Bien sûr que je n’obéissais pas toujours à mon père, j’en serais devenu complètement fou sinon. Stoïck la Brute avait une réputation de mettre tout le monde dingue et c’est ce qu’il avait presque fait après la malédiction au village tout entier. Seulement, je n’avais pas eu le temps de l’arrêter, comme Ingrid avait frappé d’un grand coup et qu’on s’était retrouvé soudainement comme des bonhommes de neige avec un hiver interminable. Alors, maintenant que tout ça s’était calmé, j’aurais dû m’attendre à ce que mon père me sorte le coup des vols, mais pas à ce point-là. « J’arrive à le comprendre, mais j’ai parfois l’impression que c’est trop... » soupirai-je. Puis, j’eus un gros sourire pendu jusqu’aux oreilles lorsque la discussion sur Billy eut lieu. Bon, ce n’était pas très drôle pour Anne qui devait s’occuper de son matelot et je haussai les sourcils de curiosité lorsqu’elle me parla de l’ambition de ce dernier pour avoir un dragon à bord. Ça y était ! Enfin, il n’y avait pas de mal à vouloir un peu de compagnie, mais un dragon ? Sur un bateau, surtout. J’en connaissais un rayon là-dessus et il y avait peu de gens qui réussissaient cet exploit. Mais je n’allais certainement pas en toucher un mot à Billy, car le connaissant, il allait vouloir prouver à tout le monde qu’il en était capable. Je hochai positivement la tête suite à la requête de la capitaine. « Évidemment que je le comprends. Mais étant têtu, ce ne sera pas facile, mais je peux essayer. » Après cette petite discussion, je la raccompagnai près de son quai et de son navire, l’aidant à apporter les provisions sur le bateau. Krokmou nous aida également. « Tu as besoin de quelque chose d’autre ? Si jamais, tu n’hésites pas d’accord ? »

Je n’étais pas inconscient du danger qui guettait notre monde, mais je tenais aussi à ma liberté. Sauf qu’Anne avait raison, ils avaient tous raison. Mon père ne faisait que me protéger, on ne s’était pas revu depuis vingt-huit ans et il était arrivé tellement de choses... « Je le comprends, je ne dis pas qu’il a perdu la raison, mais après toutes ces années, je dois sûrement lui avoir manqué... surtout qu’il n’a pas eu la chance que j’ai eu avec Astrid d’échapper à la journée interminable. » Je me considérais extrêmement chanceux d’avoir pu bénéficier de la protection de Cora pendant tout ce temps. C’était un peu dans cet esprit que je m’étais donné une mission de protéger ce qui me tenait à cœur. Même si ma vie était en danger, j’étais heureux de savoir que le reste de la tribu se portait bien. Après ma discussion concernant Billy et le reste, je la raccompagnai sur son navire. À Beurk, nous avions énormément de gens qui faisaient office de passer un temps très court sur nos terres, mais ils étaient aussi là pour nous apporter quelque chose de plus. J’étais heureux d’avoir pu aider Anne, d’une quelconque façon qu’elle soit. Avec l’aide de Krokmou, nous avions déplacé ses vivres dans son bateau. « Ça me fait plaisir. Tu reviens quand tu veux. » Puis elle me toucha un mot sur Astrid. Je fronçai les sourcils, un peu confus, pendant que je voyais déjà mon compagnon se moquer de moi en arrière. « Oh euh... Astrid et moi on n’est pas... ensembles. On n’est pas ensembles. » Tout le monde nous confondait pour un couple... parce qu’on était toujours tous les deux, même pendant la malédiction, on avait été inséparables. Mais... il ne se passait rien... !

J’étais heureux de voir qu’Anne pouvait s’en sortir, même si mon aide n’était que minime dans cette histoire. « Si on ne se revoit pas d’ici là, je te souhaite un bon voyage. La prochaine fois, nous aurons sûrement l’occasion de nous reparler plus amplement de tes voyages. » lui dis-je, tout en souriant. C’était plaisant d’avoir une amie qui voyageait autant, mais d’un autre point de vue. Oh et voilà mon sujet de conversation préféré... Astrid et moi. L’histoire, quand on était amoureux et presqu’aveugle d’amour, c’est qu’il y avait des choses qu’on ne voyait pas toujours de notre propre œil. Ou quand on passait trop de temps avec l’autre personne, on ne savait jamais ce que cela voulait signifier pour notre proche. C’était un peu notre situation avec Astrid et moi. Enfin, c’est ce que je croyais bien. On avait vécu plus de choses ensembles que n’importe qui d’autre. Et tout le monde nous bernait avec cette histoire, alors qu’on était toujours dans le déni... Du moins, c’était mon cas à moi. Je ne voulais pas perdre Astrid à nouveau, pas dans ce sens-là. Je savais qu’on serait sûrement capable de survivre et surmonter beaucoup de chose, mais étions-nous réellement en mesure de le faire en... couple ? Eh bien, maintenant, je savais qu’Anne le pensait ainsi. À mon plus grand désespoir, je sentis mes joues rougirent. « Je... quoi ? Enfin, je veux dire, tu serais une des premières... C’est juste que... » Je ne savais pas comment lui expliquer une notion que j’ignorais comment définir moi-même. Je lui dis dos quelques instants et je soupirai par la suite. « Tu sais, avec Astrid on a vécu tellement de choses. Je ne sais pas si... enfin, on serait capable, mais est-ce que je suis vraiment son genre ? Je ne sais pas. » Je disais n’importe quoi pour que la conversation ait un sens réel, mais je ne le trouvais malheureusement pas... !

Il y avait des jours où je me demandais s’il y avait quelqu’un sur Beurk qui n’était pas au courant que j’en pinçais pour Astrid. Mais Anne, ça allait au-delà de notre petit village, c’était une de nos bonnes amies. Bon d’accord, je devais bien admettre que depuis le temps, il y avait certaines choses qui n’étaient plus un secret pour personne, mais quand même. Je n’arrivais quand même pas à croire qu’on en était à parler de ma vie amoureuse. Je n’avais jamais pincé pour personne d’autre, mais ce n’était quand même une raison... si ? Je ne savais pas trop réagir quand on m’en parlait parce que je trouvais toujours une excuse. Dans ce temps-là, c’était tout simplement : ce n’est pas le moment. Ce n’était pas le moment, non plus. Une malédiction de vingt-huit ans nous était tombée, en premier lieu et ensuite, l’hiver et le froid pour continuer dans la lignée des catastrophes. Je ne savais franchement pas comment faire pour que ce soit le bon moment de dévoiler tous mes sentiments à Astrid. Le pire dans tout ça, c’était que mon vieux Krok’ semblait d’accord avec la pirate. Je devais peut-être m’en attendre, après tout ce que j’avais vécu à ses côtés. Krokmou voyait les choses d’une autre perspective, mais il était tout aussi d’accord avec le reste du monde. « Tu as vu le dragon approuver, je crois que je n’ai pas besoin d’ajouter quoi que ce soit. » ris-je. Cependant, je repris mon sérieux. C’était un sujet de conversation que j’avais pour habitude d’éviter, mais je devais jouer franc-jeu avec Anne. De toute façon, je savais qu’elle s’entendait très bien avec Astrid, alors il fallait que je fasse gaffe. « Je sais pas, Anne. Tu sais, y’a eu la première malédiction d’abord et ensuite... la neige, le froid, le départ de certains de notre village... Je crois pas que ce soit le bon moment... » La classique excuse. Mais je savais que mon interlocutrice allait revenir avec le bon argument pour essayer de me faire changer d’avis (tout le monde voulait me faire changer d’avis... !)

Je soupirai à nouveau. Je ne savais pas comment le dire à Astrid, elle était proche de moi depuis toujours et pourtant, je ne trouvais pas la force de tout lui avouer. On s’était déjà embrassé par le passé et c’était bien la preuve que nos sentiments n’étaient plus un secret pour personne. Mais avec tout ce qui se passait sur Beurk, je me doutais que c’était un bon moment pour tout lui avouer. On était occupé à remettre notre peuple sur les rails et pourtant... On trouvait toujours le moyen de se parler. Anne avait peut-être raison, après tout. C’était peut-être le moment de lui dire ce que je ressentais pour elle, ce ne serait pas une si mauvaise chose. Je m’en faisais toujours pour absolument rien. Mais perdre Astrid serait pour moi... inconcevable. J’en avais vécu trop avec elle pour me rendre jusque-là, mais en même temps... elle comptait tellement pour moi, je ne voulais pas la décevoir pour rien au monde. Peut-être bien que j’attendais trop justement ? Je ne savais pas et je savais que tout le monde attendait que je fasse quelque chose, du moins que l’un de nous le fasse et je me retrouvais dans une drôle de situation où je ne savais pas trop où me positionner. Astrid était une fille géniale et je ne voulais pas tout gâcher. « Si tu penses que je devrais me lancer, je peux toujours essayer, mais je ne te promets pas un mariage dans l’immédiat. Chez nous, on a des étapes avant de pouvoir célébrer le tout... ! » Dont une étape importante qui s’appelait le cadeau des six lunes. Les deux fiancés doivent se donner un cadeau après ce temps pour sceller leur union de manière officielle. Rien n’était encore fait, mais je ne disais pas non à un essai, bien évidemment. « Harold, ton père te cherche ! » m’avisa Gulford. Oh mince... Je savais ce qu’il allait sûrement me dire et je levai les yeux au ciel avant de m’excuser auprès de mon amie. « Eh bien, quand on parlait justement de mon père, » déclarai-je, tout en montant sur Krokmou. « Si jamais tu croises Astrid essaye d’être... discrète. Oh et si jamais tu me cherches pour me dire au revoir, demain, demande aux alentours. » Puis, je m’envole sur le dos de mon fidèle compagnon pour aller faire face à Stoïck la brute... !