Sous ses pattes sombres, la terre meuble qui garde ses pas en mémoire. Dans ses yeux d'or, des lignes de sapins qui défilent à une vitesse entêtante. Sur sa truffe humide, le reflet de la lumière éclatante et pâle de la pleine lune qui règne sur la nuit depuis quelques jours déjà. Sur sa fourrure épaisse, les gouttes d'une pluie légère qui s'écrasent à intervalles réguliers. Dans ses oreilles dressées, le vent sifflant sur son passage tandis que les branches craquent. Dans son cœur secoué par des battements tonitruants, l'allégresse de cet instant de liberté. Grisée par les sensations, la louve court sans s'arrêter, à la poursuite d'un horizon jamais atteint.
Arrivée au sommet d'une colline, elle s'interrompt un instant, essoufflée, lèche sa patte avant droite pour en retirer des graviers sournois avant de relever la tête pour contempler l'astre qui guide ses courses nocturnes. De sa gorge s'élève un grondement guttural qui se transforme bientôt en un hurlement sonore et majestueux pour clamer son règne sur les lieux. Lorsqu'elle termine sa complainte, un bruissement fait agiter ses oreilles. Une nuée d'oiseaux s'élève de la canopée toute proche, affolés par le cri du prédateur. Dans les cieux les nuages s'amoncellent, plus sombres et denses que leurs prédécesseurs, et la pluie se fait de plus en plus drue. Ses larmes traversent le pelage de la louve qui frissonne avant de reprendre sa course vers un abri de fortune.
Elle trouve bien vite une grotte, à proximité d'un lac sur lequel l'averse vient dessiner des cercles qui se chevauchent et s'agrandissent, devenant bientôt trop nombreux pour être vraiment visibles. Elle s'y réfugie et s'ébroue puis s'assoit devant son entrée pour observer le rideau d'eau faiblement éclairé par la lune qui filtre à travers les nuages. Son museau se fronce soudain alors qu'un fumet familier lui parvient. Elle se penche pour renifler le sol caillouteux, imprégné de ce parfum qui se fond dans bien d'autres. Tout au fond de la grotte sur un rocher, l'odeur est plus prononcée, comme si son origine s'y était trouvée quelques heures auparavant. Quelque chose dans l'effluve apaise le cœur battant de la louve : une impression de déjà-vu associée à une sensation de chaleur, d'amour, de confiance. Elle se couche sur la pierre froide, sa truffe humant encore le parfum comme un refuge, un foyer, une trace ténue de sa meute. Et elle sombre bientôt dans l'inconscience au rythme régulier de la pluie battante, entourée par cette fragrance rassurante.