Apprendre était soudainement devenu nécessaire. J'avais eu beau me voiler la face pendant des semaines, j'avais de plus en plus de mal à nier en bloc que oui, effectivement, j'avais des pouvoirs. J'avais de la magie en moi. Une magie dont je ne connaissais même pas l'origine et que je maîtrisais encore moins, si c'était possible. Pourtant, ils étaient bien là, leur puissance aléatoire, mais leur présence toujours sensible. J'avais des pouvoirs et en tant que Sauveuse et garante de la sécurité de la ville, je devais les maîtriser. Pas parce que j'en avais envie, mais parce que cela pourrait m'être utile. Aussi et surtout parce qu'après trois jours consécutifs à faire exploser des ampoules sous le coup de la colère ou de la frustration, il s'était révélé nécessaire d'admettre que je pourrais finir par devenir dangereuse pour les autres si je n'apprenais pas un minimum de self control.

Et dans cet exercice périlleux, Regina avait été la première, sinon l'unique, à me mettre face à la réalité : je devais apprendre et elle serait le meilleur professeur ici pour cela. Gold l'aurait été bien plus, assurément, si j'avais pu avoir confiance en lui, mais je n'en avais aucune et bien que Regina et moi n'étions toujours pas les meilleures amies du monde, l'ancienne reine du mal avait toutes les raisons de vouloir m'aider et toutes les raisons d'en avoir le devoir.

« D'accord. Mais loin de Storybrooke », avais-je finalement accepté un jour, alors qu'elle n'avait rien demandé ou dit. « Apprenez-moi la magie. » Elle avait vite rectifié que la magie était déjà en moi et que je devais apprendre à la maîtriser, mais le rendez-vous avait finalement été pris et cet après-midi là, à l'heure dite, je m'étais donc présenté dans un coin reculé de la forêt, loin des groupes d'habitants vivant en forêt que nous connaissions et loin de toute civilisation que j'aurais pu blesser par maladresse... Loin aussi, si je devais être honnête, de toute personne qui aurait pu nous voir et nous juger... ou plutôt : me juger. Parce que je n'acceptais toujours pas vraiment. Ni ma magie, ni ma faiblesse face à elle. Être vue en compagnie de Regina ne me dérangeait pas. Nos rapports s'étaient améliorés malgré tout, suite à notre aventure dans la Forêt Enchantée et le fait d'avoir failli finir en glaçon. C'était ma propre image face à la magie qui m'ennuyait encore profondément.

Tout cela est complètement dingue ! Un jour, je vais me réveiller et réaliser qu'Archie est en fait mon thérapeute et que j'ai complètement pété les plombs et halluciné être la Sauveuse des contes de fées... Henry sera probablement une invention de mon imagination aussi...

J'avais encore tellement de mal, parfois, à me dire que mon fils était réel. Qu'il m'avait retrouvé, qu'il m'aimait et qu'il voulait que je fasse partie de sa vie, malgré le fait que je l'avais abandonné à la naissance...

« Regina ! », l'interpellais-je quand je la vis approcher, la gratifiant d'un hochement de tête en guise de salut.

J'avais de la magie. Je ne pouvais plus le nier. Cependant, cela ne me donnait pas pour autant une idée précise de ce que je devais faire avec cette information, par la suite. Regina saurait mieux que moi. Elle était une magicienne reconnue, une puissante sorcière et si elle disait pouvoir m'apprendre à maîtriser la mienne, elle devait avoir raison... Si toutefois j'avais quelque-chose de possible à apprendre... Si je pouvais en faire quelque-chose...

Lorsque Regina arriva, je vis son air fatigué. Je reconnus surtout le cache misère habile effectué avec son maquillage. Je connaissais ce genre d'astuce mieux que personne. J'avais souvent caché mes propres cernes et mon teint blafard, avec de bonnes couches d'un maquillage soigné. J'avais vu grand nombre de mères, d'épouses, désespérée et endetté, cachant au maximum les conséquences physiques de la trahison lorsqu'elles venaient me demander mon aide pour retrouver celui qui avait fuit sa liberté surveillée, leur faisant tout perdre au passage. Je ne dis rien, pas pour le moment. Je n'avais pas envie de mettre directement les pieds dans le plat, je ne savais pas si elle était d'humeur et Regina, quoi qu'il arrive, était de ses femmes que l'on n'interrogeait pas comme cela, de but en blanc, sans avoir un minimum tâté le terrain avant. La femme, aussi différente de moi soit-elle, avait quelques points communs, comme le besoin de se protéger des autres et de garder ses émotions – surtout les plus douloureuses – pour elle. Il ne servirait à rien de la cuisiner, tant qu'elle n'aurait pas fait le premier pas.

Mais l'ancienne reine du mal n'en était pas là. Non. La seule chose à laquelle elle pensait, c'était donner son cours. Sans s'obliger, donc, a plus de cérémonie, elle attaqua directement, demandant moulte concentration et pré-connaissance de la magie en moi. Je venais à peine d'assumer l'idée d'en avoir et il fallait déjà que je fasse comme si elle avait toujours fait partie de moi et surtout, comme si j'en avais toujours eu conscience. Je me retins cependant de tout commentaire, hochant simplement la tête. C'était elle la sorcière puissante, elle qui avait la connaissance, pas moi, pour le coup. Et puis comme ça, comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, comme si c'était aussi simple que de respirer, elle m'ordonna de faire apparaître une flamme.

Elle arguait, malgré tout, que cela pourrait prendre du temps, mais me donnait la marche à suivre, un mode d'emploi aussi obscur que le simple fait de faire de la magie. Je hochais, malgré tout, la tête dans une affirmation que j'allais essayer avant de chercher autour de moi où je devais le faire. En vérité, je n'en avais pas plus l'idée que celle, quelques semaines plus tôt, que j'en avais même les capacités. Malgré tout, j'apprivoisais un gros rocher, un peu à ma droite, sur lequel il y avait assez de mousse pour faire un feu sans faire brûler toute la forêt. Je me tournais vers ce point, le fixant, plus incertaine que jamais. « Juste comme ça ? J'y pense et une flamme va apparaître ? », demandais-je, me questionnant sur la façon dont je devais m'y prendre. Juste visualiser la flamme à cet endroit où la faire apparaître entre mes doigts ? Regina faisait apparaître des boules de feu dans sa main, non ? C'était là que je devais le faire ? Non, trop risqué, j'avais peur de me brûler si j'y parvenais par le plus pur des hasards. Je reportais donc mon regard sur la pierre, essayant de me concentrer sur la vision d'une flamme, comme elle me l'avait indiqué, imaginant cette flamme sur la mousse. Je ne savais même pas quoi faire. Pousser ? Serrer les dents et me vriller le cerveau, comme si ça pouvait marcher ? Dans l'ignorance la plus totale et à l'instinct, je fis donc ça, visualisant un point précis, essayant de toutes mes forces d'y voir du feu, serrant les dents, pliant les yeux sous l'effort. Brûle... Brûle..., répétais-je en boucle dans mon esprit. Allez, brûle bon sang!

Rien, nada. Aussi efficace que de souffler sur un incendie quand on manque de souffle.

Tellement perturbé par le fait même de faire cette chose folle, je n'avais même pas vu le petit tas de bois laissé avec soins par Regina. Les explications de la Méchante Reine étaient aussi nébuleuses que l'affaire elle-même et j'avais l'impression d'être la dernière des idiotes à croire que cela était possible. Pour autant, tout le monde y croyait dur comme fer. Regina, Henry, mes parents. Même Juliette était convaincue que j'avais de la magie en moi et apparemment, j'avais bien un petit quelque-chose. Je devais me rendre à l'évidence et arrêter de penser que tout cela était stupide folie.

Après plusieurs minutes sans aucun effet, Regina ouvrit à nouveau la bouche, posant la dernière des questions à laquelle je m'attendais. Quittant mon objectif des yeux, je posais des yeux ronds sur elle, me demandant où elle voulait en venir, soudainement, à parler de Crochet ? Le fait que nous ayons eu l'air « proche », n'était pas quelque-chose qui me plaisait. Nous n'avions rien été de particulier et puis quand bien même, cela ne la regardait pas. « Vous vous faites des idées », prétendis-je, avant de me tourner de nouveau vers mon idiote de mousse à priori non inflammable.

Pourtant, Regina ne s'arrêta pas là, me demandant si Mary-Margaret était au courant, arguant qu'il y avait peut-être plus que juste une amitié incongrue entre la fille d'une princesse et un pirate. Des images de notre unique nuit irréelle me revinrent immédiatement en mémoire et je bouillis de l'intérieur de toutes les émotions qui m'avaient traversée déjà à l'époque. Je sentis le feu monter en moi sans que je ne puisse le contrôler et le petit tas de bois que j'avais royalement ignoré jusqu'alors s'enflamma en un instant, me faisant sursauter et perdre l'équilibre comme si une vague de magie m'avait poussé de mes appuis. Je mis une seconde à comprendre que la vague était sortie de moi et qu'elle ne m'avait pas simplement ébranlée.

Regina félicita l'exploit, un sourire de vainqueur sur le visage, alors que je soupirais et secouait brièvement la tête. « Sérieusement ? Je ne l'ai même pas voulu », dis-je, préférant me concentrer sur la magie, plutôt que sur les questions embarrassantes de Regina. « Vous voyez bien que ça ne sert à rien, je ne contrôle rien du tout ! »

Délibérément, je n'évoquais pas Crochet. Je ne voulais pas parler de lui et certainement pas avec elle. Je ne savais pas moi-même ce qu'il se passait. Il n'avait été qu'un rêve, un fantasme d'une nuit solitaire, pendant des années. Il n'avait jamais été réel. Pas avant le château de la Reine des Glaces. J'avais refusé depuis de me poser pour me poser réellement des questions. Il était réel et dans un autre monde, fin de l'histoire. Point final. Je ne voulais pas penser à ce que cela impliquait à propos de cette nuit, il y a si longtemps, dans une autre vie.

La Mairesse avait aussi peur de patience que j'avais de croyance en moi-même. Aussi, ne tarda-t-elle pas à en remettre une couche, m'adjoignant de cesser de me plaindre et reconnaître que mes émotions, même si ça n'était pas celles que j'étais en capacité d'admettre ou d'affronter. Elle m'ordonna ensuite de recommencer, de mettre le feu et cette fois-ci, sans qu'elle ne parle de Crochet. J'eus envie de me défendre, de prétendre que ça n'était pas me parler de lui qui avait déclenché le feu, mais ça n'aurait été que mensonge. J'avais pensé à lui, à notre nuit, à tout ce que cela impliquait et à la complexité de nos retrouvailles et j'avais mis le feu à ce mini-bûcher. C'était aussi simple que ça et elle avait raison. Je ne pouvais pas le nier, même si j'aurais voulu plus que tout le faire.

Elle essayait de me mettre en colère pour que j'y parvienne et je fis ce qu'elle me dit. J'essayais de ne penser qu'à la colère, toute cette colère que j'avais accumulée en moi depuis toutes ses années. L'abandon, la solitude, tout ce qui avait fait que je n'avais jamais été capable de me considérer comme méritante d'amour et de tendresse. Si je sentais le feu dans mes joues et la douleur dans mon cœur, le bûcher restait désespérément éteint, le bois brûler par ma réussite précédente, mais sans la moindre trace d'étincelle ou de fumer. Non, ça ne marchait pas. Je n'y arrivais pas. Pas avec cette colère qui me vrillait le cerveau et m'empêchait même de penser à pourquoi j'étais là.

A tous les coups, elle allait reparler de Crochet. Killian... Son image s'imprima de nouveau dans mes yeux sans que je ne le contrôle. C'était parler de lui qui m'avait fait réagir la première fois. Parce qu'elle avait parlé du fait qu'on se connaissait, de notre amitié qui n'en était pas une. Qu'est-ce qui avait marché ? Le désir ? J'avais revu notre nuit, sentit à nouveau ses caresses. Le feu était monté en moi, autant que la frustration de ne pas avoir été au bout, d'avoir été ramené à la réalité des choses avant. Crochet à qui j'avais promis de l'aide et qui m'avait promis de compter pour quelqu'un. La manière dont il m'avait regardé, cette tendresse profonde, ce désir qu'il n'avait aucunement cherché à cacher. Oui, j'avais compté pour lui. J'avais réellement compté cette nuit-là. Et il avait compté aussi. J'avais eu envie de lui, mais j'avais surtout eu envie d'exister dans sa vie et de le laisser exister dans la mienne. Qu'il compte et que je compte. Et dans le château de la Reine des Glaces, j'avais eu besoin de le ramener à la raison. Pas réellement pour qu'il nous aide. Ça n'était pas mon désir initial. Non, j'avais voulu le protéger d'elle. Parce qu'elle avait utilisé sa plus grande faiblesse contre lui. Parce qu'elle lui avait fait croire qu'elle pourrait lui rendre son amour perdu, alors qu'elle n'avait fait que le manipuler. J'aurais voulu avoir cette femme en face de moi pour lui faire payer de jouer ainsi avec le cœur d'un homme capable d'aimer si entièrement quelqu'un qu'il avait pourtant perdue...

Sans que je ne m'en rende compte, le fil de mes pensées avait conduit à une petite fumée, qui avait fini par se transformer en flamme. Le feu s'étendit rapidement sur tout le petit bûcher et une autre flamme apparut même sur la mousse du rocher. Quand je m'en rendis compte, je posais de nouveau mon regard sur Regina, attendant la remarque cinglante qui accompagnerait cette réussite.

Je n'aurais jamais pensé en être capable et certainement pas aussi rapidement. Les émotions bouillonnaient en moi depuis trop longtemps. Maintenant que la magie était sortie, je pouvais presque la sentir, émaner de chaque pores de ma peau, ne demandant qu'à sortir. Si je la laissais faire, je pourrais mettre le feu à toute la forêt, oui... Je m'en rendais compte et j'en était terrorisée. Que se passerait-il si je perdais le contrôle ?

Pourtant, une fois de plus, je fis ce que Regina me demandait. Je pensais surtout à Henry, au besoin de le protéger. Si la forêt prenait feu, si Regina et moi nous retrouvions prisonnières des flammes – même si je doutais que Regina puisse le rester très longtemps, alors qu'elle avait la capacité de se téléporter -... Je pensais à tout cela et au fait de devoir le protéger d'un tel drame, pour « convaincre » les flammes de s'éteindre, ce qui finit par arriver. Je regardais ensuite Regina, rougissant légèrement en baissant les yeux, après avoir éteint le feu sur la mousse. « Je n'ai pas... Je n'ai pas vraiment contrôlé... non... » En fait, pas du tout. J'avais pensé à allumer le bûcher, pas la mousse. Mais je m'étais tellement concentré dessus tout à l'heure... Et puis Regina se montrait... gentille. Encourageante. C'était presque plus déstabilisant que si elle avait fait une remarque cinglante...

Ce qui l'était tout autant, mais bien moins agréable, c'était la fixette qu'elle faisait soudainement sur le lien entre Crochet et moi. Je n'avais aucune envie d'en parler. Je n'avais, en fait, aucune envie même d'y penser. Depuis notre retour, j'avais tout fait pour l'oublier, même si les rêves avaient repris de plus belle. Ces mêmes rêves que j'avais tant fait par la suite, achevant de me convaincre que j'avais rêvé notre première rencontre, en premier lieu, même si elle avait eu l'air bien plus réel que les rêves qui avaient suivi.

Je poussais un soupir. Regina ne lâcherait rien. Pas quand j'étais clairement proche d'un homme que moi-même, j'aurais tenu loin de Henry envers et contre tout, s'il n'était pas arrivé ce qu'il m'était arrivé cette nuit-là et si je ne l'avais pas connu comme, je le supposais, peu de personnes l'avaient connu. « C'était il y a longtemps. Avant que je n'arrive à Storybrooke... Avant que je ne sache que les contes de fées sont réels. C'était comme... un rêve. Une sorte de chose irréelle entre le moment où je me suis endormie dans mon lit et celui où je me suis réveillée, exactement au même endroit. Entre les deux, j'étais sur son navire et j'hésitais entre le fait d'être devenue complètement folle ou d'avoir été kidnappé par un fou. » C'était tout ce que j'avais envie de dire. La seule chose que j'avais envie de révéler de cette nuit qui n'avait appartenu qu'à nous, mais je connaissais assez Regina pour savoir qu'elle ne s'en contenterait pas.

« Est-ce que c'est parce que j'ai des pouvoirs moi aussi et que j'en ai peut-être toujours eu... Est-ce que c'est parce que je suis la Sauveuse... J'en sais rien. On n'a jamais su, ni lui, ni moi, pourquoi j'étais apparu comme ça... Il y avait une perle magique, celle du dragon Mushu, je crois bien, mais on n'a pas su non plus si ça venait de là... Et puis d'un coup, sans que rien ne le justifie, je suis retournée dans mon lit, à Boston et tout ça c'était juste comme un étrange rêve avec un Capitaine Crochet loin de l'image habituelle. Voilà. C'est tout ce qu'il y a à dire. »