J’étais devenue la proie en ce moment de migraines atroces. Ainsi qu’à de légères pertes de mémoires. Rien de bien grave, j’imagine, simplement parfois je n’arrivais pas à me souvenir de ce que je faisais dans un endroit, ou même comment j’y étais arrivée. Je n’arrivais même pas à me souvenir de quand ces troubles étaient apparus. Ça ne devait pas être grave, et ça devait même arriver à tout le monde non ? Avec l’âge, tout ça. Ça devait aussi être dû au stress, je venais de passer aujourd’hui même mon dernier examen de fin de semestre, tout allait sûrement rentrer dans l’ordre après ça, enfin je l’espérais. Enfin, à l’heure actuelle, je n’avais envie que d’une chose, et celle-ci j’étais certaine de ne pas l’oublier : m’avachir dans le canapé pour regarder des séries jusqu’à ce que mort et sommeil s’ensuivent. Lundi, mon train-train quotidien reprendrait son cours et je devrais retourner à la mairie. J’avais demandé à Regina une semaine de « vacances » histoire de pouvoir réviser pleinement mes examens, et contre toute attente cette dernière me l’avait accordé. A croire qu’elle voulait se donner bonne conscience sur ma réussite, ou qu’elle cherchait à se débarrasser de moi le plus vite possible. Enfin bref même si la semaine d’examens avait été éreintante, ne pas avoir Charles dans les pattes m’avait fait un bien fou, j’avais pu arrêter de devoir penser pour deux.

Je venais de rentrer à l’appartement, une pizza dans une main et un pot de Ben & Jerry’s cookie Dough dans l’autre. Juliette m’avait dit qu’elle ne rentrerait pas ce soir. Je n’étais pas allée chercher plus loin, on avait chacune besoin d’un espace vital même si nous étions très proches. Je m’empressai de m’affaler sur le canapé pour dévorer une part. J’avais encore une part en bouche, lorsque j’entendis des bruits de pas DANS l’appartement. Je me retournai vers les chambres, téléphone en main, prête à fuir dès que possible. Une femme sortit de la chambre de Juliette. J’écarquillai les yeux. Mais qu’est-ce qu’elle faisait là celle-là ?! Elle m’expliqua rapidement qu’elle était la cousine de Juliette. Dans l’incompréhension totale, je regardai la jeune femme puis le téléphone que j’avais toujours en main. Juliette m’avait dit qu’elle ne serait pas là, pas qu’elle allait me filer une coloc’ de substitution. Cela dit en y regardant de plus près, il y avait une petite ressemblance avec Juju. Est-ce que c’était vraiment prudent de laisser cette fille rester ici ?

- Euh… Salut.

La fille se servit d’elle-même comme si elle savait où tout se trouver. Alors elle était déjà venue auparavant ?

- Euh… Ok, mais c’est bizarre, Juliette ne m’a rien dit et je ne me souviens pas t’avoir déjà vu. Tu es de passage en ville ? Juju t’a laissée une clé ?

J’avais toujours mon téléphone et je commençais sérieusement à me dire que même si cette fille avait l’air sympa, enfin déjà plus que Regina, il valait mieux peut-être mieux envoyer un message à ma coloc’. Je commençais à déverrouiller mon téléphone pour envoyer un message à cette dernière, je préférais nettement être rassurer sur la provenance de cette fille, même si j’étais déjà coincer avec elle dans mon propre appartement.

Cette fille était louche, bizarre. Et comment expliquait le fait que ma propre colocataire ne m’avait pas prévenue de l’arrivée de sa « cousine ». Au fond, en envoyant un message à Juliette, j’avais juste envie qu’elle me rassure en m’assurant que Julia était bien sa cousine et qu’effectivement ça lui était complètement sortie de la tête de me prévenir. Après la réception de ce message, j’avais déjà prévu de sortir un petit rire gêné et d’accueillir « notre » hôte comme il se devait. J’avais le visage rivé sur mon téléphone, trop concentrée. Je ne voulais pas que Juliette prenne mal mon message, je pouvais donc directement oublier le fameux « T’aurais pu me prévenir que ta cousine venait squatter chez nous ! » Bon, réfléchis Louise ! Je continuai de fixer mon écran, je n’écoutai même pas à moitié ce que cette fille me disait, s’il s’agissait vraiment de la cousine de ma coloc’, elle allait me prendre pour un sagouin et ne plus jamais vouloir revenir. Tant mieux ? Bon ce message… « Coucou, alors ce rendez-vous amoureux ? Hihi, il faudra que tu me racontes tout en détails (enfin pas trop quand même) ! Je suis actuellement dans une situation grave gênante avec ta cousine, genre gros malaise dans un silence bien malaisant mdr ». Ok ce n’était pas hyper subtile, mais si elle me répondait « quelle cousine ? » je pourrais virer cette fille de chez moi sans scrupule. J’appuyai sur la touche « Envoyer » et… Problème de réseau ? Non, c’est une blague ?! D’où ce patelin pourri n’avait plus de réseau ! J’avais de péter un plomb, qu’est-ce que j’allais faire de cette fille maintenant ? Juliette, on avait dit pas de baby-sitting ! J’appuyai encore et encore de manière de plus en plus enragée sur la touche « Réessayer l’envoi », mais rien ne se passa, le réseau était mort. Je fronçai les sourcils.

- C’est bizarre, je n’ai plus de réseau.

Je me sentais un peu bête d’énoncer cette vérité à voix haute, mais j’espérais qu’elle allait me proposer son propre téléphone pour que je puisse appeler Juliette. Raaah ! Je détestais ce genre de situation, surtout qu’à l’heure actuelle j’avais d’autres plans que de m’occuper d’une cousine sortie de nulle part. Imagine que je voulais inviter un mec en sachant que ma coloc’ n’était pas là, j’aurais eu l’air tellement bête en rentrant et en découvrant Julia sur le canapé. En même temps, est-ce que je pouvais vraiment avoir l’air plus bête qu’à l’heure actuelle ? Je ne pense pas. Je me décidai à la fixer, mais j’étais toujours suspicieuse. Son histoire tenait la route, mais je n’arrivai pas à accorder ma confiance à cette fille, Juliette ne m’avait jamais parlée d’elle, il y avait sans doute une raison à cela.

- Non c’est bon je vais me faire un chocolat chaud, tu en veux un ?

Le chocolat chaud ou le seul produit capable de calmer mes nerfs en toutes circonstances. Pendant que je préparai ma décoction miracle, je lui demandai en sortant un pot de cannelle d’un placard en hauteur :

- Et vous êtes proches avec Juliette ? Vous vous connaissez depuis longtemps ? Elle ne m’a jamais parlée de toi.

Certes, ce bled était paumé. Enfin, jusqu’à présent le réseau ne m’avait jamais lâchée, surtout pas dans un moment où j’en avais le plus besoin. Cette fille me faisait flipper, quelque chose en moi me criait de ne pas lui faire confiance. Après tout, si elle n’avait rien à cacher elle aurait pu me montrer son téléphone pour me prouver qu’elle n’avait aucun réseau. Qui me disait qu’elle ne se fichait pas de moi ? Pourtant, je dus bientôt me rendre à l’évidence : la photo qu’elle me montrait prouvait bien qu’elle avait vu Juliette cette après-midi. Elles étaient d’ailleurs plutôt mignonnes et avaient l’air complice sur cette photo. Je tentais de repartir de manière un peu plus sympa. S’il s’agissait vraiment de sa cousine, Juju allait me tuer si je ne la traitais pas bien. J’eus un grand sourire pendant que je mettais ma tasse de lait au micro-ondes.

- Rozen ? C’était la première fois que tu y allais ? Rozen n’a pas que ses cheveux qui sont étranges, mais elle est adorable.

Notre machine à café était plutôt vieille et faisait un bruit tonitruant, mais je l’aimais bien. De toute façon, toutes les machines à café faisaient un bruit monstre. Impossible donc de parler pendant ce temps-là. Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire d’elle pendant toute une soirée ? Et si ça se trouvait une partie de la matinée. Moi qui n’était pas très sociable, j’allais devoir faire preuve du contraire.

Je regardai mon lait chauffé dans le micro-ondes tout en écoutant d’une oreille distraite son histoire avec ma coloc, je repensai à notre appartement qui était encore décoré aux couleurs de Noël, il y a quelques temps. Un gigantesque sapin orné de boules et de figurines de toutes les couleurs trônait à côté de notre télé, tandis que j’avais dispersé un peu partout des lutins. J’avais toujours adoré cette fête et j’étais un peu triste qu’elle soit passé si vite et surtout que je l’ai fêtée sans ma famille.

Je revins soudain dans le monde réel, me rendant compte que… Comment elle s’appelait déjà ? Ah oui, Julia ! Bref, qu’elle attendait une réponse. J’avais toujours eu en horreur le prénom Julia, autant dire qu’elle partait avec un sacré handicap. Cependant, je devais me montrer sociable. Demain matin, dès que Juliette sera de retour, je me barrerai de l’appartement et les laisserai seules. Je sortis ma tasse du micro-ondes et commençais à y ajouter des cuillères de cacao en poudre. Toujours sans la regarder, je lui répondis :

- Non, effectivement, elle est plutôt discrète sur son passé. Mais de ce que j’ai compris elle n’a pas eu une enfance facile et je ne voulais pas l’embêter avec mes questions.

J’ajoutai ensuite simplement :

- Tu viens ? On va s’installer sur le canapé, on sera plus à l’aise. Tu veux regarder quelque chose à la télé ?

Je n’avais jamais été très doué en relation humaine. Encore moins quand la personne avec qui je devais me montrer sociable m’était totalement inconnue et qu’elle pénétrait directement dans mon espace vital.

Je prenais vraiment sur moi pour me montrer la plus sociable possible, autant dire que ça se révélait plutôt compliqué. Surtout en sachant qu’avec Juliette, on s’était refilés les consignes : si je rentrais et que je disais que j’étais fatiguée, elle ne m’obligeait pas à faire la conversation. Dans ces-là, je me faisais à manger et je partais quasiment directement dans ma chambre après deux ou trois questions de politesse. C’était plutôt cool et j’avais peur que cette fille n’empiète un peu trop sur mon espace vital. Enfin, elle était dans mon appart, pour moi elle avait déjà plus qu’un peu empiété.

- Et c’est joli Vérone ? Je n’y suis jamais allée, mais quand j’étais ado, je suppliais mes parents de me laisser faire le tour de l’Italie avec mes copines. Bizarrement, ils n’ont jamais accédé à ma requête, dis-je en riant.

J’essayais de me montrer le plus poli possible, après tout cette fille ne m’avait rien fait, autant ne pas sortir les crocs tout de suite et sans raison.

- C’est dommage quand même que Juju ne soit pas restée ce soir, on aurait pu aller au bar de la ville boire un verre. Comment il s’appelle ce bar déjà ? Le Rabbit Hole, ou un truc dans le genre, c’est pas dingue comme endroit, mais au moins ils te servent des cocktails assez alcoolisés pour que tu aies l’impression d’en avoir pour ton argent.

Je rigolai à nouveau, même si c’était plus nerveux qu’autre chose. Est-ce que j’avais déjà mentionné à quel point je détestais faire la conversation quand je ne connaissais pas la personne ? Oui ? Bah, je tenais à le redire encore une fois. Je m’affalai dans notre canapé, télécommande en main. Je commençai à zapper sur les différentes chaînes, espérant trouver quelque chose d’intéressant, mais il y avait beaucoup de télé-réalités débiles à cette heure-ci ou des documentaires barbants. Finalement, au détour d’une chaîne, je tombais sur de la musique : Should I stay or should I go ? de The Clash.

- Oh ! J’adore cette chanson !

Et je ne sais pas trop pourquoi, mais je me suis mise à danser sur la table basse du salon. Je devais avoir l’air d’une folle, mais sérieusement cette situation d’être avec une inconnue dans mon propre appartement me rendait nerveuse. A la fin de la chanson, je me sentais un peu bête, libérée mais un peu bête.

- A la mairie, je suis la secrétaire de Regina Mills, tu l’as peut-être déjà croisée en ville ?

Je lui souris, même si je me sentais toujours un peu mal à l’aise en sa présence.