprendre où je m’étais arrêté « — … Ça m’a fait cogiter un peu, au point de me dire qu’il était temps de se laisser dompter. » Voilà qu’à mon tour je trifouillais allégrement mon plat, le sourire ne quittant point mes lèvres. « — Donc qu’est-ce que tu comptes faire ? » Ma curiosité me perdra.

J’étais bien des choses en ce bas monde, mais certainement pas le genre de type bien placé pour donner des conseils, plus encore amoureux. Je devais bien admettre que, de ce côté-là, ma vie sentimentale était au mieux aussi désertique que le Sahara ; au pire, un abysse sans fond. Sauf que ces derniers temps, l’arrivée d’une certaine « tenancière » dans ma vie, avait bousculé bon nombre de mes certitudes ; assez pour que je me sente à présent légitime à donner des conseils sentimentaux. Mais il fallait bien admettre que le fait qu’il s’agisse de Mery rendait peut-être la démarche plus aisée, autant que ma légitimité à le faire.

J’en étais réduit à l’observer, bien que je sache tout d’elle. Ma cousine n’était pas une midinette à coup sûr et il aurait été offensant de le penser. Elle se posait beaucoup de questions, assez pour que je m’imagine sans mal sa boîte crânienne surchauffer ; ce qui me faisait timidement sourire. Mais en procédant ainsi, elle se privait de toute spontanéité et se mettait des barrières, ce qui me semblait dommageable pour son jeune âge. « Tu parles comme un vieux con ! » Eh à bien y réfléchir n’en étais-je pas un ? Tout n’est qu’une question de point de vue, j’imagine.

— Tu vois, tu cogites encore. Et n’ose pas me dire le contraire. Plus tes silences sont longs, plus la réflexion est intense.  Pour donner plus de relief à mon intervention, je n’hésitais pas dès lors à faire parler mon expérience évoquant à nouveau ma récente péripétie ; qui je l’avoue m’avait permis d’adopter un nouveau point de vue sur la vie et son caractère éphémère pour le commun des mortels que nous sommes.

— Comment ça tu parles pour toi ? Donc de par mon expérience, tu ne me considères pas comme un grand esprit ?  lançait-je faussement offensé avant que Mery ne reprenne son sérieux et la parole.  — Attendre ce n’est tellement pas ton genre c’est clair. Je te l’ai dit, la vie est trop courte et puis on ne sait pas de quoi demain sera fait. Tu risques d’avoir des regrets si tu prends le parti d'attendre.  Cependant, j’avais conscience que de trop forcer le destin n’était pas non plus la meilleure des alternatives. Il fallait dès lors trouver le bon équilibre et à ce petit jeu, Mery était plus performante que moi, je n’en doutais pas une seconde.

— Aller boire un café me semble être un bon plan. Ça n’engage à rien…  commençais-je alors que déjà Mery cherchait (à mon sens) à se défiler. — Mademoiselle Arrow, vous vous trouvez des excuses. Si vraiment ça doit en valoir la peine, chacune trouvera le moment propice. Tu ne dois pas te laisser ébranler par le moindre obstacle ok ? Et pour en revenir à moi, car j’ai bien l’impression que pour une fois je vais te servir d’exemple ; je vais tâcher de passer du temps avec Roni en allant la voir au bar pour commencer. Puis je lui proposerai une sortie, un truc banal comme aller au cinéma par exemple; ou alors je l’inviterai à venir chez moi après l’un de ses services et je lui préparerais mes célèbres frites au bacon cheddar. Je vais lui sortir le grand jeu , fis-je entendre avec humour. — Commence par tâter le terrain avec ta patineuse et si tu sens qu’il y a un petit quelque chose, engouffre-toi dans la brèche et sors-lui le grand jeu. 

À bien des égards, ce cher Bobby se surprenait à paraître soudainement si clairvoyant sur des sujets qui d’ordinaire le dépassaient (et de loin.) Mais force est de constater qu’il ne s’en sortait pas trop mal, assez pour se prêter au jeu du conseil ; mais sans se donner les grands airs d’un faiseur de leçons. Dans le fond, il était heureux que tout comme lui, sa chère cousine s’ouvre à de nouvelles perspectives, quitte à bousculer son quotidien.

Le serveur, qui se fichait bien d’interrompre quoique ce soit, vint débarrasser la table au moment même où les assiettes achevaient de se vider. Bobby aurait voulu lui lancer un sombre regard, mais préférait résister à l’appel du ronchon pour ne pas ternir cette agréable soirée. Il laissa donc l’homme s’exécuter avant de reporter à nouveau toute son attention sur Mery. Il lui conseilla dès lors d’opter pour quelque chose de ne pas très engageant ; histoire de tâter le terrain avec la belle patineuse, tandis que Mery laissait paraître une grimace qui en disait long lorsque son cousin fit savoir qu’il allait inviter Roni et faire à manger.

— Quoi ?  demandait-il faussement offusqué. — Je sais que je suis limité en cuisine, mais j’ai quelques ressources. Je pourrais te surprendre. Mais revenons sur toi très chère.  Il ne voulait surtout pas attirer toute l’attention au point que Mery parvienne à détourner le sujet. Mais il le fut bien malgré les efforts de Bobby. En effet, le serveur venait de réapparaître avec les desserts. — Merci !  glissa le flic en le voyant repartir tandis que Mery plongeait avidement dans son tiramisu. Elle cogite à nouveau…  Et il est vrai qu’elle semblait ailleurs jusqu’au moment de redresser son regard et de le braquer sur Bobby qui posa sa cuillère et écouta avec attention ce que sa cousine avait à lui dire.

— Tu sais, je ne suis pas très pacte…  commença-t-il légèrement réticent, avant de se taire pour entendre ce que la belle rousse avait à lui dire. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les paroles de la demoiselle tranchaient avec son air sérieux. —  Ok ça me va. Pas de moqueries, on se soutiendra.  Il faisait de son mieux pour paraître sérieux mais il ne put s’empêcher de rajouter quelque chose. — Je t’offre la note de ce soir et laisse-moi t’offrir, en guise de cadeau, l’addition pour quand tu inviteras enfin ta belle patineuse à dîner. Cela voudra dire que vous avez passé le stade du café. Et pas de mais, on ne refuse pas un cadeau, surtout s’il vient de son cousin blessé préféré de surcroît. Ça me fait plaisir, je t’assure. Et puis j’ai toujours rêvé de jouer les cupidons. Avoue que l’arc et les flèches m’iraient bien. 

Le repas s’acheva donc sur ce doux moment de complicité entre les deux Arrow. Bobby régla la note puis ils quittèrent le restaurant et constatèrent à quel point l’hiver avait pris possession des lieux. Il est vrai qu’il commençait à faire froid et qu’une petite laine ne suffisait plus à se protéger. Mery leva la tête au ciel pour y observer les quelques étoiles visibles ce soir. Bobby en fit de même, espérant peut-être y apercevoir une étoile filante ; prétexte pour se laisser naïvement emporté par l’espoir. Il esquissa un sourire lorsqu’il comprit qu’il n’en avait pas besoin pour avoir ce qu’il voulait ; une famille.