Boire une bonne tasse de thé, comme au bon vieux temps avec Jefferson, voilà qui me semblait à la fois familier et inédit. Après tout, nous avions été amis dans une autre vie, cela remontait à si loin… Et la vie nous avait joué de drôles de tours, nous éloignant, nous opposant, puis nous rapprochant finalement. Je n’avais pas été étrangère à ce qui nous avait fait nous opposer, j’avais été égoïste, mais à présent, je m’étais repentie et il m’avait pardonnée. Heureusement.
Nous voilà donc dans sa maison rénovée par mes soins magiques, à siroter du thé chaleureusement préparé par le chapelier maître des lieux. En songeant aux retrouvailles de tout un chacun, je réalisai que depuis que je le connaissais, je n’avais jamais vu le chapelier avec qui que ce soit, sentimentalement parlant. Je m’en voulais déjà d’avoir laissé parler ma curiosité, mais c’était trop tard, je lui avais demandé si je pouvais lui poser une question… Ma foi, lançons nous.

- Eh bien… je ne voudrais pas être indiscrète très cher, mais je me questionnais… As-tu… enfin je veux dire… Y a-t-il quelqu’un dans ta vie ? Je disais que maintenant que tu avais retrouvé ta fille, peut-être que tu pourrais enfin trouver ton âme-sœur ?

Je me sentis un peu idiote de lui poser ce genre de question. Pas tout le monde était forcément enclin à être en couple, mais n’étions-nous pas des personnages de contes ? L’Amour et sa quête n’étaient-ils pas au coeur de nos vies ? J’avais totalement perdu la raison en voyant mourir mon premier amour, ceci avait été la cause du malheur de tout mon royaume. Et finalement en trouvant mon âme-sœur, j’avais découvert et vécu un bonheur sans pareil. Je souhaitais la même chose à mon ami.
Je profitai de son temps de réponse pour déguster le thé, ne manquant pas de lui faire savoir avec un sourire et un hochement de tête combien j’appréciais sa préparation.
Au dehors, la petite fille s’amusait encore avec son chien. Je me demandais comment comment elle prendrait la nouvelle de leur emménagement temporaire au château en attendant le bal.
Une fois la tasse de thé terminée et la discussion éclaircie, je vis a fillette entrer. Je compris à son visage qu’elle ne s’attendait pas à me voir, ni même à retrouver sa maison si changée.

- Bonjour Grace, dis-je en me levant, lui adressant un sourire.

Je ne savais pas le souvenir qu’elle avait de moi, si elle aurait peur ou non.

La question de Regina me prit de court et je posai ma tasse pour ne pas renverser mon thé. Je devais bien avouer que je ne m’attendais pas à une telle question.

« - Pour être tout à fait honnête, ma chère, depuis la mort de Priscilla, je me suis consacré uniquement à Grace. Elle avait besoin de son père et je me sentais trop coupable pour même songer à refaire ma vie avec quelqu’un d’autre. Et depuis mon petit passage au Pays des Merveilles, j’ai quelques difficultés à m’imaginer avec qui que ce soit. »

Je lui souris doucement comme pour lui rappeler que je ne lui en voulais plus de m’avoir laissé là-bas. Cependant, que je lui en veuille ou non, que de l’eau ait coulé sous les ponts depuis ou non, cela n’effaçait pas ce que j’avais subi entre les griffes de Cora.

« - Et puis, ce n’est pas comme si j’avais beaucoup à offrir à une femme ou… ou à un homme. Je n’ai que cette maison, un peu d’argent si des gens viennent me demander un chapeau pour ta fête, une fille pré-adolescente et tout un attirail de problèmes et d’anxiétés. Vraiment, je ne sais pas ce qu’on pourrait me trouver. »

Ma voix se noua un peu alors que je disais cela et je tentai de le cacher dans une légère quinte de toux. Ce n’était pas que je ne voulais pas trouver quelqu’un, au contraire. Plus les années avançaient, plus la solitude me pesait. J’avais été seul pendant les vingt-huit ans de la Malédiction et je ne voulais plus jamais vivre ça. Mais la Reine de Cœur avait fait un très bon travail pour briser mon esprit et parfois, j’avais l’impression que cela faisait des années que je ne tenais plus qu’à un fil et que ce fil s’appelait Grace ou, plus rarement, vengeance.

« - De qui je pourrais bien être l’âme-sœur, je me le demande. Avec Priscilla, c’était presque une évidence. On s’est rencontrés à Camelot, dans la salle du trésor, alors qu’on essayait tous les deux de voler quelque chose. Elle ne s’en laissait pas conter, cette femme. Tu l’aurais vue dans sa robe de bal, pointant sa rapière dans ma direction en voulant me faire croire qu’elle faisait partie de la garde ! Elle m’a tout de suite plu et je crois que pour elle aussi, ça a été rapide. Mais j’étais jeune, fringant et plus ou moins sain d’esprit à l’époque. Aujourd’hui, regarde-moi… »

Ce fut à ce moment-là que ma fille rentra, tenant Spot dans ses bras. Elle fut surprise de voir Regina, mais comme j’avais l’air détendu, elle ne s’alarma pas davantage.

« - Bonjour, votre Majesté. » répondit-elle avec une petite révérence adorable avant de venir vers moi et m’embrasser la joue. « Tout va bien, Papa ? »

« - Oui, oui, ma puce, tout va bien. La Reine et moi, on boit le thé. C’est elle qui a réparé la maison et je crois qu’elle t’a fait plein de jolis cadeaux. Ils sont dans ta chambre, si tu veux aller les voir ! »

Grace regarda la jeune reine avec étonnement, me regarda à nouveau, puis se tourna vers Regina et refit une petite révérence.

« - Merci d’aider mon Papa, madame. Merci beaucoup. Et merci pour les cadeaux. »

Elle lui sourit et courut dans sa chambre, le petit chien toujours dans ses bras. Je la regardai quitter la pièce avec un sourire tendre avant de reprendre ma tasse et de boire une gorgée.

Je me sentis un peu indiscrète avec ma question, mais après tout, Jefferson et moi nous connaissions de longue date, il n’y avait jamais eu de langue de bois entre nous. J’écoutais donc sa réponse. Comme toujours, il se s’estimait pas beaucoup.

- Je te trouve plutôt séduisant, tu es bien trop dur avec toi-même.

Il arguait qu’il ne savait pas de qui il pourrait bien être l’âme-soeur ou ce qu’on pourrait lui trouver.

- Tu sais Jefferson, quand tu rencontres la bonne personne, ces choses dont tu parles ne sont que futilités. Dois-je te rappeler que j’étais la méchante reine ? Et qu’à présent je suis mariée avec Robin des bois ? Personne ne l’aurait cru, pas même moi. Pourtant, c’est ce qui s’est passé .

J’espérais lui apporter un peu de positif avec ma propre histoire. Après tout, si une personne ne risquait pas de trouver l’amour, c’était moi, après avoir fait souffrir autant de personnes.
La petite Grace arriva finalement et me salua fort poliment. Je lui adressai un sourire, la laissant ensuite échanger quelques mots avec son père. Elle me remercia ensuite.

- Cela me fait plaisir, j’espère que tu aimeras.

Elle ne tarda à pas courir dans sa chambre, sans doute prise de curiosité. Je reposai ma tasse de thé que j’avais terminée et me levai.

- Je ne vais pas te déranger plus longtemps, et te laisser profiter de ta fille. J’espère qu’elle sera contente de venir un peu au palais. La fille d’Ariel a sensiblement le même âge que Grace.

J’attendis qu’il se lève aussi et je m’approchai de lui pour le prendre dans mes bras dans un geste d’affection que je ne faisais que rarement, hormis pour mon mari et mes enfants.

– Merci d’avoir accepté ma demande, Jefferson, et cesse de douter de toi.

Je me détachai de lui en lui souriant. Peut-être qu’avec tous les clients que lui apporterait l’approche du bal, il finirait par faire des rencontres, qui sait ?

- Je te souhaite une bonne soirée.

Nous nous saluâmes avant que je ne quitte finalement la maison du chapelier. Comme à mon arrivée, je m’éloignai de quelques pas avant d’effectuer un mouvement de poignets pour disparaître dans un nuage de fumée violette, pour réapparaître dans mon palais.
A présent, j’allais pouvoir parler à Clochette de cette idée de bal des retrouvailles. J’étais plutôt enthousiaste quant à cette fête, j’espérais que cela aiderait tout un chacun à se remettre de ses émotions.

Les compliments de Regina sur mon physique me firent sourire d’un air gêné. Je ne savais pas recevoir les compliments, particulièrement ceux qui avaient trait à mon apparence. Mais si elle disait que j’étais séduisant, peut-être faudrait-il que je commence à prendre un peu plus soin de moi et à sortir. En plus, on disait que cela aidait grandement pour retrouver confiance et estime de soi. En tous cas, je me rappelais que Mercutio avait lu ça dans un magazine à New-York.

« - Toi et Robin formez un très beau couple, d’ailleurs. Et te voir heureuse est un ravissement, très chère. »

Quand Grace courut dans sa chambre et que Regina m’annonça qu’elle allait partir, je me levai à mon tour et acceptai bien volontiers son câlin. C’était étrange de serrer la reine dans mes bras après tout le mal que nous nous étions fait, mais je ne pouvais m’empêcher de savourer ce contact comme quelque chose de très apaisant.

« - Je vais essayer. » lui répondis-je à sa demande de cesser de douter de moi. « Merci pour tout, Regina. Vraiment, un grand merci. J’espère que ton chapeau te plaira. Une bonne soiré à toi aussi. »

Je lui souris et la saluai quand elle passa la porte. Je restai un moment à la porte pour la regarder partir, puis je me mis à ranger la table et nettoyer les ustensiles de notre thé. Maintenant que Grace et moi avions une belle maison bien réparée et bien meublée, il était hors de question que je laisse les choses partir à vau-l’eau.

Quand tout fut nettoyé et rangé, je m’assis à ma table et me mis à réfléchir à la confection du chapeau de la reine. Cela ne pouvait pas être n’importe quel couvre-chef, il fallait qu’il soit digne de la souveraine qu’était Regina. Mes années de chapellerie étaient relativement lointaines, donc il me fallut plusieurs dessins ratés avant de commencer à être satisfait de mes idées.

Après un moment, Grace revint dans la salle principale, Spot et une nouvelle peluche dans les bras et un grand sourire aux lèvres. Elle vint s’asseoir à la table, posa le petit chien par terre et me regarda faire.

« - Ca fait combien de temps que tu n’as pas fait de chapeau ? » me demanda-t-elle en regardant mes dessins ratés.

« - Depuis la fin du Sort Noir, je dirais. Ca remonte un peu. »

Je chiffonnai une autre feuille en grognant et en repris une pour recommencer. Ma fille pencha la tête sur le côté, regarda sa peluche et sourit.

« - Tu sais, Papa, si tu as besoin de t’entraîner un peu, Regina vient de me faire cadeau de pleins de peluche et de poupées qui auraient besoin de petits chapeaux… »

Par tous les Dieux, que ferais-je donc sans ma fille ?