Je la regardais jouer avec les vagues d’un air bienveillant, content qu’elle soit assez détendue en sa présence pour jouer de la sorte. Puis finalement elle reprit forme humaine. Je ne pouvais que contempler ses deux formes, elles étaient toutes deux magnifiques et devaient avoir leurs avantages comme leurs inconvénients… Mais en tout cas, la dame était une superbe créature peu importe le cas. Apparemment ma réponse lui avait plu, et tant mieux, je n’aurai pas pu choisir ou alors égoïstement j’aurai dit « les deux »…

Après une petite révérence pour souligner mes propos, nous reprîmes notre petite balade côte à côte, c’est alors que la jeune pirate me confia qu’elle avait pendant longtemps détesté son côté louve. Je lui fis alors une mine étonné, car vu ce qu’elle m’avait montré, elle semblait parfaitement à l’aise sous cette forme et heureuse ? Libre ainsi… Alors, qu’est-ce que je lui dirai…

« Eh bien, vous avez sans doute vos raisons, mais le fait que finalement vous ayez accepté cette partie de vous est, je pense, une bonne chose... », après quelques pas, j’ajoutais alors « Pourquoi détestiez-vous votre forme animale ? »

Je voulais réellement connaître la raison, comprendre pourquoi, comment, on pouvait en venir à détester une part de soi-même. Je voulais savoir si c’était le fait d’être différent, ou une toute autre raison. En espérant que la curiosité ne soit pas un trop gros défaut ce soir...

Nous reprenions tranquillement notre marche au bord de l’eau. Mon regard oscillait entre Absolem et l’horizon marin plongé dans la nuit. Tous deux étaient aussi agréables à regarder l’un que l’autre. Restant un instant silencieuse, je finis par lui dire que j’avais longtemps détester ma part animale et sauvage. Il avait raison, aujourd’hui je me sentais beaucoup mieux. C’était tellement plus agréable de s’apprécier entièrement et de s’accepter tel qu’on était plutôt que de lutter contre soi-même.

- Et bien, je ne me contrôlais pas très bien avant, à quinze ans j’ai tué une domestique, je l’ai dévorée parce qu’elle avait oublié les petits fours mon anniversaire… ça a été assez traumatisant. Alors longtemps, j’ai pensé qu’être un loup-garou était plus une malédiction qu’autre chose. Plus tard, on m’a pris mon petit garçon parce qu’on pensait que c’était un puissant loup, mais il n’en était rien, c’était un louveteau parmi tant d’autres. Pour moi, la magie n’apportait que des mauvaises choses. Mais maintenant, j’ai appris à me contrôler, et à tirer tous les avantages que je pouvais tirer de ma nature. Et je dois avouer que ça m’a sauvé la vie à plusieurs reprises.

Que de vieux souvenirs… Mais ce soir, j’avais décidé d’être honnête, de répondre aux questions avec franchise, sans mentir. Maintenant, mon regard fixait un point de vide droit devant moi. Ma voix était bien moins enfantine, mais plus grave et silencieuse. Soudain, un vague vint me se fracasser sur mes jambes, je fis un bon sur le côté, bousculant Absolem en retrouvant mon rire du début de la soirée.

- Pardon ! Je suis désolée !

La vague venait d’effacer cette triste partie de la conversation.

J’écoutais Anne me confiant les malheurs de sa jeunesse, de ses transformations. Je pouvais comprendre ce que ça faisait d’être jeune et de ne pas bien contrôler ses pouvoirs, cela m’était arrivé également et de nombreuses personnes en avait payé le prix, néanmoins chez les démons c’était une bonne chose, cela montrait que je n’étais pas faible mais que mes victimes, elles, l’étaient et donc méritaient leur sort.
Néanmoins lorsqu’elle me parla de son enfant je me sentis réellement désolé pour la jeune femme, pour cette mère qui avait perdu son enfant, pour des raisons idiotes qui plus est.

« Je suis vraiment désolé pour votre fils, Anne. » lui dis-je tout simplement alors qu’elle avait le regard plongé vers l’horizon, le ton léger de notre discussion s’était envolé avec la brise du soir. Mais ce n’était pas grave, j’appréciais sa confidence et j’étais assez content qu’elle ait pu faire la paix avec elle-même. D’autant plus si cela lui avait sauvé la vie à plusieurs reprises. Est-ce que je commençais à m’attacher un peu ? Peut-être, en tout cas j’appréciais la jeune femme, c’était un fait.

C’est alors que ma charmante comparse fut surprise par une vague et bondit sur le côté, me bousculant au passage, néanmoins tandis que je la rattrapais, la rééquilibrant au passage, je me surpris à garder le contact physique plus longtemps que prévu. Je lui souris puis je lui dis que ce n’était pas grave. Pourtant je n’avais pas envie de la lâcher alors, je décidais de lui faire un câlin furtif et un doux baiser dans ses cheveux avant de m’éloigner comme si de rien n’était.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé de mon passé à quelqu’un. Parler de moi pirate, je n’avais aucun souci pour le faire problème, mais parler ma vie avant la piraterie, c’était autre chose. J’avais fait des choses que je regrettais, on m’avait fait la chose la plus horrible qui soit.  Je ne savais pas comment j’avais réussi à me relever et aller de l’avant. Aujourd’hui, je me sentais bien. J’étais pleine d’assurance, j’aimais ma vie telle qu’elle était, et je m’aimais moi. Sans narcissisme, je m’acceptais voila tout.

Je fis un petit sourire à ses excuses mais ne rajoutais rien. Il n’y avait rien d’autre à dire, mis à part que la vie était une belle garce. Mais c’était du passé maintenant, et j’avais fini par faire mon deuil. Bien sûr que William me manquait et que je pensais à lui, mais je pouvais vivre avec ça, sans que ça me freine dans ma vie actuelle. Je souhaitais toujours l’anniversaire de mon fils, je me replongeais parfois dans quelques souvenirs, mais je n’étais plus habitée par la tristesse.

Soudain, une vague vint me tremper jusqu’aux genoux. Je fis un grand pas sur le côté, poussant à moitié Absolem qui me rattrapa pour m’éviter de finir la tête la première dans le sable. Il me garda un instant contre lui en me disant que ce n’était pas grave. Je sentis son étreinte se resserrer sur moi et ses lèvres se poser sur le haut de ma tête avant de se détacher de moi.

Je restais un instant figée. Que devais-je faire maintenant ? Lui dire que je ne voulais pas qu’il me lâche ou faire comme lui : comme si de rien était ? Mon esprit tournait à toute allure. Je ne pouvais pas rester muette et pétrifiée comme une statue. J’avais envie de me mettre un coup de pied aux fesses afin de réagir.

- Pourquoi… ?

« Pourquoi ? » Pourquoi me prendre ainsi dans ses bras pour me lâcher ensuite comme ça… ?

Pourquoi avais-je fait cela ? Pourquoi la prendre légèrement dans mes bras et déposer un tendre baiser dans ses cheveux ? Oui, pourquoi ? Et bien dirons nous, c’était une pulsion, une envie à laquelle j’avais fait le choix de céder. J’en avais ressenti le besoin à cet instant de lui témoigner un peu de mon affection. Gentiment, tendrement, et surtout furtivement. Je ne voulais pas que si elle le prenait mal, qu’elle vienne à m’en coller une. L’aurais-je laisser faire ? Peut-être, je n’étais pas certain, cela dépendrait de son énervement sans doute. Pourtant ma douce comparse ne fut pas en colère mais plus… surprise, scotchée sur place, muette. Je m’étais avancé assez loin pour qu’elle ait quelques enjambées à faire pour venir me trouver, lorsqu’elle me demanda pourquoi. Elle aussi se demandait ce qui m’avait traversé l’esprit.

C’est alors que je pris le plus taquin de tous les sourires que j’aurai pu lui faire, me retournant vers elle puis lui dis : « Parce que j’en avais envie... ». J’étais comme un gamin, assez fier de ce que j’avais fait et surtout fidèle à moi-même. J’avais une fois de plus cédé à une envie, n’est-ce pas là le quotidien d’un démon de la luxure et du plaisir ?

« Est-ce que cela vous a importuné, Anne ? », lui demandais-je alors par politesse mais aussi parce que je voulais savoir si elle avait trouvé cela désagréable. Pour ma part, j’avais apprécié chaque secondes de ce court instant, et j’aurai bien aimé recommencer ou alors prolonger cette étreinte...

C’était vague comme question « pourquoi », je pouvais faire mieux. Mais il semblait quand même capable de répondre à mon interrogation. Avec un sourire taquin d’enfant, il me dit simplement que c’était parce qu’il en avait envie. Je trouvais que c’était plutôt une bonne réponse. Il fallait faire ce qu’on avait envie. Mais quand même, se montrer aussi poli et galant, pour ensuite se montrer aussi affectueux envers une inconnue, c’était bizarre quand même non ?

- D’accord… Juste une envie soudaine.

Calmement, je retournais à sa hauteur. Premièrement pour que ça soit plus facile de discuter avec lui sans avoir à élever la voix, et deuxièmement pour éviter de me refaire tremper. Il faisait assez froid comme ça. Puis, il me demanda si ce qu’il avait fait m’avait importunée. Je me répétais la question dans ma tête. Est-ce que ça m’avait importunée ? Non, au contraire, j’avais apprécié. Mais est-ce que ça se disait ça, qu’on avait apprécié ces gestes familiers d’un inconnu ? J’avais décidé d’être honnête ce soir, alors je le serai jusqu’au bout !

- ça ne m’a pas importunée… ça m’a plutôt agréablement surprise.

Ça avait été gentil et tendre. Rien d’insistant ou de mal placé. Ça avait été d’une douceur extrême. Clairement, ça m’avait plu et ça m’avait fait plaisir. Et puis je me décidais à lui rendre la pareille.
Toujours près de lui, je me hissais sur la pointe des pieds pour déposer un furtif baiser sur sa joue. Je souris. Je me remis à marcher devant lui, attendant sa réaction. Moi aussi j’en avais envie, et je l’avais fait. Ça avait été un doux baiser, tout aussi tendre que celui qu’il m’avait offert sur le haut de ma tête.

J’avais fait ce qui sur le coup me semblait acceptable, une bonne idée, je voulais lui démontrer mon affection sans pour autant la brusquée et je fus ravi de constater que cela ne l’avais pas dérangée. Surprise me dit-elle. Agréablement. Je soufflais légèrement, et repris une marche plus mesurée lorsqu’elle me rejoint de nouveau. C’était étrange de voir que pour une fois, sans que j’use de mes pouvoirs, je pouvais me rapprocher d’une inconnue de la sorte. C’était aussi étonnant qu’agréable et j’appréciais grandement ce petit moment. Bientôt nous devrions nous séparer car il fallait bien qu’elle rentre et que moi aussi je m’en aille avant que mon bras droit vienne me chercher de force… La fête était bientôt finie et cela me rendait quelque peu triste. C’est alors que ma comparse nocturne se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser furtif sur ma joue.

J’en fus également surpris, tellement que pour le coup, je m’étais arrêté là, la regardant avec étonnement puis lui délivrant un petit sourire avant de la rejoindre… Puis, la bousculant gentiment comme un sale gosse, je lui demandais tout sourire… « Que me vaut l’honneur de ce petit bisou ? »

Bon d’accord j’étais peut-être un peu trop heureux de ce simple geste d’affection, mais quoi ? Pour une fois j’étais certain de ne pas l’avoir contrainte en quoi que ce soit, c’était donc sincère. Et ça me faisait plaisir, tout simplement...

Un peu de tendresse dans ce monde de brute. J’aimais les marques d’affection, les caresses, les baisers… Mais j’aimais savoir pourquoi on m’en faisait : par intérêt, par pulsion, par besoin peut-être. Ce n’était qu’une envie pour Absolem. Ça me convenait, il était honnête alors ça m’allait. Surtout qu’il s’était montré tendre, sans être lourd. C’était comme ça, que j’aimais les doux baisers innocents.

Finalement, je fis pareil. Je lui offris un tendre baiser sur la joue avant d’accélérer un peu le pas, jetant tout de même un regard par-dessus mon épaule pour épier sa réaction. J’étais une enfant qui jouait à donner des bisous aux garçons. J’avais l’impression d’avoir sept ans et demi, et de m’amuser à tourmenter ce pauvre garçon. Mais ça n’avait pas l’air de lui déplaire, il revint à ma hauteur. J’étais ravie. Et ça m’avait plaisir de lui faire ce bisou. Il voulut savoir en quel honneur j'avais fait baiser. Levant le regard vers lui, je haussais les épaules.

- « Parce que j’en avais envie… » Le repris-je Et parce que je vous apprécie sincèrement. Je suis attristée de savoir que la soirée va très vite se terminer. En plus le baiser que vous m’avez offert était trop furtif à mon goût…

Là, j’avais peut être été un peu trop honnête. Exprimer ainsi ses sentiments, ce n’était pas toujours une bonne idée, même si j’avais choisi de jouer la carte de la franchise. Tant pis, ce qui était dit était dit. Je ne pouvais pas retourner en arrière.

- Désolée, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise.

Nous nous étions rencontré à tout hasard, et pour une fois le hasard faisait bien les choses, nous permettant à l’un comme à l’autre de découvrir une personne et de l’apprécier en passant seulement quelques instants en sa compagnie. Avec simplicité et honnêteté nous nous étions prêtés au jeu de rencontre mais je ne m’étais à attendu à apprécier autant la jeune louve que j’avais à mes côtés.
Tantôt parlant comme les adultes que nous étions, tantôt agissant comme des enfants, nous étions en train de jouer à un jeu dangereux mais affreusement excitant.

Elle m’avait simplement déposé un baiser sur la joue et pourtant j’avais l’impression d’être le Roi du monde, le temps d’un instant, je sourirais de tout mon soûl, content que l’affection que je commençais à lui porter soit réciproque, lorsqu'elle répondit qu’elle aussi avait agit par envie. Je ris alors un peu lorsque mes pensées et celles d’Anne trouvèrent un écho. Elle était tout autant attristée que la soirée se finisse, mais aussi que mon baiser ait été trop furtif. Je souris à sa franchise, la trouvant d’autant plus intéressante. La franchise avait du bon, même si j’évoluais plutôt dans un monde de masques et de mensonges.

Alors qu’elle s’excusait, je me rapprochais rapidement d’elle puis dans une pulsion plutôt adolescente (oui on grandit), je la pris dans mes bras avant de la faire gentiment tournoyer. Alors, lorsque je la reposais après deux/trois tours, je la collais à moi, lui faisant un petit câlin, caressant son dos. Même si j’avais envie de l’embrasser, je ne le ferai pas, pas tout de suite, profitant de notre étreinte et guettant sa réaction...

Des enfants, nous étions des enfants qui se cherchaient et qui s’amusaient. Je ne savais pas du tout comment cette histoire allait se terminer mais tout ce que je savais, c’était que j’étais contente, ravie. J’aurais aussi aimé que cette soirée dure un peu plus longtemps, juste pour en apprendre un peu plus sur lui, passer encore plus de temps avec lui. Essayer de gratter un peu plus que ce furtif baiser qui m’avait laissée sur ma faim. Je m’étais prise au jeu, et je lui avais moi aussi offert un tendre baiser. C’était innocent, juste un baiser sur la joue avant de partir quasiment en courant, tout en zieutant sa réaction. Il semblait joyeux, lui aussi, amusé par cette agréable situation.

D’un coup, alors que je m’excusais pour mes pensées trop honnêtes, il me prit dans ses bras pour me faire tournoyer. Ça me fit rire, c’était amusant. Doucement, il me fit glisser contre lui et je me retrouvais de nouveau dans ses bras. Sa main caressait doucement mon dos et je me laissais aller contre lui, la tête contre son torse. Il était toujours aussi chaud, réchauffant la peau froide de ma joue.

Mon dieu, mais qu’étais-je entrain de faire ? J’étais entrain de m’attacher à cet homme que je ne verrais sans doute qu’une seule fois dans ma vie… Non, ça ne pouvait pas se finir comme ça… Mais que pouvais-je faire ? Doucement, je relevais le nez, et déposai un autre baiser sur sa joue. Je n’avais pas d’autre idée, et il semblait apprécier ce genre de baiser, doux et innocent.

- J’avoue que je ne sais pas quoi dire… Mais je me sens bien, là.