Je ne pensais pas que la vie pouvait faire du tord à un démon… On en apprenait tous les jours. A croire que le destin s’amusait à tous nous torturer, qu’on soit un simple mortel ou quelqu’un de beaucoup plus puissant. Je me demandais ce qu’on avait bien pu oser faire à quelqu’un comme Absolem. Il fallait être sacrément culotté, ou quelqu’un comme lui peut-être pour s’en prendre à lui… Personnellement, je ne m’aventurerais pas à lui demander ce qui lui était arrivé. J’étais curieuse, mais pas au point de poser des questions aussi intimes à un démon. J’avais eu de la chance jusque là, je n’allais pas tenter le diable non plus.

Perdue dans mes pensées, je m’écartais soudainement de mon compagnon de route en sentant quelque chose d’étrange et de puissant se dégager de lui. Finalement, mes colères à moi, c’était de la rigolade à côté de lui. J’étais sans doute une enfant de cœur par rapport à cet homme. Quand il semblait plus calme, je repris ma place à ses côtés.

- Vers l’Ouest, du côté de DunBroch. Je ne suis jamais allée par là, je voulais y jeter un œil.

J’aurais voulu rajouter que parce que nous avions eu de bonnes prises ce mois-ci, je pouvais me permettre un voyage sans but de pillage, mais c’était peut-être un peu dangereux de lui dire que j’étais une pirate. Je n’avais pas envie qu’on me dénonce, moi et mon équipage. Je n’avais peur de rien, mais je ne voulais pas attirer d’ennuis à mes hommes.

- ça vous arrive souvent de faire cosette avec une inconnue rencontrée au hasard ? Où c’était un petit privilège que j’ai ? Demandai-je en souriant, pour faire la conversation.

Oh non, je n’étais sans doute pas la première à qui il parlait aussi cordialement.

Ma comparse dû s’éloigner un peu de moi lorsque je « piquais ma crise », mais ne dit pas un mot, c’était assez sage de sa part et je trouvais aussi cela poli qu’elle ne fasse aucune remarque. J’appréciais et me calmais lorsqu’elle reprit place à côté de moi, me donnant la direction de son prochain voyage. DunBroch, je n’y étais jamais allé, je n’avais pas encore eu d’affaires n’y emmenant plutôt, alors j’hochais la tête, me demandant bien ce qu’il pouvait y avoir là-bas…

Puis Anne me demanda si cela m’arrivais souvent de faire la conversation à quelqu’un abordé totalement au hasard ou si c’était quelque chose qui lui avait été réservé. Alors, lui souriant d’un air taquin, je lui répondis : « Aborder de parfaits inconnus pour discuter, disons que ça m’arrive assez régulièrement, surtout que généralement, cela sert mes affaires. Mais aborder une douce jeune femme simplement pour discuter et avoir le plaisir de sa compagnie, cela est plutôt rare... », je me tue un instant avant d’ajouter, « vous devriez vous sentir chanceuse ce soir... », ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait passer un moment de pure tranquillité en présence du futur monarque des enfers…

Cet être sublime et si séduisant ! Bon j’arrête… « Dites-moi Anne, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la mer ? Etait-ce par lassitude de cette vie, ou alors pour un but bien précis ? », cela m’intéressais de savoir pourquoi choisir une vie sur l’eau, au gré du vent, des marées et des tempêtes...

J’aimais découvrir de nouvelles terres, et j’avais un certain attrait pour la culture celtique. Et puis voir des hommes en kilt, ça devait être très agréable pour les yeux et aussi très drôle. Des hommes en jupe courte ! C’est génial ! Soudain, j’imaginais Absolem en kilt et secouait vivement la tête pour effacer cette image de mon esprit. N’importe quoi Anne ! Tu devrais avoir honte ! Pensais-je.

Il répondit tranquillement à ma question. J’avais l’impression que toutes ses phrases étaient pleines de sous entendus que je ne comprenais qu’à moitié. En effet, je devais avoir beaucoup de chance d’être tombé sur un bon jour d’Absolem et de l’avoir aussi gentil. Parce que oui, je le trouvais plutôt gentil. Je l’appréciais même. Il me changeait de mon équipage un peu bourrin et stupide. Il était d’apparence un parfait gentilhomme, mais dans le fond, il sentait le danger… C’était assez excitant en fait. Un homme plein de mystère et ténébreux.

- Alors je vais profiter pleinement de ma chance, en me délectant de votre compagnie.

C’était une agréable soirée, avec une compagnie des plus agréables, même si je restais quand même prudente. On ne pouvait jamais être sûr de rien avec un démon après tout.

- Au début, la vengeance. Ce sont des pirates qui m’ont pris mon trésor… Et puis je me suis plu dans cette vie d’aventures, à découvrir le monde, à me réveiller chaque matin devant un nouveau paysage, devant une nouvelle contrée. Pouvoir être moi-même, loin du protocole bourgeois. Être l’animal sauvage que je suis ! Répondis-je en souriant.

Oh oui, j’étais une louve sauvage ! Indomptable et imprévisible.

J’avais choisi une vie d’homme d’affaires, une vie pleine de surprises, d’histoires de coeur mais aussi de sang, de violence, de passion, tout ce qui pouvait agrandir mon pouvoir mais aussi me permettre de me ressourcer. Car si j’avais donner du plaisir et en recevoir, j’appréciais aussi les souffrances des autres et me délectais de les voir se débattre dans le vide infini et plonger dans un malheureux désespoir. Oui, j’étais à la fois doux, aimant, passionné, mais aussi dur, violent, jaloux et tous ces sentiments, toutes ses émotions pouvaient me faire faire des choses irréparables. Un point de non retour…

Alors oui, aujourd’hui Anne était chanceuse, j’étais à la fois ici sans arrière pensée, elle avait le plaisir de jouir de mon illustre présence, mais aussi j’étais de bonne humeur. Pas sûr que la jeune louve aurait apprécié ma compagnie lorsque j’étais en pleine négociation avec certains grands des royaumes… Non, ce soir j’étais serein, un parfait gentlemen et je comptais bien le rester jusqu’au bout de cette nuit.

Me confiant alors que la vengeance avait été un guide tout d’abord, la belle jeune femme fut ensuite conquise par les grands espaces, par l’aventure et ses contrées. Une vie de pirate qu’elle avait alors adopté. Je lui souris, je comprenais ce qu’elle voulait dire même si je ne le ferai pas moi-même… Laisser parler tout son être, laisser exploser sa personnalité, loin des règles et des masques de courtoisie.

« Une envie de liberté... », lui dis-je alors en souriant, un sourire aussi éclatant qu’un peu triste lorsque je pensais à ma situation. Etre aspirant au trône ne laissait pas trop de place à la liberté, sauf à celle de tout faire pour être l’élu...

Me venger… Je l’avais très bien fait. J’avais réduit à feu et à sang tout un bateau pirate à moi toute seule. Une louve de dix neuf ans qui réussissait à faire ça, c’était plutôt rare. Et même si c’était vraiment affreux, j’étais plutôt fière de ce que j’avais fait. Ceux qui m’avaient fait le plus de mal avaient été punis, j’avais brisé leurs os, arrachés leurs membres, ôtés leur vie sans le moindre remords. C’était ce que je suis : une louve meurtrière. Et aujourd’hui, j’étais aussi une pirate. Les deux s’entendaient plutôt bien. La louve et la pirate s’alliaient pour tuer, et régner sur les océans ! Ou au moins sur son navire.

- Une envie de liberté et une envie de m’exprimer comme je l’entends. Dire des gros mots, m’habiller en homme, boire du rhum ! M’exclamai-je en souriant et riant.

C’était qu’il avait un  beau sourire aussi… ça lui allait plutôt bien le sourire. Je fis quelques pas dansant, et fit une petite pirouette, me sentant légère comme une plume. Parler de liberté me faisait toujours cet effet là. Avoir l’impression de flotter dans les airs et d’être une petite fille qui avait tout ce qu’elle désirait.

- Et vous ? A quoi elle ressemble votre liberté ? Je vous imagine mal à la barre d’un navire. Comment vous faites pour vous… Evader ? Demandai-je curieuse.

J’étais d’humeur bavarde ce soir. Voulant en apprendre un peu plus sur ce bel inconnu qui attisait ma curiosité et qui me faisait parler de sujets qui me plaisaient. Quoi de plus agréable que de se sentir libre. Loin des lois, des règles, de la justice et de l’éducation. Mes matelots étaient peut être des bourrins, mais ils étaient comme moi : libres de tout. Absolem avait cette élégance imposé aux Grands, c’était agréable d’être avec lui, mais je ne pourrais pas vivre ainsi tous les jours, plus maintenant.

Cette femme était une véritable bouffée d’air frais. Même si elle avait eu un aperçu de ma nature démoniaque, elle restait elle-même, me confiant ses rêves et espoirs de liberté, sa ligne de conduite. Je ris franchement lorsqu’elle me dit qu’elle pouvait ainsi dire des gros mots, s’habiller en homme et boire du rhum. L’ordre dans lequel elle avait prononcé ces mots n’étaient peut-être pas anodin et si tel était le cas, le poids de l’étiquette était alors ce qui l’avait le plus poussé à prendre le large…

Elle semblait si légère, joyeuse alors qu’elle fit quelques pas de danse de façon très élégante tout de même ! Anne me demanda alors ce que moi je faisais pour m’évader, me sentir libre de tout. Je dû sérieusement réfléchir car cela n’arrivait pas réellement. Je faisais quasiment tout par le fait de plans, tout était minutieusement ordonné, ne laissant pas trop la place à la fantaisie, à la liberté.

« Ce qui se rapproche le plus de mes moments de liberté serait un moment comme celui-ci. Personne a convaincre, personne avec qui entamer une joute oratoire, pas de combat, pas de magie, juste moi en charmante compagnie. », je lui souris un peu, me demandant si je ne devrais pas souffler un peu plus souvent. En tout cas Anne était parvenue à me faire décompresser un peu, ne me demandant rien d’impossible à accomplir, juste marchant un peu avec moi, discutant de tout et de rien. C’était agréable !

« Je suis content de vous avoir rencontré ici ce soir, ma chère. Et sachez que vous pouvez dire tous les gros que vous voulez en ma compagnie, boire le rhum que vous voudrez... » ajoutais-je avec un petit clin d’oeil taquin...

On avait tous nos petits secrets et nos démons intérieurs, il y en avait juste qui étaient un peu plus impressionnants que d’autres. Alors pourquoi changer mon comportement envers Absolem ? Je le sentirais si un danger devait venir, c’était mon instinct de survie qui me le dirait, et pour l’instant je me sentais bien, très à l’aise même. Peut-être un peu trop ? Il me le dirait si j’en faisais trop, j’étais sûre qu’il n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds.

Je lui demandais ensuite comment lui faisait pour se changer les idées, échapper à son quotidien, à sont travail. Il réfléchit un instant qui me parut assez long quand même. Ça ne devait pas être drôle d’avoir si peu de moment à soi qu’il fallait réfléchir pour savoir comment on faisait pour avoir un instant de liberté. Apparemment pour lui, c’était les moments comme celui-là qui le lui permettait. Je souris à son compliment, comprenant qu’il appréciait ma compagnie.

- Je peux vous demander quel est votre travail exactement ?

Ça me semblait bien compliqué, et pas très amusant. Il devait sans doute tenir un rôle à chaque instant, mesurer ses mots, prendre sur lui, sourire à des personnes qu’il n’aimait pas. Après, je devais avouer des fois, je devais quand même jouer le rôle d’un homme alors ce n’était pas vraiment moi, mais c’était très drôle. Le mieux, ça restait quand je me moquais de ces messieurs et que je leur montrais qu’ils s’étaient fait avoir par une dame.
Absolem continua sur sa lancé de compliments et de gentillesse. Ça me fit sourire, j’étais ravie.

- Je suis contente d’avoir croisé votre chemin également. Oh, vraiment ? Je ne voudrais pas offusquer vos oreilles habituées aux habiles joutes oratoires raffinée. Déclarai-je amusée. Et comment réagiriez vous, si je me changeais en louve pour poursuivre les papillons de nuit ? Demandai-je dans un petit rire enfantin.

Une compagnie sans nul doute rafraîchissante, peut-être plus appréciable que ce que je voudrais bien avouer. Je me sentais bien, la douce brise du soir traversant les fibres de mon corps et me permettait de réfléchir calmement. Je pensais alors à Anne qui, je l’espérais n’avait plus aussi froid que tout à l’heure. Ma cape lui sied à merveille et j’étais même plutôt content qu’elle la porte. Quoi de mieux qu’une belle femme dans l’un de vos vêtements… Dans d’autres circonstances… Non, il ne fallait pas que j’y pense sinon, j’allais rallumer des feux endormis et ce soir je préférais que cela reste ainsi, c’est alors que la jeune femme me demanda ce que je faisais comme travail.

Je regardais le ciel et la lune avant de lui faire un réponse, complète et honnête. Au pire que pouvez-t-elle y faire ? « Je suis un homme d’affaires implanté dans divers domaines dont l’alcool, la drogue, l’armement, les jeux d’argent et les plaisirs de la chair... », lui avais-je donc répondu, le plus calmement possible, comme si je lui disais que tous les jours j’aimais me promener dans la forêt. Pourtant ce que je lui disais pouvait choquer la plupart des gens et les faire couper court à cette promenade… Souriant à ses petites remarques amusantes, le sourire montant jusqu’aux yeux, nous poursuivions.

« Si vous décidiez de vous changer en louve pour chasser des papillons de nuit, je vous suivrez et je vous tiendrez vos vêtements ? Je ne sais pas s’ils se désintègrent lors de votre transformation... », lui dis-je alors, tout simplement, avant d’ajouter « Peut-être tenterais-je de toucher votre pelage si vous m’y autorisez… j’avoue être assez curieux... »

Il répondit à ma question avec beaucoup de naturel. Ce soir, pas de secret, nous étions francs et nous répondions à l’autre avec honnêteté. Ça me changeait de d’habitude. Généralement, je me présentais comme Adam Bonny, marchand marin honnête qui avait besoin de s’amarrer afin de faire le plein de provisions. C’était loin d’être ce que j’étais vraiment. Mais sur mon bateau, j’étais bien Anne Bonny, grande pirate au gros caractère ! Mais parfois un peu enfantine et un peu aimante.

- Les pirates aiment l’alcool, ont besoin d’armes, jouent un peu aux jeux pour essayer de gagner le butin des autres, adorent aller dans les bordels. Pour la drogue, je suis moins sûre… Ce sont deux mondes pas si différents dans le fond. Constatai-je.

Nous n’étions pas des personnes très recommandables tous les deux, nous devions l’admettre. C’était peut être pour cette raison que nous nous entendions bien et que nous avions besoin de ce moment de franchise, de naturel et de légèreté. C’était vraiment un bon moment, j’étais agréablement surprise par cette soirée. Je pensais que je me serais ennuyée à regarder mes matelots faire la fête avant d’aller regagner ma cabine pour lire ou étudier une carte.
Je l’aimais beaucoup cet Absolem. Il était prêt à me suivre même si je me changeais en louve pour poursuivre les petites bêtes de la nuit.

- Je garde mes vêtements pour me changer en louve, et je les retrouve intactes quand je redeviens humaine. J’aime beaucoup les caresses derrières les oreilles vous savez ?

Je regardais autour de moi pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’autre promeneur nocturne. Sous ses yeux, je me changeais en louve au pelage de jais. Mon garrot arrivant à la hauteur de sa taille. Je me sentais bien comme ça, près de la nature, tous mes sens en éveil.

Pouvoir parler sans artifice, peut-être était-ce ce qi me faisait passer ce délicieux moment en la compagnie de la charmante jeune femme. C’était une capitaine d’une équipe de pirates et finalement, ça ne me surpris pas plus que cela, j’étais certain que ce rôle lui convenait à merveille et que ces hommes devaient l’écouter s’il voulait garder la vie sauve entre autre… Les pirates avaient les mêmes passe-temps que ceux que je dirigeais. Cela me fit sourire, il n’était pas rare d’en ravitailler quelques uns notamment en alcool. Ils perdaient souvent leur argents sur les tables de jeux mais ils revenaient toujours. De bons clients assurément !

Hochant la tête à ses propos, j’étais tout à fait d’accord, nous venions de mondes similaires ou en tout cas qui se côtoyaient régulièrement. Nous n’étions pas des personnes recommandables mais nous n’en avions que faire, nous savions qui nous étions et nous vivions comme nous l’entendions, c’était ça l’important. Et puis, c’était agréable de ne pas avoir à se cacher, enjoliver la vérité pour paraître « acceptable ».

Anne me répondit alors qu’elle se transformait avec ses vêtements et qu’ensuite lorsqu’elle redevenait humaine ils étaient intacts ! C’était formidable quand même ! Elle ajouta même qu’elle aimait beaucoup les caresses derrière les oreilles avant de se changer en une magnifique créature de jais. Elle était grande tout de même ! J’étais ébailli par sa transformation, vraiment heureux d’y avoir assisté. « Ma chère Anne, vous êtes tout bonnement magnifique, superbe ! », son pelage semblait doux, soyeux et donnait envie d’y plonger ses mains pour le caresser. Puis repensant à sa remarque, je m’approchais tranquillement, décidé à lui caresser derrière les oreilles.

« Puis-je ? », lui demandais-je tout de même, un sourire de gamin sur les lèvres, j’adorais découvrir de nouvelles choses et là c’était le cas.